12. L’alimentation et le commerce
international


Documents d'information technique
© FAO, 1996


 1. Introduction

1.1 De grands changements se produisent actuellement dans le commerce international. Ils font suite, en partie, aux progrès réalisés dans les transports, la communication et les techniques de l’information et, en partie, aux réformes d’orientation entreprises. La mondialisation des marchés et l’intégration économique accrue font que les biens, les capitaux et les idées circulent plus facilement que jamais à travers le monde, offrant de nouvelles possibilités et présentant de nouveaux risques. L’évolution des modes de production entraîne des changements dans la structure du commerce mondial, dus en particulier à la rapide croissance que connaissent les pays de l’Asie de l’Est, et dans sa composition, compte tenu de l’importance croissante des services échangés au plan international.

1.2 Ces tendances seront renforcées par la conclusion des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay – l’accord le plus étendu et le plus ambitieux jamais négocié. Les restrictions sur l’échange des produits manufacturés seront encore réduites, tandis que d’importantes mesures seront prises pour libéraliser l’échange des produits agricoles et des services. De plus, les pays en transition et bon nombre de pays développés et en développement adoptent des politiques commerciales laissant davantage jouer les lois du marché et le Cycle d’Uruguay renforce cette tendance. La libéralisation se poursuit dans le cadre des groupements commerciaux régionaux, qui acquièrent une nouvelle importance. Le commerce agricole s’inscrit totalement dans cette évolution et sera profondément affecté par la déréglementation et la libéralisation en cours étant donné l’étendue et la portée de l’intervention passée des pouvoirs publics sur les marchés agricoles.

1.3 On s’efforcera dans le présent document d’étudier la nature de ces changements et des ajustements qu’il y a lieu d’apporter aux politiques agricoles nationales et internationales. Il s’agira avant tout de déterminer si ces changements nous mènent vers un monde plus sûr ou moins sûr au plan alimentaire, et quelles mesures il conviendra de prendre pour s’assurer que la sécurité alimentaire sera renforcée dans le nouveau contexte commercial.


2. Caractéristiques du commerce agricole

2.1 On peut souligner diverses caractéristiques du commerce des produits alimentaires et agricoles tel qu’il fonctionne depuis une vingtaine d’années: son importance constante pour les pays tant développés qu’en développement; sa croissance irrégulière au cours de cette période, marquée par une expansion rapide dans les années 70 puis par une stagnation quasi totale au milieu des années 80, et par une lente reprise depuis lors; l’effondrement des prix des produits de base depuis une dizaine d’années; les nouvelles orientations et la nouvelle structure par produits du commerce agricole; et la confusion qui règne sur les marchés mondiaux due aux distorsions apportées par l’action des pouvoirs publics dans les pays aussi bien développés qu’en développement.

2.2 Depuis la Conférence mondiale de l’alimentation en 1974, le volume du commerce agricole, y compris des produits des zones tempérées et des zones tropicales ainsi que des produits de la pêche et de la forêt, a augmenté de 75 pour cent, tandis que sa valeur passait de 148 milliards de dollars EU à quelque 485 milliards en 1994 (GATT, 1995). Du fait de la croissance plus rapide de l’échange de produits manufacturés, la part des produits agricoles dans le commerce des marchandises est passée de 20 pour cent environ au début des années 70 à 12 pour cent en 1994. Pour les pays en développement dans leur ensemble, la baisse a été encore plus spectaculaire, le chiffre passant de 36 pour cent de leurs recettes d’exportation totale au début des années 70 à moins de 14 pour cent en 1993 (CNUCED, 1995c). Cette moyenne dissimule cependant une dépendance beaucoup plus prononcée de nombreux pays à l’égard du commerce agricole, que ce soit comme exportateurs ou importateurs. Dans 25 pour cent des pays environ, la part des exportations agricoles a dépassé les deux tiers du total des exportations au début des années 90, tandis que dans 20 pour cent des pays, elle dépassait le tiers (CNUCED, 1995c). Les pays à faible revenu restent ceux qui sont le plus tributaires du commerce agricole et dont les recettes en devises dépendent souvent encore d’une seule ou de quelques exportations agricoles. Le commerce agricole revêt moins d’importance pour les pays à revenu élevé, mais il reste une importante source de recettes d’exportation pour certains d’entre eux, notamment l’Australie, la France, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis. Par ailleurs, même pour les pays à revenu élevé, les changements apportés aux conditions du commerce agricole peuvent avoir d’importantes répercussions économiques, comme le montre l’instabilité des prix fonciers et la crise de la dette des exploitations agricoles provoquée par l’expansion puis par la contraction des exportations agricoles et de la superficie cultivable aux Etats-Unis depuis le début des années 70, ainsi que par une période de modifications importantes des taux d’intérêt.

2.3 La croissance du commerce agricole entre les pays en développement, après s’être ralentie au cours des années 80, a repris plus vigoureusement au début des années 90. En 1993, on estimait la valeur du commerce agricole entre les pays en développement à 46 milliards de dollars EU environ, soit plus de 10 pour cent du commerce agricole mondial, ce qui représentait une amélioration par rapport à la proportion enregistrée auparavant (tableau 1). Cette conjoncture plus soutenue ces dernières années tient essentiellement aux échanges agricoles entre les pays asiatiques et entre les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes. Toutefois, l’accroissement des échanges commerciaux doit probablement davantage à la croissance économique relativement rapide qu’ont connue ces deux régions qu’à l’intensification des accords commerciaux entre les groupes de pays qui les composent, encore que ces deux facteurs soient liés.

Tableau 1: Courants d’échange des produits agricoles1

2.4Ces 20 dernières années, l’expansion du commerce agricole ne s’est pas faite à un rythme régulier car elle a subi le contrecoup de divers bouleversements survenus dans le monde: l’emballement des prix des produits de base au cours des années 70; les chocs pétroliers de 1973 et de 1979; et la flambée des taux d’intérêt au début des années 80 qui a ouvert la crise de la dette internationale et le ralentissement de la croissance puis la récession qui s’en est suivie dans les pays développés et dans la plupart des pays en développement. Deux indicateurs font ressortir la difficile situation qu’a connue le commerce des produits de base au milieu des années 80. D’une part, il s’est agi de la seule période où le commerce des produits agricoles ne s’est pas développé plus rapidement que la production agricole (figure 1). D’autre part, les prix réels des produits de base, qui avaient eu tendance à baisser depuis une vingtaine d’années, ont chuté de manière spectaculaire au cours des années 80. Il ressort d’une comparaison entre les années 1990-1992 et les années 1979-1981 que les termes de l’échange nets entre les produits agricoles et les importations de produits manufacturés et de pétrole brut1 ont accusé une baisse de 30 pour cent. Cette baisse atteignait presque 40 pour cent pour les exportations de produits agricoles des pays en développement et 20 pour cent pour celles des pays développés (FAO, 1995b). Parallèlement, toutefois, la structure des échanges de nombreux pays en développement a beaucoup évolué vers d’autres secteurs, en particulier les produits manufacturés et les services.

Figure 1: CROISSANCE DU COMMERCE ET DE LA PRODUCTION AGRICOLE, 1963-1993

2.5 Environ un tiers du commerce agricole international s’effectue entre les pays d’Europe occidentale. Si l’on ne tient pas compte du commerce entre ces pays, l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Asie se partagent à peu près à égalité le marché des exportations mondiales, l’Asie étant de loin le plus important marché d’importation. A terme, diverses tendances importantes peuvent être observées: un déclin du marché d’importation d’Europe occidentale autrefois important et son évolution vers une situation d’exportation nette d’un certain nombre de produits; la croissance des marchés d’importation des pays du bassin du Pacifique; une évolution connexe, mais plus générale, dans le monde en développement qui fait que, comme marchés d’importation, les pays à revenu élevé cèdent la place aux pays à revenu intermédiaire; une augmentation des excédents de marché dans certains pays exportateurs de produits agricoles; et la prolifération de subventions à l’exportation dans les principaux pays industrialisés. Parmi les régions du monde en développement, l’Amérique latine et les Caraïbes est un exportateur net important de produits agricoles, tandis que l’Asie, le Proche-Orient, l’Afrique et les pays en transition sont devenus des importateurs nets (GATT, 1995).

2.6Le commerce de produits alimentaires a montré les mêmes tendances depuis le début des années 70 que l’ensemble du commerce des produits agricoles. Les échanges de produits alimentaires, évalués à quelque 266 milliards de dollars EU en 1994, avaient augmenté de plus de 300 pour cent par rapport à ce qu’ils étaient 20 ans auparavant. Les pays en développement représentaient quelque 28 pour cent du total des importations de produits alimentaires en 1994, c’est-à-dire la même part qu’en 1974. Toutefois, leur part des exportations des produits alimentaires en 1994 était passée de 30 à 26 pour cent. De ce fait, la balance commerciale des produits alimentaires, qui était marginalement positive il y a 20 ans, est devenue négative2. En 1994, les importations des pays en développement étaient de l’ordre de 75 milliards de dollars EU, et leurs exportations de l’ordre de 67 milliards. Ces tendances font ressortir l’importance croissante que revêt le commerce dans la satisfaction des besoins de consommation alimentaire, notamment dans les pays en développement. Pour ce qui est des céréales, les importations ont représenté quelque 14 pour cent de la consommation intérieure des pays en développement en 1994, alors que ce chiffre était inférieur à 10 pour cent 20 ans auparavant.

2.7 Deux dimensions de la structure par produits du commerce agricole présentent un intérêt: la différenciation horizontale par produit et la différenciation verticale par niveau de traitement. Du fait de sa croissance, le commerce agricole a également connu une évolution de sa structure par produit qui l’a fait passer d’un commerce de produits volumineux à un commerce de produits à valeur ajoutée en raison de l’augmentation des revenus. Des échanges de produits à forte valeur tels que les fleurs et les fruits tropicaux ont entraîné une croissance des exportations agricoles dans un certain nombre de pays en développement.

2.8 La forte baisse des prix alimentaires dans le monde au cours des années 80 a été en partie un symptôme de l’état de confusion dans lequel se trouvaient les marchés mondiaux et qui faisait que les niveaux nationaux de production et de consommation, et donc d’échanges commerciaux, étaient fortement influencés par la politique des pouvoirs publics, et que de nombreux pays ont isolé leurs marchés nationaux pour les protéger des changements de la conjoncture commerciale mondiale.

2.9 L’intervention de l’Etat sur les marchés agricoles dans les pays développés se traduit d’ordinaire par un soutien au secteur agricole (encore que, du fait des relations verticales de marché, le résultat effectif de la protection des secteurs consommateurs de céréales tels que l’élevage de porcs et de volailles peut être parfois négatif). L’ampleur et les modalités de ce soutien varient fortement d’un pays à l’autre et d’un produit à l’autre. C’est au Japon et dans certains pays d’Europe occidentale que l’on trouve les plus hauts niveaux de soutien, tandis que les plus faibles se trouvent en Australie et en Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis et la Communauté européenne (CE) présentant des niveaux intermédiaires. Dans tous les pays, les produits laitiers et le sucre tendent à bénéficier d’une aide au-dessus de la moyenne. Il ressort de l’analyse en continu de l’aide accordée à l’agriculture dans les pays développés effectuée par l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) que cette aide (mesurée en pourcentage de l’équivalent subvention à la production) est passée de 30 pour cent en moyenne en 1979-1981 à 43 pour cent de la valeur de la production en 1993-1994 (OCDE, 1995).

2.10 Le mode d’intervention des pouvoirs publics dans les pays en développement est plus composite. Etant donné la part relativement importante qu’occupe l’agriculture dans l’économie et la relative facilité de prélever des taxes aux frontières, bon nombre de gouvernements ont taxé les exportations agricoles. Par ailleurs, soucieux d’assurer leur autosuffisance en matière de produits alimentaires de première nécessité, les gouvernements ont souvent assuré une protection aux producteurs de céréales et d’autres articles d’importation. Les subventions à l’achat d’intrants ont également été un trait courant de la politique agricole des pays en développement. Toutefois, les effets indirects sur l’encouragement à la production agricole de la protection du secteur industriel et de la surévaluation du taux de change sont souvent plus importants que les effets directs des politiques sectorielles. Une importante étude de la Banque mondiale dans 18 pays en développement, appliquant la même méthodologie dans tous ces pays, a permis de constater que, sur la période 1960-1984, les effets de ces mesures indirectes ont été normalement plus marqués dans la plupart des pays que ceux des politiques directes. (Schiff et Valdés, 1992). Des données plus récentes sur la protection dans un plus grand nombre de pays, tirées en grande partie des informations sur les distorsions dans le commerce agricole rassemblées par le Service de la recherche économique du Département de l’agriculture des Etats-Unis, confirment que la taxation implicite continue d’être une caractéristique importante des politiques adoptées dans les pays en développement, mais également que la protection, parfois à un niveau élevé, se retrouve dans diverses régions et pour divers produits (Brandão et Martin, 1993).

2.11 Par le passé les marchés agricoles ont également subi une distorsion dans les pays en transition. Avant la réforme, tant les consommateurs que les producteurs bénéficiaient de subventions, encore qu’à des degrés différents selon les produits et les pays. S’agissant du consommateur, les subventions les plus importantes allaient aux céréales, au bœuf et aux produits laitiers, tandis que le sucre était fortement taxé. La production était subventionnée par rapport aux prix mondiaux au taux de change officiel par le biais à la fois de subventions à l’achat d’intrants et de prix élevés à la production, même si les produits d’origine animale étaient plus nettement favorisés. Toutefois, l’évaluation des mesures d’encouragement à la production, particulièrement dans l’ancienne Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), dépend fortement du choix du taux de change (Goldin, Knudsen et van der Mensbrugghe, 1993). Au total, ces politiques ont probablement eu pour effet de renforcer la demande de produits importés sur les marchés mondiaux.

2.12 Le commerce agricole a notablement contribué à l’amélioration générale de la sécurité alimentaire et de celle des ménages qui s’est produite pendant les années 80. Il y avait abondance de disponibilités alimentaires sur les marchés mondiaux à des prix réels en baisse. L’instabilité des prix mondiaux a diminué. Les stocks de céréales dans le monde ne sont jamais descendus en dessous des 17 à 18 pour cent de consommation mondiale de céréales considérés par la FAO comme le minimum nécessaire pour assurer la sécurité alimentaire mondiale. Les apports d’aide alimentaire, particulièrement pour les situations d’urgence, ont augmenté. Malgré ce bilan généralement positif, diverses faiblesses se sont également fait jour dans les années 80. La dépression des marchés des produits de base a nui aux perspectives de croissance des exportateurs agricoles; le maintien de nombreux marchés nationaux à l’écart des courants commerciaux mondiaux a fait que les marchés mondiaux étaient excessivement sensibles aux fluctuations des conditions de l’offre et de la demande; et, dans quelques pays, l’accroissement des volumes de produits exportés s’est fait aux dépens de l’environnement. Dans une certaine mesure, la situation a changé depuis six ans, avec des stocks faibles, des prix plus élevés et des flux d’aide alimentaire qui ont atteint en 1995 leur point le plus bas depuis le milieu des années 70.


