L'objectif de cette synthèse est de faire le point en 1995 sur l'évolution des technologies après-récolte employées pour le traitement et la conservation des produits de base (grains et tubercules) employées par les agriculteurs en Afrique. Ces technologies permettent d'assurer la sécurité alimentaire des familles rurales. Le travail agricole peut être réduit à néant si une partie de son produit est perdue lors de la récolte, du battage ou détériorée par les moisissures, les insectes et autres ravageurs ou par une mauvaise transformation. Les agriculteurs ne décident d'augmenter leur production que s'ils disposent de techniques après-récolte adéquates.
Dans la grande majorité des cas, les techniques employées en Afrique sont restées traditionnelles bien que de nombreux projets en aient testé de nouvelles. Il y a eu beaucoup de projets après-récolte mis en oeuvre par diverses organisations dont le Service du Génie rural (AGSE) et le Programme pour la Réduction des Pertes Après-récolte (PFL) de la FAO.
Cette synthése a été réalisée à partir de données rassemblées par la FAO dans le cadre de ses projets de terrain et des contributions des participants aux Journées Techniques sur l'expériences Africaine en Amélioration des Techniques Après-récolte. Ces Journées ont été organisées par l'Unité Après-récolte du Ministère de l'Agriculture du Ghana en collaboration avec le Service de Génie rural de la FAO. Le Gouvernement français et le Programme des Pertes Après-récolte de la FAO ont contribué à leur financement.
Sans avoir la prétention d'être exhaustive, cette publication présente les différentes étapes du système après-récolte et quelques améliorations qui se sont avérées utiles pour les producteurs africains.
Cette publication a été écrite par Aliou Diop et révisée par M. El Houssine Bartali et Mlle Cécile Guérin (Consultants FAO). Sa production a été supervisée par M. Francis Troude et Mme Annemieke Schoemaker. Nous voulons spécialement remercier Mme Béatrice GraniPolidori du Service de Génie rural (AGSE) pour son travail de révision et de mise en forme finale de cette étude.
A.G. Rijk
Chef
Service du Génie rural
Division des Systèmes de Soutien à l'Agriculture
Ce rapport présente un panorama des technologies après-récolte employées dans le traitement et la conservation des grains et tubercules après la récolte en 1995, en Afrique sub-saharienne. L'objectif de l'étude est triple: faire le point sur les technologies existantes, permettre la diffusion au plus grand nombre des expériences réussies, réfléchir aux moyens d'adapter certaines technologies à l'environnement actuel. Cette synthèse a été réalisée suite aux "Journées Techniques sur l'Expérience Africaine en Amélioration des Techniques Aprèsrécolte", organisées à Accra en juillet 1994 par le gouvernement du Ghana, et à partir de données bibliographiques élaborées dans des projets de terrain de la FAO.
Ces technologies traditionnelles seront abordées en détail dans ce rapport. En outre on exposera les nouvelles techniques expérimentées, leur impact et leur diffusion auprès des populations intéressées. On analysera les causes du succès limité de certaines innovations, l'insuffisante prise en considération des besoins des acteurs du développement, les critères économiques et sociaux mal évalués et le manque de vision globale du système après-récolte.
On prendra en compte l'environnement socio-économique du système après-récolte qui détermine les futurs changements de technologie. De nombreux facteurs ont eu des répercussions directes sur les techniques après-récolte en particulier la libéralisation du commerce, la raréfaction des matériaux locaux due à la désertification, la réduction relative de la main-d'oeuvre sur l'exploitation.
De nombreux projets de développement et d'organismes de recherche agricoles ont travaillé sur les problèmes liés à l'après-récolte des produits vivriers. Beaucoup d'efforts ont été investis dans la recherche de solutions appropriées à ces problèmes. Ce rapport est un début de synthèse de ces travaux qui n'a donc pas la prétention d'être exhaustif. L'organisation des chapitres suit le déroulement des activités après-récolte: récolte, battage/égrenage, séchage, stockage, contrôle des prédateurs, contrôle de la qualité et transformation des grains. Un seul chapitre (Chapitre 9) concerne la conservation des racines et tubercules.
