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2. Répondre à la demande des consommateurs

Avantages de l’attention portée aux consommateurs

2.1 Si la production à planification centralisée appartient désormais au passé dans la quasi-totalité des pays, la nécessité d’axer la production sur les besoins des consommateurs reste souvent ignorée. Du fait de l’insuffisance de l’information sur la demande, qu’il s’agisse des quantités requises, des prix ou des critères de qualité, les ressources continuent d’être mal affectées et les débouchés de se perdre. A l’époque de la planification centralisée ou des mécanismes d’achat publics, le coût de cette mauvaise affectation des ressources était assumé par l’Etat; sur les marchés libéralisés, c’est l’agriculteur qui en souffre. A l’avenir, les agriculteurs devraient avoir un meilleur accès aux informations sur les besoins du marché, et prendre ainsi des décisions plus avisées sur les cultures à produire et le calendrier des semis.

Faire coïncider la production et la demande

2.2 Le gaspillage résultant d’un déséquilibre entre l’offre et la demande d’un produit donné peut provoquer d’importantes pertes alimentaires et financières. Tel a souvent été le cas lorsque les producteurs ont touché des subventions qui ont perturbé les signaux habituels donnés par les prix du marché. Nombreux sont les exemples à cet égard. Le plus fréquemment cité est celui de la Politique agricole commune de l’Union européenne, mais pratiquement tous les gouvernements ont subventionné, à un moment ou à un autre, la production vivrière3 et beaucoup continuent de le faire. Le plus souvent, on stocke des produits ayant peu de débouchés, ou on transforme des matières premières excédentaires en produits pour lesquels il n’y a guère de demande.

2.3 Comme la production alimentaire est en grande partie tributaire des facteurs climatiques, elle ne peut échapper totalement à l’aléatoire. Néanmoins, pour de nombreux produits horticoles, les effets d’une surabondance peuvent être mitigés par la production de plusieurs variétés. L’usage de variétés précoces et tardives étale la saison de production et devrait accroître la rentabilité, mais il faut que les variétés choisies aient un rendement suffisant et soient acceptées par les consommateurs.

Certaines variétés se stockent plus facilement que d’autres, ce qui peut prolonger la période durant laquelle le produit est disponible pour le consommateur. Cependant, si les chercheurs se sont attachés à développer des fruits et légumes ayant des caractéristiques après-récolte spécifiques, cela n’a pas toujours été le cas pour les cultures de base. Le maïs blanc hybride, par exemple, a un rendement bien supérieur aux variétés classiques mais il exige un entreposage spécialisé et se garde mal sur l’exploitation. Ce genre de caractéristiques devient de plus en plus important dans une grande partie de l’Afrique à mesure que le rôle des offices de commercialisation diminue et que les exploitants se voient obligés de stocker eux-mêmes une bonne part de leurs excédents sur l’exploitation, pendant de nombreux mois.

2.4 Une façon d’éviter la création d’excédents pour certaines cultures, et particulièrement les légumes, consiste à échelonner les semis aussi souvent que possible. La production hors saison, si elle est réussie, peut rapporter bien davantage et s’avérer plus économique que le stockage à long terme. Les producteurs peuvent aussi retarder la récolte, mais dans certaines limites seulement. On peut parfois utiliser des régulateurs de la croissance qui permettent d’échelonner la récolte. Cela dit, si les consommateurs des pays plus riches acceptent volontiers de payer pour disposer de certains produits à longueur d’année, ceux des pays pauvres n’ont sans doute pas un pouvoir d’achat suffisant qui justifierait le coût supplémentaire payé aux agriculteurs.

Encadré 1: PRODUIRE POUR SATISFAIRE LA DEMANDE

Deux pays insulaires permettent d’illustrer comment les producteurs peuvent s’adapter aux exigences du marché, si les systèmes de production s’y prêtent. Aux Maldives, les agriculteurs calculent leur production de pastèques presque exclusivement en fonction de la période du Ramadan, où la demande est élevée et les prix soutenus. Aux Tonga, les agriculteurs produisent depuis des années des pastèques à exporter en Nouvelle-Zélande, profitant du créneau de deux mois pendant lesquels les autres fruits sont rares sur ce marché et le prix des pastèques est élevé.


2.5 Comme pour les cultures, les caractéristiques du bétail au moment de l’abattage et les qualités acquises lors de l’élevage détermineront la qualité du produit vendu au consommateur, qu’il soit frais, congelé ou transformé. L’élevage et la production laitière peuvent également être saisonniers, du fait de la variation des températures, des précipitations et de l’état des pâturages. Les éleveurs tendent à planifier la naissance des jeunes animaux de manière à utiliser au mieux les conditions naturelles, ce qui signifie une plus forte production laitière à certaines périodes de l’année.