3. Le commerce et la sécurité alimentaire

La signification de la sécurité alimentaire

3.1 La sécurité alimentaire se définit comme une situation dans laquelle tous les ménages ont accès matériellement et économiquement à une alimentation adéquate pour tous leurs membres et ne risquent pas de perdre cet accès. Cette définition implique trois choses: disponibilité, stabilité et accès. La disponibilité d’aliments signifie qu’en moyenne on doit pouvoir disposer d’approvisionnements suffisants pour répondre aux besoins de la consommation. La stabilité suppose de réduire au minimum le risque que, pendant les années ou les saisons difficiles, la consommation alimentaire puisse tomber en dessous du seuil requis de consommation. Quant à la notion d’accès, elle vise à attirer l’attention sur le fait que, même en cas d’approvisionnements abondants, nombreux sont ceux qui connaissent encore la faim parce qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour produire ou acheter la nourriture dont ils ont besoin. En outre, si la satisfaction des besoins alimentaires implique l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables ou la dégradation de l’environnement, il n’y a aucune garantie que la sécurité alimentaire se maintienne à long terme.

3.2 La sécurité alimentaire peut également se définir à différents niveaux, pour l’ensemble du monde ou pour tel ou tel pays, région ou ménage. En dernière instance, la sécurité alimentaire concerne l’individu ou la cellule familiale, et son principal paramètre est le pouvoir d’achat – à savoir le revenu ajusté pour tenir compte de ce que l’on peut se procurer avec un revenu donné. De même, le pouvoir d’achat au niveau national – à savoir le montant de devises disponibles pour payer les importations alimentaires nécessaires – est un paramètre fondamental de la sécurité alimentaire nationale.

3.3 Deux grandes alternatives s’offrent pour assurer la sécurité alimentaire au niveau national: l’autosuffisance ou l’autonomie alimentaire. Assurer l’autosuffisance alimentaire signifie répondre aux besoins alimentaires dans la mesure du possible à partir d’approvisionnements nationaux et en dépendant le moins possible des échanges commerciaux. Dans plusieurs pays développés, la motivation qui sous-tend une politique d’autosuffisance alimentaire marquée a souvent été davantage le transfert de revenu aux agriculteurs que la protection contre l’incertitude des marchés mondiaux. Divers grands pays en développement ont adopté cette politique parce que, sans cela, l’évolution de leurs besoins de produits importés d’une année à l’autre auraient été tels qu’elle aurait pu avoir une incidence sur les prix mondiaux – c’était le cas en particulier du riz dont le marché mondial était relativement restreint. Une autre considération qui est intervenue dans certains pays dans le choix d’une politique d’autosuffisance a été que dans un régime de libre-échange ils auraient pu être exportateurs de produits alimentaires de base, dont le prix intérieur aurait été hors de portée des consommateurs les plus pauvres au détriment de la sécurité alimentaire de ces couches défavorisées. D’autres pays ont néanmoins cherché par leur politique à produire eux-mêmes assez de produits alimentaires pour assurer une ration alimentaire minimale par personne et se prémunir ainsi contre le risque de ne pouvoir un jour importer de la nourriture à aucun prix – par exemple, en temps de guerre ou d’embargo. La notion d’autonomie alimentaire prend en compte les possibilités qu’offre le commerce international. Elle implique de maintenir un niveau de production intérieure assorti de la capacité d’importer qui permette de répondre aux besoins alimentaires de la population en exportant d’autres produits. Les avantages et les risques que comporte la dépendance vis-à-vis du commerce international pour assurer la sécurité alimentaire sont au cœur du débat sur ces différentes stratégies.

3.4 Le commerce contribue de différentes manières à la sécurité alimentaire: en comblant l’écart entre la production et la consommation; en réduisant la variabilité de l’offre; en favorisant la croissance économique; en employant de manière plus efficace les ressources mondiales; et en permettant à la production mondiale de s’effectuer dans les régions qui conviennent le mieux. Mais la dépendance vis-à-vis du commerce peut également comporter certains risques. Il peut s’agir notamment de la détérioration des termes de l’échange sur les marchés mondiaux (prix en baisse pour les exportations agricoles et en hausse pour les importations alimentaires); de l’incertitude des approvisionnements; de l’instabilité des prix sur les marchés mondiaux; et du risque accru de tension sur l’environnement faute d’une politique appropriée. Ces relations et d’autres relations importantes entre le commerce et la sécurité alimentaire, tant positives que négatives, sont étudiées plus en détail ci-dessous.

Le commerce et les disponibilités alimentaires

3.5 Le commerce a contribué grandement à la sécurité alimentaire en permettant à la consommation alimentaire de croître plus vite que la production alimentaire intérieure dans les pays où il existe des contraintes qui freinent la croissance de cette dernière. Entre 1970 et 1990, la production agricole brute dans les 93 pays en développement couverts par l’étude WAT2010 a augmenté de 3,3 pour cent par an, tandis que la demande intérieure croissait de 3,6 pour cent par an. Etant donné qu’il était possible de surmonter en partie les contraintes de production vivrière dans les pays en développement à l’aide d’importations, la disponibilité par habitant est passée de 2 120 Calories en 1969-1971 à 2 470 Calories en 1988-1990, tandis que la proportion des sous-alimentés chroniques est passée de 36 à 20 pour cent de la population (FAO, 1995a).

3.6Les pays en développement auraient pu répondre davantage à leurs besoins alimentaires intérieurs à partir de leur propre production si l’on avait laissé les prix alimentaires atteindre un niveau assez élevé ou si l’on avait prévu pour les producteurs nationaux d’autres mesures suffisamment stimulantes. Toutefois, d’un point de vue purement économique, le coût d’une politique d’autosuffisance alimentaire peut être élevé, comme il ressort de l’écart entre les prix mondiaux et le prix intérieur du riz au Japon et celui du blé en Arabie saoudite3. Dans un sens plus général, le rôle du commerce est donc de satisfaire la consommation alimentaire intérieure à plus bas prix grâce à l’importation d’approvisionnements moins coûteux. Cette contribution a son importance car même les pays dotés de secteurs agricoles en forte expansion traversent une phase où la dynamique de la croissance démographique, de l’augmentation des revenus et de l’évolution de l’alimentation est telle qu’un fléchissement de l’autosuffisance est pratiquement inévitable. Le commerce élargit également le choix du consommateur en lui donnant accès à une gamme plus large et variée de produits alimentaires. Cela est particulièrement important dans les pays à revenu élevé où le commerce alimentaire consiste à échanger des produits pour l’essentiel semblables mais différenciés. Une bonne part des échanges de produits alimentaires qui s’effectuent au sein de l’Europe occidentale et qui représentent un tiers des échanges mondiaux appartient à cette catégorie.

3.7S’il est vrai que les produits alimentaires importés peuvent contribuer de manière décisive à la sécurité alimentaire, les pays qui recourent à ces importations ont deux grandes préoccupations: leur capacité de maintenir leurs importations alimentaires au niveau souhaité et la fiabilité de l’accès à ces importations. La capacité d’importer dépend des prix et de certaines autres des conditions auxquelles les produits alimentaires peuvent être importés (y compris l’aide alimentaire)4 ainsi que de la situation de la disponibilité en devises qui, dans beaucoup de pays en développement, subit la contrainte des remboursements de la dette, de la détérioration des termes de l’échange et d’un potentiel d’exportation insuffisant. A noter l’importance particulière des conditions du marché auxquelles les exportateurs agricoles doivent faire face. Pendant toutes les années 80, les prix des produits agricoles ont eu tendance à baisser sur les marchés mondiaux, tandis que ceux des produits manufacturés connaissaient une tendance inverse. Les termes de l’échange nets entre les exportations de produits agricoles et les importations de produits manufacturés et de pétrole brut ont baissé de près de 40 pour cent pour les exportateurs des pays en développement entre 1979-1981 et 1990-1992. En outre, la baisse générale des prix a été tellement marquée qu’elle a généralement contrebalancé l’accroissement de la production, ce qui s’est finalement traduit par une diminution globale des recettes (FAO, 1995b).

3.8 Un effondrement soudain du pouvoir d’achat des recettes d’exportation peut également mettre en danger la sécurité alimentaire d’un pays. C’est pourquoi les pays (et les ménages agricoles) maintiennent souvent un niveau d’autosuffisance alimentaire plus élevé qu’il ne serait autrement justifié, à titre de précaution contre des fluctuations imprévues du pouvoir d’achat à l’extérieur. Toutefois, pour de nombreux pays, atteindre un niveau plus élevé d’autosuffisance alimentaire peut constituer une sécurité illusoire si cela ne fait que déplacer la dépendance alimentaire sur la dépendance vis-à-vis des engrais et autres intrants essentiels lorsque ceux-ci sont importés. Maintenir des réserves de devises est une autre solution, en théorie, plus efficace qu’un niveau élevé d’autosuffisance alimentaire, mais les réserves des pays en développement y suffisent rarement.

3.9 Le pouvoir d’achat des recettes d’exportation d’un pays sur les marchés mondiaux est un indicateur partiel mais important de la capacité d’importer des produits alimentaires. Pour les pays en développement, le pouvoir que procurent les recettes d’exportation d’acheter des produits alimentaires de base a varié depuis 20 ans, par suite des bouleversements subis par le marché énergétique, le marché financier et le marché des produits de base. Toutefois, le ratio en soi a marqué une tendance à la hausse pour l’ensemble des pays en développement, y compris les pays les moins avancés. Ainsi, malgré des marchés de produits de base difficiles, les importations de produits alimentaires sont peu à peu devenues moins coûteuses. C’est notamment ce qui explique que, même si les pays en développement ont dans l’absolu augmenté leurs importations de produits alimentaires, la part des dépenses d’importation de produits alimentaires par rapport au total des importations est restée relativement inchangée dans la plupart des régions du monde en développement, et a baissé notablement en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est, où la part des importations de produits alimentaires par rapport au total des importations est passée de 16 à 6 pour cent entre 1970 et 1991. Pendant la même période, la part des importations de produits alimentaires en Amérique latine est passée de 11 à 10 pour cent, et en Asie occidentale, de 14 à 12 pour cent, l’Afrique enregistrant une légère augmentation de 14 à 15 pour cent. La baisse de la part des importations de produits alimentaires par rapport au total des importations implique que les importateurs de produits alimentaires des pays en développement bénéficient d’une plus grande souplesse pour réaffecter leurs devises aux importations de produits alimentaires en cas de forte hausse des prix. Inversement, les pays qui sont devenus de plus en plus tributaires des importations alimentaires sont dorénavant plus vulnérables aux chocs survenant sur les marchés alimentaires ou autres.

Fiabilité de l’offre d’importations

3.10Les décideurs, tant dans les pays développés qu’en développement, continuent d’être préoccupés par d’autres risques que comporte le recours au commerce international comme élément d’une stratégie de sécurité alimentaire, et se demandent notamment si les importations seront disponibles au moment où ils en auront besoin et quelle risque d’être l’incidence des embargos commerciaux à caractère politique. La tendance générale sur les marchés de céréales amène à penser que ces risques devraient s’être amoindris (Donaldson, 1984). Par suite de l’augmentation du volume des échanges, qui est passé de 120 millions de tonnes en 1970-1971 à environ 200 millions de tonnes au milieu des années 1990, les marchés mondiaux de céréales sont maintenant plus fluides qu’auparavant. Un importateur peut être davantage assuré que de nouveaux besoins d’importation pourront être satisfaits sans effet d’entraînement sur les prix du marché. L’infrastructure du transport et de la manutention dans les pays exportateurs s’est développée et devrait suffire à répondre aux besoins à moyen terme; quelque 215 millions de tonnes de céréales ont été transportées pendant l’année record 1984/85. Les importateurs ont dorénavant un plus grand choix de fournisseurs sur un marché de plus en plus concurrentiel. De meilleurs systèmes d’information sont en place pour surveiller les récoltes à l’échelle mondiale et les marchés sont dorénavant moins susceptibles de se laisser surprendre comme cela a été le cas en 1972 sous l’effet des achats de céréales par l’ancienne URSS. Les marchés à terme sont plus développés et devraient davantage jouer un rôle stabilisateur dans la formation des prix.

3.11 Il arrive que des pays dotés d’un excédent alimentaire instaurent des restrictions ou des embargos sur leurs exportations lorsque la situation intérieure ou politique leur fournit la justification nécessaire. C’est ainsi que les Etats-Unis ont mis l’embargo sur les graines de soja en 1973 et 1975 parce que la demande mondiale menaçait les disponibilités intérieures et faisait monter les prix à des niveaux records. Plus récemment, en 1995-1996, quelques pays exportateurs européens ont limité leurs exportations de certaines céréales en contrôlant les quantités ou en imposant des taxes afin de protéger les consommateurs intérieurs. Les produits alimentaires peuvent également servir d’arme politique et stratégique. Souvent, toutefois, ils échappent aux embargos à caractère politique. Par exemple, la République islamique d’Iran a continué d’acheter des céréales aux Etats-Unis pendant toute la période 1979-1980 alors que presque tous ses autres liens commerciaux, financiers et politiques avec ce pays étaient coupés. Les embargos politiques sont au demeurant difficiles à appliquer et les possibilités d’achat par le biais de systèmes de transbordement dans d’autres pays fait qu’il est relativement facile d’éluder les efforts des exportateurs pour exercer une pression politique. Les embargos décidés au plan international sont peut-être plus efficaces à cet égard, mais il est encore moins probable qu’ils visent les produits alimentaires. Quoi qu’il en soit, toute tendance à recourir davantage aux sanctions commerciales, par exemple, pour faire valoir des préoccupations en matière de droits de l’homme ou faire appliquer des accords internationaux sur l’environnement, rendra encore plus incertains les approvisionnements par l’importation.

Le commerce et l’instabilité de l’offre alimentaire

3.12 Pour les pays tant développés qu’en développement, la stabilisation des prix à la production et à la consommation constitue un objectif important. Les fluctuations de la production ne peuvent être absorbées que grâce à des ajustements de la consommation, à des modifications des stocks ou au commerce. Pour la plupart des pays en développement, la fluctuation de la consommation est inacceptable, étant donné les faibles niveaux de consommation d’une bonne partie de la population, et la détention de stocks tend à être trop onéreuse. Aussi la plupart des pays en développement comptent-ils beaucoup sur le commerce pour compenser les fluctuations de leur production. Cette méthode nécessite cependant une souplesse de gestion des importations et ne permet pas d’éliminer les fluctuations des prix étant donné que, en plus des variations des taux de change, les prix alimentaires mondiaux eux-mêmes montrent une forte variabilité. Celle-ci est fonction de la variabilité de la production mondiale, de la mesure dans laquelle les marchés absorbent en partie cette variabilité et de la taille et du comportement des stocks mondiaux.

3.13 La sécurité alimentaire est extrêmement sensible à l’instabilité des marchés de céréales. L’irrégularité de la consommation de céréales a diminué entre 1960-1977 et 1978-1989, ce qui montre que, depuis la fin des années 1970, les stocks mondiaux de céréales sont intervenus plus efficacement pour protéger les consommateurs de l’irrégularité de la production de céréales d’une année sur l’autre (Martinez et Sharples, 1993). Du point de vue des pays en développement, un facteur important contribuant à la réduction de l’instabilité des marchés est la réorientation des céréales fourragères dans les pays développés, ce qu’on appelle «l’effet tampon des céréales fourragères». En cas de hausse des prix mondiaux, le volume de céréales destinées à l’alimentation des animaux a tendance à baisser, ce qui permet en partie de faire face au manque à produire. Il peut en être ainsi soit lorsque les producteurs remplacent les céréales par d’autres aliments, soit plus fréquemment lorsqu’ils réduisent la taille de leurs troupeaux. Par exemple, lors de la hausse des prix des céréales en 1972-1974, la chute de la consommation d’aliments pour animaux aux Etats-Unis a été du même ordre que l’ensemble du déficit de la production mondiale.

