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VI. La complémentation


6.1. Rappel des principes nutritionnels
6.2. Applications pratiques
6.3. Conclusion


La valeur alimentaire potentielle d'une paille ou d'un fourrage pauvre en l'état ne peut pas être exprimée si les microbes de la panse de l'animal qui le consomme ne reçoivent pas les éléments nutritifs dont ils ont besoin sous forme d'un apport minimum (chap. l). Si on attend de l'animal des productions plus élevées, il faudra lui apporter les compléments "supplémentaires" lui fournissant les nutriments nécessaires à ces productions.

L'objet de ce chapitre est, en s'appuyant sur ce qui a été dit au chapitre 1, de décrire ce que doivent être les quantités et la nature des apports complémentaires pour que l'animal puisse valoriser le fourrage distribué dans les deux grandes situations nutritionnelles rencontrées,

· régimes d'entretien ou même seulement de subsistance où les rations sont essentiellement constituées de fourrages non traités;

· régimes de production où on examinera le cas des fourrages en l'état et celui des fourrages traités.

Ces deux situations seront illustrées par des exemples concrets.

6.1. Rappel des principes nutritionnels


6.1.1. Complémentation minimale: Optimisation de la cellulolyse dans le rumen
6.1.2. Complémentation pour assurer une production zootechnique


6.1.1. Complémentation minimale: Optimisation de la cellulolyse dans le rumen

C'est la complémentation nécessaire au bon fonctionnement des microorganismes du rumen. Nous en avons examiné les principes au chapitre 1.

Rappelons qu'elle doit d'abord apporter aux microorganismes du rumen les éléments nutritifs dont ils ont besoin pour se multiplier et pour dégrader (cellulolyse) les polyosides des parois de la paille ou du fourrage pauvre et, ensuite, assurer toutes les conditions nécessaires au maintien d'une bonne cellulolyse.

Il s'agit d'apporter essentiellement,

· de l'azote sous une forme fermentescible générant l'ammoniac nécessaire à la synthèse microbienne. L'azote non protéique tel que l'urée est la source de choix lorsqu'on ne dispose pas de ressources azotées locales. Cet apport devra être effectué de la façon la plus régulière possible tout au long de la journée afin d'optimiser la cellulolyse et le rendement de la synthèse protéique microbienne,

· des minéraux et des vitamines.

Ce sujet a fait l'objet de nombreux travaux depuis plusieurs décennies; le tableau 12 donne un ordre de grandeur de l'amélioration de la valeur nutritive des fourrages pauvres permise par la complémentation en azote non protéique.

Tableau 12: Effet de la complémentation par l'urée sur la digestibilité d'une paille d'orge (Orskov et Grubb. 1978)

UREE

DIGESTIBILITE

DIGESTIBILITE

MS INGEREE

(g/j)

MS (%)

MO (%)

(kg/j)

0

45.1

45.8

0.42

6

46.0

46.7

0.45

12

47.8

49.0

0.44

18

47.2

483

0.46

6.1.2. Complémentation pour assurer une production zootechnique


6.1.2.1. Les phénomènes de substitution
6.1.2.2. Conséquence sur la nature et la quantité de l'énergie complémentaire
6.1.2.3. Conséquences sur la nature et la quantité des matières azotées complémentaires
6.1.2.4. Cas des fourrages traités


Cette complémentation a comme objectif d'apporter en plus à l'animal suffisamment d'éléments nutritifs pour lui permettre de réaliser les performances souhaitées. En effet les pailles, même correctement complémentées pour couvrir les besoins des microbes du rumen, ne permettent guère de couvrir que les besoins d'entretien de l'animal qui les consomme.

Ces apports ne vont plus être seulement azotés. Ils seront également énergétiques. Ils seront effectués proportionnellement aux besoins de production et de manière telle qu'ils,

· ne pénalisent pas l'activité cellulolytique du rumen et

· assurent un bon équilibre des produits terminaux de la fermentation et de la digestion de la ration totale afin de réaliser les productions souhaitées.