Ce chapitre aborde les différentes mutations écologiques, technologiques et économiques qui ont profondément modifié l'environnement du système après-récolte. Les expériences d'amélioration des technologies traditionnelles ont eu des succès variables, car trop souvent les aspects sociaux du développement ont été négligés. Ces aspects apparaissent en filigrane dans l'ensemble du rapport et seront développés dans chaque chapitre.
Depuis des temps immémoriaux, les producteurs agricoles ruraux ont toujours cherché à améliorer leurs techniques et méthodes de production, de traitement et de conservation de leurs récoltes dont dépend la survie de la famille. Les techniques traditionnelles après-récolte des produits vivriers sont le fruit d'un long processus d'expérimentations et d'adaptations empiriques. Au fil des générations et des siècles, elles ont parfois abouti à un certain degré de perfection. Cela s'explique par la nécessité constante de trouver des solutions appropriées à partir des seules ressources de l'environnement.
Ces techniques s'inscrivaient dans une économie essentiellement orientée vers la subsistance et l'autoconsommation. La famille patriarcale y joue un rôle prépondérant, avec des fonctions et des tâches définies suivant le sexe, l'âge ou le rang social. Les échanges étaient peu monétarisés et l'urbanisation peu développée. Enfin, les phénomènes de désertification et d'émigration massive, consécutifs à la sécheresse, n'avaient pas l'ampleur qu'on leur connait aujourd'hui. Ainsi, depuis une génération au moins, on assiste à des mutations consécutives à des contraintes nouvelles sur les opérations après-récolte traditionnelles.
1.1.1 Modifications des conditions écologiques
La déforestation
On observe dans plusieurs pays africains la raréfaction et même la disparition des matériaux végétaux traditionnels qui entraient dans la confection des greniers, sous les effets de la déforestation (augmentation des défrichements et de l'extension urbaine), de la désertification (climat), de la culture de variétés améliorées à paille plus courte.
Cette situation relativement nouvelle a entraîné de nouvelles méthodes de construction des structures de stockage avec des matériaux de remplacement (Chapitre 5) et la qualité du stockage s'en est trouvée parfois diminuée (figure 1.1). Dans le sahel, la désertification et les sécheresses prolongées ont entraîné l'épuisement des stocks de longue durée qui assuraient aux paysans leur sécurité alimentaire. Cette disparition presque totale des stocks de réserves traditionnels a suscité des initiatives villageoises pour développer des structures communautaires de stockage notamment les banques de céréales (fin du Chapitre 5).
De nouveaux prédateurs
Dans certaines régions de nouveaux prédateurs sont apparus. Notamment un ravageur des stocks, le Prostephanus truncatus ou Grand Capucin des grains, décelé en Tanzanie. Cet insecte s'est maintenant répandu très largement en Afrique de l'Est et de l'Ouest. Il reste difficile à contrôler par les méthodes traditionnelles et entraîne de lourdes pertes. Ce point sera abordé dans le Chapitre 6.
1.1.2 Mutation technologique
Nouveaux équipements
L'introduction d'équipements après-récolte permet d'augmenter la capacité de travail et la productivité des agriculteurs. Toutefois certaines innovations technologiques peuvent se révéler inadaptées lorsqu'elles sont mises en uvre sans prendre en compte l'ensemble du système après-récolte. Celui ci recouvre une suite d'opérations interdépendantes. Toute modification de l'une des opérations affecte les autres opérations et remet en cause l'équilibre du système. Par exemple l'introduction de moyens mécaniques de battage conduit les agriculteurs à modifier leurs pratiques vers un stockage en grains plutôt qu'en épis (Chapitre 5); il faut donc concevoir des greniers nouveaus, conçus pour recevoir le grain battu.
Variétés améliorées
L'introduction de nouvelles variétés à haut rendement favorise l'accroissement de la production et apporte un début de solution aux problèmes de déficits vivriers. Néanmoins des problèmes nouveaux se posent: le paysan doit faire face à des problèmes de manutention et de stockage de plus grandes quantités de grains, d'autre part, les nouvelles variétés plus productives sont plus sensibles aux attaques des insectes. Elles présentent souvent des grains plus tendres ou des spathes qui n'assurent pas le recouvrement complet de l'épi.