3.14 Depuis 1993, la situation mondiale de l’offre et de la demande s’est tendue et le volume des stocks détenus dans les principales zones exportatrices, particulièrement les Etats-Unis et la Communauté européenne, a fortement diminué. Les prix du blé et du maïs sont donc montés en flèche en 1995/96 par rapport à 1994/95 (FAO, 1996). Lorsqu’on fait le bilan des 25 dernières années, les marchés mondiaux des céréales semblent se caractériser davantage par l’irrégularité des prix sous forme de «pointes» que par une instabilité proprement dite. Pour tous les pays qui dépendent d’importations de céréales pour leur alimentation, et notamment les pays les plus pauvres, un aspect important des modifications du régime commercial au regard de leur sécurité alimentaire est leur incidence probable sur l’instabilité des marchés mondiaux. Les stocks mondiaux devant selon toute probabilité rester relativement moins fournis pendant les années 90 par rapport à la décennie précédente et malgré l’augmentation de la part des stocks privés, mieux à même de s’adapter, le risque que les prix connaissent des pointes est probablement plus grand que par le passé.

Le commerce et l’accroissement du revenu

3.15 Une contribution importante du commerce international à la sécurité alimentaire tient à l’accélération de l’accroissement du revenu national. La croissance économique peut renforcer la sécurité alimentaire en permettant aux particuliers de disposer de meilleurs revenus et donc en améliorant leur accès aux produits vivriers. A mesure que les revenus augmentent, la fraction dépensée pour la nourriture diminue et les risques de connaître l’insécurité alimentaire faiblissent, tandis que l’épargne renforce en même temps la sécurité alimentaire à plus long terme. Toutefois, si la croissance économique nationale ne se répercute pas jusqu’aux pauvres, la sécurité alimentaire de ces groupes ne s’améliore pas, voire peut se dégrader.

3.16 Le commerce contribue à l’accroissement du revenu de diverses manières. Premièrement, il permet aux pays de tirer profit de leur avantage comparatif. Deuxièmement, une demande accrue d’exportations permet de développer la production. Troisièmement, le commerce s’accompagne de plus grandes possibilités de transfert des capitaux et du savoir-faire, particulièrement par la voie des investissements étrangers. Même si le rôle des entreprises agro-industrielles transnationales dans les pays en développement a donné lieu à controverse par le passé, on reconnaît de plus en plus les avantages qu’elles peuvent apporter pour la gestion de la production, de la transformation et de la commercialisation. Toutefois, l’effet sera davantage favorable aux grandes exploitations agricoles productrices de cultures marchandes et pas nécessairement aux petites exploitations ou à celles qui se livrent à l’agriculture de subsistance.

 

Encadré 1
RÉCENTES AUGMENTATIONS DE PRIX ET CHANGEMENTS STRUCTURELS SUR LE MARCHÉ MONDIAL DES CÉREALES

Les cours internationaux des céréales sont montés en flèche pendant la campagne 1995/96. Les prix du blé (US No. 2 hard winter) ont atteint 271 dollars EU la tonne début mai 1996 avant de redescendre en juin, par rapport à une moyenne de 157 dollars EU la tonne pendant la campagne 1994/95. De même, les prix du maïs ont grimpé jusqu’à plus de 212 dollars EU la tonne (US No. 2 yellow) en mai 1996 et sont restés élevés.

La hausse brutale et l’extrême instabilité des prix des céréales pendant la campagne en cours doivent être vues dans le contexte des événements de la première moitié des années 90. En particulier, les deux dernières années se sont caractérisées par un équilibre généralement précaire entre l’offre et la demande effective sur les marchés céréaliers mondiaux, les cours internationaux augmentant rapidement et les stocks baissant à leurs niveaux les plus bas par rapport à la consommation depuis une vingtaine d’années. Conséquence des réformes des politiques dans les principaux pays exportateurs depuis le début des années 90, les excédents structurels dans ces pays ont été réduits ou même éliminés, et les stocks détenus par les pouvoirs publics ont donc nettement diminué. Ces événements ont également coïncidé avec des baisses de production imputables aux conditions météorologiques en particulier aux Etats-Unis, premier exportateur de céréales dans le monde. Une croissance économique relativement forte, surtout dans les pays en développement d’Asie, a aussi contribué à l’envolée récente des prix des céréales.

Ces augmentations de prix ne se sont apparemment pas fait sentir sur la consommation en 1995/96. La production dans les pays en développement a été relativement bonne et les importations se sont maintenues, ce qui correspond probablement à des achats plus importants que d’habitude en début d’année lorsque les prix étaient nettement plus bas. Toutefois, il ne faudrait pas en déduire que la sécurité alimentaire dans de nombreux pays n’est pas altérée par les bouleversements récents des marchés céréaliers mondiaux, car la production totale dans tous les pays en développement cache des situations très disparates et la situation alimentaire est très difficile dans de nombreux pays à faible revenu et à déficit vivrier. En outre, ces importations accrues ont été faites à des prix plus élevés et avec un élément plus restreint d’aide alimentaire et d’autres exportations à des conditions de faveur. En conséquence, la facture des importations céréalières a augmenté beaucoup plus que prévu: celle des pays à faible revenu et à déficit vivrier est passée de 9,4 milliards de dollars EU en 1993/94 à 16,6 milliards de dollars EU en 1995/96.

3.17 On trouve dans les ouvrages économiques une forte justification théorique à un rapport positif entre le commerce et la croissance économique. L’accroissement des exportations peut alléger les contraintes de financement extérieur et permettre davantage d’importations, ce qui facilite la croissance intérieure si celle-ci était freinée par le besoin de contenir les importations. Elle permet aux entreprises d’échapper aux limitations dues à la taille du marché intérieur et de tirer profit des économies d’échelle. L’ouverture à la concurrence étrangère permet d’éliminer les obstacles à l’efficience allocative qui peuvent s’accumuler dans des économies relativement fermées et décourage les activités improductives telles que le recours aux groupes de pression et la recherche d’avantages personnels. Accéder à des marchés étrangers amène les pays à être confrontés à des idées, des connaissances et des techniques nouvelles.

3.18 Mais, comme il est inévitable, les conclusions théoriques se fondent sur des modèles simplifiés du monde réel, ce qui amène à douter de leur validité lorsqu’il faut opter pour une politique. C’est ce qui explique que ce sont les données d’observation qui ont été le plus convaincantes. Deux lignes de recherche ont été retenues: l’une axée sur des études multinationales détaillées des pratiques protectionnistes et des périodes de libéralisation, et l’autre fondée sur des analyses multinationales par régression portant sur le rapport entre la croissance des exportations et les résultats économiques (Edwards, 1993).

3.19 Comme exemples d’études multinationales détaillées on peut citer celle du Bureau national de la recherche économique des Etats-Unis menée par Bhagwati (1978) et Krueger (1978), et celle de la Banque mondiale portant sur 19 pays, publiée dans Michaely, Papageorgiou et Chikso (1991). Ces études cherchent à classer les pays selon des régimes commerciaux différents (et, dans l’étude de la Banque mondiale, selon des régimes commerciaux différents à des périodes différentes) et à déterminer s’il existe un rapport entre l’orientation commerciale et les résultats économiques. L’élément essentiel en est la constitution d’un indice d’orientation commerciale qui sert à classer les pays selon ce critère. Le classement de la stratégie commerciale d’un pays se fait en fonction de divers indicateurs, notamment le taux effectif de protection, l’emploi de contrôles directs tels que les contingents et les licences d’importation, le recours à des mesures d’encouragement à l’exportation et le degré de surévaluation du taux de change. En s’appuyant sur des applications antérieures de cette méthode effectuées par la Banque mondiale (1987), le Fonds monétaire international (FMI) a récemment comparé les résultats économiques de quatre groupes de pays en développement appliquant des régimes commerciaux différents. D’une manière générale, la conclusion qui veut qu’une orientation commerciale plus ouverte s’accompagne de meilleurs résultats économiques en sort renforcée.

3.20 Ce genre d’études se heurtent toutefois à diverses critiques. La répartition des pays selon des types donnés de régime commercial est inévitablement arbitraire et subjective. On n’y traite pas directement de la question de causalité. Il se peut que des pays à économie en expansion rapide soient mieux à même de démanteler un système de protection que ceux dont l’économie stagne. Divers auteurs se sont demandé si les résultats s’appliquaient de la même manière à tous les stades de développement d’un pays (en particulier si il n’existait pas un «effet de seuil» qui ferait que la croissance n’est en relation directe avec l’orientation commerciale que lorsque les pays ont atteint un niveau minimum de développement). D’autres font valoir que ces études n’accordent pas l’importance voulue à la situation du marché mondial au moment de déterminer la viabilité d’une stratégie d’ouverture au commerce qui a déjà fait ses preuves5.

3.21 L’autre démarche consiste à étudier s’il existe un rapport direct entre les exportations et la croissance économique, en partant de l’hypothèse (généralement implicite) que plus la croissance des exportations est forte plus l’orientation commerciale tend à l’ouverture. Il ressort généralement des recherches effectuées qu’il existe un rapport direct et que, dans les pays en développement, plus la croissance des exportations s’accélère plus la productivité augmente6. Cette approche a cependant été critiquée parce qu’elle s’appuyait trop sur des méthodes statistiques simplistes et ignorait la question de causalité. La croissance de la production peut être la cause de la croissance des exportations ou vice versa. Dans l’ensemble, la question du rapport entre le commerce et la croissance du revenu reste ouverte et les preuves dont on dispose ne permettent pas de tirer des conclusions définitives.

Commerce, répartition des revenus et sécurité alimentaire des ménages

3.22 Bien que, pour des raisons méthodologiques, la recherche ait rencontré à ce jour des difficultés pour prouver rigoureusement que la libéralisation du commerce accélère la croissance économique, il reste suffisamment de preuves indirectes pour établir que cette libéralisation est un élément fondamental dans les trains de mesures qui favorisent la croissance. Une question distincte directement liée à la sécurité alimentaire des ménages, mais qui n’a malheureusement pas fait l’objet de recherches approfondies, est l’incidence de la libéralisation du commerce sur la pauvreté et la répartition des revenus. S’il est vrai que les retombées de la croissance due au commerce profitent essentiellement aux classes aisées, la sécurité alimentaire peut empirer pour de nombreux ménages malgré le relèvement général des taux de croissance économique.

3.23 La croissance économique ne contribuera pleinement à améliorer l’accès des ménages aux produits vivriers que si elle repose sur une base large et inclut les couches de la société aux revenus les plus faibles. C’est seulement si le commerce contribue à un développement économique largement réparti capable d’augmenter les possibilités d’emploi et de revenu des ménages les plus pauvres qu’il joue un rôle important dans le renforcement de la sécurité alimentaire des ménages7.

3.24 On a fait observer que la croissance économique rapide qu’ont connue les nouveaux pays industrialisés de l’Asie de l’Est accompagnait d’une nette amélioration de l’emploi et de la répartition des revenus et d’une réduction des niveaux absolus de pauvreté (Fields, 1984). Toutefois, même si la croissance économique rapide de ces pays a été associée à un développement axé sur les exportations, d’autres facteurs, tels que la réforme foncière, une prudente politique macroéconomique, l’accent mis sur le développement agraire et le relèvement du niveau d’instruction ont également compté. Vu la difficulté qu’il y a à mesurer les taux de pauvreté ou les changements dans la répartition des revenus à moyen terme, les études qui cherchent à établir un rapport entre le commerce et la pauvreté prennent généralement appui sur des variables intermédiaires telles que l’emploi ou les salaires réels. On part généralement de l’hypothèse qu’une croissance économique rapide liée à une politique commerciale doit entraîner un relèvement du taux d’emploi et une amélioration de la répartition des revenus. Mais le rapport entre les stratégies commerciales et l’emploi est complexe et se verra influencé par l’effet du choix d’une stratégie commerciale sur le taux général de croissance; l’incidence de la demande de main-d’œuvre due à la stratégie commerciale sur la composition de la production; et l’incidence de la stratégie commerciale sur les prix des facteurs (Krueger, 1978).

3.25 Il ressort de certaines données d’observation sur le rapport à long terme entre l’orientation commerciale et la création d’emplois que, dans la plupart des pays en développement, les activités exportatrices ont tendance à faire davantage appel à la main-d’œuvre que les activités qui entrent en concurrence avec les produits importés. D’autre part, les premières sont, en règle générale, relativement plus grosses consommatrices de main-d’œuvre non qualifiée que les secondes. L’emploi a également tendance à croître plus vite dans une économie ouverte sur l’extérieur (Krueger, 1981). Plus récemment, la Banque mondiale a fait observer que, depuis une vingtaine d’années, les salaires réels ont augmenté au taux de 3 pour cent par an dans les pays en développement où la croissance des exportations par rapport au produit intérieur brut (PIB) dépassait la moyenne, tandis que les salaires stagnaient dans les pays où les exportations se développaient le moins (Banque mondiale, 1995). En règle générale, l’incidence sur la pauvreté dépendra du caractère de la croissance induite par le commerce. Des questions telles que le degré d’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés d’exportation ont leur importance, au même titre que le souci d’améliorer le capital humain grâce à l’éducation, à la formation et à la santé, même si le problème de fond des pauvres reste le manque de droits aux ressources; tant que la faim n’est pas jugulée, le capital humain ne peut être mis en valeur (CNUCED, 1995a).

3.26 D’aucuns expriment la crainte que, là où la production destinée à l’exportation augmente, la consommation alimentaire diminue et l’état nutritionnel des ménages les plus pauvres faiblisse. Parmi les mécanismes qui font que la production à l’exportation peut influer sur la consommation et l’état nutritionnel, on compte, entre autres, les effets sur les disponibilités alimentaires locales et nationales, l’accès des ménages aux produits vivriers et la répartition des aliments à l’intérieur des ménages. Par exemple, si l’accroissement de la production destinée à l’exportation se traduit par une réduction des disponibilités alimentaires locales, les prix des produits locaux augmenteront. La nutrition des pauvres qui ne partagent pas les bénéfices des cultures d’exportation mais achètent leur nourriture sur les mêmes marchés peut en pâtir. Dans ce cas toutefois, le principal problème tient aux faiblesses de l’infrastructure rurale de commercialisation et de transport ou aux décisions des pouvoirs publics qui empêchent la circulation des produits alimentaires d’une zone à une autre. Dans les cas où la production destinée à l’exportation fait moins appel à la main-d’œuvre que la production de produits alimentaires de première nécessité, la réduction des offres d’emploi aura une incidence négative sur la sécurité alimentaire des paysans sans terre. De manière plus générale, l’augmentation des gains en devises tirés des exportations agricoles ne garantit pas leur conversion automatique en types d’importations dont les pauvres ont besoin, en particulier si leur influence politique est faible. De même, lorsque le revenu tiré des cultures d’exportation est contrôlé par des chefs de famille hommes, comme ceux-ci sont d’ordinaire moins enclins à dépenser ce revenu en nourriture, la sécurité alimentaire des femmes et des enfants au sein du ménage peut être compromise.

