1.1 Labsence de systèmes efficaces de commercialisation, de transformation et de distribution des produits alimentaires est un obstacle sur la voie de la sécurité alimentaire pour tous. Trop souvent, les capacités de stockage et de transport entre la zone de production et le lieu de transformation ou de consommation sont insuffisantes. En outre, les installations de transformation ne sont guère efficaces. Les coûts de commercialisation peuvent être considérables et représenter une part importante du prix final. Dans un grand nombre de pays, la principale contrainte est linsuffisance des moyens de transport et de transformation.
Or, le coût de ces contraintes est énorme, quil sagisse des possibilités demploi perdues, de la croissance économique à laquelle il faut renoncer ou encore du manque daccès aux produits alimentaires.
1.2 A mesure que lurbanisation se poursuit, la consommation alimentaire nationale se concentre de plus en plus dans des lieux autres que ceux de la production. Le système de commercialisation doit donc samplifier pour assurer les services nécessaires, car les producteurs vendent sur des marchés éloignés de lendroit où les consommateurs font leurs achats.
1.3 Lurbanisation influe également sur le mode dalimentation. En effet, un citadin a tendance à consommer davantage daliments transformés, en partie parce que certains aliments voyagent mal. Certains aliments saltèrent rapidement après la récolte à moins dêtre transformés. Les produits frais doivent arriver sur les marchés très vite après la production, que ce soit directement pour la consommation ou pour la transformation. Le mode dalimentation dun pays se modifie également à mesure que celui-ci se développe. Incités par laugmentation des revenus et la commodité de préparation, les consommateurs recherchent une alimentation plus variée.
1.4 Lurbanisation et le développement tendent à encourager les producteurs, les communautés et les nations à se spécialiser dans les produits pour lesquels ils jouissent dun avantage comparatif. Cela dit, les structures de la production alimentaire sont tributaires des besoins des ménages, des facteurs agro-climatiques et de la disponibilité de moyens de production. Dans la limite de ces contraintes, les producteurs aspirent à se spécialiser dans des produits qui promettent le meilleur rendement social et économique.
1.5 La spécialisation stimule les échanges de produits alimentaires entre membres de la communauté locale ou encore entre la communauté locale et dautres communautés, proches ou lointaines. Avec le temps, les flux de produits alimentaires se multiplient, stimulant un développement ultérieur du système de commercialisation, de transformation et de distribution.
1.6 Du fait des différences de facteurs agro-climatiques, on ne peut prétendre à lefficacité de la production pour tous les aliments indispensables à un régime sain. Lefficacité est optimale lorsquune communauté se spécialise dans la production de produits pour lesquels elle jouit dun avantage comparatif. Avant que cet avantage ne devienne réalité, il faut disposer dun système efficace pour transporter les produits depuis les zones de production jusquaux zones de transformation ou de consommation.
1.7 Une part importante des ressources consacrées à la satisfaction de la demande croissante des consommateurs a traditionnellement été affectée à laugmentation de la production et de la productivité agricoles. Dans la plupart des pays, la filière alimentaire a attiré bien moins dintérêt. La Conférence mondiale de lalimentation de 1974 illustrait bien cette démarche.
En effet, hors laveu un peu rapide que «dans le cadre des efforts visant à accroître la production alimentaire, il convient de prévenir par tous les moyens le gaspillage de produits alimentaires sous toutes leurs formes»1, la Conférence na pas prêté la moindre attention aux questions ayant trait à la commercialisation, à la transformation et à la distribution des produits alimentaires.
1.8 Ce désintérêt relatif sexplique difficilement si lon pense à la contribution irremplaçable de ces secteurs aux économies nationales et à lemploi et à leur rôle dans lapprovisionnement en aliments suffisants, bon marché et diversifiés, et ce tout au long de lannée. Dans les pays occidentaux, la part du prix final à la consommation revenant au producteur continue de baisser, ce qui prouve bien limportance du secteur. Par exemple, en Allemagne, la progression de la transformation alimentaire est telle que les producteurs agricoles touchaient environ 35 pour cent du prix de détail en 1960, 26 pour cent en 1975 et seulement 14 pour cent à la fin de la dernière décennie (Commission européenne dagriculture, 1991).
1.9 Si la filière de commercialisation fonctionne mal, les investissements dans la production deviennent à la fois plus coûteux et plus risqués et peuvent même, à terme, être effectués en pure perte. Les mauvaises conditions de stockage des céréales de base dans bon nombre de pays en développement entraînent non seulement des pertes alimentaires, mais encore une perte de ressources nécessaires à la production. Ces ressources auraient pu servir à diversifier les régimes alimentaires, ou encore à produire des cultures dexportation. De même, linsuffisance des dispositifs de manipulation et de transport pour les produits dexportation à forte valeur, tels que les fruits, peut menacer des investissements coûteux réalisés dans les installations de production.
1.10 Une filière après-récolte efficace peut fort bien respecter lenvironnement et promouvoir un développement durable. La production de cultures susceptibles de répondre à la demande du marché, la minimisation des pertes dans la filière de commercialisation et la distribution efficace de produits alimentaires dans des zones où il existe une demande des consommateurs: voilà autant déléments permettant déviter des productions inutiles, qui consomment des ressources en eau, pourtant rares, exigent des applications intensives de pesticides et dengrais et provoquent lérosion et la dégradation des sols.
Là où les ressources alimentaires sont menacées, dans le cas des réserves de poissons par exemple, linefficacité et les pertes qui interviennent dans la filière de distribution ne font quexacerber une situation déjà difficile. Toute amélioration des méthodes de distribution aide à réduire la circulation, et donc les coûts en énergie. Si lon dispose dinstallations plus efficaces, marchés de gros par exemple, on réduit la congestion et, par lintroduction de conditions dhygiène plus strictes pour le maniement des produits alimentaires, on améliore la santé publique.