Pesticides chimiques
Traditionnellement les agriculteurs utilisent divers types d'insecticides naturels, soit d'origine végétale, soit d'origine minérale pour la préservation des grains contre les insectes. Ces méthodes seront décrites plus précisément dans le Chapitre 6. Depuis quelques décennies, l'emploi de produits chimiques plus efficaces, a connu un grand succés auprès des paysans. Actuellement certains produits mal utilisés, en vente libre sur les marchés locaux, peuvent avoir de graves conséquences sur l'efficacité du traitement comme sur la santé des consommateurs. Cette situation, abordée au Chapitre 6 de ce rapport, s'explique en partie par l'absence ou la non application d'une législation appropriée en la matière.
1.1.3 Evolution socio-économique
Dans la plupart des pays africains, la production agricole vivrière s'est ouverte durant les trente dernières années passant d'une économie d'auto-consommation vers une économie de marché. La monétarisation des échanges oblige le paysan à vendre une partie de sa récolte pour satisfaire de nouveaux besoins. L'augmentation des quantités récoltées par producteur crée de nouveaux besoins d'équipement après-récolte. Par exemple, au niveau du stockage, l'apparition du stockage en grains dans les magasins en banco est une conséquence de plusieurs changements socio-économiques tels que: le chevauchement de plusieurs opérations de après-récolte et le manque de temps pour la confection de nouveaux greniers, l'augmentation des besoins en capacité de stockage, la crainte des vols et des incendies, l'évaluation du statut social en fonction de la structure de stockage utilisée. Ce point sera largement développé dans les Chapitres 4 et 5.
1.2.1 Historique des améliorations d'opérations après-récolte
Avant d'aborder les techniques nouvelles mises au point actuellement, nous examinerons rapidement les expériences des années 1970 et 1980. Les premières expériences d'amélioration des techniques après-récolte durant les années 1970 étaient axées sur le stockage du mil et du sorgho en zone sahélienne, suite aux périodes de sécheresse et de famine. Dans ces systèmes après-récolte très anciens et tournés vers l'auto-consommation, les pertes en cours de stockage étaient négligées tant qu'elles n'affectaient pas le degré de sécurité alimentaire des ménages selon leur propre perception. La qualité du stockage assurait la sécurité alimentaire et reposait sur d'anciennes traditions en matière de production, de manutention et de conservation du mil et du sorgho.
Depuis la fin des années 1970, de nombreux programmes de recherche et développement ont privilégié l'action sur le mais et le riz qui constituent la nourriture de base pour les populations de nombreux pays.
- Maïs:
Travaux sur le séchage et le stockage. Depuis la fin des années 1980, on privilégie une approche des systèmes traditionnels préalablement aux études d'amélioration (Chapitres 4 et 5).
Les opérations d'égrenage et de mouture ont été peu étudiées. Des équipements d'amélioration de ces opérations ont été introduites (Chapitres 3 et 7).
- Riz:
La libéralisation des économies du Sénégal, Mali, Cameroun et Burkina Faso dans les années 1980, a eu pour conséquence le désengagement des sociétés d'état de la filière après-récolte du riz. Les besoins en technologies à faible coût adaptées pour le battage et l'usinage du riz en milieu villageois se sont énormément accrus durant les dernières années. Des expériences intéressantes (recherche adaptative et diffusion d'équipements appropriés) ont été conduites sur les opérations de décorticage, de battage et de séchage (Chapitres 3, 4, 7).
1.2.2 La dimension humaine dans le développement des systèmes après- récolte
La majorité des intervenants en matière de développement, agences d'exécution et vulgarisateurs, ont longtemps sous-estimé l'importance du rôle des femmes dans l'économie de leur pays et dans les activités après-récolte lices au conditionnement, à la transformation, à la conservation et à la mise en vente des denrées alimentaires. En raison de son attachement au foyer, la femme a peu de mobilité et peu de temps; en outre elle a un accès limité à l'éducation et peu de ressources financières et matérielles. Le manque de technologies tenant compte des besoins et des contraintes des femmes, et à des coûts accessibles est un frein au développement. Cela entraîne parfois la perte du contrôle des femmes sur ces technologies courantes et le transfert des opportunités d'emploi et de revenus aux hommes.