3.27 Ce genre d’hypothèses doit être mis à l’épreuve des faits. D’après certains éléments tirés récemment d’une série d’études coordonnées entreprises par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), il semblerait que le passage des petits exploitants des cultures vivrières de base à une production destinée à l’exportation n’a pas eu d’effets négatifs sur la nutrition. Dans les zones étudiées, on a constaté que, malgré la réaffectation de la terre aux nouvelles cultures marchandes, la production par personne de produits de première nécessité s’était maintenue à un haut niveau, voire même avait augmenté dans les groupes participants par rapport aux groupes non participants. L’emploi, particulièrement celui de la main-d’œuvre salariée, et les revenus avaient augmenté et nulle part la nutrition infantile ne s’était vue compromise (von Braun et Kennedy, 1994; voir également von Braun, 1995).

3.28 L’incidence du commerce s’inscrit dans le contexte plus général de l’incidence de la modernisation et de la transformation agricoles sur le bien-être et la répartition. Le commerce fournit de nouvelles possibilités de spécialisation et d’échange et s’accompagne d’ordinaire d’une mutation structurelle. Du fait qu’ils manquent souvent des ressources nécessaires pour se consacrer à des cultures destinées à l’exportation, les petits producteurs peuvent ne pas être en mesure de participer à cette croissance. Ils peuvent même découvrir que le développement commercial a sur les coûts de production et la rente foncière un effet inflationniste qui peut aller jusqu’à entraver leur production traditionnelle. Il peut arriver que les petits producteurs aient à abandonner leurs terres ou fassent l’objet d’un rachat de la part de grands groupes commerciaux. La production pour l’exportation s’accompagne parfois d’une expansion des grandes entreprises capitalistes qui amènent les petits agriculteurs à quitter leurs terres, et des politiques spécifiques peuvent alors être nécessaires pour assurer leur protection. Plus généralement, lorsque les biens de production sont contrôlés par un petit nombre et que l’inégalité domine dans les rapports sociaux, l’agriculture d’exportation peut faire empirer la situation de la majorité pauvre. Pour évaluer ces problèmes, il importe de ne pas seulement s’arrêter sur les répercussions du commerce vues dans l’optique des producteurs, mais également de prendre en compte les effets induits sur l’emploi et les consommateurs dans d’autres secteurs de l’économie. Lorsqu’un problème se pose, il est plus souvent imputable à une politique biaisée et à une défaillance des institutions qu’au commerce lui-même.

3.29 Une autre crainte est associée à l’ouverture des marchés alimentaires d’un pays au commerce: ne va-t-il pas s’ensuivre une concurrence accrue entre les consommateurs nantis des pays à revenu élevé et les consommateurs à faible revenu des pays en développement pour se procurer leurs approvisionnements en vivres? La consommation de viande dans les pays développés et, de plus en plus, dans les pays à revenu intermédiaire, se voit accusée d’entraîner de nouvelles demandes de production de céréales fourragères qui font monter les prix mondiaux et affaiblissent la sécurité alimentaire des pauvres. Cela est compensé par un certain nombre de facteurs. Tout d’abord, l’élevage ne se fait pas entièrement à partir de céréales fourragères et la production animale peut employer des ressources agricoles qui, sans cela, resteraient inutilisées. Deuxièmement, s’il n’y avait pas de demande de céréales fourragères, une partie des céréales ne seraient pas produites. Une demande moindre de céréales faute d’une demande de céréales fourragères aurait pu ralentir les progrès techniques en matière de production céréalière, source de réduction des prix. Troisièmement, comme signalé plus haut, après une forte augmentation des prix mondiaux des céréales, l’alimentation du bétail à base de céréales deviendra moins rentable, ce qui, au fur et à mesure que la demande de céréales fourragères commencera à baisser, devrait commencer à alléger les pressions sur les approvisionnements et à tempérer les hausses de prix.


4. Commerce, développement durable et sécurité alimentaire

Considérations générales

4.1 A terme, la sécurité alimentaire mondiale dépend du maintien et de la conservation de la base de ressources naturelles aux fins de production alimentaire dans les pays tant développés qu’en développement. Il est de plus en plus manifeste que, plus la production agricole gagne en intensité, plus il y a de risques que la base de ressources naturelles se dégrade, à moins que des mesures de conservation particulières ne soient mises en place. L’érosion des sols et la désertification, la saturation en eau et la salinisation, la déforestation, l’épuisement des ressources en eau et la pollution chimique due à l’utilisation d’engrais et de pesticides sont à terme autant de menaces graves au maintien et au relèvement des niveaux de production alimentaire.

4.2 Le commerce agricole, parce qu’il influe sur le volume et la localisation de la production agricole, peut avoir des répercussions positives ou négatives notables sur l’environnement. C’est ainsi que l’on s’est inquiété aux Etats-Unis de ce qu’en exportant ses produits le pays exportait aussi, en fait, son sol. En s’appuyant sur un indicateur de l’impact de la pollution sur divers produits agricoles, une étude a permis de dégager des éléments prouvant que les cultures pour lesquelles les Etats-Unis obtiennent les meilleurs résultats sur le marché mondial sont également celles qui polluent le plus (Tobey, 1991). Cette préoccupation a mené à prendre, dans le cadre de la Loi sur la sécurité alimentaire de 1985, des dispositions concernant l’érosion excessive des sols (voir le Conservation Reserve Programme et les dispositions d’exécution de ce programme), la conversion des terres fragiles en terres cultivables (législation relative à la protection par engazonnement) et la conversion de terres humides (législation relative à la protection des zones marécageuses). En règle générale, en réduisant les distorsions et en assurant des prix qui tiennent compte des préoccupations écologiques, on obtiendrait une production agricole dont le volume, le mode et la localisation seraient différents comme le seraient de ce fait les niveaux des échanges commerciaux.

4.3 Les interventions dans l’agriculture ont souvent entraîné des problèmes d’environnement. Dans certains pays développés, certaines subventions accordées à l’agriculture ont accentué les défaillances du marché en encourageant l’intensification, même si dans d’autres cas on a versé des subventions pour cesser de cultiver certaines terres8. De même, dans certains pays en développement, les prix des moyens de production agricole tels que l’eau, les engrais et les pesticides ont été maintenus artificiellement bas. Les producteurs s’en sont trouvés encouragés à se spécialiser dans certaines cultures et à intensifier leur emploi de ces moyens de production, ce qui a contribué à la dégradation des sols et de l’eau et a amené à commettre d’autres erreurs de gestion de l’environnement. Cela dit, la plupart des pays en développement souffrent d’une faible productivité et ont besoin d’augmenter leur utilisation d’intrants pour produire davantage et éviter les problèmes d’environnement liés à l’extension des zones de production sur des terres à faible rendement.

4.4 A mesure que l’on a pris conscience de l’impact des pratiques agricoles sur l’environnement et la santé, les pays ont instauré des normes de plus en plus strictes en matière d’environnement, de sécurité alimentaire et de qualité des aliments. Ces normes ont néanmoins été mises en place inégalement selon les pays, ce qui explique que certains craignent que la compétitivité agricole dans les pays à haut niveau de normes ne se trouve menacée et demandent que des mesures à caractère commercial soient prises, soit pour protéger les producteurs contre la concurrence venue des pays où les normes sont moins strictes, soit pour chercher à relever le niveau des normes écologiques dans ces pays. Par contre, d’autres pays craignent que le relèvement des normes n’ait indirectement des effets protectionnistes et ne leur rende plus difficile l’accès aux marchés des pays développés.

4.5 Les questions de commerce et d’environnement sont donc doublement interdépendantes. La première préoccupation concerne les effets du commerce sur l’environnement. La deuxième concerne la manière dont les normes écologiques peuvent intervenir dans le jeu de la concurrence et provoquer des demandes de protection contre des produits venant de pays appliquant des normes écologiques moins strictes. Comme indiqué plus haut, le commerce et l’environnement peuvent être compatibles et complémentaires pour autant que l’on mette en place certaines politiques. L’interaction réciproque entre l’un et l’autre est actuellement étudiée par le Comité du commerce et de l’environnement (CCE) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a pour mission, entre autres, d’examiner l’effet des mesures en faveur de l’environnement sur l’accès aux marchés, notamment en ce qui concerne les pays en développement, ainsi que les répercussions bénéfiques pour l’environnement de la suppression des restrictions aux échanges commerciaux et de leurs distorsions9.

Effets sur l’environnement de la libéralisation du commerce agricole

4.6 La réforme des échanges commerciaux crée à la fois un effet d’échelle et un effet structurel. L’effet d’échelle concerne l’expansion et la croissance des marchés que cette réforme entraîne. Quant à l’effet structurel, il concerne les changements du mode de production et de l’utilisation des ressources qui font suite à la réforme. La réforme de la politique agricole entraînera une baisse des prix dans les pays qui octroient des subventions, mais une hausse dans ceux qui n’en octroient pas. L’effet d’échelle sera donc limité (FAO, 1995b), et le principal problème est d’ordre pratique: les répercussions bénéfiques pour l’environnement d’une réduction de la production dans les pays qui octroient des subventions sont-elles contrebalancées par le coût pour l’environnement de l’accroissement de la production dans les autres pays?

4.7 L’impact sur l’environnement de la libéralisation du commerce ne peut être directement évalué à l’aune des mesures conventionnelles adoptées pour modifier le volume de la production agricole. C’est ainsi par exemple que, si le prix de 1 tonne de riz est fixé à deux fois le niveau du prix de 1 tonne de blé, on ne peut pas pour autant conclure que l’impact sur l’environnement d’une tonne de riz supplémentaire sera le double de l’impact d’une tonne de blé supplémentaire. Pour procéder à cette évaluation, il faut des poids qui tiennent plus exactement compte de l’impact sur l’environnement de chaque produit dans chaque région. Cet impact n’est pas le même d’un pays à l’autre. La Chine comme les Pays-Bas se consacrent à l’élevage intensif des cochons, mais en Chine le fumier est un sous-produit de valeur qui est recyclé en tant qu’engrais ou pour produire du combustible sous forme de méthane, alors qu’aux Pays-Bas les grandes quantités indésirables de fumier produit entraînent une pollution énorme. La FAO a mis au point un manuel pour l’évaluation économique des effets sur l’environnement de la production et du traitement local des denrées dans les pays producteurs qui devrait à l’avenir faciliter davantage ce genre d’analyses (FAO, 1994).

4.8 La libéralisation du commerce agricole pourrait bien réduire les dommages causés à l’environnement mondial, encore que cela ne signifie pas nécessairement que la pression exercée sur l’environnement dans chaque pays diminuera, cette pression risquant en fait d’augmenter dans certains cas. Ce qu’il importe de déterminer, c’est l’impact sur l’environnement de la nouvelle utilisation des ressources dans chaque pays par rapport à l’impact sur l’environnement d’autres utilisations possibles de ces ressources. Les principaux effets de cette libéralisation auraient trois origines. Tout d’abord, une relocalisation internationale de la production végétale de pays octroyant de fortes subventions (et employant beaucoup d’intrants chimiques) vers des pays où les subventions sont faibles réduirait l’utilisation des produits chimiques dans la production alimentaire mondiale (Anderson, 1992). L’utilisation des produits chimiques augmenterait dans les pays n’accordant que peu de subventions, et notamment les pays en développement, mais elle augmenterait à partir d’un niveau relativement bas. Deuxièmement, la réforme du commerce provoquera également une réduction de la demande de terres dans les pays à fortes subventions et une augmentation de la demande des terres destinées à la production agricole dans les pays à faibles subventions, notamment les pays en développement. Il ressort toutefois des données d’observation que la terre est le moyen de production le moins sensible à l’évolution des prix agricoles et qu’il y aura peu d’extension de la superficie agricole du fait des hausses de prix attendues du Cycle d’Uruguay. Troisièmement, si la réforme du commerce encourage les cultures destinées à l’exportation, davantage consommatrices de main-d’œuvre que la production des aliments de première nécessité, les pressions sur les forêts exercées par l’avance de l’agriculture de subsistance s’en trouveront allégées. La libéralisation du commerce des bois tropicaux aura un effet plus direct sur la déforestation. La hausse des prix du bois de grume due à la libéralisation peut entraîner une augmentation de l’abattage des réserves restantes de bois marchand dans les pays producteurs, mais elle pourrait aussi encourager sensiblement la gestion durable des produits ligneux (voir l’étude de cette question dans FAO, 1995b).

4.9 Lorsque, malgré tout, les problèmes d’environnement sont exacerbés par les échanges commerciaux, en règle générale ce n’est pas le commerce qui est vraiment à l’origine du problème. Les dommages causés à l’environnement sont généralement dus à une distorsion par l’action des pouvoirs publics et au fait que le coût privé ne tient pas compte totalement du coût social de l’utilisation des ressources. La bonne politique à adopter pour y répondre consiste à internaliser les coûts pour l’environnement non comptabilisés. Pour ce faire, on peut recourir à la réglementation et/ou à des instruments reposant sur les mécanismes du marché, mais il faut être conscient que, dans les pays en développement en particulier, les mécanismes administratifs et les mécanismes de marché nécessaires pour mettre en œuvre ces politiques ne sont peut-être pas encore en place. D’autre part, de nombreux pays en développement subissent d’énormes pressions économiques pour exploiter leurs ressources sans tenir compte des conséquences à long terme. Cette situation étant due à la pauvreté et non pas à une volonté délibérée d’exploiter l’environnement pour l’emporter sur la concurrence, une bonne réponse consiste à assurer une aide multilatérale pour la mise en œuvre de politiques de l’environnement.

4.10 Même en l’absence de politiques de l’environnement appropriées, le commerce peut encore aider à améliorer le niveau de vie. Les avantages pour le bien-être normalement tirés de la libéralisation du commerce peuvent suffire à compenser le coût pour l’environnement d’un accroissement de la production agricole.

Effet du durcissement des normes écologiques sur le commerce agricole

4.11 Les normes écologiques et autres relèvent de deux grandes catégories: les normes concernant les procédés et méthodes de production (PMP) qui régissent les modalités de production des biens, tandis que les normes de produits définissent les caractéristiques que doivent présenter les produits destinés à la consommation. Pour ce qui est des procédés, les normes imposées aux producteurs régissent les niveaux d’émission et de pollution, par exemple les normes relatives au niveau maximum admissible de rejet d’effluents dans l’eau. Comme exemple de normes relatives aux méthodes de production, on peut citer la réglementation des pratiques de gestion des ressources forestières, les normes de capture du poisson, les méthodes d’engraissement des animaux de boucherie, les techniques de renforcement de la productivité du cheptel laitier et les méthodes d’abattage des animaux de boucherie. Les PMP et normes de produits donnent lieu à deux séries de préoccupations. Pour ce qui est des normes PMP, la crainte est que le durcissement des normes intérieures donne un avantage concurrentiel aux producteurs d’autres pays; quant aux normes de produits, ce sont les autres pays qui craignent que leur durcissement ne nuise à leur commerce sur les marchés d’importation. Même l’emploi de normes PMP, dans la mesure où le pays importateur impose au pays exportateur ses propres préférences et son évaluation de l’environnement, peut également entraver l’accès au marché.

