10. Investissement dans le secteur agricole: évolution et perspectives

Documents d'information technique
© FAO, 1996


2. Catégories d’investissements agricoles

2.1 A l’avenir, les méthodes utilisées pour accroître les approvisionnements alimentaires seront différentes de celles employées dans le passé. Comme l’attestent de nombreux autres documents, l’amenuisement des réserves de terres inexploitées à haut potentiel de production, le plafonnement de la productivité dans des régions où les technologies modernes ont déjà été introduites, et l’appauvrissement des ressources essentielles à la production dans des régions à haut et à faible potentiel, posent une nouvelle série de problèmes qui risquent d’entraver le développement. On retirera moins d’avantages à l’avenir de l’introduction de nouveaux intrants déterminés (variétés modernes, engrais inorganiques, insecticides). La révolution dite verte, bien qu’elle ne soit pas terminée, a donné sa contribution maximale à l’accroissement des disponibilités alimentaires mondiales. La croissance future dépendra surtout de l’optimisation d’un ensemble de technologies, du maintien de leur efficacité, et de leur adaptation aux possibilités des terres moins fertiles et des agriculteurs les plus pauvres. En termes agronomiques, la croissance passera principalement par l’adoption de systèmes de production plus intensifs, mais durables et non plus par l’application des méthodes de la révolution verte, ou par la simple extension des superficies mises en culture.

2.2Cette réorientation a bien entendu des répercussions sur les catégories d’investissement de soutien qui seront nécessaires à l’avenir4.

2.3 L’importance économique de quelques-uns des principaux postes d’investissement énumérés ci-dessus ainsi que l’intérêt qu’ils présentent pour la croissance de la production vivrière sont analysés de façon plus détaillée dans les sections qui suivent.

Intensification

Irrigation et rationalisation de l’utilisation de l’eau

2.4 Dans le monde entier, environ 260 millions d’hectares de terres sont irriguées. L’irrigation couvre au total 18 pour cent de toutes les terres arables et consacrées aux cultures permanentes, mais ce pourcentage est extrêmement variable suivant les régions (35 pour cent en Asie, 6 pour cent en Afrique subsaharienne et 11 pour cent en Amérique latine). De nouvelles terres ont été mises sous irrigation, au rythme de 3 millions d’hectares supplémentaires par an en moyenne sur les deux dernières décennies, dont 87 pour cent en Asie. Aujourd’hui, l’expansion de l’irrigation s’est nettement ralentie par rapport aux années 60. Le développement de l’irrigation financé par des sources internationales a aussi baissé: les prêts de la Banque mondiale destinés à l’irrigation ont par exemple diminué de moitié, tombant de 2 milliards de dollars EU en 1980 à 1 milliard de dollars en 1993.

2.5 Les projets de grande ampleur visant à mettre toute une zone sous irrigation se heurtent à des obstacles de plus en plus nombreux. Ces projets ont été critiqués parce qu’ils endommageaient l’environnement, engendraient des inégalités sociales, et étaient peu respectueux des droits des utilisateurs traditionnels des terres. Le recours accru à l’irrigation peut aussi conduire à une augmentation des maladies d’origine hydrique, notamment bilharziose et malaria. Ces problèmes de santé publique doivent être traités, dans un premier temps, au stade de la planification et de l’élaboration des systèmes d’irrigation, et dans un deuxième temps, grâce à un suivi de routine des impacts sanitaires et nutritionnels du réseau sur la population.

2.6En Afrique subsaharienne, moins de 20 pour cent du potentiel théorique d’irrigation de 16,5 millions d’hectares5 ont étés réalisés, et le plus grand obstacle à l’expansion de l’irrigation est sa faible faisabilité économique, due à plusieurs raisons: coûts des investissements initiaux particulièrement élevés, faibles intensités de culture, débouchés limités pour les cultures à forte valeur marchande, concurrence du riz importé à bas prix, coûts de transport élevés en raison du mauvais état des routes (les principaux centres de consommation sont souvent situés sur la côte et ravitaillés à moindres frais par des marchandises provenant de l’étranger) et manque d’une tradition de l’irrigation.

2.7 En Asie, le coût d’investissement moyen d’un nouveau réseau d’irrigation a doublé au cours des 10 dernières années alors que, pendant presque toute cette période, les cours internationaux du riz ont baissé. Les taux de rentabilité des nouvelles infrastructures d’irrigation diminuent donc. Ces investissements sont parfois justifiés en partie par le développement des usines hydroélectriques ou par la reconstitution des nappes aquifères qui profitent aux utilisateurs des ressources en eau, même en dehors de la zone desservie, mais il est incontestable que, malgré la nature polyvalente de certains investissements d’irrigation, les possibilités de développement de la grande irrigation ont diminué et il est de moins en moins intéressant sur le plan économique d’irriguer ce type de cultures vu la tendance continue à la baisse des prix des cultures vivrières de base.

2.8 Si les possibilités de développer la grande irrigation dans les périmètres établis semblent désormais moins nombreuses que par le passé, il reste largement possible de moderniser les installations existantes et de rationaliser leur utilisation. Les travaux de remise en état coûtent nettement moins que la création de nouveaux réseaux, et ils peuvent contribuer de façon importante à la croissance de la production agricole si l’on s’attache, parallèlement, à améliorer leur gestion et à mettre en place des services adéquats de vulgarisation, d’approvisionnement en intrants et de commercialisation. Dans la plupart des zones irriguées des pays en développement, les efforts devraient être orientés vers l’amélioration de l’efficacité des installations existantes plutôt que vers la création de nouveaux réseaux (Rosegrant et Svendsen, 1993).

2.9Le transfert de la gestion des réseaux, des institutions gouvernementales aux groupes d’agriculteurs et aux associations d’utilisateurs, s’est révélé positif car il a accru leur efficacité et conduit à la fixation de tarifs plus réalistes pour l’eau, permettant de récupérer une part plus importante des coûts d’exploitation et d’entretien et d’améliorer la durabilité du périmètre6. Dans ce domaine, des progrès importants peuvent être accomplis, comme c’est déjà le cas actuellement.

2.10 Les techniques simples sont souvent les plus adaptées car elles peuvent être mises en place par les communautés rurales elles-mêmes, dans le cadre de programmes vivres-contre-travail ou en partageant les coûts avec le gouvernement ou avec des organisations non gouvernementales (ONG), ou encore par des opérateurs privés. De nombreux pays ont adopté spontanément et avec succès les méthodes suivantes: petits systèmes d’irrigation privés alimentés par l’eau pompée des fleuves, dispositifs d’exhaure pour puits peu profonds, actionnés par un moteur ou par l’énergie humaine ou animale et activités de mise en valeur des fonds de vallée, dans le cadre de programmes d’auto-assistance collectifs. Une grande partie des investissements sert à rémunérer la main-d’oeuvre locale, ce qui peut engendrer des effets de multiplication, au niveau local. Les populations autochtones adoptent aussi depuis des siècles divers procédés pour récolter l’eau et conserver l’humidité des sols. Une bonne compréhension de ces techniques traditionnelles est déjà un bon point de départ pour développer le soutien à l’irrigation, en tenant compte des préférences et des connaissances locales et en évitant le piège de grands périmètres imposés, dont la planification est centralisée. Ces dernières années, les organismes d’aide ont perfectionné des techniques d’évaluation rurale et des méthodes de planification participative qui peuvent aider à concevoir des programmes d’amélioration de l’irrigation qui soient socialement et économiquement acceptables.

2.11 Les techniques de récolte de l’eau et de conservation de l’humidité in situ peuvent aussi être largement appliquées, car elles peuvent accroître et stabiliser les rendements des cultures et contribuer à la reconstitution des nappes aquifères. Mais il faudra intensifier les recherches sur la faisabilité économique de la récolte de l’eau dans divers environnements agroécologiques (Reij, Mulder et Begemann, 1985), car de nombreux projets de ce type sont financés par des dons et les coûts d’investissement signalés sont extrêmement variables et souvent trop élevés pour garantir un rendement acceptable.