6.1.2.1. Les phénomènes de substitution

La complémentation "catalytique" (§13 et 14) favorise les fermentations cellulolytiques et, par là, permet d'augmenter les quantités de fourrage que l'animal va pouvoir volontairement ingérer. Toutefois, au delà de cette complémentation minimum et avec des proportions croissantes de compléments dans la ration, on va assister à des phénomènes d'interactions digestives négatives fourrages/concentrés (tableau 13) et à une substitution du fourrage par le complément:

taux de substitution = quantité de fourrage (kg) ingérée en moins/kg de complément offert en plus

Tableau 13: Influence du niveau de complémentation sur la digestibilité des pailles (Dulphy. 1978)

Paille

Concentré

MAT p.100 MS de la ration

Digestibilité M.O. de la paille

Nature

Niveau (% ration)

paille de blé

15

8,9

46.1

non traitée

Maïs

30

8.8

43.0



45

8.9

39.5

paille de blé

Tourteau de soja

7.5

7.1

42.2

non traitée

Tourteau de soja

15

10.9

45.8


T. de soja + Mais

30

12.2

44.8

On peut dire, pour simplifier, que tant que les glucides fermentescibles représenteront moins de 10 à 15 p.100 de la matière sèche totale ingérée, la cellulolyse sera favorisée et les quantités de fourrage ingérées augmenteront. Le taux de substitution sera alors négatif et on pourra parler de complémentation vraie ou "catalytique".

Au delà de cette limite les conditions ruminales de la cellulolyse ne seront plus réunies et la quantité de fourrage ingérée diminuera, le taux de substitution prendra alors des valeurs positives. Il pourra même atteindre des valeurs supérieures à 1 lorsque l'augmentation d'un kg de complément entraînera une diminution de fourrage ingérée de plus de un kg.

Le taux de substitution est proportionnel à la qualité du fourrage offert: voisin de 1,0 avec des fourrages très ingestibles de faible encombrement comme des jeunes repousses de graminées, faible (entre 0,2 et 0,4) avec les fourrages encombrants peu ingestibles comme les foins médiocres ou les pailles. Il dépend aussi de la quantité des compléments ajoutés (ces derniers "encombrent" en effet le rumen) et de leurs caractéristiques. Il est élevé avec les compléments riches en énergie rapidement fermentescible en raison de la chute du pH dans le rumen consécutive à la production rapide d'AGV qu'ils entraînent et qui n'est pas favorable à l'activité cellulolytique.

6.1.2.2. Conséquence sur la nature et la quantité de l'énergie complémentaire

La fraction énergétique de la complémentation devra être apportée de manière à ce que la diminution de l'activité cellulolytique soit la plus faible possible. L'ensemble des nombreux travaux de recherche sur ce sujet permet de dire que les compléments énergétiques devraient être:

· le plus riche possible en parois facilement dégradables, comme l'herbe et les fourrages verts de bonne qualité, les pulpes de betteraves, et d'agrumes, les drèches de brasserie,..., ils peuvent alors représenter jusqu'à la moitié de la matière sèche totale de la ration et le moins riche possible en amidon. Si ce n'était pas le cas, ils ne devraient pas représenter plus du tiers de la matière sèche totale de la ration. Lorsqu'on ne pourra pas faire autrement, les amidons de maïs et de riz permettent une meilleure cellulolyse que ceux d'orge. Un niveau élevé d'azote dans la ration permet également de limiter l'effet dépressif sur la digestibilité du fourrage pauvre, c'est ce qu'illustre le tableau ci-dessous:

niveau azoté (MAT p.100 MS ration)

niveau énergétique de la ration

digestibilité de la MS de la paille

faible (6,6)

faible

53,4

faible (6,4)

fort

41,0

fort (10,4)

fort

53,3

source: ANDREWS et al, 1972

· le plus étalé possible dans le temps, ce qui implique des apports fractionnés ou; mieux, continus grâce à leur mélange avec la ration de base.

Ces recommandations ne sont pas seulement valables pour les fourrages grossiers en l'état mais également, et sans doute plus encore, pour les fourrages traités. En effet le traitement a pour intérêt d'améliorer la digestibilité et l'ingestibilité du fourrage pauvre. Ainsi le risque d'une complémentation trop importante et non appropriée est d'une part une substitution du fourrage traité par le complément (plus importante qu'avec le fourrage non traité parce que de meilleure qualité) et, d'autre part, une diminution de la digestibilité propre du fourrage traité par suite des effets de digestibilité associative négative. Le résultat final est que la contribution propre du fourrage traité dans l'apport d'éléments digestibles dans la ration va être réduit et que, à la limite, on aura "gommé" l'effet du traitement (tableau 14a).

Tableau 14a: Exemples de l'effet du niveau et de la nature de la complémentation sur la digestibilité des pailles traitées

Référence

Digestibilité de la Matière Sèche (%)

de la paille dans la ration

de la ration totale

1/Horton, 1978

(paille de blé)


NT seule

45.5


T NH3 seule

53.3



augmentation T-NT

7.8


NT + 30% de concentré


58.9

T NH3 + 30% de concentré


62.6


augmentation T-NT


3.7

2/Fahmy et Sundstol, 1984

(paille d'orge)


T NH3 seule

53.0

53.0

T NH3 + 70% de pulpe

40.0

70.0

T NH3 seule + 70% d'orge

22.0

65.0

NT = non traité
T = traité

6.1.2.3. Conséquences sur la nature et la quantité des matières azotées complémentaires

a/ Les protéines dégradables et les diverses formes d'azote non protéique (ANP).