Une analyse approfondie de la distribution des tâches respectives de la femme et de l'homme au sein des exploitations agricoles ainsi que l'identification des besoins et des contraintes spécifiques aux femmes (pour les activités de stockage, transformation et commercialisation), est un préalable à la diffusion des techniques après-récolte correspondant aux besons de leurs bénéficiaires.
Les racines et tubercules occupent une place importante dans l'alimentation des populations et dans l'économie de certaines pays africains, en particulier ceux situés le long du golfe de Guinée. Depuis une dizaine d'années, les programmes d'assistance au développement sont intervenus au niveau de l'après-récolte des racines et tubercules au même titre que pour les céréales longtemps privilégiées. L'igname et le manioc sont les deux produits les plus cultivés. Ceci explique le volume d'activités de recherche et développement qui leur sont dévolus par rapport aux autres racines et tubercules.
Les racines et tubercules constituent une bonne source d'énergie (voir tableau 2.1), de minéraux et de vitamines. Les rendements en calories par unité de surface sont comparables à ceux des céréales. La quantité et la qualité des protéines sont variables et relativement faibles sur une base humide. Sur la base de matière sèche, leur teneur en protéines vaut celle des céréales. Traditionnellement les plats à base de racines et tubercules sont accompagnés de produit à forte teneur en protéine (viande, légumes et graines de légumineuse).
Les racines et tubercules ont une teneur en eau élevée jusqu'à 90%). Le produit encombrant, fragile et de forme variable est abîmé à tous les niveaux de la chaîne de manutention après-récolte et cela occasionne des pertes (sur l'igname, 25 à 30% de pertes enregistrées en trois mois).
Ces contraintes lices aux caractéristiques des racines et tubercules rendent difficiles la valorisation et la commercialisation des produits frais en centre urbain. Malgré la transformation traditionnelle, le plus souvent artisanale, le potentiel de valorisation technologique des ces produits demeure sous-exploité.
Tableau 2.1 - Teneur en éléments nutritifs de quelques denrées alimentaire
Mais | Sorgho | Riz (paddy) | Manioc | Igname | Patate douce | |
Rendement money (kg/ha) | 336 | 746 | 1.756 | 6.182 | 9.973 | 5,893 |
% non-consommable | 10 | 10 | 35 | 26 | 16 | 21 |
CALORIES | ||||||
Par 100 g consommable | 347 | 364 | 149 | 119 | 121 | |
Par ha/saison (x1000) | 4.137 | 2.330 | 4.155 | 6.816 | 9.969 | 5.633 |
Rang | 5 | 6 | 4 | 2 | 1 | 3 |
PROTEINES | ||||||
par 100 g consommable (g) | 9,3 | 11,1 | 7,0 | 1,2 | 1,9 | 1,6 |
par ha/saison (kg) | 112 | 75 | 80 | 55 | 159 | 75 |
Rang | 2 | 4 | 3 | 6 | 1 | 4 |
Le manioc constitue une culture de sécurité pour beaucoup d'agriculteurs: il s'adapte bien aux conditions climatiques, mêmes extrêmes (sécheresse) et aux différents types de sol. Sa culture nécessite peu d'intrants et de main d'uvre. Les racines peuvent être laissées dans le sol afin de programmer des récoltes plus tardives. Les expériences menées sur le manioc concernent le stockage et la transformation, deux opérations visant une meilleure valorisation du produit.
2.2.1 Le stockage du manioc
Les racines de manioc se détériorent rapidement deux ou trois jours après la récolte (facteurs physiologiques) ou cinq à sept jours après la récolte (activité de micro-organismes) (Cooke et al, 1988). Plusieurs techniques de conservation des racines de manioc à l'état frais ont été testées: enrobage de la racine avec un film de cire paraffinée ou avec de la boue ou de la cendre mouillée, stockage sous-terre, blanchiment dans de l'eau bouillante, immersion dans l'eau froide. Ces techniques ont permis d'allonger la conservation des racines de 2 à 10 jours, mais elles demeurent laborieuses et parfois coûteuses pour des approvisionnements importants.