2.12 La compétition croissante pour l’eau entre l’agriculture et d’autres secteurs est un problème important, surtout en Asie et au Proche-Orient. A l’issue des débats sur la manière de faire face, à l’avenir, à la pénurie d’eau inéluctable, on recommande souvent d’établir et d’améliorer les marchés de l’eau, en instituant des droits d’eau commercialisables, qui amélioreraient très nettement l’efficacité des allocations. Si l’on utilisait un peu plus efficacement l’eau des installations d’irrigation, qui absorbent la majeure partie des ressources en eau dans les pays en développement (80 pour cent), on libérerait des volumes d’eau importants pour les secteurs non agricoles, dans les endroits où ils sont en concurrence. La création de marchés efficaces de l’eau suppose normalement de remettre en état les périmètres d’irrigation, de transférer leur gestion aux utilisateurs, d’investir dans des systèmes d’adduction et de mesure et de mettre en place des mesures efficaces pour assurer le respect de la législation. Dans les pays où l’eau est encore disponible à un prix relativement bas, les avantages sociaux d’une meilleure allocation ne justifient pas toujours ces mesures (Rosegrant et Binswanger, 1944). Cependant, étant donné que les ressources en eau s’amenuisent constamment, ces droits de propriété, dont les avantages ont déjà été démontrés au Chili et dans l’ouest des Etats-Unis, représenteront une option de plus en plus intéressante qui pourra se substituer aux pratiques actuelles d’allocation de l’eau.

Mise en valeur et amélioration des terres

2.13 D’après l’étude WAT2010, au cours des deux prochaines décennies, la croissance agricole découlera pour un cinquième de l’exploitation de nouvelles terres et pour quatre cinquièmes de l’intensification des cultures. L’expansion de l’agriculture dans de nouvelles zones plus fragiles ne s’arrêtera pas, car les populations n’ont souvent pas d’autre choix que de s’installer sur des terres de plus en plus marginales, de défricher les forêts primaires, d’épuiser rapidement les sols et d’endommager l’environnement. Le coût social de leur production est élevé dans ce cas et la productivité de leur travail est faible. Dans ces circonstances les pratiques agricoles sont dictées davantage par les besoins de survie que par des calculs financiers ou économiques.

2.14 Le secteur public peut enrayer cette tendance, notamment en améliorant la sécurité de jouissance des particuliers et des communautés. L’expérience montre que c’est en permettant d’accéder librement aux ressources naturelles qu’on les exploite de la façon la plus dévastatrice. Des mesures telles que la réglementation de l’occupation des sols et la fourniture d’incitations aux occupants sans titre pour qu’ils protègent les terres restantes, associées à la fourniture de services (routes, vulgarisation et semences pour permettre une agriculture durable), contribueraient à stabiliser la situation.

2.15 Au lieu d’étendre les superficies cultivées, on peut décider de mettre en valeur les terres. Leur productivité peut être améliorée durablement grâce à des investissements. Les résultats des recherches effectuées dans le district de Machakos (Kenya), sur les 60 dernières années, ont démontré qu’il était possible d’enrayer le processus de dégradation des sols imputable à la pression démographique, dans un environnement institutionnel et commercial favorable (Tiffen, Mortimore et Gichuki, 1994).

2.16 Les terres et la productivité agricole peuvent être améliorées grâce à différentes techniques telles que: modification du travail du sol et de la couche superficielle pour faciliter la pénétration des pluies; amélioration de la gestion des résidus de cultures et de la matière organique des sols; récolte de l’eau, drainage, chaulage et applications de phosphate naturel pour corriger les déséquilibres chimiques, mais aussi interventions mécaniques comme: nivelage du sol, travaux de terrassement et construction de diguettes pour contenir les eaux de ruissellement et lutter contre l’érosion. La plupart de ces améliorations nécessitent des investissements qui peuvent être très rentables. Cependant, dans certains cas, la participation aux coûts du gouvernement peut être nécessaire pour déclencher un changement car les profits consistent en partie en biens publics ou en avantages s’étalant sur plusieurs générations, et les bénéfices privés ne suffisent pas à eux seuls à inciter les agriculteurs à améliorer les terres et les pratiques culturales.

2.17Dans de nombreux pays, la réforme agraire est une question délicate. Toutefois, dans les régions où il n’existe pas d’agro-industries commerciales solidement implantées, les petites exploitations tendent à être cultivées de façon plus intensive que les grandes. Quand les grandes exploitations sont gérées intensivement, elles peuvent être tributaires d’un grand nombre de travailleurs sous contrat, ce qui peut entraîner des coûts de supervision élevés et des conflits du travail (Lipton, 1995). Une redistribution des terres, par le biais de réformes agraires axées sur le marché7 pourrait donc considérablement favoriser la croissance de la production agricole à long terme dans un grand nombre de pays les moins avancés et réduirait la pression sur les terres marginales.

Intrants achetés

2.18 L’importance accrue accordée à l’emploi complémentaire, efficace, sûr et durable d’engrais, de pesticides, de régulateurs de croissance des végétaux, de médicaments et de vaccins vétérinaires nécessitera des investissements constants. Toute stratégie basée sur l’emploi d’intrants achetés impose des investissements préalables dans des infrastructures de fabrication, d’entreposage et de distribution, ainsi que des fonds de roulement importants. Les engrais minéraux, en particulier – 140 millions de tonnes utilisées chaque année dans le monde (en équivalent éléments nutritifs), dont la moitié dans les pays en développement – jouent un rôle majeur dans l’accroissement de la production agricole depuis le siècle dernier.

2.19 Il n’est pas évident que les engrais contribueront autant que par le passé à la croissance de la production. Dans les régions à fort potentiel, comme la Chine, la partie centrale de l’île de Luçon aux Philippines, et le Penjab en Inde, les rapports entre l’augmentation des rendements céréaliers et le volume d’engrais appliqué sont en baisse. La réduction progressive de la subvention des intrants dans divers pays en développement oblige les agriculteurs à faire de nouvelles économies. Dans les pays développés, la consommation est en baisse depuis quelque temps, du fait des préoccupations écologiques et de la réduction des superficies cultivées. Ce phénomène a atteint de telles proportions que certaines instances se sont inquiétées de la sous-utilisation d’éléments nutritifs en liaison avec les rendements potentiels.

2.20 Il est encore possible d’accroître l’emploi d’engrais pour différentes cultures dans bon nombre de pays en développement, même si l’emploi de variétés à haut rendement et l’irrigation associée à ce type de cultures, qui favorisent l’application accrue d’engrais, progressent plus lentement que par le passé. L’abandon des anciens systèmes de production agricole au profit de cultures à haute valeur marchande accélérera la demande de différents types d’intrants achetés.

2.21 En Afrique subsaharienne, où les engrais sont encore très peu employés, la consommation est gênée par les éléments suivants: coûts de distribution élevés, absence de débouchés commerciaux pour la production, manque de fabriques nationales d’engrais, faible réponse des rendements et risque élevé que comporte l’emploi d’engrais dans des systèmes de culture traditionnels.

2.22Etant donné que la rentabilité économique des intrants conventionnels décline et que les préoccupations écologiques augmentent, on s’attachera à appliquer les engrais de façon plus judicieuse8, plutôt qu’à accroître leur utilisation. Compte tenu des nouvelles technologies de lutte intégrée contre les ravageurs et de gestion des éléments nutritifs du sol, et du fait que certains intrants sont maintenant dépassés, puisque les mêmes effets peuvent être obtenus grâce à la biotechnologie, les marchés deviendront plus étroits et segmentés, ce qui compliquera la tâche de l’industrie agrochimique. Les produits qui pourraient occuper des créneaux importants dans les nouvelles stratégies intégrées de durabilité, risquent d’être délaissés parce qu’ils ne seront pas rentables pour un industriel privé.

2.23 Le bon état de la structure du sol est souvent aussi important que sa teneur en nutriments. L’enrichissement du sol et le maintien de sa texture grâce à des apports de matière organique, par le biais de la jachère ou de la culture en allées, de systèmes intégrés d’agriculture et d’élevage, ou d’autres moyens susceptibles d’accroître la teneur en matière organique sont des mesures couramment recommandées par les instituts de recherche, mais qui ne sont pas toujours considérées comme rémunératrices par les agriculteurs. Il est indispensable d’investir davantage dans la recherche appliquée et adaptative pour offrir aux agriculteurs une plus vaste gamme d’options pour préserver la fertilité des sols et lutter contre les ravageurs et les maladies.