Elles fournissent l'ammoniac nécessaire à la flore cellulolytique pour l'élaboration de leur propre substance et doivent être apportées proportionnellement à la quantité d'énergie digestible de la ration.

On estime qu'une teneur en azote de 1 p.100 (6,25 p.100 de MAT) est suffisante pour les rations contenant moins de 50 p.100 d'énergie digestible (ce qui correspond aux pailles en l'état distribuées seules). Cet apport doit être porté à 1,5 voire 2,0 p.100 (9 à 12 p.100 de MAT/MS environ) lorsque la quantité d'énergie digestible est accrue du fait de la complémentation énergétique ou du traitement des pailles. Cette interaction énergie/azote est bien illustrée par la figure 14 empruntée à ØRSKOV (1977).

Figure 14: Effet de la concentration énergétique des aliments sur la quantité théorique d'azote alimentaire nécessaire pour satisfaire les besoins de la synthèse microbienne dans le rumen. Les quantités nécessaires sont présentées pour trois niveaux de dégradabilité de l'azote alimentaire (Ørskov. 1977).

Plus simplement, l'objectif qui est d'optimiser la synthèse microbienne (145 g de MAT par kg de MOF ou, grossièrement, de MOD) est réalisé quand l'apport de PDIN est égal à l'apport de PDIE.

Equilibrer une ration revient à réaliser l'égalité des apports PDIN et PDIE des différents constituants de la ration.

b/ L'azote supplémentaire nécessaire aux besoins de production de l'animal, à apporter selon les mêmes règles.

Toutefois, les travaux de recherche de ces dernières années ont montré que, particulièrement dans le cas des fourrages pauvres, il est également utile d'apporter, en plus de l'azote dégradable, les matières azotées supplémentaires sous la forme la moins dégradable possible (PDIA): tourteaux tannés, protéines d'origine animale, protéines végétales riches en tannins comme les légumineuses arbustives (Leucaena leucocephala, Gliricidia, Sesbania, Acacia, etc.) qui améliorent encore leur valeur alimentaire. Ce phénomène est clairement illustré dans le tableau 14b.

En effet ces protéines, assurent la fourniture des acides aminés nécessaires à l'animal hôte pour réaliser sa production (lait, croissance, travail, reproduction). La seule synthèse des protéines microbiennes ne peut couvrir la totalité des besoins azotés de la plupart des animaux en production. Il est par conséquent souhaitable d'apporter une petite quantité de protéines d'origine alimentaire échappant à la dégradation dans le rumen.

Elles sont en outre utiles pour les microorganismes du rumen qui peuvent utiliser de manière bénéfique (synergique) des acides aminés et des polypeptides courts. Cette constatation, relativement récente (RAMIHONE, 1987; RAMIHONE et CHENOST, 1988; SILVA et al., 1989) est encore trop peu prise en considération. Elle est illustrée dans le tableau 14b montrant l'effet bénéfique de sources protéiques peu dégradables sur l'activité cellulolytique dans le rumen. On mentionnera également les observations d'OOSTING (1993) qui montrent bien l'effet synergique des protéines de pommes de terre, très peu dégradables, qui améliorent le rendement de la synthèse microbienne (PDIM) en même temps qu'elles apportent les acides aminés au niveau de l'intestin (PDIA, azote peu dégradable, "by-pass N"). A noter que certains compléments protéiques comme la farine de poisson apportent également des acides gras à chaînes ramifiées indispensables à la synthèse microbienne et à l'animal hôte.

Tableau 14b: Effet de la farine de poisson (FP) (50 g/kg de paille) et de la pulpe de betterave (PB) (150 g/kg de paille) sur l'ingestion et la digestibilité d'une paille complémentée avec de l'urée ou traitée à l'ammoniac (Si/va et al., 1989)

Paille

COMPLEMENT

PAILLE INGEREE MO (g/j)

DIGESTIBILITE DE LA PAILLE (%)

Non traitée + urée

-

414

49

Non traitée + urée

FP

480

56

Non traitée + urée

PB

505

57

Non traitée + urée

FP + PB

480

59

Traitée

-

729

57

Traitée

FP

690

59

Traitée

PB

717

59

Traitée

FP + PB

658

64

Enfin, point important mis en évidence dans les années 1960-70 par EGAN (1965) et plus récemment PRESTON et LENG (1980) avec des fourrages tropicaux de qualité médiocre, un mauvais état nutritionnel des animaux, consécutif à une absorption insuffisante d'acides aminés au niveau intestinal, peut limiter l'ingestion de fourrages pauvres. De l'azote exclusivement non protéique n'autoriserait pas des niveaux d'ingestion et, par la, des performances élevés. Ainsi la fourniture de protéines "protégées" stimulerait l'appétit de l'animal hôte et, par conséquent, l'ingestion des fourrages pauvres comme les pailles.