1.11 On peut se faire une idée de limportance de la commercialisation, de la transformation et de la distribution si lon pense quentre 1990 et 2010, la production de céréales dans les pays en développement devrait augmenter de 472 millions de tonnes et celle de viande de 78 millions de tonnes (FAO, 1995b). Il est prévu quentre 1990 et 2010, la population rurale des pays en développement progressera chaque année de 0,6 pour cent et la population urbaine de 3,3 pour cent (ONU, 1995).
Ainsi, il est fort probable quune part considérable des augmentations prévues de la production devront être commercialisées ou transformées, ou les deux à la fois. Les secteurs de la commercialisation et de la transformation non seulement créent des débouchés pour les produits des cultivateurs, mais encore produisent une importante valeur ajoutée et offrent des possibilités de création dentreprises en zones rurales.
Cette évolution devrait contribuer à son tour à la croissance de lactivité commerciale et de lemploi et freiner lexode rural. En fait, comme nous lavons noté plus haut, la valeur ajoutée découlant de la commercialisation et plus encore de la transformation peut dépasser de beaucoup la valeur de la production primaire. Pour soutenir ce secteur, les besoins en investissements seront énormes à lavenir. Le document destiné au Sommet mondial de lalimentation intitulé Investissements agricoles: évolutions et perspectives (WFS 96/10) chiffre les besoins annuels dans le secteur après-récolte à quelque 15 milliards de dollars EU, rien que pour renforcer la capacité du secteur et lui permettre de répondre à la croissance démographique et à la demande du marché.
1.12 Ainsi quil est noté dans létude de la FAO LAgriculture mondiale: horizon 2010 (WAT2010) (FAO, 1995b) il est désormais admis que lincapacité à remédier au problème de la pauvreté constitue la principale cause de dénutrition. Cest une tâche énorme que de résoudre ce problème, mais en améliorant la manutention des aliments entre lexploitation et le consommateur, on peut favoriser considérablement laccès des pauvres à une nourriture bon marché mais saine. Une meilleure efficacité de la filière de commercialisation permettrait de réduire les coûts et, partant, les prix à la consommation. La réduction des pertes après-récolte peut faire sensiblement baisser les prix à la consommation. Cette plus grande efficacité est essentielle si lon veut que ceux dont le pouvoir dachat est limité puissent acheter un volume suffisant daliments de qualité acceptable.
Dans beaucoup de campagnes, lemploi dans le secteur postproduction, comme la transformation, peut aider à accroître les revenus et à alléger les problèmes de dénutrition. Les femmes jouent dailleurs un rôle important, fréquemment prédominant, dans ces activités.
1.13 Le présent document est principalement axé sur la commercialisation, la transformation et la distribution des céréales de base, des fruits et légumes et, dans une moindre mesure, des produits de lélevage et de la pêche, ainsi que des produits forestiers non ligneux. Dans un premier temps, on fera le point des mesures qui peuvent être prises pour éviter une mauvaise répartition des ressources productives qui est souvent à lorigine de pertes importantes. Cependant, le risque de surproduction peut être minimisé quand les producteurs sont libres de planifier leur production en fonction des besoins des consommateurs, sur la base des signaux donnés par les prix, et à condition que les gouvernements sabstiennent doffrir des subventions inutiles.
Le document examine la manutention après-récolte à lexploitation ainsi que le rôle de lentreposage, aussi bien sur place que dans la filière de commercialisation. Si de nombreuses tentatives visant à encourager des méthodes améliorées de manutention, dentreposage et de transformation primaire ont échoué, cest parce quelles avaient été planifiées sans tenir compte de la capacité ou de la volonté des consommateurs dassumer le coût de ces améliorations, ni du fonctionnement du système de commercialisation et de la nécessité, pour ceux qui y participent, den tirer des bénéfices.
1.14 Sils répondent à la demande des consommateurs, les agriculteurs, les négociants et les transformateurs devraient pouvoir satisfaire aux exigences de rentabilité. Cela dit, pour pouvoir fonctionner de manière efficace et rentable, le système de commercialisation doit sinsérer dans un cadre politique, économique et législatif approprié. Il sagit tout dabord de reconnaître que quiconque travaille dans le système postproduction doit pouvoir faire des bénéfices si lon veut quil assure les services nécessaires. Par ailleurs, il importe de créer un climat macroéconomique favorable pour faciliter les échanges et jeter les bases dune croissance économique équitable. Le rôle des gouvernements peut également comprendre la mise en place dune infrastructure et de services de soutien, tels que la création de marchés et de services dinformation. Ces questions sont examinées dans le présent document, qui aborde ensuite les manières dassurer lapprovisionnement alimentaire des centres urbains en pleine croissance. Les questions ayant trait à la qualité et à linnocuité des aliments retiennent également lattention.
On passe ensuite à la fonction de transformation des aliments, pour identifier les conditions de réussite des entreprises dans ce domaine. Enfin, un certain nombre de recommandations sont formulées à lintention des gouvernements et des donateurs qui prendront des initiatives dans le secteur après-récolte.
1.15 Si ce texte sintéresse surtout à la commercialisation et à la transformation des produits alimentaires à léchelle nationale, la plupart des arguments valent également pour les échanges internationaux, à la seule différence que ceux-ci sont entravés par des obstacles tarifaires et non tarifaires. Les aliments figurent parmi les produits pris en considération lors des négociations commerciales multilatérales du Cycle dUruguay, ce qui devrait multiplier les possibilités déchanges. Pour saisir ces occasions, les pays devront renforcer leurs techniques commerciales à lexportation et mettre en place des dispositifs internes efficaces de commercialisation et de manutention.