Mécanisation

2.24 La mécanisation peut accroître de façon spectaculaire la productivité de la main-d’oeuvre. Elle permet aussi d’augmenter considérablement la taille des exploitations, lorsqu’il y a suffisamment de terres. Il est surprenant de voir à quel point, dans les pays en développement, l’agriculture est tributaire de la mécanisation. Selon les statistiques de la FAO, on a utilisé chaque année en moyenne 200 000 tracteurs supplémentaires au cours des deux dernières décennies et quelque 5,5 millions de tracteurs seraient employés dans les pays les moins avancés. La mécanisation est intéressante dans la mesure où elle remplace le travail humain répétitif, épuisant et qui consomme beaucoup d’énergie, ou la traction animale (Binswanger et Donovur, 1988); en outre elle est extrêmement sensible aux variations des coûts de la main-d’oeuvre. Etant donné la place importante qu’elle occupe dans le budget des exploitations, souvent supérieure à celle des engrais, la mécanisation est aussi extrêmement sensible aux prix de vente de la production. Les achats de tracteurs et de pompes ont accusé une chute spectaculaire ces dernières années dans quelques régions, en particulier en Amérique latine, au Proche-Orient et en Afrique du Nord. En revanche on a constaté, par le passé, un surinvestissement dans les pays où les prix agricoles étaient largement imposés (Europe de l’Ouest, République de Corée et Japon), où des crédits subventionnés à la mécanisation étaient disponibles (Pakistan) et où il existait des services de location de tracteurs gérés par l’Etat (quelques pays d’Afrique).

2.25 Du fait que les coûts des services mécanisés augmentent plus vite que les prix des produits agricoles, il est probable que la mécanisation deviendra moins intéressante sur le plan économique et que des ajustements devront être opérés pour rationaliser sa densité et améliorer son efficacité, mais l’effet d’encliquetage devrait exclure le retour aux façons culturelles antérieures. Néanmoins, l’utilisation accrue de sources d’énergie renouvelable a de nombreuses possibilités au niveau des villages. Le biogaz et l’énergie éolienne ont un potentiel considérable dans certaines régions pour le secteur des cultures, le traitement primaire, le chauffage de l’eau, le pompage de l’eau et la cuisson. La recherche devrait contribuer à mettre au point des méthodes appropriées et du matériel connexe.

2.26 La traction animale est une option intéressante qui peut se substituer à la motorisation pour renforcer l’énergie disponible à l’exploitation en vue d’intensifier les cultures. Près des deux tiers des animaux de trait des pays en développement sont concentrés en Asie du Sud, région critique sur le plan de la sécurité alimentaire. Etant donné la hausse des coûts de la main-d’œuvre, les animaux de trait sont peu à peu remplacés par des tracteurs et des quantités croissantes de résidus agricoles sont utilisées hors des exploitations et ne sont plus disponibles pour nourrir les animaux ou enrichir les sols. Cela signifie que, s’il est peu probable que la mécanisation constitue un obstacle à l’intensification des cultures, la fertilité des sols risque d’en devenir un et mérite d’être surveillée attentivement.

2.27 Dans certaines parties de la savane africaine, il y a des zones de pâturage librement accessibles, et les possibilités d’accroître la production agricole en développant la traction animale semblent considérables dans les endroits où cette expansion n’est pas limitée par d’autres facteurs, notamment par des contraintes commerciales ou par l’incidence élevée des maladies animales. Dans tous les cas où cette option sera possible, il faudra prévoir des investissements importants pour tester les technologies, assurer la formation des paysans et acheter des animaux de trait, ainsi que pour mettre en place des services vétérinaires et pour fabriquer et acheter des outils de traction.

 

Encadré 2
L'ÉVOLUTION DU PARADIGME DES FINANCES RURALES

Les marchés financiers ruraux sont indispensables pour des investissements ruraux efficaces. L’image que l’on se fait des finances rurales a sensiblement évolué au cours des trois dernières décennies. Alors que dans les années 60 et 70, l’attribution de crédit revêtait une très grande importance, aujourd’hui on a adopté une vue plus holistique des marchés financiers ruraux qui fonctionnent bien. Autrefois, on partait de l’idée que la demande effective de crédit était plus ou moins identique aux niveaux souhaitables des intrants agricoles achetés dans le cadre de programmes de développement parrainés par le gouvernement; que les banques commerciales n’avaient aucun intérêt à prêter au secteur agricole et que la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des prêteurs devait être atténuée en leur offrant des conditions de crédit plus équitables. La solution était le crédit subventionné, contrôlé et dirigé, en règle générale distribué par l’intermédiaire d’un organisme para-étatique cautionné par une garantie du gouvernement. Les critères bancaires ordinaires étaient négligés et la fonction des banques était réduite à la simple distribution de prêts. Cette approche était renforcée par les prêts octroyés par des institutions financières internationales qui voulaient que des volumes importants de prêts agricoles soient versés rapidement à de faibles coûts de gestion. Etant donné que le crédit était octroyé à un taux d’intérêt inférieur à ceux du marché, il fallait le rationner, si bien que le groupe visé des petits exploitants et des micro-entreprises rurales en bénéficiaient rarement. Les emprunteurs devaient par ailleurs supporter des dépenses élevées d’opérations imputables à l’excès d’écritures, au retard dans le versement des prêts, aux visites inutiles et répétées à la banque et aux crédits liés à des utilisations spécifiques déterminées par le prêteur. Ces dépenses dépassaient souvent les gains provenant de la faiblesse des taux d’intérêt. La politisation du crédit supposait aussi que l’Etat couvre les pertes. La discipline des remboursements en souffrait et les impayés étaient élevés, souvent aggravés par la passation par profits et pertes des prêts au moment des élections.

Dans les années 80, il est devenu évident qu’un tel système ne pouvait durer. De nombreuses institutions chargées de ce type de prêt avaient fait faillite et le nombre des projets de crédit agricole financés au plan international avait considérablement diminué. Les enseignements tirés de ces opérations de crédit ont démontré l’utilité limitée de cette forme de crédit; la production agricole n’a guère été touchée par l’effondrement du système. Lorsque le crédit était vraiment nécessaire, de nouveaux arrangements se sont d’ordinaire manifestés spontanément, par exemple les opérations d’exportation ont été financées par le crédit des acheteurs ou des fournisseurs étrangers.

Le nouveau paradigme des finances rurales repose sur la viabilité financière de l’institution de financement et de son fonctionnement, le recours aux taux d’intérêt pratiqués sur le marché et à la mobilisation de l’épargne. Pour faire face aux coûts élevés de la fourniture et du remboursement des crédits, on a simplifié les procédures, grâce au prêt collectif et à la pression des pairs. Les institutions rurales locales connaissent mieux le client, ses opérations et sa solvabilité, ce qui réduit les coûts. C’est pourquoi les bailleurs de fonds préfèrent les coopératives, les sociétés de crédit mutuel et d’autres associations d’intéressés, le recrutement sur place et à long terme d’employés pour la gestion, souvent bénévoles et aidés par des ONG. La possibilité de recevoir des crédits dépend de l’épargne antérieure. Le plus souvent, l’utilisation du crédit est inconditionnelle. Les taux de prêts sont liés au marché et reflètent le coût total du refinancement et des opérations bancaires. La diffusion de l’informatisation peu sensiblement élever la productivité des employés de banque et économiser des coûts. Même si le crédit rural coûte encore plus que les prêts urbains, les emprunteurs estiment d’ordinaire que la facilité d’accès au crédit est plus importante que les taux d’intérêt. Malgré la dérégulation et les périls liés au marché auxquels les institutions financières sont exposées, le contrôle étroit par une banque centrale est nécessaire pour protéger les actionnaires et les épargnants, sans quoi la libéralisation du système bancaire peut compter des risques excessifs et entraîner une réaction en chaîne de faillites.

En dépit de ces efforts, le crédit rural est encore défavorisé par rapport au crédit commercial urbain, étant donné la dispersion des clients, la nature aléatoire de l’agriculture et de façon générale le grand nombre de petits comptes de prêts. Il se peut que des subventions soient encore nécessaires pour soutenir le développement des services financiers ruraux. Lorsque des subventions se justifient, étant donné l’imperfection des marchés, elles devraient de préférence financer les frais généraux des opérations bancaires ou viser en particulier les pauvres et les femmes, et non pas abaisser de façon générale les taux d’intérêt. Dans de nombreux pays en outre, le crédit est devenu généralement coûteux à la suite de l’ajustement structurel. Après la libéralisation des marchés des capitaux, la valeur de nombreuses monnaies a été stabilisée grâce à l’offre de taux élevés pour les comptes de dépôt en devises étrangères, ce qui a influé sur tous les taux d’intérêt. Cette politique peut aboutir à un choix fâcheux des projets, évincer le petit investisseur rural et faire obstacle aux prêts à long terme à des taux d’intérêt conformes à la rentabilité moyenne dans le secteur.