6.1.2.4. Cas des fourrages traités

Le traitement améliore certes la valeur azotée des fourrages et la synthèse microbienne mais (chapitre 5) pas dans des proportions aussi importantes que celles qu'on pouvait théoriquement espérer (importance des MAND dans les MAT apportées par le traitement). L'ensemble des résultats de recherche montre qu'une complémentation protéique des fourrages traités à travers des protéines peu dégradables est particulièrement indiquée (tableaux 15a et 15b).

Tableau 15a: Effet de la nature de la complémentation azotée d'une paille de blé traitée à l'ammoniac sur les croissances de génisses frisonnes Pie Noire (complémentation iso PDI pour une croissance de 350 g/j) (Chenost et Besle, 1993)

REGIMBE

PNT

PNH3

Complément azoté

Farine de poisson

Urée

Tourteau de Colza

Tourteau de soja tanné

Farine de poisson

MS ingérée (kg/j)







paille

5.07

6.82

7.09

6.90

6.80


pulpe (*)

3.10

2.40

1.95

2.20

2.30


complément azoté

0.49


0.66

0.35

0.27



urée

0.10

0.09





minéraux et vitamines

0.10

0.10

0.10

0.10

0.10

GMQ (g/j)

347

266

392

381

431

(*): pulpe de betterave déshydratée

Tableau 15b: Effet de la complémentation par la farine de poisson sur la digestibilité de MS d'une paille de riz traitée à l'urée et sur les performances animales (Saadullah et al., 1982)

Régime

1

2

3

4

Paille de m traitée (kg/j)

2.6

2.3

23

2.4

Jacinthe d'eau (kg/j)

0.2

0.1

0.1

0.1

Farine de poisson (kg/j)

0.0

0.1

0.2

03

Digestibilité MS (%)

50

57

60

62

Gain Moyen Quotidien (g/j)

57.0

198.0

205.0

192.0

Un essai conduit sur génisses FFPN de deux ans (CHENOST et al., 1993) recevant des pailles traitées ou non, complémentées par de la pulpe de betteraves et, pour la paille traitée, un complément azoté de dégradabilité variable (allant de l'urée à la farine de poisson) mais couvrant dans chaque cas les besoins théoriques en PDI nécessaires pour une croissance de 350 g/j, illustre bien tout ce qui vient d'être dit (tableau 15a):

· part de la paille dans la ration ne descendant pas au-dessous de 70%.
· complémentation énergétique (pulpes) "cellulolytique".
· réponse du croît à la qualité (faible dégradabilité) des protéines complémentaires.

A cet égard, il est important de souligner que cette réponse du croît, allant même au delà des prévisions (350 g/j), reflète:

· l'importance de la nature des protéines et leur effet synergique, sous estimés dans le calcul des rations,

· le fait que la valeur azotée de la paille traitée, pourtant calculée à partir des prévisions au laboratoire des valeurs PDI, avait très certainement été surestimée (relative mauvaise utilisation de l'azote apporté par le traitement évoqué plus haut), puisque l'apport était pourtant iso PDI d'un lot à l'autre et supposé couvrir un croît de 350 g/j.

II convient de noter que ces compléments ne sont pas exclusivement azotés. Ils apportent aussi une quantité d'énergie non négligeable. Aussi, est-il important de prendre celle-ci en considération lors de l'équilibre des rations (PDIN = PDIE).

En conclusion, la valeur alimentaire des fourrages pauvres est améliorée d'abord par l'addition d'azote non protéique (urée) qui exerce un effet positif sur leur digestion et leur ingestibilité. Cependant, il y a lieu d'être très vigilant sur la quantité et la qualité de la complémentation énergétique. La réponse à cette complémentation en sera totalement dépendante, ainsi que la contribution de la paille dans l'apport des éléments nutritifs nécessaires. Ainsi la complémentation énergétique devra rester dans certaines limites (30 à 50 p.100 de la ration) afin de ne pas altérer la cellulolyse. Cela est particulièrement important dans le cas d'un fourrage traité si on veut conserver le bénéfice nutritionnel (et économique) du traitement.