4.12 En principe, l’adoption d’une législation environnementale modifiera la structure internationale des coûts relatifs des facteurs de production (ou leur disponibilité) et risque d’avoir des effets sur la répartition des spécialisations et la structure des échanges commerciaux mondiaux. La réglementation de l’environnement mènera à une moindre spécialisation dans la production polluante ou préjudiciable à l’environnement dans les pays dotés de normes écologiques strictes. En revanche, les pays dotés de programmes de protection de l’environnement moins stricts ou n’ayant aucun programme de ce type devraient pouvoir accroître leur part du marché des produits qui nuisent à l’environnement. L’importance qu’auront dans la pratique ces répercussions sur le commerce dépendra de la dispersion des normes écologiques d’un pays à l’autre, de l’impact des normes écologiques sur la structure des coûts relatifs et de la mesure dans laquelle les coûts relatifs ainsi modifiés interviendront dans la structure de l’avantage comparatif.

4.13 En général, plus le revenu des personnes croît, plus la demande en faveur de la protection de l’environnement se renforce, c’est pourquoi les législations environnementales sont souvent mises en place d’abord dans les pays développés. D’autre part, s’il est un fait que la production des pays en développement est moins intensive, la capacité d’assimilation de l’environnement y est peut-être supérieure, de sorte qu’il est moins nécessaire de protéger l’environnement dans les pays en développement. Il y a là pour les pays en développement un encouragement à accroître leur part du marché en exportant les produits très polluants dans les pays développés. Il semblerait, d’après certaines indications, que les politiques d’environnement ont eu un effet appréciable sur la structure des échanges commerciaux de produits agricoles (Diakosavvas, 1994). D’autres analystes sont plus sceptiques et font valoir que les pays en développement n’ont pas une très grande capacité concurrentielle pour ce qui est des cultures les plus préjudiciables à l’environnement10. La compétitivité peut également se faire sentir entre les pays développés, par exemple pour ce qui est de l’incidence de la législation environnementale sur la localisation de la production animale intensive en Europe du Nord-Ouest.

4.14 Il y a de bonnes raisons aussi bien économiques qu’environnementales pour que les normes relatives aux procédés et aux méthodes de production varient d’un pays à l’autre. Par exemple, les pays où la pollution des ressources en eau par les nitrates est faible n’auront peut-être pas besoin de soumettre l’utilisation des engrais azotés aux mêmes normes que les pays où la pollution par les nitrates est un problème grave. Par ailleurs, les pays qui se trouvent à des stades différents de leur développement économique ne voudront pas forcément accepter le même effet de compensation entre le développement économique et la lutte contre la pauvreté d’un côté, et la qualité de l’environnement de l’autre. De ce point de vue-là, le commerce, facilité par les écarts entre les normes écologiques, est un important mécanisme pour relever les niveaux de revenu dans les pays appliquant des normes moins strictes, ce qui en retour garantit à plus long terme des normes écologiques de plus haut niveau. Il peut par contre être souhaitable d’harmoniser les normes lorsque la pollution provient de retombées transfrontières ou a un effet sur l’environnement mondial. Néanmoins, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement indique clairement que ces problèmes doivent être résolus par la voie de la coopération et du consensus international.

4.15 Ces dernières années, un problème s’est posé qui tient à la volonté des pays importateurs de faire prévaloir leur échelle de valeurs en ce qui concerne les procédés et méthodes de production appliqués par les pays exportateurs, même lorsque les caractéristiques des produits ne sont pas en cause11. C’est ainsi que les Etats-Unis ont interdit l’importation de thon du Mexique parce que les méthodes de pêche de ce pays provoquaient la mort des dauphins. Ils ont également interdit l’importation de crevettes de pays qui n’avaient pas pris suffisamment de mesures pour protéger les tortues de mer menacées d’extinction. Certains pays de la Communauté européenne ont également interdit les importations de fourrure lorsque les animaux sont capturés au moyen de pièges à mâchoires. On justifie souvent ces mesures en arguant qu’elles sont nécessaires pour protéger le patrimoine mondial. D’autres pays y voient souvent une mesure déguisée de protectionnisme. Un autre danger tient à la prolifération de mesures unilatérales d’où il ressort que la meilleure solution pour traiter de ces questions est, là encore, la coopération et le consensus international.

4.16 A l’heure actuelle, il n’y pas grand chose qu’un pays puisse faire en application de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) si les importations d’un pays où les normes PMP sont moins strictes (contrairement aux normes de produits) se révèlent préjudiciables à la compétitivité de l’agriculture nationale sur laquelle pèsent des coûts de protection de l’environnement supérieurs, sauf lorsqu’il est établi que ces normes ont nui à la qualité ou à l’aptitude à l’usage du produit importé. Certains pays préconisent de modifier ces règles pour ramener plus complètement les normes PMP (même lorsque les caractéristiques du produit ne sont pas en cause) dans le champ d’application de l’Accord relatif aux obstacles techniques au commerce. Selon eux, cela permettrait d’imposer des restrictions aux importations provenant de pays qui adoptent des normes laxistes ou moins strictes et encourageraient ainsi indirectement le durcissement des normes dans les pays exportateurs. Les normes exigeant un étiquetage écologique sont également sources de préoccupation pour les pays exportateurs, même si elles sont susceptibles d’aider de nombreux pays en développement à tourner, à leur avantage, la sensibilité des marchés des pays développés aux problèmes écologiques, ce qui permettrait par exemple aux producteurs de fibres d’exploiter les avantages que présentent les fibres naturelles par rapport aux fibres synthétiques du point de vue de l’environnement.

4.17 En général, les mesures commerciales adoptées pour atteindre des objectifs écologiques ne s’attaquent pas à la cause réelle du problème écologique, même si elles semblent souvent préférables parce que faciles à appliquer et à gérer. La capacité des accords issus du Cycle d’Uruguay de désamorcer les différends entre les pays et éviter les tensions commerciales découlant de la confrontation entre les échanges commerciaux et les intérêts écologiques sera durement mise à l’épreuve dans les années à venir.


5. Un nouveau contexte pour la sécurité alimentaire

5.1 Pour les pays qui tirent leurs ressources du commerce agricole (qu’ils soient exportateurs ou importateurs), c’est dans le cadre des perspectives de croissance du commerce mondial qu’il s’agit d’évaluer les implications du développement du commerce agricole et des mesures qui le régissent, au niveau de la sécurité alimentaire. L’importance du contexte commercial mondial tient notamment au fait qu’il existe un lien entre commerce et croissance des revenus. Si l’augmentation des volumes échangés ou l’introduction de nouveaux régimes commerciaux déterminent un accroissement des revenus ou une accélération de la croissance, les avantages seront, pour les exportateurs de produits agricoles, une forte augmentation de la demande et, pour les importateurs, une capacité de financement accrue de leurs achats de produits alimentaires. Un régime commercial général plus stable devrait également améliorer la sécurité alimentaire des pays qui commercent en produits agricoles en les rassurant quant au risque que des politiques commerciales arbitraires puissent faire chuter leurs recettes en devises et réduire leur pouvoir d’achat pour l’importation de produits alimentaires.

5.2 Les grandes réformes commerciales et politiques actuelles auront des répercussions considérables dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture et notamment sur la sécurité alimentaire. Bien que l’Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay soit l’exemple le plus récent et le plus remarquable, un processus de réforme des politiques nationales est aussi en cours dans tous les groupes de pays, avec des répercussions sur l’alimentation et l’agriculture.

L’évolution des politiques agricoles nationales

5.3 En sus de la réforme des politiques agricoles déterminée par le Cycle d’Uruguay (qui sera analysée plus loin), de nombreux pays ont mis en route un processus de réforme autonome qui pourrait, dans bien des cas, avoir des effets plus importants encore et qui a, en fait, facilité les réformes commerciales multilatérales. L’économie mondiale de l’alimentation évoluera également sous l’effet de trois autres facteurs: premièrement, les programmes d’ajustement structurel (PAS) engagés par bon nombre de pays en développement; deuxièmement, le passage des pays de l’ex-URSS et d’Europe orientale à une économie de marché; et troisièmement, les pressions budgétaires exercées sur la politique agricole dans les pays développés. L’ajustement à un nouveau régime commercial peut avoir, en soi, des retombées sociales qui doivent être suivies de près et être amorties dans le cas des personnes exposées à l’insécurité alimentaire. Les instruments commerciaux ne sont pas un moyen d’intervention approprié; en revanche, il est souvent indispensable de mettre en place des dispositifs de protection sociale et d’échelonner soigneusement les mesures.

Programmes d’ajustement structurel des pays en développement

5.4 La détérioration de la situation extérieure sous l’effet des bouleversements de la récession mondiale de 1979-1982, la hausse des taux d’intérêt réels et la dégradation des termes de l’échange pour les producteurs de pétrole et de produits de base ont déterminé un important et croissant déficit de la balance des paiements de nombreux pays en développement exportateurs de produits non pétroliers, au moment même où la crise d’endettement réduisait fortement les financements externes de sources privées. Bon nombre de ces pays ont ainsi dû se tourner vers les institutions internationales de financement [Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI)] pour couvrir leurs besoins financiers. Celles-ci ont octroyé des prêts sous condition d’un ensemble de réformes politiques ayant pour objectifs la stabilisation macroéconomique et l’ajustement structurel; en outre, on reconnaît actuellement que, dans bien des cas, un dispositif efficient de protection sociale est un élément essentiel de ces programmes.

5.5 Au sein des PAS, la place réservée à l’agriculture varie considérablement d’une région en développement à l’autre. Ainsi, des 36 prêts accordés entre 1980 et 1987 à l’Afrique australe, centrale et orientale, 80 pour cent étaient assortis de conditions concernant la politique agricole. En revanche, dans d’autres pays en développement, le pourcentage des prêts accordés sous cette condition n’a été pendant la même période que de 33 pour cent (sur un total de 46 prêts) (Knudsen et Nash, 1991). En général, les conditions à remplir en matière de politique agricole étaient les suivantes: des changements dans le régime des prix, une réforme des institutions et une nouvelle politique macroéconomique. Pour ce qui concerne les prix, il a été demandé aux pays de rapprocher les prix à la production des cours mondiaux et de modifier leurs mécanismes de fixation des prix. Les prix des intrants ont également été relevés. Bon nombre des prêts octroyés ont demandé une certaine libéralisation des échanges; ainsi, la concession de certains prêts a été liée par exemple à la suppression ou à la réduction des limitations à l’exportation ou des droits de sortie, et parfois à une réduction des barrières à l’importation. Sur le plan institutionnel, on leur a souvent demandé de relâcher dans une certaine mesure le monopole des offices nationaux de commercialisation, de prendre des mesures pour réorganiser les entreprises publiques en vue d’améliorer leur efficacité et de libéraliser le marché intérieur. Enfin, la plupart des programmes d’ajustement agricole ont demandé une certaine réforme des mécanismes de change, et le plus souvent d’accélérer les dévaluations (Knudsen et Nash, 1991).

5.6 Il s’agissait, au travers de ces réformes, de stimuler la production agricole. Leur véritable impact à ce jour est plus difficile à évaluer. Et cela pour plusieurs raisons: bon nombre de ces réformes sont encore relativement récentes; les gouvernements ne se sont pas toujours engagés à fond dans ces réformes, aussi le secteur privé, dont le rôle est important, a-t-il répondu de façon hésitante et limitée; et la révision de la politique des prix et les réformes institutionnelles ne sont qu’un élément d’un tout et doivent s’accompagner d’investissements publics importants dans le domaine des réseaux routiers, des systèmes d’irrigation et des services de recherche et de vulgarisation. Or, la réduction des dépenses publiques ayant souvent été faite au détriment des investissements agricoles, les résultats attendus au niveau de l’offre ont été très limités. Il semble également que les PAS aient aggravé la position des petits exploitants et des producteurs de denrées vivrières de base, par rapport aux grands producteurs (cultures de rapport) (Alamgir et Agora, 1991). L’inverse a également été constaté chez les petits producteurs de cultures d’exportation non traditionnelles en Amérique latine (Josling, 1995).

Transition vers les mécanismes du marché dans les anciens pays à économie planifiée

5.7 Les réformes engagées dans les économies en transition pourraient avoir des effets particulièrement sensibles sur les marchés mondiaux. Au cours des 20 dernières années, la distorsion des prix, les gaspillages et la faible croissance de la productivité ont fait de plusieurs de ces pays de grands importateurs nets de produits alimentaires. Les importations nettes ont continué d’augmenter pendant les premières années de la réforme, d’une part, en raison d’un rétrécissement important des marges en agriculture et, d’autre part, à cause du dérèglement de la production agricole dû aux bouleversements politiques et institutionnels. La production agricole devrait toutefois enregistrer une reprise, à mesure que ces économies se stabiliseront, avec une augmentation du taux de couverture des besoins. Partant de l’hypothèse qu’en l’an 2010 les revenus par habitant auront atteint leurs niveaux d’avant la réforme, l’étude WAT2010 prévoit dans les économies en transition (sur la base des niveaux enregistrés en 1988-1990 avant la réforme) une croissance de la production de 0,7 pour cent par an (la croissance sera supérieure pour atteindre cet objectif, si l’on se base sur les niveaux de 1995) contre une augmentation de 0,2 pour cent de la consommation (FAO, 1995a). Toutefois, beaucoup d’incertitude règne encore quant au succès des efforts de réforme, en particulier dans l’ex-URSS, de même que l’on ne sait comment ces réformes progresseront, une fois engagées.

Pressions budgétaires dans les pays développés

5.8 Dans les deux principaux exportateurs de produits alimentaires, Etats-Unis et Communauté européenne, la politique agricole s’est heurtée à des difficultés en raison des charges budgétaires qu’elle comporte. Aux Etats-Unis, la Loi agricole de 1990 a bloqué les prix cibles pendant cinq ans, tout en accordant aux agriculteurs une plus grande souplesse en matière de semis, accrue par la suite, en 1993, dans le cadre notamment des programmes 0/92 et 50/92. Dans le cadre du nouveau projet de loi agricole, les dépenses relatives aux programmes agricoles seront à nouveau réduites et la liberté de choix des exploitants quant aux cultures sera encore élargie. De plus, les superficies actuellement mises en réserve conformément au Programme de conservation pourront à nouveau être cultivées. Ces changements réduiront la capacité du gouvernement de contrôler l’offre des produits concernés par le programme, du fait de l’affaiblissement du programme, déterminant une plus forte influence des mécanismes du marché sur les prix. Les prix aux producteurs de diverses denrées risquent également de fléchir. Dans la Communauté européenne, les dépenses agricoles sont limitées jusqu’en 1999 par une directive financière approuvée par le Conseil européen et le Parlement européen.

Le Cycle d’Uruguay et la croissance des revenus

5.9 L’Acte final des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay a déterminé des changements très importants dans les principes qui régissent les échanges mondiaux de biens et de services, en particulier pour ce qui concerne l’agriculture qui, comme on vient de le voir, occupe pour la première fois une place importante dans ces négociations. Le processus de libéralisation est de type dynamique puisque de nouvelles négociations démarreront en 1999 en vue d’une ultérieure libéralisation des échanges, dans le secteur de l’agriculture et des services notamment. Il est possible que, dans certains cas, la réforme des politiques commerciales nationales, surtout dans les pays en développement, soit plus rapide que comme il est spécifié dans les listes des engagements au titre du Cycle d’Uruguay, qui établissent des niveaux maximaux de protection ou des possibilités minimales d’accès. En outre, en raison de l’intérêt croissant pour de nouvelles associations commerciales à caractère régional12 ayant l’ambitieux objectif de libéraliser les échanges intrarégionaux, sur certains courants d’échanges la réduction des barrières sera également plus rapide que prévu dans l’Acte final.