Des doutes persistent quant à l’utilité du crédit agricole institutionnalisé à court terme pour le secteur de la petite exploitation, comme on le pense souvent. Les agriculteurs manifestent une grande réticence à demander des crédits s’ils connaissent à fond les conditions du marché et les effets collatéraux. Les services financiers, comme les dépôts d’épargne, peuvent être préférés au crédit institutionnalisé. Les zones rurales, probablement plus conscientes des risques, ont tendance à épargner plus que les zones urbaines. La mobilisation de l’épargne est importante pour les intermédiaires financiers ruraux, non seulement pour le refinancement de leurs opérations de prêt, mais aussi pour offrir un refuge sûr à l’épargne rurale, qui peut être substantielle. A Sri Lanka, les banques commerciales ont créé des succursales en milieu rural, chargées principalement de recueillir les dépôts en vue de les investir dans l’industrie urbaine et dans le tourisme et elles ont donné, semble-t-il, des incitations et gagné la confiance des populations rurales afin qu’elles leur confient une part considérable de leurs économies. La sortie de ces ressources des zones rurales ne devrait pas être considérée comme négative car elle rend plus efficace l’affectation de l’épargne rurale qui serait sinon investie dans des utilisations improductives (bétail âgé, bijoux, etc.).

En outre, la mise en place d’infrastructures, l’accès au marché, les technologies et la fourniture d’intrants peuvent être plus utiles pour accroître la production des petits agriculteurs que le crédit saisonnier institutionnalisé. Le crédit à moyen et long termes destiné aux investissements fait partie d’une catégorie différente. Il n’y a guère d’autres possibilités d’obtenir ce type de crédit, si ce n’est auprès de banques agricoles spécialisées. Ces banques, pour peu qu’elles soient restructurées comme il se doit sur une base saine (capitaux), qu’elles soient dotées d’une direction compétente et ne soient pas en butte aux interférences politiques, peuvent fournir toute une série de services financiers ruraux dans certains pays, même si elles restent propriété officielle de l’Etat.

La meilleure façon d’améliorer l’intermédiation financière rurale ou autre réside peut-être encore dans une saine gestion macroéconomique. L’apparition d’institutions et de marchés financiers ruraux viables est toujours liée à des politiques de réduction de l’inflation, à des budgets équilibrés, à des investissements publics générateurs de croissance et à l’élimination de la tendance à favoriser les villes, au détriment des campagnes.

 

Opérations postproduction

2.28 Dans le secteur postproduction (manutention, entreposage, transport, commercialisation et transformation) on assistera probablement à l’avenir à une augmentation spectaculaire des investissements liés à l’agriculture, sous l’effet combiné de l’augmentation continue de la population urbaine et de l’accroissement des revenus, surtout en Asie de l’Est. D’ici l’an 2010, la population urbaine aura doublé dans les pays en développement, pour atteindre près de 2,7 milliards d’habitants (1,4 milliard en 1990).

2.29 Les problèmes d’approvisionnements alimentaires urbains, en particulier pour les gigantesques villes du futur, n’ont pas reçu la même attention que les questions de production alimentaire au niveau de l’exploitation. Or, les investissements requis dans ce domaine, pour la construction de routes reliant les fermes au marché, l’établissement de services de transport, de marchés urbains et ruraux de gros et de détail, et la création d’abattoirs et d’industries laitières, de minoteries pour les céréales vivrières et fourragères et les oléagineux, d’installations de stockage en sec ou en chambres froides, pourraient nécessiter des capitaux au moins aussi importants, dans quelques régions, que ceux requis pour la production vivrière primaire. Les opérations postproduction pourraient limiter considérablement les possibilités d’investissements dans la production primaire. Si des mesures ne sont pas prises, les coûts sociaux risquent de prendre des proportions catastrophiques: engorgement routier, déclassement ou pourriture des produits, contamination des aliments et de l’eau, pertes de revenus pour les agriculteurs et les commerçants et hausse des prix à la consommation, sans parler du temps perdu et du manque de commodité.

2.30Les investissements visant à améliorer la qualité et la salubrité des denrées, à tous les niveaux de la chaîne alimentaire, sont ordinairement vite amortis du fait que les pertes alimentaires sont réduites et que les consommateurs achètent plus volontiers. C’est pourquoi la majorité des investissements devraient venir du secteur privé. Les pouvoirs publics devront quant à eux s’attacher à créer des infrastructures de commercialisation urbaines et les capacités institutionnelles voulues pour les planifier, les faire fonctionner et les réglementer. La mise au point et le renforcement de mécanismes régulateurs et de systèmes d’assurance de qualité efficaces peuvent être particulièrement utiles pour protéger les consommateurs et encourager le commerce des aliments. La fourniture d’espaces dans les zones urbaines pour des opérations matérielles qui sont en concurrence avec d’autres demandes constitue un problème clé. L’intégration9 des opérations de commercialisation et de transformation des aliments (par exemple la vente de produits tout préparés dans les rues) dans l’ensemble des activités économiques urbaines, devra être assurée à la fois en mettant en place un système d’allocation des terres impulsé par le marché et en imposant un zonage urbain. Beaucoup d’activités de ce type devront s’éloigner des centres des villes pour s’établir dans des zones plus périphériques, ce qui s’est déjà produit dans les pays industrialisés au cours des dernières décennies. Cela aura des répercussions importantes sur la circulation routière et sur les investissements publics et privés dans la création de points de vente, le développement de systèmes de transport et la construction de routes, de logements et d’équipements collectifs. En outre, cela atténuera le degré de concurrence et de concentration des activités commerciales et réduira le coût de la vie dans les zones urbaines.

2.31 La fourniture de services publics dans le domaine de la commercialisation et de la transformation des aliments pose un problème particulier, qui ne se pose pas avec la production agricole: il s’agit de la dispersion, entre les diverses institutions, des responsabilités du suivi des faits nouveaux qui se produisent dans le secteur privé et de la planification et de la mise en oeuvre des améliorations de la commercialisation. Ces responsabilités peuvent être réparties entre les ministères de l’agriculture, de l’industrie, du commerce, des travaux publics et de l’intérieur et les municipalités concernées, ce qui rend la planification concertée pratiquement impossible. La planification devrait, dans la mesure du possible, être dévolue aux administrations locales (ce qui est généralement le cas), mais elle devrait aussi être décidée avec la participation de tous les intéressés, c’est-à-dire les groupes de consommateurs, les commerçants, les autorités des municipalités et des districts et les agriculteurs. L’ensemble des réglementations régissant la commercialisation des aliments doit être souple et adapté aux besoins des petits commerçants; il doit aussi pouvoir être appliqué de façon stricte pour empêcher l’apparition d’un vaste secteur informel échappant à l’administration publique et hostile à celle-ci, qui imposerait des coûts sociaux énormes à la communauté.

2.32 Dans les zones rurales, il faudra principalement renforcer les organisations d’agriculteurs pour qu’elles puissent commercialiser elles-mêmes leurs produits et acheter les intrants, et mettre en place, au niveau des communautés, un système viable d’intermédiaires financiers lorsque les opérateurs du secteur privé jugent qu’il est trop coûteux et trop risqué pour eux de fournir de tels services.

Infrastructures rurales

2.33Les réseaux routiers, les systèmes d’alimentation en électricité, les télécommunications et autres infrastructures sont limités dans toutes les zones rurales, bien qu’ils restent d’une importance cruciale pour stimuler les investissements et la croissance agricoles10. Leur insuffisance est due en partie au fait qu’il revient plus cher de desservir des populations dispersées, mais elle s’explique aussi, dans une large mesure, par la discrimination urbaine, qui fait que les fonds publics sont alloués en priorité aux villes. Le problème est particulièrement aigu en Afrique. Même au Nigéria, où le réseau routier est le plus dense d’Afrique, le pourcentage de zones desservies par des routes est à peine équivalent à celui qui existait en Inde en 1950. On a fait valoir que le manque d’infrastructures, en particulier de routes en Afrique subsaharienne, est si grave que, pour cette seule raison, la sécurité alimentaire dans les 20 prochaines années, ne pourra pas reposer sur une révolution verte, sur le modèle asiatique, mais devra être basée sur l’établissement de zones autonomes de production et de consommation agricoles, pouvant être exploitées avec un minimum d’intrants achetés à l’extérieur (Spencer, 1994).