- Stockage des racines sous film plastique
Au Ghana, Gallat (1994) signale une technique mise au point par le CIAT (Centro Internacional de Agricultura Tropical) et le NRI (Natural Ressources Institute). Il s'agit d'un système de stockage "mobile" fondé sur l'emballage des racines dans des films plastiques, combiné à un traitement chimique de contrôle de la pourriture microbienne. Les racines seraient conservées deux semaines de plus et dans de bonnes conditions pour les besoins des commerçants et des consommateurs.
- Stockage des racines dans de la sciure de bois humide
Agboola (1994) décrit une technique de conservation de racines de manioc dans de la sciure de bois maintenue humide, à l'intérieur de paniers ou caisses en bois. Le manioc se conserve en bon état, dans un endroit frais pendant prés de 2 semaines à condition que les racines soient de bonne qualité et sans contusion au début du stockage. Cette technique, introduite au Nigeria auprès des paysans et petits commerçants, n'a pas encore connu un taux d'adoption appréciable.
En Ouganda, une technique similaire a été expérimentée avec des essais de stockage dans de la sciure de bois humide ou dans des copeaux de bois humides (Nahdy, 1994).
Description technique
L'expérience a été menée avec du manioc récolté depuis moins de huit heures (variété Tereka), sur des lots de racines saines et des lots de racines endommagées (2 à 3 cm enlevés au bout des racines). Dans des caisses en bois compartimentées (170x65x80cm) on a placé des sacs en polyéthylène percés à la base Les racines de manioc ont été stockées en alternant trois fois de suite une couche de manioc et une couche de sciure ou copeaux de bois selon le cas. Le stockage des racines à même le sol a servi de lot témoin.
Résultats
- Par rapport à la technique "témoin", le stockage amélioré réduit les détériorations dues aux infections microbiennes, à la décoloration et aux pourritures. La fraîcheur du produit est améliorée par rapport aux techniques traditionnelles.
- Pour le stockage amélioré, on note les mêmes résultats en terme de prolifération microbienne sur les racines saines et endommagées. Par contre la décoloration et la pourriture sont plus faibles avec des racines saines.
- L'expérience a montré qu'il est possible de conserver trois semaines du manioc frais avec cette technique de stockage améliorée. Au delà, le niveau de pourriture est inacceptable (50% après 42 jours et 80% après 63 jours). Cette technique, simple et peu coûteuse (matériaux naturels), pourrait diminuer les problèmes de stockage et de commercialisation du manioc dans les centres urbains.
2.2.2 Transfomation du manioc
Le manioc est transformé en deux produits principaux, la farine de manioc et le gari, afin de détoxiquer et conserver au mieux les racines. La transformation, organisée par les femmes en milieu rural, provoque la perte d'une partie des minéraux et vitamines.
La farine de manioc
La farine de manioc, très fréquente sur les marchés, est relativement facile à produire, à stocker et à commercialiser. Elle entre dans la composition de l'aliment de base africain, le foufou. Pour produire la farine, les racines de manioc sont trempées dans de l'eau pendant 3-4 jours, puis épluchées, découpées en cossettes et séchées au soleil. Enfin les cossettes sont moulues en farine. La qualité du séchage des cossettes est primordiale si l'on veut éviter des infections dangereuses de micro-organismes. L'opération qui se déroule parfois en période pluvieuse (zones à forte hygrométrie) est une grave contrainte de production. L'introduction d'un équipement permettant le découpage du manioc en cossettes fines devrait alléger le travail des femmes et faciliter le séchage.
Le gari
Le gari est un produit à base de manioc fréquemment rencontré sur les marchés africains. Au Nigeria par exemple, il représente 70% des produits transformés à base de manioc (Sadik, 1987). Dans le Nord-Ouest du Cameroun, les femmes fabriquent le gari manuellement, soit 3 bassines de 14kg par semaines en saison des pluies et 6 à 8 bassines par semaine en saison sèche. La production de gari nécessite toute une série d'opérations: épluchage, lavage, râpage, pressage, fermentation, tamisage, cuisson (ou garification), emballage et stockage. Certaines opérations sont problématiques pour les femmes s'occupant de cette production artisanale (Flach, 1990).