Toutefois, s’ils utilisent différents pâturages ou des fourrages améliorés, les éleveurs peuvent prévoir de produire du lait en période de pénurie. Pour ce qui est de la viande, le poids de l’animal variera en fonction du pâturage et du fourrage, ce qui pèsera sur la décision de l’éleveur d’envoyer son bétail à l’abattoir. S’il dispose d’informations suffisantes sur les prix, l’éleveur peut calculer si le cours plus élevé justifie l’abattage même si l’animal n’a pas encore le poids suffisant. Dans le secteur de l’élevage, on peut citer divers exemples manifestes de correspondance entre l’offre et la demande: l’élevage de dindes pour la fête de Thanksgiving aux Etats-Unis et au moment de Noël dans bon nombre de pays occidentaux, et la production de moutons pour la période du Ramadan dans les pays musulmans.

2.6 Dans les pays développés, beaucoup d’agriculteurs se soucient moins de satisfaire les besoins des consommateurs que de répondre aux demandes des transformateurs. Pour ne citer qu’un exemple, l’industrie suisse des produits congelés offre à l’heure actuelle quelque 500 articles de consommation. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire que l’exploitant comprenne l’évolution de la demande des consommateurs pour les matières premières qu’il produit. Il existe ainsi une tendance de plus en plus nette à la conclusion de contrats directs entre les exploitants et les transformateurs ou les négociants. Ces contrats directs limitent la liberté du producteur d’exploiter la demande du marché en échange de prix et de volumes de vente garantis (Commission européenne d’agriculture, 1991). Dans une certaine mesure, il en va de même des agriculteurs cultivant des produits frais comme les fruits et légumes; ces producteurs fournissent de plus en plus directement les supermarchés plutôt que de vendre leur production sur les marchés de gros.

2.7 Les agriculteurs réagissent à la demande du marché s’ils sont assurés que celle-ci ne sera pas indûment bouleversée par des interventions des pouvoirs publics qui interfèrent avec les schémas normaux de l’offre et de la demande. Dans de nombreux pays, les céréaliers sont particulièrement préoccupés par la médiocre planification de la distribution de l’aide alimentaire qui entraîne des chutes des cours. Ces risques créent un cercle vicieux car les agriculteurs réagissent à la faiblesse des prix en réduisant la production, d’où la nécessité d’accroître l’aide alimentaire. De même, des prélèvements mal coordonnés sur les réserves de sécurité alimentaire de l’Etat peuvent avoir des effets néfastes.

Où produire

2.8 Si tel ou tel exploitant n’a guère le choix quant au lieu où il va semer ses cultures ou élever son bétail, les gouvernements ont parfois essayé par le passé d’influencer le choix des zones de production par le biais de leur politique des prix et d’autres mesures. Dans plusieurs pays en développement, les politiques consistant à encourager la production subventionnée d’une ou deux cultures de base ont favorisé la production de denrées ayant un faible rapport poids-valeur dans des zones reculées; les gouvernements ont ainsi dû assumer des dépenses de transports excessives, tant pour les intrants que pour la production finale.

A terme, ces politiques se sont avérées financièrement intenables. En raison de l’évolution récente qui tend vers une libéralisation des marchés, la plupart des pays n’appliquent plus des politiques de prix couvrant tout le territoire et les exploitants doivent diversifier leur production en fonction de l’avantage comparatif dont ils jouissent. On constate une évolution similaire dans les pays qui ont abandonné l’économie planifiée: la répartition de la production et des intrants sur la base de décisions bureaucratiques est maintenant remplacée par une production s’appuyant sur l’économie de marché.

2.9 Les projets mis en place par les gouvernements, les organisations non gouvernementales (ONG) et les donateurs se sont parfois rendus coupables de promouvoir la production alimentaire dans des régions où l’infrastructure routière était médiocre et les réseaux de transport insuffisants. On a eu tendance à estimer que l’horticulture, l’élevage et la production laitière permettaient d’augmenter le revenu des paysans les plus pauvres, bien souvent sans tenir compte des questions de coûts de commercialisation et de l’existence ou non de débouchés et d’infrastructures convenables.

Utilisation de l’information sur les prix

2.10 Si les agriculteurs connaissent la structure saisonnière des prix et de la demande des années précédentes, ils sont théoriquement mieux armés pour planifier leur production de manière plus efficace et, grâce aux technologies, ils peuvent prévoir leurs récoltes avant une baisse probable des prix ou après leur reprise. Une information quotidienne ou hebdomadaire sur les prix et sur l’offre et la demande peut aider les agriculteurs à décider du moment de leur récolte et, dans les grands pays, des marchés vers lesquels écouler leurs produits (Schubert, Zehrfeld et Juntermanns, 1988). Si, dans les économies développées, les agriculteurs sont généralement à même de se procurer et d’interpréter eux-mêmes les mercuriales, les producteurs des pays en développement auront sans doute besoin de services d’information sur les marchés ainsi que d’un appui pour interpréter l’information sur les prix et planifier leur production. Cela dit, le personnel de vulgarisation, qui est souvent qualifié pour fournir des conseils en matière de production, n’a que rarement accès à l’information sur la commercialisation et les questions après-récolte.


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