2.34 Il est essentiel d’améliorer les communications, car on peut ainsi réduire les coûts de transport, accroître la concurrence, réduire les marges commerciales et donc améliorer directement les revenus des agriculteurs et les possibilités d’investissements privés. En outre, les communications aident ceux qui étaient isolés à comprendre l’utilité des technologies et du commerce. La santé, l’approvisionnement en eau salubre et l’éducation sont des stimulants additionnels de la croissance économique en milieu rural et ce sont ordinairement les premiers services que demandent les populations rurales. L’électrification peut améliorer considérablement la qualité de la vie dans les campagnes et déclencher une multitude d’investissements privés, en particulier dans la transformation ou l’artisanat. Les dépenses en matière de santé et d’éducation rurale sont particulièrement importantes. La prévention et le traitement des maladies infantiles les plus communes et l’apport d’un complément d’oligoéléments sont des investissements en ressources humaines peu coûteux. L’enseignement primaire, en particulier pour les filles, a une haute rentabilité économique et constitue le plus grand potentiel inexploité de productivité rurale (Psacharopoulos et Woodhall,1985).

2.35 L’absence de durabilité est un gros problème pour ce qui est de investissements dans les infrastructures publiques. L’entretien des routes rurales est souvent négligé. Près de la moitié du réseau routier africain a besoin d’être remis en état. Les gros travaux de réfection périodiques absorbent des fonds qui ne sont plus disponibles pour étendre le réseau. On pourrait affecter les taxes sur le carburant à l’entretien des routes, mais il est probable que cette mesure n’améliorerait guère la situation (Banque mondiale, 1994a). Il serait plus efficace de confier aux administrations locales la responsabilité de la fourniture et de l’entretien des infrastructures, tout en veillant à ce que les autorités centrales transfèrent régulièrement les fonds requis. Si ces mesures sont associées à des approches participatives pour la planification, la construction et l’entretien des infrastructures, elles peuvent rendre l’accès à ces infrastructures et services plus équitables et accroître le sentiment de propriété des utilisateurs. D’autres moyens rentables peuvent faciliter l’accès des populations rurales aux autres régions, notamment les investissements dans les moyens de transport intermédiaires et mixtes (bicyclette,char à boeufs,camion,train). En faisant appel à des entreprises privées pour exécuter les travaux d’entretien à forte intensité de main-d’oeuvre, non seulement on réduira le gaspillage et on fournira des services d’infrastructure rurale qui correspondront mieux aux besoins, mais on augmentera aussi les revenus des ruraux pauvres et, partant, leur capacité d’acheter des aliments.

2.36 Les infrastructures rurales, autres que les installations d’irrigation, sont fondamentales pour stimuler les investissements agricoles privés et la croissance de la production. Le renforcement des infrastructures peut représenter une possibilité d’investissement très attrayante, mais qui attirera peu de capitaux privés car ce sont des biens publics qui sont en jeu. Sur les 200 milliards de dollars investis dans les infrastructures des pays en développement en 1993, 7 pour cent seulement venaient du secteur privé (Banque mondiale, 1994a). Etant donné que les budgets publics sont déjà lourdement grevés et que l’efficacité des services fournis doit être améliorée, il est indispensable d’adopter une approche plus différenciée en la matière. Dans pratiquement tous les pays en développement (et pays développés), des efforts sont accomplis pour commercialiser, décentraliser et privatiser ces services, dans le but de les rendre plus indépendants et de réduire au minimum le nombre de ceux qui continueront à émarger au budget central.

Création et transfert de technologies

2.37 Les nouvelles technologies ont été le principal moteur de la croissance agricole. Evenson (1994) estime qu’au cours des dernières décennies, elles ont contribué aux gains de production pour une part comprise entre la moitié et les deux tiers. La rentabilité économique des investissements dans des activités de création de technologies bien organisées, bien financées et ciblées sur des objectifs précis dépasse régulièrement les 20 pour cent, et atteint même souvent 30 ou 40 pour cent, voire plus.

2.38 La création de technologies relève à la fois du secteur public et du secteur privé, la part de ce dernier étant généralement plus importante dans les pays développés. La recherche privée est orientée vers des sous-secteurs où il existe des débouchés pour les résultats des recherches et où ceux-ci peuvent faire l’objet d’une appropriation privée. Ces conditions sont réunies dans les pays où les droits de propriété intellectuelle sont protégés et pour des intrants tels que les produits agrochimiques, les machines agricoles et les semences, auxquels l’inventeur peut limiter l’accès par les procédés de fabrication ou de multiplication. Le secteur privé est également favorisé quand il est possible de déposer une marque de fabrique pour fidéliser les consommateurs.

2.39 Les avantages des améliorations technologiques sont très inégalement répartis. En Afrique subsaharienne, ils ont été principalement limités aux cultures d’exportation et, dans quelques régions, au maïs hybride. En Asie du Sud en particulier, les technologies à forte intensité d’intrants de la révolution verte ont été appliquées dans presque toutes les régions qui avaient un potentiel de ressources suffisant. L’adaptation prévue du riz hybride aux conditions tropicales devrait permettre une nouvelle amélioration des rendements de 10 à 15 pour cent. A plus long terme, la mise au point d’une nouvelle variété de riz destinée à remplacer celles de l’Institut international de recherches sur le riz (IRRI) permettrait à nouveau d’accroître la productivité de 20 à 25 pour cent.

2.40L’orientation future de la recherche doit refléter ces différences11 En Afrique subsaharienne et dans d’autres régions généralement pauvres en ressources naturelles, il n’y a pas suffisamment de recherches axées sur les petites exploitations situées dans les zones pauvres, et fondées sur une approche par systèmes. Parallèlement, les efforts de recherche du type révolution verte doivent être maintenus dans les régions à fort potentiel, où davantage de fonds doivent être utilisés pour empêcher le plafonnement des rendements et la dégradation des ressources, qui posent actuellement des problèmes aux agriculteurs. Ces changements d’orientation auront des répercussions importantes sur l’investissement à long terme et sur l’organisation des travaux. Pour le type d’activités le plus répandu qu’impose la recherche axée sur les systèmes, il est indispensable de permettre au personnel d’acquérir des compétences et une formation différentes, de réduire les travaux de recherche dans les stations pour les augmenter dans les champs des agriculteurs, et de renforcer les interactions avec la vulgarisation. Tout cela risque d’augmenter les coûts. La modification de l’approche scientifique nécessite l’introduction de nouveaux types de formation à l’intention des agriculteurs et des chercheurs et une augmentation des apports des économistes et des spécialistes des sciences humaines.

2.41 Dans de nombreux pays en développement, les crédits opérationnels par chercheur ont baissé ces dernières années. De ce fait, les chercheurs ont plus difficilement accès à leurs clients et une grande partie de la recherche nationale a encore peu d’intérêt pratique. L’établissement de liaisons efficaces avec les services de vulgarisation et les usagers pose un sérieux problème. Les instituts nationaux ont souvent été lents à programmer les recherches en pensant aux usagers potentiels. Les Centres internationaux de recherche agronomique (CIRA) et des entités comme le Programme spécial pour la recherche agricole en Afrique ont accompli des progrès dans le domaine de la rationalisation de l’utilisation des ressources en eau et en terres, des intrants achetés et des services; en effectuant des recherches par systèmes dans les zones pauvres en ressources; en explorant le potentiel des cultures nouvelles ou abandonnées qui ont été ignorées du fait que l’on ne s’intéressait qu’à un petit nombre de cultures et de variétés bénéficiant des technologies de la révolution verte; et en s’appuyant sur les connaissances des populations autochtones. La plupart des Systèmes nationaux de recherche agricole (SNRA) restent cependant mal équipés et sont peu empressés d’adopter cette ligne de conduite.

2.42 Umali (1992) a estimé que, dans le monde, 8,5 milliards de dollars ont été consacrés à la recherche agricole en 1985, dont 3,2 milliards dans les pays en développement. Selon des estimations plus récentes, les SNRA dépensent entre 5 et 6 milliards de dollars par an dans les pays en développement, en plus des 270 millions de dollars fournis par le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI).

2.43 En 1981, la Banque mondiale a proposé que 2 pour cent du produit intérieur brut agricole soit alloué aux recherches nationales dans les pays en développement – soit un taux équivalent à l’objectif des pays développés – ce qui porterait le budget total de recherche des pays en développement à environ 12 milliards de dollars. On notera toutefois que ces objectifs sont des indications générales qui ne prennent pas en compte l’efficacité des recherches, les besoins au niveau des pays, ni la masse critique nécessaire pour l’établissement des recherches, par rapport à l’utilité des domaines de recherche particuliers.