- La capacité d'épluchage manuel varie selon la grosseur des racines et la variété du produit de base autour de 20-25kg/heure. Les épluchures représentent 25% (Flach, 1990). Plusieurs techniques d'épluchage mécanisées ou utilisant des produits chimiques ont été développées, mais l'expérience montre qu'elles étaient inappropriées, coûteuses et sans avantage notoire par rapport à l'épluchage manuel.
- La capacité du râpage manuel n'est que de 20kg/heure environ et l'opération est très pénible. En comparaison les râpes motorisées ont une capacité de 2T/h (Sadik, 1987) et sont exploitées en prestation de service avec succès par des entrepreneurs privés ou des groupements de femmes.
- Le pressage traditionnel consiste à placer la pâte obtenue après râpage dans des sacs de jute ou de polyéthylène et à la presser sous une pierre ou des pièces de bois entrecroisées. Pendant l'opération (3-4 jours) la fermentation se produit et une partie de l'acide cyanhydrique est éliminée. Des modèles de presses à vis manuelles ont été diffusés avec succès dans les villages.
- Dans les unités industrielles, la cuisson ou garification s'effectue dans un four rotatif chauffé de 260°C à 290°C, pendant dix minutes, suivi d'un séchage de 8 minutes à 150°C jusqu'à une teneur en eau comprise entre 9% et 12% (Sadik, 1987).
La méthode artisanale consiste à cuire chaque lot (2 à 3kg) en brassant continuellement le produit pendant 30 minutes dans des poêles chauffées au feu de bois. Le produit final représente 20 à 25 % du manioc frais.
La principale amélioration apportée à cette opération concerne la réduction de la consommation de bois (Flach, 1990). Au Cameroun des foyers améliorés en brique de terre cuite, gérés par des groupements de femmes (en prestation de services ont permis de réduire de 50% la consommation de bois, tout en réduisant le temps de cuisson. Par contre l'introduction de fours mécanisés a été un échec. Toutefois pour des unités de production de gari semi-industrielles, un équipement approprié de cuisson, capable de sécher le produit jusqu'à une teneur en eau de 12%, est à mettre au point. Par suite cela permettrait l'emballage du gari en sacs plastiques, sa conservation et sa commercialisation pendant plusieurs mois.
Les types d'ignames les plus cultivés en Afrique sont Dioscorea rotundata ou igname blanche, Dioscorea cayenensis ou igname jaune et Dioscorea alata. L'igname arrive à maturité après 6 à 9 mois de culture et a une période de dormance de 3 à 6 mois selon les variétés.
2.3.1 Le stockage de l'igname
Traditionnellement l'entrepôt d'ignames est une enceinte partiellement ombragée faite de supports verticaux (poteaux en bois ou troncs d'arbre encore plantés) espacés d'un mètre et reliés par des chevrons ou des lattes en bambou. Un toit de paille et des murs faits de fibres végétales entrecroisées complètent la structure. Les tubercules d'ignames sont attachés (tâche fastidieuse) jusqu'à des hauteurs de 2 à 3 mètres (Ezeike, 1994). Cette structure est populaire par la simplicité de sa construction et son coût modique. Mais les conditions de température et d'humidité sont pratiquement les mêmes que celles de l'air ambiant et donc peu favorables à la qualité du stockage.
2.3.2 Stockage amélioré des ignames au Nigéria
Le Département de Génie rural de l'Université du Nigeria à Nsukka a conçu une cave ventilée pour le stockage des ignames (figure 2.1). La cave mesure 2,90m de long sur 1,30m de large et 1,50m de profondeur. Le toit en forme de coupole protège la cave des eaux d'écoulement de pluie. Des ouvertures de prise d'air grillagées (B sur la figure) et une cheminée (C) située au centre, améliorent le niveau de ventilation. La cheminée, peinte en noir, accentue le mouvement d'écoulement d'air.