5.10 Au cours des années, on a souvent cherché à mesurer l’impact de la libéralisation des échanges sur le revenu mondial. Ces derniers temps, toute la documentation dans ce domaine a été axée sur le Cycle d’Uruguay, notamment pour tenter d’évaluer les effets de la libéralisation dans tous les secteurs de l’économie touchés de façon significative par ces négociations.

5.11 Les études qui modélisent l’impact du Cycle d’Uruguay ne couvrent que certaines composantes de l’Accord final, généralement celles qui se prêtent le mieux à une quantification. Il s’agit notamment de l’Accord sur l’agriculture, des réformes concernant l’accès aux marchés des produits finis et industriels et de l’élimination progressive de l’Arrangement concernant le commerce international des textiles (AMF)13. Le tableau 2 présente sous une forme synthétique les résultats de deux études qui évaluent de façon détaillée les effets de revenu de ces trois composantes de l’Accord final, à partir de modèles d’équilibre général. Les effets de revenu sont mesurés dans le cadre de divers scénarios, selon des modèles qui ont des caractéristiques distinctes en ce qui concerne la structure concurrentielle, les rendements d’échelle et les règles de clôture financière. Les résultats mettent en évidence un degré de sensibilité relativement élevé des effets de revenu à ces hypothèses, qui demande à son tour une interprétation prudente des résultats. L’impact du Cycle d’Uruguay (ou pour être plus précis, des trois composantes susmentionnées, incorporées dans les modèles) sur le revenu global représente entre 0,17 pour cent (soit environ 40 milliards de dollars EU) du PIB de 1992 qui est la période de référence, et 0,94 pour cent (quelque 215 milliards de dollars EU) pour l’un des modèles, et entre 0,41 pour cent (environ 94 milliards de dollars EU) et 0,75 pour cent (172 milliards de dollars EU) pour l’autre modèle considéré. Ainsi, malgré la difficulté de modéliser des accords aussi complexes, l’écart dans les effets de revenu global estimé par ces deux modèles d’équilibre général n’est pas très important, si l’on considère qu’en 1992 le PIB mondial était de quelque 23 000 milliards de dollars EU. Les deux modèles mettent également en évidence une incidence relativement importante du Cycle d’Uruguay dans les régions en développement, en particulier en Asie orientale et méridionale. Les deux modèles semblent en désaccord lorsqu’il s’agit de l’effet de revenu estimé pour l’Afrique. Si pour l’un des modèles cette région tire avantage des accords (modélisés) du Cycle d’Uruguay, l’autre modèle conclut régulièrement à des effets négatifs. Il y a donc lieu d’approfondir l’analyse dans ce domaine, notamment pour identifier les sources de perte et de gain pour les différentes régions.

Tableau 2: Estimation de l’effet de revenu du Cycle d’Uruguay

5.12 Dans l’ensemble, il faut souligner une limitation importante lorsqu’il s’agit de quantifier les incidences du Cycle d’Uruguay. L’évaluation des effets positifs de l’ouverture des marchés pour les marchandises, sur les échanges et les revenus, sous-estime le véritable impact du Cycle d’Uruguay sur le commerce mondial et les revenus. En premier lieu, plusieurs des effets dynamiques possibles, dont parle la littérature économique, n’ont pas été considérés. Ensuite, les estimations supposent implicitement que les relations commerciales et la confiance des chefs d’entreprise n’auraient pas été modifiées si les négociations du Cycle d’Uruguay avaient échoué. Or, selon de nombreux observateurs, un échec de ces négociations aurait déterminé une dégradation très nette des relations commerciales pendant une longue période à venir et retardé la reprise économique mondiale. Il fallait donc que la comptabilisation intégrale des avantages dérivant de l’aboutissement des négociations du Cycle d’Uruguay tienne compte des pertes au niveau des échanges et du revenu qui ont ainsi pu être évitées. Enfin, et c’est à bien des égards l’élément le plus important, les estimations ne considèrent que la libéralisation des échanges de marchandises, ignorant tous les autres résultats du Cycle d’Uruguay. Les modèles n’ont pas cherché à inclure l’impact bénéfique des règles, procédures et institutions ainsi renforcées – notamment des engagements concernant l’accès aux marchés et des règles régissant les services de l’Accord général sur le commerce des services – sur les 45 000 milliards de dollars EU et plus que représente le commerce actuel mondial de biens et de services.

5.13 Indépendamment de l’ampleur de l’impact du Cycle d’Uruguay, il se produit également une importante redistribution des revenus tant entre les pays qu’à l’intérieur des pays, qui a des répercussions sensibles sur les revenus des ménages et donc sur la sécurité alimentaire. La CNUCED estime que le Cycle d’Uruguay déterminera au bout du compte une légère réduction de la pauvreté absolue (1,4 pour cent), malgré les effets positifs et négatifs qui seront enregistrés au niveau des régions comme des groupes à l’intérieur des pays (CNUCED, 1995b)14.

5.14 Enfin, la perte des marges préférentielles représente pour certains pays un point sensible. La CNUCED a calculé que la perte de ces marges dans le cadre du Système généralisé de préférences (SGP) est d’environ 40 pour cent pour la CE et le Japon (avec toutefois un pourcentage bien inférieur, de près de 20 pour cent, pour les produits textiles dans la CE), de 50 pour cent pour les Etats-Unis et de près de 100 pour cent pour le Canada. Les pays dont l’avantage compétitif dérivait, par exemple, des contingentements établis par l’AMF pourraient également perdre les rentes économiques qui en découlaient. Sur le plan régional, l’Asie et l’Amérique latine sont les régions qui devraient tirer le plus d’avantages des nouvelles opportunités de marché, tandis que la situation économique des Caraïbes et de l’Afrique subsaharienne pourrait en souffrir. Si la Chine et l’Inde augmentent sensiblement leurs parts du marché mondial pour ce qui concerne le secteur de la confection et autres industries d’exportation à forte intensité de main-d’œuvre, sachant que près de la moitié des populations en état de pauvreté absolue de la planète vivent dans ces deux pays, les avantages considérables que ces pays en tireront feront passer au second plan tous les autres effets sur la pauvreté qui pourront être enregistrés dans d’autres pays en développement (CNUCED, 1995b).

L’Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay

5.15 Les principaux éléments de l’Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay (l’Accord ou ASA) sont récapitulés dans le tableau 3. Cet Accord porte sur l’accès aux marchés, les mesures internes de soutien, les aides à l’exportation et les mesures d’interdiction et de restriction des exportations, et apporte des modifications importantes aux principes qui régissent ces divers domaines. L’Accord du Cycle d’Uruguay relatif aux mesures sanitaires et phytosanitaires introduit de nouvelles réglementations dans ce secteur à l’importance croissante et vise à réduire au minimum les effets discriminatoires et défavorables de ces mesures sur le commerce. Un traitement spécial et différencié a été réservé aux pays en développement, consistant en des obligations moins sévères concernant la réduction des mesures internes de soutien et des aides à l’exportation, avec des délais d’exécution plus longs, et prévoyant également un abaissement plus important des tarifs douaniers portant sur les produits agricoles tropicaux. Ces obligations n’ont pas été étendues aux pays les moins développés. La Décision relative aux mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays importateurs nets de produits alimentaires du Cycle d’Uruguay a voulu apporter une réponse aux problèmes spécifiques de ces pays.

5.16 Les dispositions et les obligations concernant les mesures intérieures de soutien ont essentiellement pour but d’unifier au niveau international les nouvelles orientations politiques intérieures et d’encourager un passage progressif à des mesures intérieures qui faussent moins les échanges et n’aient pas à être réduites. Initialement, il serait possible de transférer l’aide d’une catégorie de marchandise à une autre, au titre de ces engagements en matière de soutien interne sectoriel ou général. Les dispositions de l’Article 13 de l’ASA (la clause de «paix») apporteront toutefois des limites à la possibilité de procéder à de telles réorientations, parce que, si les mesures de soutien concernant un produit spécifique sont portées à un niveau supérieur à celui décidé en 1992, les aides ainsi fournies constitueront une infraction aux dispositions du GATT 1994 et de l’Accord de l’OMC relatif aux subventions. Les pays en développement membres bénéficient d’exemptions particulières concernant les aides aux investissements et à l’achat d’intrants, notamment pour encourager la diversification de la production en remplacement des cultures de plantes narcotiques illicites, au profit d’autres cultures. Dans l’ensemble, les mesures internes de soutien susceptibles de fausser le commerce seront réduites, passant de 197 à 162 milliards de dollars EU, principalement dans les pays développés.

5.17 Les aides à l’exportation font l’objet d’engagements de réduction et des nouvelles dispositions qui interdisent aux membres de l’OMC de subventionner les exportations de produits agricoles ne faisant pas l’objet de tels engagements. Les pays membres en développement bénéficient d’une exemption temporaire de ces obligations pour certaines subventions à la commercialisation et au transport. Dans l’ensemble, les dépenses relatives aux aides à l’exportation devront être réduites pour passer de 22,5 à 14,5 milliards de dollars. Ces nouvelles règles et obligations devraient garantir que les parts de marché des produits concernés (principalement dans les zones tempérées) soient déterminées de façon croissante par la capacité concurrentielle des pays plutôt que par leur capacité de financer les subventions à l’exportation.

5.18 Les nouvelles règles et les engagements négociés concernant la protection des importations, ainsi que les engagements contraignants pris pour la quasi-totalité des droits de douane agricoles, représentent une étape importante et sans précédent vers la libéralisation systématique des échanges en agriculture, en termes à la fois de meilleures conditions de concurrence et de débouchés commerciaux. Conformément à ces nouvelles règles, la protection des frontières passerait uniquement à travers les droits de douane15. Les mesures de protection des frontières, telles que les restrictions quantitatives et les prélèvements variables, sont désormais formellement interdites, avec deux exceptions à durée limitée pour des produits spécifiques (généralement le riz) concernant quatre pays. Les mesures appliquées conformément à des dispositions générales de l’OMC ne concernant pas spécifiquement l’agriculture, comme celles qui sont prises pour des questions de balance des paiements, ne sont pas affectées par cette nouvelle règle.

Tableau 3: Récapitulatif des principales dispositions de l’Accord sur l’agriculture (ASA) du Cycle d’Uruguay

5.19 Les dispositions de l’ASA et la décision ministérielle concernant les pays les moins avancés et importateurs nets de produits alimentaires qui s’y rapporte répondent également à un certain nombre de problèmes considérés au cours des négociations.

5.20 La décision ministérielle visait en premier lieu à apporter une réponse aux problèmes spécifiques des pays les moins avancés et des pays importateurs nets de produits alimentaires, sachant que, si d’un côté il est probable que la mise en application des résultats du Cycle d’Uruguay dans leur ensemble élargisse les possibilités d’échange et favorise la croissance économique, et ce pour tous les participants, en revanche, l’exécution du programme de libéralisation des échanges en agriculture pourrait avoir des effets négatifs pour ces pays. A cet égard, les ministres ont fait spécifiquement mention de la nécessité d’un approvisionnement adéquat en denrées alimentaires de base provenant de sources extérieures selon des modalités raisonnables, ainsi que des difficultés à court terme que pose le financement d’un volume normal d’importations commerciales de produits alimentaires. La décision ministérielle contient une série de dispositions relatives à ces divers aspects, concernant notamment les crédits à l’exportation, l’assistance technique à l’agriculture et l’accès aux ressources des institutions financières internationales ou aux facilités de financement qui pourraient être mis en place. En outre, les ministres sont convenus de réviser le niveau de l’aide alimentaire fixé périodiquement dans le cadre de la Convention relative à l’aide alimentaire, et d’engager des négociations dans le cadre approprié pour fixer un niveau d’engagements en matière d’aide alimentaire qui soit suffisant pour répondre aux besoins légitimes des pays en développement pendant le programme de réforme; et enfin, d’adopter des règles de conduite afin qu’une proportion croissante de produits alimentaires de base soit assurée aux pays les moins avancés et aux pays importateurs nets de produits vivriers sous forme de dons et/ou selon des modalités appropriées.

5.21 La décision fera l’objet d’un contrôle régulier de la part de la Conférence ministérielle de l’OMC, le suivi étant assuré par le Comité de l’agriculture de cette Organisation. Pour faciliter ce rôle d’observation, ce dernier a défini en juin 1995 des modalités de notification. En mars 1996, le Comité de l’agriculture a dressé une liste des pays importateurs nets de produits alimentaires conformément à la décision. Un programme de travail préliminaire a aussi été préparé pour l’examen en 1996 des volumes d’aide alimentaire et des principes qui la régissent.

5.22 Les dispositions de l’Article concernant les prohibitions et restrictions (quantitatives) répondent à un autre souci, celui des effets que la réforme et la libéralisation du commerce agricole pourraient avoir pour la sécurité alimentaire des pays. Les nouveaux règlements demandent spécifiquement aux pays membres de l’OMC qui adoptent des mesures d’interdiction ou de restriction à l’exportation pour prévenir ou alléger de graves pénuries alimentaires, de prêter attention aux effets de ces mesures sur la sécurité alimentaire des pays membres importateurs. Plus précisément, les pays membres qui prennent ce type de mesures sont tenus d’en notifier par avance et en détail le Comité de l’agriculture de l’OMC et de consulter, à la demande, tout autre pays membre ayant des intérêts sérieux en tant qu’importateur. Pour les pays en développement, ces dispositions ne concernent que les pays membres de l’OMC, exportateurs nets des produits alimentaires concernés.

5.23 Le problème des fluctuations monétaires et de prix lors de l’établissement d’un régime tarifaire est également considéré dans les dispositions de l’ASA concernant l’utilisation de la clause de sauvegarde spéciale. Lorsque cela a été expressément prévu dans le programme d’engagements d’un membre (droit réservé aux membres qui instauraient un régime tarifaire), il est possible de recourir à cette clause pour imposer des droits supplémentaires (à l’exclusion des importations soumises aux contingents tarifaires actuels ou minimums) pour compenser partiellement le fléchissement du prix des importations en dessous de certains seuils de déclenchement. La clause de sauvegarde spéciale peut également être utilisée en cas de progression trop soudaine des importations. Dans l’ensemble, cette clause, qui ne devrait pas être appliquée conjointement avec les dispositions générales de sauvegarde du GATT 1994, est applicable à environ 15 pour cent du total des positions tarifaires agricoles, essentiellement des pays développés.

5.24 L’Accord représente dans l’ensemble une amélioration importante des conditions de concurrence qui régissent le commerce agricole. Les nouvelles règles ne constituent pas de simples améliorations systémiques. Concrètement, la qualité des concessions commerciales et autres engagements en sera accrue. Les nouvelles règles qui interdisent les aides à l’exportation ne faisant pas l’objet d’engagements de réduction spécifiques, de même que les mesures de protection non tarifaires, sont déjà entrées en application et auront des effets favorables sur les conditions de concurrence dans le commerce de tous les produits agricoles. De plus, ces règles et réglementations nouvelles, qui s’adressent à tous les pays membres de l’OMC, sont renforcées par les nouveaux arrangements de l’OMC concernant le règlement des différends et la mise en application effective des décisions prises, par des commissions et par le nouvel organe d’appel de l’OMC.