2.44 On continue de s’interroger sur le type et l’orientation des recherches qui seront à l’avenir les mieux à mêmes de favoriser la sécurité alimentaire, en particulier dans les régions critiques de l’Asie du Sud et de l’Afrique subsaharienne. La possibilité d’un retard technologique dans le domaine de la production alimentaire suscite des préoccupations. Dans quelques régions d’Asie du Sud, les rendements du riz ne progressent que lentement dans les stations de recherche (Pingali, Moya et Velasco,1990), et dans les zones les plus fertiles comme le Penjab indien ou la partie centrale de l’île de Luçon, les rendements semblent plafonner.

2.45 Un consensus semble se dessiner sur le recentrage nécessaire des recherches futures, qui réduirait rationnellement les recherches axées sur l’amélioration des produits, au profit de celles portant sur l’aménagement des ressources. Ce recentrage serait nécessaire dans tous les pays en développement où les ressources naturelles, les routes, les infrastructures d’irrigation et l’accès aux marchés sont insuffisants et ne permettent pas d’opérer rapidement une nouvelle révolution verte. On consacrerait ainsi davantage d’efforts à la rationalisation de l’utilisation des ressources en eau et en terres, des intrants achetés et des services, et les recherches seraient concentrées sur les zones pauvres en ressources. Ce type d’approche serait plus axé sur les systèmes, incorporerait davantage de plantes cultivées abandonnées, s’appuierait sur les connaissances locales et programmerait la recherche de façon participative, en fonction des usagers.

2.46Le long délai qui s’écoule entre le moment où les recherches sont entreprises et celui où leurs résultats sont appliqués dans les champs des agriculteurs est un gros problème. Un effort doit être fait, de toute urgence, pour identifier les domaines critiques pour la sécurité alimentaire dans les pays les plus pauvres et pour accélérer les recherches dans ces domaines particuliers. S’il existe potentiellement des technologies permettant de remédier aux problèmes identifiés, les effets Boserup12 peuvent améliorer considérablement la situation; si ce n’est pas le cas, un flux ininterrompu et croissant d’innovations technologiques doit être financé par l’intermédiaire des CIRA et des SNRA, pour constituer une réserve de technologies qui pourront être utilisées au moment voulu.

2.47 D’après la FAO (1990), dans les pays en développement, le transfert de technologies emploie quelque 550 000 personnes, dont la plupart dans les services publics de vulgarisation, pour un coût d’environ 4,5 milliards de dollars par an. Sous l’effet de l’ajustement structurel et de la diminution du financement public, les services de vulgarisation ont d’une manière générale diminué ces dernières années.

2.48 Les rendements économiques qui peuvent être obtenus grâce au transfert de technologies, de même que les questions liées à ces transferts, reflètent largement ceux liés à leur création. Pour que les services de vulgarisation restent abordables dans un contexte où les populations rurales continuent de s’accroître, bien qu’à un rythme plus lent, et, pour qu’ils transmettent le message plus vaste du modèle de recherche à deux axes, ces services doivent être modifiés.

2.49 Lorsque l’on cherche à définir une densité de vulgarisation adéquate, on prend généralement pour paramètre le nombre de vulgarisateurs pour une population donnée d’agriculteurs. Ainsi, l’objectif classique est d’un agent pour 500 agriculteurs. Sur cette base, il faudrait dans le monde en développement 2,4 millions de vulgarisateurs, soit plus du quadruple du chiffre actuel, dont 80 pour cent opéreraient dans les services publics, pour desservir 1,2 milliard d’agriculteurs, ce qui coûterait près de 20 milliards de dollars par an. Il est évident que cet objectif est irréaliste. L’efficacité de la vulgarisation passera, à l’avenir, par la récupération des coûts, l’abaissement du coût des prestations et la meilleure adéquation du message de vulgarisation.

2.50 La récupération des coûts ne sera possible que si les services de vulgarisation sont basés sur les mécanismes du marché et sur la demande, comme pour l’approvisionnement en intrants agricoles. Ce type de service se développe au fur et à mesure que les systèmes agricoles se différencient et deviennent plus sophistiqués, et ils seront de plus en plus répandus à l’avenir, même si à l’heure actuelle leur importance est encore limitée dans de nombreux pays en développement. La privatisation de la vulgarisation est possible lorsque l’on peut s’approprier les recettes provenant des services rendus. C’est le cas pour de nombreuses technologies modernes, par exemple pour les informations agricoles spécialisées concernant les cultures à haute valeur marchande, les semences hybrides, les machines agricoles, les produits agrochimiques et les opérations de commercialisation et de transformation. De plus en plus, une aide dans le domaine de la tenue de registres et de la planification financière doit faire partie de l’éventail des services de vulgarisation fournis, surtout dans les économies en transition. Les services de vulgarisation concernant les technologies modernes peuvent être dispensés soit par les entreprises qui commercialisent les intrants et les produits agricoles, ou transforment ces produits, dans le cadre de leur stratégie de commercialisation, soit par des consultants privés qui donnent des conseils contre paiement. Il existe des formes intermédiaires, par exemple, lorsque les services privés sont partiellement subventionnés par l’Etat ou quand les gouvernements sous-traitent ces services à des agents privés. Pour améliorer la récupération des coûts et permettre à la vulgarisation de s’autofinancer, on peut aussi confier ces services à des associations d’agriculteurs, qui seront remboursées par leurs membres des prestations qu’elles auront fournies. Il arrive aussi que les ONG fournissent ces services, et bien qu’elles ne cherchent généralement pas à récupérer les coûts, leurs prestations sont souvent meilleur marché et mieux ciblées et elles allègent la charge budgétaire des gouvernements.

2.51 Les services de vulgarisation doivent varier en fonction des différents types d’exploitation agricole pour offrir des prestations adéquates. En revanche, de nombreux pays en développement tentent de créer des services de vulgarisation unifiés. Une telle unification paraît souhaitable dans des situations particulières, là où les pratiques agricoles sont très homogènes et où les coûts sont limités par les hautes densités d’exploitation, comme dans certaines régions d’irrigation intensive en Asie. En règle générale cependant, les gouvernements devraient, tout en maintenant un contrôle global sur la qualité des services, rechercher activement des moyens de privatiser, de couvrir les dépenses et de se libérer des services de vulgarisation, ce qui permettrait une réduction de leurs charges budgétaires et une meilleure adaptation des prestations aux particularités de la demande. Le secteur public pourrait alors concentrer ses efforts sur les services qui relèvent vraiment du domaine gouvernemental: l’information agricole générale destinée aux agriculteurs dotés de faibles ressources, qui n’ont pas d’autres moyens de recevoir ces services.

2.52 On peut aussi améliorer le rapport coût-efficacité de la vulgarisation en employant des méthodes de vulgarisation participatives et des modes de communication modernes. Les approches participatives sont nécessaires pour élaborer et diffuser des messages de vulgarisation mieux adaptés à la demande de services. La participation nécessite normalement une formation spéciale, une détermination particulière de l’agent, l’acceptation d’un flux d’information ascendant, et plus de temps pour examiner avec les agriculteurs leurs préférences et pour adapter à leurs besoins des séries de technologies issues de la recherche. Cela réduira considérablement le gaspillage, en éliminant les activités de vulgarisation qui ne correspondent pas suffisamment aux besoins ressentis par les agriculteurs. L’adaptation des services de vulgarisation aux femmes revêt une importance particulière. La féminisation de l’agriculture est un phénomène généralisé, spécialement en Afrique et dans certaines régions d’Amérique latine, qui réclame un plus grand nombre d’agents de vulgarisation féminins, ainsi que des conseils spécialisés sur l’usage des facteurs de production et du crédit, auxquels les femmes ont moins facilement accès, et sur les moyens de surmonter leurs problèmes d’absence de droits de propriété et de garanties. En Asie du Sud, des intermédiaires financiers spécialisés fournissent les crédits nécessaires aux femmes et l’on raconte que le risque est moins élevé que pour les hommes, malgré les moindres garanties formelles présentées.

2.53 Les méthodes modernes de vulgarisation pourraient réduire considérablement le face à face traditionnel et les déplacements fréquents des agents de vulgarisation. La radio, la télévision et la vidéo peuvent propager des messages utiles à une large audience et permettre ainsi à un agent de consacrer plus de temps aux besoins individuels des agriculteurs. Ces méthodes sont très couramment utilisées dans les pays développés et commencent à être acceptées dans les pays en développement, comme la diffusion d’informations agricoles par la télévision nationale en Inde, en Côte d’Ivoire et au Brésil; la communication de messages par bandes vidéo au Pérou, au Brésil, au Honduras, au Mexique et au Paraguay, et les systèmes de transmission par satellite d’informations agricoles dans de grandes régions de l’Indonésie, des Philippines et de l’Afrique de l’Ouest.

