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Introduction

Alors que l'économie se mondialise et que les techniques de production ne cessent de s'affiner, "le scandale de la faim et toutes les formes de malnutrition au sein de l'abondance..."2 marque encore gravement la dernière décennie du XXème siècle.

2 Peter L. Pellett, Ecology of Food and Nutrition, Gordon and Breach Science Publishers 1993, vol. 30, p. 2.

S'il est aujourd'hui démontré que le potentiel de production alimentaire pourrait permettre de garantir à tous l'accès à des denrées suffisantes, la répartition de ce bien essentiel reste fortement déséquilibrée: l'on compte encore quatre-vingt-huit pays à faible revenu et à déficit alimentaire, parmi lesquels vingt-trois en Asie, neuf en Amérique du Sud et aux Caraïbes, douze en Europe et quarante-quatre en Afrique. Des estimations prévoient qu'en l'an 2000, soixante-quatre pays en développement ne disposeront pas de la nourriture nécessaire aux populations concernées.

Néanmoins, la notion de déficit alimentaire ne saurait être appréhendée au seul niveau national: de fait, le pourcentage des mal-nourris peut être plus élevé dans des pays relativement riches alors que la répartition des denrées est parfois plus harmonieuse dans des pays déficitaires en nourriture.

Pour ce qui est des individus, la communauté internationale a expressément reconnu le droit à la nourriture. Ce principe figure en participer à l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme3 qui établit que "toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires...".

3 Voir Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 217A, 10 décembre 1948.

Le droit à une nourriture suffisante a été réaffirmé quelques années plus tard par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels4, instrument juridique obligatoire pour les parties qui y adhèrent. De manière générale, l'article 2 garantit "le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives" et stipule que ces droits s'exercent sans discrimination d'aucune sorte. Au titre de l'article 115 du Pacte, les parties "reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant [...] y compris [la] nourriture". Est ainsi souligné un droit spécifique à une nourriture suffisante comme relevant du droit général à un niveau de vie adéquat. Au droit des individus à être libérés de la faim est conféré le statut de droit fondamental de l'humanité tel que reconnu par les articles 1, 55 et 56 de la Charte des Nations Unies, au titre desquels les Etats s'engagent à respecter, protéger, promouvoir et coopérer pour le respect des droits de l'humanité. Pour sa part, l'Acte constitutif de la FAO, tel qu'amendé en 1965, énonce que les Etats qui y adhèrent sont résolus à "libérer l'humanité de la faim"6.

4 Adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1966 (XXème session, Résolution 2200), le Pacte est entré en vigueur en 1976 et a été ratifié, à ce jour, par 131 parties.

5 "Article 11-1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence...".

6 Voir Acte constitutif, Préambule.

Les principes et objectifs tels qu'établis et juridiquement consacrés par le Pacte ont soutenu l'activité menée en matière de sécurité alimentaire tant par les pouvoirs publics que les agences de coopération, notamment l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (ci-après la FAO). Cette dernière a notamment patronné diverses conférences mondiales sur l'alimentation (1974), sur la réforme agraire et le développement rural (1979), sur la gestion et le développement de la pêche (1984), sur la nutrition (1992). En outre, en 1961, a été établi conjointement par les Nations Unies et la FAO le Programme alimentaire mondial (PAM).

Autre instrument juridique d'importance particulière: le Pacte mondial de sécurité alimentaire qui fut adopté en 19857 et a été pendant une décennie le cadre indicatif majeur de l'action entreprise par la FAO et un certain nombre d'autres institutions, nationales ou intergouvernementales en matière de sécurité alimentaire.

7 Voir infra, Première partie, chapitre I.1.

Alors que les engagements internationaux ont établi le concept juridique d'un droit à la nourriture, les aspects quantitatifs nutritionnels relèvent eux des droits économiques et sociaux en général; il s'agit d'une "obligation de moyens" pour la communauté internationale qui est encouragée à oeuvrer le mieux possible, afin que tout être humain dispose d'une quantité adéquate de denrées alimentaires. Pour les économistes, la cause principale de la malnutrition découle de l'instabilité du marché international. Comme les pays en développement ne sont pas à même d'arrêter une politique agricole indépendamment des conditions des échanges, la fluctuation des prix s'y répercute durement. Il est donc nécessaire d'établir une stratégie à long terme assurant l'équilibre optimal entre offre et demande, entre excédents et pénuries.

En 1974, fut réunie à Rome sous l'égide de la FAO une conférence internationale sur l'alimentation: adoptée à cette occasion, la Déclaration universelle sur l'éradication de la faim et de la malnutrition souligna que (i) si l'objectif principal était de rechercher des solutions permettant d'empêcher les crises, (ii) il s'avérait indispensable de bâtir un système mondial de sécurité alimentaire permettant de garantir à tous le droit à la nourriture.

A cet effet, fut établi le Comité de la sécurité alimentaire mondiale8, comme organe d'assistance au Conseil de la FAO. Le Comité donna en 1983 une définition élargie de la notion de sécurité alimentaire comme étant la situation dans laquelle tout être humain a l'assurance, en tous temps, d'avoir un accès tant matériel qu'économique, à la nourriture de base dont il a besoin. Ceci requiert la gestion efficace des ressources, l'instauration de mécanismes de supports techniques et de schémas de sécurité alimentaire, de même que le renforcement des services ayant un rapport direct ou indirect avec la défense de la sécurité alimentaire. Il est à noter que le Pacte mondial de sécurité alimentaire précité a été élaboré sur la base des travaux du Comité.