5.25 L’Accord relatif aux mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) est étroitement lié à l’Accord sur l’agriculture. Il reconnaît aux gouvernements le droit de prendre des mesures sanitaires et phytosanitaires, qui ne devraient toutefois être appliquées que dans la mesure nécessaire pour protéger la vie ou la santé humaine, animale ou végétale, et sans faire de distinctions arbitraires ou injustifiées entre les pays membres dans des conditions identiques ou similaires.

5.26 Pour favoriser l’emploi le plus large possible de mesures sanitaires et phytosanitaires harmonisées, les pays membres sont encouragés à appuyer leurs mesures sur les normes, les recommandations et les principes internationaux existants. Ils peuvent toutefois maintenir ou introduire des mesures répondant à des standards plus élevés si cela est justifié sur le plan scientifique ou en conséquence de décisions cohérentes basées sur une évaluation adéquate des risques. Le SPS décrit les procédures à suivre et les critères à adopter pour évaluer les risques et déterminer les niveaux de protection sanitaire ou phytosanitaire appropriés.

Incidences du Cycle d’Uruguay

5.27 Ces changements d’orientation ont une incidence sur l’ampleur et la stabilité du marché mondial des produits alimentaires, ainsi que sur le cours des denrées. Etant donné que, d’un côté, les pays développés, en général, subventionnent et que, de l’autre, les pays en développement taxent souvent leurs secteurs agricoles, l’effet net des réformes des politiques sur les marchés mondiaux est ambigu. Les réglementations du Cycle d’Uruguay pèsent plus lourdement sur les pays développés, mais des programmes d’ajustement structurel sont mis en route simultanément dans les pays en développement.

Effets sur les échanges et sur les cours mondiaux

5.28 Sachant qu’il est difficile de modéliser les résultats du Cycle d’Uruguay (certaines dispositions, notamment l’amélioration des règlements commerciaux, ne pouvant être mesurées, ni même, comme c’est le cas des changements introduits dans le secteur des services, modélisées), le tableau 4 récapitule les répercussions probables du Cycle d’Uruguay sur les cours mondiaux.

Les exportations de blé des pays développés devraient fléchir alors que les importations augmenteront (la hausse prévue en Europe occidentale n’étant que partiellement compensée par une diminution des importations de blé fourrager de la part des républiques de l’ex-URSS et des pays d’Europe orientale). Sous l’effet du Cycle d’Uruguay, les cours du blé devraient ainsi progresser de 6 à 7 pour cent d’ici l’an 2000 tandis que les pays en développement seront incités à augmenter leur production céréalière pour faire face à leurs propres besoins.

Le Cycle d’Uruguay devrait avoir une influence sensible sur le marché du riz à cause de la réduction des exportations subventionnées de riz des pays développés et de l’ouverture de marchés précédemment fermés. Le volume global des échanges devrait augmenter de 1,2 million de tonnes avec une progression de 4 à 7 pour cent des cours du riz sur le marché mondial, par rapport au niveau qui aurait été atteint sans accord commercial.

Toujours en conséquence du Cycle d’Uruguay, on devrait enregistrer une légère amplification des importations et des exportations de céréales secondaires, et ce aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Malgré une progression limitée du volume global des échanges, le prix des céréales secondaires devrait augmenter de 4 à 7 pour cent.

Pour ce qui est des produits oléagineux, le Cycle d’Uruguay devrait déterminer une croissance de la demande d’importations dans les pays en développement, notamment en Extrême-Orient, Chine comprise, qui sera couverte pour l’essentiel par les pays producteurs à faible coût d’Extrême-Orient et d’Amérique latine.

Les échanges et les prix des tourteaux seront probablement peu affectés.

Le Cycle d’Uruguay devrait entraîner une très légère augmentation du volume global des échanges de viande. On prévoit une progression des importations des pays d’Extrême-Orient, d’Amérique du Nord, d’Europe orientale et de l’ex-URSS, ainsi que du Japon, tandis que l’ouverture des marchés sera favorable principalement aux pays d’Amérique latine, d’Amérique du Nord et d’Océanie. A cause notamment des engagements concernant la réduction des exportations subventionnées, la FAO prévoit une hausse des cours mondiaux de la viande de l’ordre de 8 à 10 pour cent, bien que les projections Banque mondiale/OCDE soient sensiblement inférieures (3 à 6 pour cent).

Le commerce global de lait ne devrait pas enregistrer de variations notables sous l’effet de l’ASA, malgré une certaine redistribution des courants d’échanges au niveau régional. La réduction du volume des exportations subventionnées autorisées dans plusieurs pays développés sera compensée par une augmentation des exportations en provenance d’Océanie, tandis que les importations des pays développés pourraient progresser sous l’effet des dispositions de l’ASA relatives à l’accès minimum. On prévoit dans l’ensemble une hausse des cours du lait de l’ordre de 7 à 10 pour cent.

Tableau 4: évolution des prix des produits agricoles sur le marché mondial sous l’effet du Cycle d’Uruguay (variation en pourcentage par rapport aux niveaux de référence à la fin de la période de mise en œuvre)1

5.29 Ces changements devraient déterminer une progression du coût global des importations de produits alimentaires des pays en développement, qui passerait des 40 milliards de dollars EU enregistrés en 1987-1989 à 65 milliards de dollars EU d’ici l’an 2000, 3,6 milliards de dollars EU (15 pour cent) étant imputables au Cycle d’Uruguay (rappelons à ce propos les avertissements précédents concernant toutes ces projections). Le coût des importations alimentaires des pays à faible revenu et à déficit vivrier devrait augmenter globalement de 10 milliards de dollars EU, dont quelque 14 pour cent pourrait être attribuable au Cycle d’Uruguay.

Stabilité des prix

5.30 Les effets du Cycle d’Uruguay sur le bien-être, indiqués plus haut, et notamment ceux de la libéralisation des échanges agricoles, peuvent ne pas être les mêmes pour les importateurs et pour les exportateurs de produits agricoles, selon l’importance des effets des termes de l’échange, mais une plus grande stabilité globale des prix est bénéfique à tous les pays. Le Cycle d’Uruguay aura, à trois égards au moins, une influence sur la stabilité des prix. Il y aura un déplacement de la production des régions où le subventionnement est important vers celles où celui-ci est faible, avec des probabilités de variabilité de la production différentes. Même si les régions à faible subventionnement enregistrent des fluctuations de production plus importantes, l’instabilité globale pourrait être inférieure si ces fluctuations sont moins corrélées entre elles. Les recherches empiriques faites dans ce domaine sont rares et l’histoire peut être un guide imparfait si l’adoption de nouvelles technologies dans les régions à faible subventionnement pour répondre à la hausse des prix altère le degré de variabilité de la production dans ces régions.

5.31 Le Cycle d’Uruguay aura également une influence sur la stabilité des cours mondiaux à travers le processus d’instauration d’un régime tarifaire. Si, dans tous les pays, la sensibilité des prix aux changements intervenant dans les conditions du marché mondial augmente, en revanche l’ampleur des variations nécessaires dans les cours mondiaux pour répondre aux chocs sur l’offre et la demande risque d’être réduite16. Désormais, les droits de douane portant sur les produits agricoles font pour la plupart l’objet d’engagements contraignants, mais les pays ont néanmoins la possibilité de les réduire à tout moment. Ce qui leur permet d’atténuer les effets des fluctuations des cours mondiaux sur l’économie nationale, en appliquant par exemple une échelle tarifaire mobile, dans la limite des niveaux consolidés à ne pas dépasser17. Lorsque les mesures non tarifaires ont été remplacées par des tarifs douaniers et que les pays membres de l’OMC se sont réservé le droit d’invoquer la clause de sauvegarde spéciale, en l’indiquant dans leur programme d’engagements, le recours à cette clause pourrait également réduire la sensibilité des importations à un fléchissement important des cours mondiaux.

5.32 Le Cycle d’Uruguay pourra également influer sur le degré d’instabilité des cours mondiaux par le biais de mesures d’incitation nouvelles en matière de détention de stocks. En raison de la réduction des interventions sur le marché, notamment par les exportateurs des pays développés, l’accumulation de stocks gouvernementaux n’aura probablement pas, à l’avenir, la même ampleur que par le passé, ce qui devrait déterminer une diminution des stocks mondiaux. Cette réduction signifie un amoindrissement de la capacité mondiale d’amortissement des ajustements de la consommation aux variations de production. Toutefois, la réduction des stocks publics dans les pays développés encouragera un accroissement des stocks privés et stimulera la constitution de stocks gouvernementaux de la part des importateurs des pays en développement, puisque l’ASA continue d’autoriser les achats publics de stocks de sécurité alimentaire. Même si la substitution des stocks publics par des stocks privés n’est pas totale, la réduction du niveau des stocks mondiaux, détenus dans une plus grande proportion par le secteur privé, pourrait contribuer de la même façon à la stabilité si les stocks privés sont plus sensibles que les stocks gouvernementaux aux fluctuations du marché mondial. Tout bien considéré, la stabilité des prix de la plupart des denrées devrait s’améliorer, tandis que celle du cours des céréales et de certains produits animaux pourrait se détériorer.

5.33 Un autre effet, plus général, est la fréquente association de la libéralisation des échanges et de la suppression des barrières aux mouvements internationaux de capitaux. Ces derniers ont maintenant des liens bien moins étroits avec les échanges sous-jacents de marchandises, et sont bien plus sensibles aux évaluations spéculatives concernant les taux de rendement actifs sur différents marchés. Les flux internationaux de capitaux sont donc beaucoup plus instables. Un changement soudain dans les préférences des investisseurs, comme cela s’est produit récemment dans certains pays d’Amérique latine, peut rendre nécessaires des variations importantes au niveau des taux de change dans un pays, avec un effet d’entraînement sur les prix intérieurs des produits importés, denrées alimentaires comprises. Ces chocs monétaires pourraient, à l’avenir, avoir des répercussions bien plus importantes que celles des marchés des produits alimentaires.

L’avenir de l’aide alimentaire

5.34 L’aide alimentaire18 contribue de façon importante à la sécurité alimentaire, en fournissant un secours dans les situations d’urgence alimentaire et en complétant les importations des pays à court de devises. Il s’agit essentiellement de céréales, même si une place importante revient à certains produits non céréaliers comme le lait en poudre et l’huile végétale. La part occupée par l’aide alimentaire dans les importations céréalières totales du monde en développement a diminué. Ces dernières années, elle ne représentait plus que 10 pour cent des importations de céréales des pays en développement, contre les 20 à 25 pour cent enregistrés au début des années 70. L’aide alimentaire reste néanmoins, pour un grand nombre de pays, une source fondamentale de produits vivriers d’importation. A la fin des années 80, l’aide alimentaire fournie à plus de 40 pays bénéficiaires représentait plus de 40 pour cent des importations céréalières totales de ces pays.

5.35 Les conséquences du Cycle d’Uruguay pour les flux d’aide alimentaire sont importantes pour les pays en situation d’insécurité alimentaire qui dépendent étroitement des livraisons d’aide alimentaire. Aux termes de l’ASA, l’interdiction de subventionner les exportations ou les engagements concernant la réduction des aides à l’exportation ne s’appliquent pas à l’aide alimentaire authentique, aussi toute éventuelle répercussion sur les flux d’aide alimentaire est-elle indirecte. Dans le passé, ces derniers étaient liés dans une grande mesure à l’écoulement des excédents de production des pays exportateurs de produits alimentaires. Considérant la réduction de l’intervention de l’Etat sur les marchés agricoles et, notamment, la diminution des stocks publics dans les pays exportateurs, il se pourrait que les pays donateurs soient moins disposés à fournir une aide alimentaire en nature. D’un autre côté, maintenant qu’il existe de sévères limites au volume des exportations subventionnées, l’aide alimentaire pourrait être une solution plus intéressante pour les pays qui ont des difficultés à écouler leurs excédents. Tout bien considéré, le Cycle d’Uruguay ne devrait pas affecter outre mesure les flux d’aide alimentaire. Toutefois, si les donateurs sont encore disposés à aider les pays en leur fournissant une aide alimentaire, une solution efficace pourrait être de fournir des fonds pour des opérations triangulaires d’aide alimentaire. Il sera ainsi possible d’apporter une réponse plus précise aux besoins alimentaires spécifiques des pays bénéficiaires tout en stimulant les échanges Sud-Sud.

5.36 A l’avenir, le volume de l’aide alimentaire dépendra plus largement de l’idée que le grand public se fera, dans les pays donateurs, de l’utilité et de la valeur de cette aide. Le nombre des populations affectées par des catastrophes et nécessitant une aide d’urgence a fortement augmenté au cours de la dernière décennie. Les besoins d’aide alimentaire transitoire et d’urgence sont donc probablement destinés à augmenter. Le volume minimum garanti d’aide alimentaire aux termes de la Convention relative à l’aide alimentaire (CAA) a été récemment réduit et porté de 7,4 à 5,3 millions de tonnes par an, à partir du 1er juillet 1995, pour les trois prochaines années. Même si les livraisons d’aide alimentaire ont été en fait supérieures au seuil minimum fixé par la CAA et à l’objectif des 10 millions de tonnes de céréales par an qui avait été établi par la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974 pour la décennie passée, cet abaissement pourrait être le signe que les donateurs ont l’intention de réduire les programmes et projets d’aide alimentaire au cours des prochaines années.

Débouchés extérieurs

5.37 Bien que le Cycle d’Uruguay ne constitue qu’une libéralisation partielle du commerce agricole et que la croissance des échanges ne profitera pas de la même façon à tous les pays, des possibilités sont encore offertes à tous. Pour ce qui est des produits placés sous régime tarifaire, les principaux débouchés devraient naître à court terme des conditions négociées concernant les contingents et les concessions tarifaires. Comme on l’a vu, les produits tarifés ne représentent que 15 pour cent environ de l’ensemble des positions tarifaires agricoles et il s’agit le plus souvent de produits agricoles de base dont le développement commercial a été relativement lent. Les autres positions tarifaires, qui concernent en grande partie des produits industriels et autres denrées de valeur en rapide expansion commerciale, vont pour la plupart être sensiblement réduites et le taux de réduction appliqué sera généralement proche ou supérieur au taux moyen demandé, qui est de 36 pour cent pour les pays développés et de 24 pour cent pour les pays en développement. En outre, les pays développés membres de l’OMC devront appliquer aux produits agricoles tropicaux, pour lesquels les tarifs douaniers sont déjà généralement bas, des réductions de 37 à 52 pour cent, selon les catégories de produits concernées, avec une moyenne de 43 pour cent. Un autre élément important, concernant les nouvelles possibilités d’échanges offertes par le Cycle d’Uruguay, est la consolidation de l’exemption de droits de douane pour environ 14 pour cent de l’ensemble des positions tarifaires agricoles, avec l’introduction d’un plus grand nombre d’exemptions dans divers secteurs commercialement intéressants pour tous les pays en développement (GATT, 1994a). Comme l’ASA le spécifie clairement, le programme de réforme du Cycle d’Uruguay est une première étape vers une plus grande libéralisation et ouverture des échanges dans le secteur de l’agriculture, et de nouvelles négociations seront engagées en 1999. Il y a également eu des changements utiles dans l’escalade des tarifs douaniers (GATT, 1994a). En effet, les tarifs douaniers plus élevés, portant sur les produits subissant une transformation industrielle plus poussée, sont réduits en moyenne de 36 pour cent dans les pays développés, ce qui les rapprochent des taux zéro ou très faibles souvent appliqués aux matières premières. L’effet d’escalade réduit des droits de douane permet d’augmenter (à travers un processus de transformation ultérieure, le conditionnement, etc.) la valeur ajoutée de ce qui autrement aurait été des exportations de matières premières. Il devrait donc y avoir de nouvelles possibilités de diversification verticale. De même, il pourrait y avoir des possibilités de diversification à condition de diversifier les exportations de produits agricoles et autres traditionnels en mettant l’accent sur celles de produits de plus grande valeur comme les fruits (notamment les fruits tropicaux) et légumes frais, en exploitant, par exemple, les différences saisonnières avec les principaux marchés de l’hémisphère nord (diversification horizontale). Enfin, il devrait exister de nouveaux marchés d’exportation non traditionnels (diversification géographique). Par exemple, de nombreux pays d’Afrique ont un système d’exportation eurocentré; ils devraient donc rechercher de façon plus systématique de nouveaux débouchés pour leurs exportations, au sein de la région comme à l’extérieur, vers l’Amérique, l’Asie, etc. Contrairement aux échanges de produits de base, le commerce des produits agricoles de valeur et transformés se développe rapidement, et cet essor global est attribuable aux centaines de créneaux en expansion au niveau régional. Le Cycle d’Uruguay offre aux pays en développement de nouvelles possibilités commerciales dans tous les domaines, de l’agriculture aux minerais, en passant par les produits industriels et les services.