2.54 Le recours aux médias permet de surmonter le problème de l’analphabétisme, qui freine beaucoup d’efforts de vulgarisation. Toutefois, l’accroissement de la réceptivité des populations rurales aux technologies modernes passe principalement par une éducation généralisée. Comme indiqué auparavant (paragraphe 1.6), la question de la mise en valeur des ressources humaines en général n’entre pas dans le cadre de ce document. Son rôle dans l’accroissement du potentiel humain et la prise de conscience de l’existence d’options permettant d’améliorer la vie rurale dans tous les domaines ne peut pas être surestimé. Il est démontré que le niveau d’instruction des agriculteurs est en corrélation étroite avec leur productivité et efficacité, et que l’enseignement primaire dans les zones rurales tend à produire de meilleurs résultats que l’enseignement secondaire et supérieur. De même, l’enseignement produit de meilleurs résultats chez les filles que chez les garçons, et parmi toutes les régions en développement, c’est en Afrique subsaharienne que l’enseignement primaire et secondaire donne les meilleurs résultats (Psacharopoulos, 1994).

Interventions transfrontières

2.55 Le regroupement de la recherche appliquée dans le cadre du GCRAI et du Programme spécial pour la recherche agricole en Afrique est une tentative bien connue de faire face à des problèmes dont la solution dépasse les capacités des gouvernements nationaux. A la suite du Programme Action 21 de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), qui s’est tenue à Rio de Janeiro en 1992, plusieurs autres questions sont à l’étude dans ce domaine mais souvent sans les engagements financiers nécessaires.

2.56 Nombre des investissements requis pour encourager l’intensification agricole soulèvent des questions transfrontières; en d’autres termes, les problèmes à résoudre dépassent les moyens d’un seul pays, mais une fois une solution trouvée, celle-ci peut bénéficier à d’autres pays. De nombreuses interventions concernent des problèmes d’environnement mondial; ainsi, le Fonds pour l’environnement mondial lutte contre le réchauffement du globe, la pollution de l’eau, la raréfaction de l’ozone et la diminution de la diversité biologique, et traite de questions critiques pour l’agriculture comme le rétrécissement de la base génétique des espèces végétales et animales. Parmi les autres initiatives, on peut citer le Programme d’assistance technique pour la Méditerranée, le Réseau des villes côtières méditerranéennes, le Programme pour la gestion et la protection de l’environnement de la mer Noire, et des programmes similaires pour la mer Baltique, le bassin de la mer d’Aral, la mer Caspienne, le bassin du Danube et le lac Victoria. Beaucoup de ces derniers exemples intéressent plus particulièrement les pays développés et les économies en transition des pays d’Europe orientale.

2.57 Les initiatives visant à résoudre des problèmes transfrontières spécifiques des pays en développement ne peuvent d’habitude compter que sur des crédits nettement insuffisants. Parmi celles-ci, on trouve la lutte contre les acridiens et la désertification, les systèmes d’alerte rapide pour la sécheresse et les pénuries alimentaires, le Système de prévention et de réponse rapide (EMPRES) contre les ravageurs et les maladies transfrontières des animaux et des plantes, l’aménagement conjoint de pêcheries et d’eaux intérieures appartenant à plusieurs pays et les opérations de secours à la suite de catastrophes.

Priorités régionales

Asie

2.58 Dans une grande partie de la région, l’insuffisance de la recherche agricole devient un goulet d’étranglement, car la croissance des rendements se ralentit et les stations de recherche ne disposent ni des technologies nouvelles capables de résoudre de nombreux problèmes de dégénérescence de seconde génération dans les zones à potentiel élevé, ni des nouveaux systèmes particulièrement adaptés aux agriculteurs, qui permettraient d’intensifier l’agriculture sur les terres plus pauvres. L’investissement dans la conception et la diffusion de technologies doit être renforcé de toute urgence pour traiter des questions de carences en oligoéléments, de réduction des disponibilités en eau utilisées pour le riz irrigué en continu, et autres questions similaires. Il faudrait en priorité remettre en état les périmètres d’irrigation, gérer de façon plus efficace et décentralisée l’eau et créer des marchés de l’eau. Par ailleurs, la restauration et la protection de l’environnement sont nécessaires car la croissance rapide de l’agriculture s’est souvent faite aux dépens du patrimoine naturel. La croissance urbaine exige d’importants investissements dans les infrastructures de commercialisation.

Afrique

2.59 Les infrastructures rurales manquent cruellement, surtout en Afrique subsaharienne. Les infrastructures adéquates (par exemple, réseaux d’irrigation et routes rurales) sont rares et se détériorent. La région est en outre pénalisée par l’éparpillement des populations et par un potentiel d’irrigation limité. De lourds investissements sont nécessaires dans l’infrastructure rurale de communications; la remise en état et la modernisation de l’irrigation; l’amélioration de l’exploitation de l’eau pluviale par des systèmes de capture simples et performants sur les lieux d’utilisation; l’aménagement et l’amendement des terres; et les services d’éducation et de santé. Des résultats de recherche et des méthodes particulièrement performantes, qui n’ont pas encore été testés à grande échelle, sont disponibles pour les régions à potentiel élevé d’Afrique et peuvent être adoptés dès que les conditions de densité de population, d’accessibilité des régions et de création de marchés le permettent. Des recherches systémiques doivent être réalisées sur les petites exploitations agricoles pauvres en ressources, qui sont très répandues dans la plupart des pays africains, pour créer de nouveaux systèmes de culture qui soient durables même avec de plus grandes densités de population et qui puissent se prêter à une intensification spontanée de l’agriculture traditionnelle africaine.

Amérique latine

2.60 On trouve encore des réserves de terres, et une mécanisation appropriée des cultures permettrait de développer l’agriculture. Vu le niveau élevé de commercialisation de l’agriculture, les marchés financiers ruraux doivent être opérationnels. En outre, la répartition des terres est très inéquitable et les petits agriculteurs sont obligés de cultiver des terres marginales, provoquant ainsi des dégâts à l’environnement (certaines parties de l’Afrique australe présentent des caractéristiques similaires). Il faudrait renforcer les initiatives de réformes agraires, surtout celles axées sur le marché, pour optimiser la mise en valeur des dernières réserves de terres agricoles. Il serait en outre utile, étant donné le niveau élevé d’urbanisation attendu (80 pour cent), d’effectuer de substantiels investissements dans la commercialisation et les infrastructure de transformation.

Investissement public ou investissement privé

2.61 Les investissements envisagés consistent, dans leur très grande majorité, en biens corporels fixes ou meubles qui sont sous contrôle individuel et peuvent être rentables pour le secteur privé. A l’autre extrême se trouvent les investissements en biens et services publics. Ceux-ci comprennent la santé et l’éducation, la réglementation et le contrôle des activités privées qui pourraient être préjudiciables à l’intérêt public, et les investissements majeurs – par exemple les routes ou les barrages – qui dépassent les capacités financières du secteur privé et/ou qui génèrent des bénéfices multiples dont certains ne peuvent pas être destinés au secteur privé.

2.62 Entre les deux, cependant, il existe des situations mixtes dans lesquelles les investissements doivent être divisés ou partagés entre les secteurs privé et public, ou bien dans lesquelles les communautés plutôt que les individus ou les entreprises ont un rôle à jouer. A mesure que l’agriculture évolue sous la pression d’une demande croissante, de nouveaux liens entre les activités économiques publiques et privées devront être trouvés.