8 Instauré au titre de l'article V, paragraphe 6 de l'Acte constitutif de l'Organisation, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale est ouvert à tous les Etats Membres de la FAO ou des Nations Unies. Ses fonctions sont, notamment, (i) de suivre en permanence la situation et les perspectives de la demande, de l'offre et des stocks de produits alimentaires de base dans le contexte de la sécurité alimentaire, et de diffuser des informations sur les faits nouveaux, (ii) de vérifier si le niveau courant et prévu des stocks est suffisant pour assurer un flux régulier d'approvisionnements en produits alimentaires de base, et (iii) de recommander les mesures à court et long termes visant à remédier toute difficulté prévisible.

L'exécution des programmes mis en oeuvre dans les années qui suivirent devait conduire le Comité à souligner que l'objectif est désormais d'assurer "... en tout temps, à tous les hommes l'accès matériel et économique aux aliments de base... [et d'] assurer une offre adéquate de denrées alimentaires, [de] maintenir la stabilité de l'offre et [d'] assurer l'accès de tous les consommateurs à ces denrées..."9.

9 Pour sa part, la Banque mondiale a établi du concept de sécurité alimentaire une définition approchante et qui insiste sur "l'accès de tous à tout moment aux aliments nécessaires pour mener une vie active et saine... Chaque ménage doit posséder les connaissances et les capacités nécessaires pour produire ou se procurer, sur une base durable, les aliments dont il a besoin".

Les concepts ayant évolué, notamment depuis l'adoption du Pacte en 1966, le besoin est apparu de réfléchir sur les politiques et d'établir de nouvelles lignes d'action.

C'est dans le cadre du Sommet mondial de l'alimentation de 1996 que le Directeur général de la FAO soumettra à la signature des délégations la Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire universelle; en outre, devrait être adopté un Plan d'action regroupant les principes de base et les engagements en matière de sécurité alimentaire. C'est au cours de sa cent-huitième session que le Conseil de la FAO a retenu le canevas de ces deux textes à vocation universelle10. La Déclaration devrait concourir à redéfinir de la notion de sécurité alimentaire comme "la conjoncture dans laquelle toutes les personnes ont à tout moment accès à des produits alimentaires nourrissants et non nocifs leur permettant de mener une vie saine et active" (point 19 de la proposition).

10 Conseil FAO 108ème session, Eléments pouvant être inclus dans un projet de document directeur et de plan d'action sur la sécurité alimentaire universelle, Rome, 5-15 juin 1995.

Le Plan d'action précise quant à lui les responsabilités respectives de la communauté internationale, pays industrialisés, en transition ou en développement, de la société civile, des organisations non gouvernementales (ci-après ONG), des institutions régionales de développement.

Si les éléments techniques restent essentiels dans la prévention, un cadre juridique précis permet de garantir une certaine fiabilité aux décideurs et donateurs; l'article 2 du Pacte international le souligne clairement. A cet effet, les pouvoirs publics et les institutions internationales se sont engagés dans la définition et la mise en oeuvre de structures institutionnelles favorisant l'amoindrissement des risques. Il faut ainsi rappeler que l'article 11 dudit pacte stipule aussi que "... Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation [du] droit [à la nourriture] et reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie". Cet alinéa confère ainsi aux pouvoirs publics nationaux une part importante des responsabilités juridiques.

Une première conception étroite de la sécurité alimentaire visait avant tout à établir des mécanismes pour renforcer les réserves de nourriture et les systèmes d'urgence. Par la suite, il apparut opportun de prévoir - dans le cadre des actions relatives à la sécurité alimentaire - des mesures destinées à l'accélération de la production impliquant une réforme des institutions commerciales, prévoyant des infrastructures de transport, établissant une nouvelle orientation dans les politiques nationales, notamment celles des prix.

L'analyse (i) de la législation de certains pays concernés et (ii) de dispositions internationales en vigueur démontre qu'un cadre juridique précis concourt à garantir la stabilité des marchés et à favoriser ainsi l'accès à la nourriture. Il convient cependant de noter que rares sont les textes juridiques nationaux visant spécifiquement la sécurité alimentaire: les sources du droit sont plutôt constituées de déclarations de politique générale, d'accords bi- ou multilatéraux, de contrats liant les divers acteurs de la sécurité alimentaire. Néanmoins, certaines institutions ont été spécialement affectées à cet objectif; leurs missions sont clairement réglementées.

Il appert de ces diverses sources du droit fondant le cadre juridique de la sécurité alimentaire que les pouvoirs publics et la communauté internationale portent une attention soutenue à deux types de préoccupations:

(a) des mesures sont prises afin d'encourager un développement économique suffisant afin de prévenir les crises, tant à court terme que par la recherche d'une durabilité du minimum de bien-être qui requiert une planification à plus long terme. Ceci passe nécessairement par des réformes économiques et par la redéfinition des rôles de chaque acteur; les programmes mis en oeuvre par, notamment, les agences d'assistance intègrent ces concepts. Une telle politique contribue à fournir les garanties juridiques de la prévention contre l'insécurité alimentaire (Première partie).

(b) néanmoins, les crises persistant, les mécanismes de traitement des situations d'urgence ont dû être renforcés; constituant l'outil de premier secours, l'aide matérielle requiert l'adoption des régies pertinentes permettant d'assurer une meilleure garantie de la gestion de l'insécurité alimentaire (Deuxième partie).


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