Figure 2.1 - Cave ventilée
avec cheminée centrale
(a) section longitudinale
(b) vue de profil
A: porte; B: Grille;D: Escalier; E: Couverture d'escalier
Cette nouvelle structure de stockage, conçue pour la conservation d'environ 200 tubercules, a été évaluée pendant 6 ans et comparée à l'entrepôt traditionnel.
- Les températures à l'intérieur de la cave ont varié entre 21.2°C et 24.1°C. Les températures de l'air ambiant et à l'intérieur de l'entrepôt traditionnel sont nettement plus élevées, elles varient entre 30°C et 34°C.
- Les moyennes hebdomadaires d'humidité relative dans la cave ont varié entre 83,9 et 93%. Ces niveaux élevés de l'humidité relative combinés aux températures relativement faibles sont proches des conditions optimales (25°C et 96%) pour que les blessures sur les tubercules se résorbent. De plus ces conditions favorables ont permis de diminuer les pertes de poids dues aux échanges respiratoires des tubercule (tableau 2.2).
Tableau 2.2 - Perte te poids des ignames sous différentes conditions
Pertes de poids dues à la respiration | Pertes de poids total (% par jour) |
||
Condition des | (96 par jour) | Cave ventilée | Entrepôt tradditionnel tubercules |
Récolte | 0,076 | 0,25 | 0,25 |
Dormance | 0,021 | 0,17 | 0,27 |
Germination | 0,068 | 0,23 | 0,35 |
2.3.3 Stockage amélioré des ignames au Bénin
Deux structures de stockage d'environ 3 tonnes, faites de matériaux locaux, ont été expérimentées dans le cadre des activités du projet FAO intitulé "systèmes de stockage décentralisés".
Description technique
- la paillote surélevée, structure montée sur pilotis munis de protection anti-rats (figure2.2).
- La fosse-paillote, cave de 4m sur 2m sur 1,80m de profondeur (figure 2.3). Les murs en banco sont à 60cm des bords de la fosse, délimitant ainsi un espace de circulation. Des morceaux de bois formant un caillebotis disposé au fond de la fosse et recouvert de paille assurent un bon isolement des tubercules. Des allées aménagées entre les parois de la fosse et les ignames (0,30m) et entre les tas d'ignames (0,50m) facilitent la circulation de l'air et l'inspection du produit.
- Les ignames stockées dans ces deux types de structures ont été traitées avec du Koufla à raison de 2,5kg/tonne de tubercules.
Figure 2.2 - La paillotte
surélevée
(Source: Fiagan 1994)
Figure 2.3 - La fosse
paillote
(Source: Fiagan, 1994)
Résultants
On compare la méthode améliorée et la technique traditionnelle (stockage en tas dans une cabane) dans deux zones écologiques du Bénin, sur des variétés précoces (Kpounan/Labako) et des variétés tardives (Gnidou). La mesure porte sur les pertes quantitatives, la qualité des tubercules conservées et les plus values dégagées au bout de 120 jours de stockage. (Tableaux 2.3 et 2.4 ci-dessous).
Tableau 2.3 - Pourcentage de pertes mesurées dans la région centre du
Bénin | Structure améliorée (paillotte surélevée ou fosse-paillotte) | Structure traditionnelle |
Variété précoce | 24,2% | 57,3% |
Variété tardive | 22,4% | 38,4% |
Tableau 2.4 - Pourcentage de pertes mesurées dans la région nord du Bénin
Paillotte surélevée | Fosse-paillotte | Structure traditionnelle | |
Variété précoce ou tardive | 26,8% | 20,6% | 59;1% |
Les bons résultats ci-dessus confirment l'intérêt des structures améliorées de stockage. Sur le plan qualitatif, la teneur en eau plus élevée des tubercules stockées dans la fosse paillote améliore la préparation de l'igname pilée et donc l'appréciation des consommateurs.
Sur le plan économique, l'étude a montré que le producteur réalisait avec la variété précoce une plus value de 220% avec le stockage amélioré (contre 44% avec le stockage traditionnel). Par contre avec la variété tardive, la plus value est la même quelque soit le type de stockage. Néanmoins le coût du stockage amélioré et du traitement phytosanitaire, surtout depuis la dévaluation du franc CFA en janvier 94, peuvent constituer un frein au développement de ce type de stockage.