 

 

Encadré 3
OCDE ET PAYS EN TRANSITION: PROBLÈMES D'INVESTISSEMENT
DANS LE SECTEUR AGRICOLE

Pays de l’OCDE

Dans le présent document, on n’a pas tenté de quantifier les besoins d’investissement des pays développés. D’ordinaire, les pays développés ont un coefficient de capital dans le secteur agricole sensiblement plus élevé que les pays en développement. Cela s’explique par la forte proportion des capitaux dans la production, contrairement aux pays en développement où le capital n’est en grande partie pas comptabilisé, comme en particulier les ressources naturelles. Dans les pays industrialisés d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, les investissements dans le secteur agricole sont par conséquent élevés, en raison des besoins importants de remplacement des biens d’équipement. Toutefois, les investissements nets dans les infrastructures productives sont souvent faibles ou négatifs. Tout porte à croire que depuis le début des années 80, il y a eu désinvestissement dans plusieurs pays de l’OCDE, en raison de la hausse des taux réels d’intérêt, de la réglementation de l’environnement, de la réduction des subventions de l’Etat, des incitations au retrait des terres arables et à la diminution du cheptel. La production n’en a probablement pas beaucoup souffert, étant donné que des progrès technologiques ont été réalisés simultanément, que les agriculteurs choisissent de retirer les terres moins fertiles et d’abattre le bétail moins productif, et que les programmes d’investissement/remplacement des machines agricoles sont ajustés avec souplesse. Plusieurs facteurs, qui se neutralisent en partie, détermineront les besoins futurs d’investissement. La thèse selon laquelle les pays développés sont toujours plus appelés à produire des aliments pour les pays en développement (Carruthers, cité dans McCalla, 1994) contre des biens industriels provenant des pays en développement est à dessein provocante, mais les preuves à son appui ne manquent pas. Par exemple, dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), les industries polluantes ont été déplacées au Mexique et, de là, elles exportent vers les Etats-Unis, alors que le maïs des Etats-Unis a chassé en partie les producteurs mexicains traditionnels des marchés intérieurs. La pénétration rapide des produits agricoles d’Europe occidentale sur les marchés des pays en transition peut être une autre preuve de la validité de cette thèse, du moins à court terme. Sur le front intérieur, il est peu probable que la demande des pays de l’OCDE déclenche de nouveaux investissements importants. Tant l’élasticité-revenu de la demande d’aliments que les taux de croissance démographique sont faibles ou négatifs. En Europe, les pays en transition finiront par faire leur entrée sur les marchés occidentaux en offrant essentiellement les mêmes produits pour lesquels l’Europe occidentale a eu depuis toujours des avantages comparatifs: céréales fourragères, produits animaux et produits laitiers dans le nord, céréales vivrières, fruits et légumes, oléagineux et boissons alcooliques dans le sud. La perte de rentabilité de l’agriculture dans les pays à revenu élevé modifie l’idée que se fait le public en général des zones rurales. Celles-ci sont considérées de plus en plus comme fournissant des services écologiques, esthétiques ou récréatifs, nécessitant différents types d’investissement: protection et remise en état des réserves naturelles, aménagement de parcs et de jardins, terrains de golf et autres installations pour les sports et les loisirs, zones destinées aux résidences secondaires et aux habitations pour retraités. En Amérique du Nord, des changements analogues sont en cours. La diminution des subventions agricoles pourrait réduire les incitations à cultiver des céréales dans les zones plus sèches et moins fertiles. Tout bien considéré, les investissements, outre ceux nécessaires pour le remplacement et la maintenance, seront de peu d’importance dans les pays de l’OCDE pour faire face aux exigences futures imposées aux systèmes de production agricole. Dans quelques rares zones, on peut entrevoir la possibilité d’accroître les investissements. Premièrement, au fur et à mesure que l’ingénierie génétique et d’autres formes de transformation des aliments au moyen des biotechnologies semblent plus acceptables aux consommateurs, les sociétés intéressées accéléreront la recherche et la production, ce qui entraînera de nouveaux investissements. Deuxièmement, dans certaines parties de l’ouest des Etats-Unis, la demande croissante d’eau des zones urbaines résidentielles, touristiques et industrielles pourrait entraîner des investissements dans des systèmes d’irrigation plus efficaces et dans l’expansion des réseaux de transport. Troisièmement, la restructuration du secteur de distribution des aliments se poursuit, car la concurrence oblige les sociétés à créer avec agressivité de nouveaux débouchés qui exigent des investissements dans de nouvelles formes de distribution des aliments, dans la gastronomie, la transformation secondaire, la publicité, et elle les incite à améliorer la productivité de la commercialisation et de la distribution des denrées alimentaires.

Pays en transition

Etant donné les divers problèmes d’évaluation méthodologique et l’insuffisance des données, il est difficile d’estimer les investissements dans les pays en transition. Dans tous les pays, la transformation des structures productives est en cours en fonction de la demande du marché, remplaçant la division antérieure des fonctions régie par les pouvoirs publics entre les diverses républiques de l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Les pays autrefois à économie planifiée d’Europe orientale, à savoir ceux qui ne sont pas trop éloignés des marchés, pourraient finalement redevenir les fournisseurs naturels de produits agricoles pour l’Europe occidentale et le Proche-Orient, comme cela était le cas au début du siècle. Ils tireraient profit des faibles coûts de la main-d’oeuvre par rapport à ceux de l’agriculture d’Europe occidentale et de la complémentarité des conditions naturelles par rapport au Proche-Orient. Au fur et à mesure que le pouvoir d’achat local augmentera dans les pays en transition, la demande se diversifiera et s’orientera vers des produits à haute valeur marchande. L’ouverture croissante des marchés étrangers pour les produits agricoles et l’augmentation de la prospérité dans les pays nécessiteront des méthodes de commercialisation et de transformation plus sophistiquées et des possibilités d’investissement. Si à cela s’ajoute un cadre juridique, financier et monétaire stable et sûr, ces investissements seront pour la majeure partie privés et on peut beaucoup attendre des sociétés en participation. Si des réformes du système de distribution et de transformation imposées par le marché sont en cours, la protection temporaire des producteurs locaux contre les importations agricoles reste peut-être toutefois nécessaire, étant donné que le sous-secteur de la distribution locale en est encore à ses débuts. Le secteur public doit modifier son mandat, la direction des entreprises étatiques cédant la place à la fourniture de services à un secteur agricole privé dont le moteur est le marché. La privatisation des terres exigera au cours des prochaines années des investissements dans l’établissement du cadastre, des droits de propriété et du registre foncier pour stimuler les investissements agricoles privés, contribuer à la création d’un marché foncier et faciliter l’accès au crédit. Dans de nombreux pays en transition, le retard dans la recherche agricole adéquate, nécessitera des investissements dans les techniques de la révolution verte, les systèmes d’exploitation et les biotechnologies, dont une grande partie sera importée de l’ouest et effectuée dans le cadre d’entreprises conjointes. La recherche devra toutefois éviter de transférer aveuglément les techniques occidentales; mais elle devra tenir compte des bons résultats obtenus localement et utiliser les avantages comparatifs locaux qui se sont dégagés au cours de la période d’isolement de la région. En Asie centrale, d’immenses investissements, en grande partie publics, dans les périmètres d’irrigation semblent nécessaires pour assainir l’environnement et assurer une plus grande durabilité.

 

2.63 Les gouvernements peuvent tirer deux conclusions plus générales de cet inventaire. La première est qu’il leur faudra investir davantage dans les compétences humaines et dans les capacités institutionnelles, afin de créer une interaction fructueuse avec les millions d’individus qui, par les investissements qu’ils comptent effectuer, conditionneront largement la croissance des approvisionnements alimentaires. La seconde est que, malgré de tels efforts de l’Etat dans le secteur agricole, les progrès resteront limités, à moins que des signaux économiques appropriés ne soient donnés en même temps aux personnes privées.

Cont.


Notes

(4) See also WFS companion paperLessons from the green revolution: towards a new green revolution (WFS 96/06).

(5) Theoretically irrigable land is land that is both technically suitable for irrigation and in principle capable of being developed for irrigation at acceptable costs and returns. It is a somewhat imprecise working definition.

(6) Recent findings by the World Bank’s Operations Evaluation Department (World Bank, 1994d) are that large irrigation projects often perform better than small ones due to economies of scale in engineering; overruns of construction schedules may improve performance because of economies of time (engineers’ learning process); better cost recovery does not necessarily improve operation and maintenance since higher water charges are seldom earmarked for operation and maintenance; what is more important than full cost recovery is financial autonomy of the water authority (after the state has assumed responsibility for capital costs) and a sense of system ownership by the users themselves.

(7)  Market-based land reform is preferred to expropriation by law and redistribution through a State agency, despite the complexity of establishing market value. Land acquisition by smallholders would have to be assisted by suitable credit mechanisms to avoid an excessive initial debt-service burden, and be supported by a strengthening of agricultural services. For a more complete elaboration of the issue seeWAT2010.

(8) See also WFS companion paperFood production and environmental impact (WFS 96/11).

(9) See also WFS companion paperFood for consumers: marketing, processing and distribution(WFS 96/08).

(10) See also WFS companion paperSocio-political and economic environment for food security (WFS 96/03).

(11) See also WFS companion paperRole of research in global food security and agricultural development (WFS 96/09).

(12) The model of Boserup (1993), prominent protagonist of population-induced agricultural innovation, claims that new technologies will be taken up when population pressure reaches a given point, but not before. According to this model it would be useless to extend new technologies among farmers when the situation is not ripe for their adoption.