5.38 L’accroissement de la production et des exportations de produits agricoles (mais aussi d’autres biens et services) dans les pays en développement dépend bien évidemment de divers autres facteurs, notamment des politiques menées dans divers domaines: infrastructures (systèmes de transport, réseaux énergétiques, irrigation, etc.); éducation et formation; diffusion d’informations sur les (nouvelles) techniques de production et les variétés de produits; lutte contre les ravageurs et les maladies; contrôle de la qualité; réformes des réglementations nationales (notamment, réforme du système de formation des prix des produits agricoles, réforme du système de distribution, réforme agraire). Ces facteurs, ainsi qu’un meilleur accès aux marchés extérieurs, avec, dans le pays, des politiques commerciales et autres plus appropriées, peuvent contribuer à accroître la productivité, les revenus et l’emploi dans le secteur de l’agriculture et autres, et à surmonter, du moins indirectement, les difficultés qui affectent de façon plus générale la croissance économique et la sécurité alimentaire des pays en développement, en les rendant notamment plus intéressants pour les investissements étrangers directs (transfert de fonds, de compétences et de technologies, circuits de commercialisation), l’aide publique et l’assistance technique, dont l’efficacité sera accrue.

Les inquiétudes des pays en développement

5.39 Certains pays en développement ont craint qu’à cause des restrictions concernant les moyens d’action autorisés pour atteindre les objectifs de politique agricole, il ne leur soit plus difficile à l’avenir d’obtenir les résultats espérés en matière de croissance agricole et de sécurité alimentaire. Certes, le subventionnement direct de la production sera de plus en plus limité et les restrictions quantitatives à l’importation sont désormais interdites, mais rien ne limite par contre les mesures d’investissement public aux fins du développement agricole et rural. L’Accord du Cycle d’Uruguay continue d’autoriser les aides aux investissements et à l’achat d’intrants dans les pays en développement, deux mesures auxquelles ces pays ont souvent recours pour favoriser l’accroissement de la production.

5.40 A bien des égards, les réformes engagées dans le cadre des programmes d’ajustement structurel (PAS) vont largement au-delà des ajustements que les pays sont tenus de faire aux termes de l’Accord du Cycle d’Uruguay. Ces programmes prévoient généralement une réduction plus importante des mesures de protection des frontières. Les subventions à l’achat d’intrants et les programmes de subvention à la consommation alimentaire, autorisés par le Cycle d’Uruguay, doivent souvent être limités dans le cadre des PAS. De plus, ces derniers demandent généralement une dévaluation de la monnaie et des réformes institutionnelles, domaines que l’Accord ne couvre pas. Toutefois, le Cycle d’Uruguay soutient généralement les réformes engagées par les pays en développement et fournit quelques garanties d’accès élargi aux marchés en compensation des risques que ces pays ont pris ou prendront en s’ouvrant au commerce.

5.41 Les bénéfices escomptés de la libéralisation du commerce mondial ne seront pas répartis également entre tous les pays en développement. Les pays à faible revenu et à déficit vivrier, en particulier, redoutent la perte de valeur des préférences et craignent que les nouvelles possibilités de marché ne s’accompagnent de contraintes plus lourdes et que le prix des importations alimentaires augmente. La Décision relative aux mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, intégrée à l’Acte final du Cycle d’Uruguay, répond à ces soucis. Il est nécessaire que cette décision soit rapidement mise en œuvre.

5.42 Malgré les perspectives d’une augmentation des recettes d’exportation, les pays dont la sécurité alimentaire dépend des échanges redoutent essentiellement un effondrement soudain du pouvoir d’achat à l’importation. En pareil cas, la meilleure garantie de pouvoir maintenir le niveau de consommation alimentaire est de détenir des réserves en devises mais, dans bien des pays en développement, ces réserves sont insuffisantes. Un autre moyen de défense est alors un accès aisé à des crédits rapidement mobilisables. L’un des mécanismes disponibles est la Facilité de financement compensatoire et de financement pour imprévus (FFCI) du FMI, qui prévoit notamment l’allocation de crédits à moyen terme pour les importations de céréales. Ces crédits s’ajoutent aux ressources qui peuvent être obtenues à travers d’autres arrangements du FMI. La FFCI a toutefois été peu utilisée, d’une part parce que, depuis l’introduction de la composante céréales au début des années 80, la progression des prix a été relativement moins forte et, d’autre part, parce qu’elle prévoit une période de remboursement plutôt courte et des intérêts aux taux du marché. La balance des paiements des pays à faible revenu peut également être soutenue en vertu d’accords stand-by ou élargis dans le cadre de la Facilité d’ajustement structurel renforcée, qui prévoit des conditions de financement privilégiées. Les accords de financement peuvent prévoir une certaine souplesse en cas de modification imprévue des termes de l’échange avec l’extérieur, comme la hausse du prix des importations de céréales, à travers l’inclusion d’un dispositif d’action conjoncturelle et/ou l’élargissement de l’accès aux crédits.

Perspectives à plus long terme

5.43 Les récentes analyses de la FAO font apparaître à plus long terme un fléchissement constant du taux de couverture des besoins accompagné d’une augmentation globale des besoins d’importation dans les pays en développement, notamment pour ce qui concerne les céréales, entre 1987-1989 (période de référence) et l’an 2010, compensés par un taux d’auto-approvisionnement accru dans les économies en transition et dans les autres pays développés (FAO, 1995a). Les besoins d’importation d’ici l’an 2010 sont le résultat d’une opération qui consiste à soustraire les chiffres prévisionnels relatifs à la production de ceux concernant la consommation, aussi la marge d’erreur est-elle assez grande. Même un écart minime, de l’ordre de 0,1 pour cent, dans le taux de croissance de la production prévu peut, sur 20 ans, déterminer une différence notable dans le niveau prévu des échanges. Certains observateurs prédisent que des courants d’échange bien plus importants seront nécessaires, notamment pour ce qui concerne les céréales (Brown et Kane, 1995). Selon eux, les projections de la FAO sous-estiment les nouvelles contraintes qui pèseront sur la croissance de la production, comme le fait que les technologies encore inutilisées, permettant d’améliorer le rendement des cultures, sont de moins en moins nombreuses, l’affaiblissement des effets d’une fertilisation accrue sur le rendement des céréales, la nécessité de réduire l’irrigation par pompage pour rétablir l’équilibre entre le pompage et la recharge naturelle de l’aquifère, les répercussions de la désagrégation sociale et de l’instabilité politique sur l’agriculture, et l’impact des diverses formes de dégradation de l’environnement sur la production. Si ces contraintes sont effectivement plus fortes que ne le prévoit l’analyse de la FAO, les besoins d’importation des pays en développement seront alors bien plus importants, tout comme les prix à l’importation. Des différences dans ces scénarios de base devraient donc être considérées, lorsque l’on évalue les conséquences de la réforme actuelle du régime international des échanges.

Cont.


Notas

1 Le déclin des termes de l’échange, si l’on exclut le pétrole, a été encore plus fort.

2 En considérant les importations c.a.f. et les exportations f.o.b.

3 Les prix des approvisionnements importés peuvent également être établis à un niveau trop bas dans des pays où le taux de change est surévalué, dans le sens que les ressources employées pour acheter des produits importés auraient pu avoir un rendement plus élevé si on les avait utilisées pour cultiver davantage de produits alimentaires localement.

4 Voir aussi le document du SMA no 13, Sécurité alimentaire et aide alimentaire.

5 Ces études sont examinées dans Edwards, 1993; Greenaway, 1993; Clarke et Kirkpatrick, 1992.

6 On trouve d’intéressantes analyses de bon nombre de ces études dans Greenaway et Reed (1990) et Edwards (1993).

7 Le commerce peut aussi modifier le prix des produits alimentaires, ce qui suppose des modifications des revenus réels, en particulier pour les ménages qui consacrent une part importante de leur revenu à l’achat de vivres.

8 Les subventions ont également aggravé les problèmes d’environnement dans d’autres secteurs, par exemple le secteur de la pêche. Dans les pays développés comme en développement, l’Etat a subventionné la modernisation des flottes de pêche, ce qui a contribué à la surpêche et à la surexploitation des réserves halieutiques vulnérables.

9 Le CCE a, en particulier, pour mandat de formuler des recommandations sur le besoin d’éventuelles modifications des dispositions du système commercial multilatéral qui soient compatibles avec le caractère ouvert, équitable et non discriminatoire du système en ce qui concerne en particulier:

-le besoin de règles qui renforcent l’interaction positive entre le commerce et les mesures écologiques visant à encourager un développement durable, compte tenu tout particulièrement des besoins des pays en développement, notamment les moins avancés;

-la manière d’éviter les mesures commerciales protectionnistes et de mettre en œuvre des disciplines multilatérales efficaces qui permettent au système commercial multilatéral de s’adapter aux objectifs écologiques énoncés dans Action 21 et la Déclaration de Rio, en particulier le Principe 12;

-le suivi des mesures commerciales employées à des fins écologiques, de la dimension commerciale des mesures écologiques ayant un effet appréciable sur le commerce et de la mise en œuvre efficace des disciplines multilatérales régissant ces mesures.

10 D’après Tobey (1991), les pays les moins avancés n’avaient une part du marché supérieure à 20 pour cent que dans trois des cinq cultures qui se trouvaient dans la moitié supérieure de sa liste des cultures les plus polluantes aux Etats-Unis, à savoir le tabac, les arachides et le sorgho.

11 Même si l’Article XX du GATT permet aux pays d’instaurer les barrières commerciales nécessaires pour protéger l’environnement, il s’agit de l’environnement à l’intérieur de leur propre territoire.

12 L’impact à long terme de ces accords régionaux sur le système mondial des échanges a une grande importance. Servent-ils l’intérêt général des partenaires commerciaux qui n’en sont pas partie ou ont-ils au contraire des effets négatifs? Peut-on les considérer comme une rampe de lancement vers des accords multilatéraux plus élargis, ou représentent-ils au contraire une menace pour le régime multilatéral? Puisque les préférences régionales en matière d’échanges, de services et de flux de capitaux impliquent nécessairement une forme de discrimination à l’égard des tiers, les critiques craignent qu’elles ne conduisent à l’éclatement de l’économie mondiale en blocs économiques protectionnistes. Selon une récente étude de l’OMC, l’intégration régionale et multilatérale représente souvent plus un complément qu’une variante, vers un commerce plus ouvert et plus libéral.

13 Quelques tentatives ont également été faites pour mesurer l’impact de l’Accord général sur le commerce des services, mais cette évaluation est restée limitée en raison de l’absence de données pertinentes et de paramètres utiles.

14 Pour la CNUCED, l’évaluation de la réduction de la pauvreté est basée sur une relation statistique entre le pourcentage de pauvres dans les pays en développement, le PIB par habitant et la variable des inégalités de revenu. Toutefois, cette approche sous-estime largement l’impact sur la pauvreté puisqu’elle ne tient pas compte de la réaction des pays en développement face aux nouveaux débouchés, ni du fait que ces nouvelles possibilités détermineront probablement une évolution du système économique dès que les pays les exploiteront.

15 Conformément aux modalités de négociations du Cycle d’Uruguay, les participants avaient la possibilité de compenser la suppression des mesures non tarifaires de protection des frontières par un relèvement des tarifs douaniers en vigueur. Sur la base d’un vaste échantillon de barèmes douaniers nationaux,
15 pour cent environ des positions tarifaires agricoles avaient été soumis à ce processus d’instauration d’un régime tarifaire. Du fait de la flexibilité des modalités régissant la détermination des droits de douane, les nouveaux droits appliqués finissent dans bien des cas, du moins initialement, par avoir un caractère particulièrement restrictif, tout autant que les mesures non tarifaires qu’ils remplacent. Dans certains cas, les nouveaux droits de douane étaient fixés initialement à un niveau inférieur à celui des mesures auxquelles ils se substituaient. Des contingents tarifaires à des taux plus ou moins restrictifs étaient négociés dans le cadre du processus d’introduction d’un régime tarifaire afin de maintenir les possibilités actuelles en matière d’importations et d’ouvrir de nouvelles possibilités d’accès lorsque l’accès effectif, en tant que pourcentage de la consommation intérieure, se situait en dessous d’un seuil minimum. La façon dont ces contingents tarifaires sont administrés et attribués, réglementée par les dispositions générales du GATT 1994, et notamment les normes de l’Article XIII concernant la gestion non discriminatoire de ces mesures, fait régulièrement l’objet d’un examen attentif de la part du Comité de l’agriculture de l’OMC. Les mesures non tarifaires de protection des frontières concernant la vaste gamme des productions agricoles ne faisant pas l’objet de droits de douane ont été supprimées dans le cadre des nouvelles dispositions de l’ASA qui prévoient la seule application d’un tarif douanier. Tous les droits de douane portant sur les produits agricoles, aussi bien les droits préexistants que les nouveaux droits résultant de l’application d’un régime tarifaire, ont été juridiquement limités et sont abaissés: pour les pays développés membres de l’OMC, avec une réduction de 36 pour cent en moyenne sur six ans, et un minimum de 15 pour cent; et dans les pays membres en développement (à l’exception des plus démunis), avec une réduction correspondant aux deux tiers de ces paramètres, sur 10 ans. Aux termes des dispositions spéciales des modalités de négociations, certains pays en développement se sont engagés à respecter des plafonds tarifaires, limités à des taux définitifs et ne prévoyant aucune réduction échelonnée.

16 Les expérimentations préliminaires menées sur ce sujet à partir du Modèle alimentaire mondial de la FAO n’ont toutefois pas confirmé la conclusion selon laquelle l’instabilité des prix tendrait à diminuer dans l’avenir (FAO, 1995c).

17 Une telle pratique peut toutefois être contestée par d’autres membres de l’OMC puisque à l’Article 4.2 de l’Accord relatif à l’agriculture les prélèvements variables figurent spécifiquement parmi les mesures non autorisées.

18 Voir également le document du SMA no 13, Sécurité alimentaire et aide alimentaire.