En deçà de ces limites, il sera important, comme l'ont fait remarquer quelques auteurs (DOYLE et al, 1986; SCHIERE et IBRAHIM, 1989; DOLBERG, 1993) à partir d'essais de recherche, mais également de suivis de terrain en vraie grandeur, de "tester" et d'établir des courbes de réponse des compléments de la paille traitée. Les observations effectuées en Chine (DOLBERG et FINLAYSON, 1995) donnent des exemples de la réponse de la croissance de bovins à des quantités croissantes de tourteau de coton apporté comme seul complément de pailles traitées à l'urée.

6.2. Applications pratiques


6.2.1. Complémentation avec l'urée seule
6.2.2. Mélanges mélasse-urée
6.2.3. Cas particulier: Complémentation avec des blocs multinutritionnels
6.2.4. Complémentation avec des fourrages verts et des résidus de culture
6.2.5. Complémentation avec des sous-produits locaux
6.2.6. Complémentation "classique" avec des concentrés commerciaux


Les principes nutritionnels ayant été rappelés, l'objet de ce paragraphe est de proposer aux agents de terrain des exemples concrets montrant comment raisonner la complémentation des fourrages pauvres à partir de ces bases en faisant le plus possible appel aux ressources fourragères dont ils peuvent disposer localement et le moins possible à des aliments ou des concentrés importés qui ne répondent pas toujours à ces principes.

Les situations fourragères étant très nombreuses et diverses, il n'est pas possible de les passer toutes en revue. Aussi mettrons nous plus particulièrement l'accent sur l'exemple des blocs multinutritionnels et quelques cas représentatifs des possibilités d'utilisation des ressources locales.

6.2.1. Complémentation avec l'urée seule

Ce type de complémentation, justifié si on respecte (cf. §1322) le calcul des quantités d'urée à apporter en fonction de la quantité d'énergie ingérée sous forme de paille non traitée, est parfois utilisé en zone sahélienne où on ne dispose pas de support de présentation de l'urée comme la mélasse. L'idée est de l'apporter à l'animal sous forme d'une solution dans l'eau, non pas à boire évidemment, ce qui serait trop dangereux, mais en arrosant le fourrage offert à l'auge avec cette solution.

Des déboires ont cependant déjà été observés, même en stations expérimentales, et cette technique ne peut être mise aux mains de l'éleveur qu'avec beaucoup de précautions. Ces déboires tiennent au risque d'ingestion intempestive et/ou trop rapide de la solution d'urée. Les risques de surdosage sont fréquents, il en est de même des risques de confusion entre la solution d'urée et l'eau de boisson,... Enfin, même si des précautions élémentaires permettent d'éviter ces erreurs grossières, on aura toujours du mal à bien maîtriser l'ingestion progressive de la solution d'urée. Il suffira en effet d'une mauvaise imprégnation du fourrage par cette solution pour qu'elle s'écoule progressivement au fond de l'auge et que l'animal la boive "d'un trait".

Le tableau ci-dessous donne les quantités d'urée recommandables à distribuer à des moutons et des bovins consommant une paille "classique" d'une teneur en MAT de 3 p.100 MS et d'une digestibilité de 40 p.100. Ces quantités ont été calculées sur les mêmes bases que celles utilisées au §1322.

animaux

poids vif (kg)

paille ingérée (kg/j)

quantités d'urée (g/j)

ovins

30

0,7-1,0

11-15

bovins

250 (1 UBT)

3,0-4,0

45-60

6.2.2. Mélanges mélasse-urée

C'est le procédé qui a le plus fait ses preuves depuis de très nombreuses années.

Le principe est de mélanger l'urée à la mélasse, en l'état ou additionnée d'eau selon sa viscosité (d° Brix, en étroite relation avec sa teneur en sucres). L'essentiel réside alors à faire ingérer ce mélange par petites quantités de façon régulière et continue par l'animal: aspersion dans l'auge sur la ration de fourrage pauvre (pailles, tiges de maïs, de sorgho,...); système de roues à lécher trempant dans le bac de mélasse dont le niveau même n'est pas accessible à l'animal; adjonction de substances (lignosulfites,...) amères ou de goût dissuasif permettant de réduire l'appétibilité" du mélange et, par là, la quantité et la vitesse d'ingestion, etc.

L'étalement le plus homogène possible de l'ingestion permet,

· d'une part, d'éviter tout risque d'intoxication par ingestion brusque d'urée;
· d'autre part, comme mélasse et urée sont rapidement fermentées dans le rumen en AGV et en NH3, de synchroniser et de régulariser l'apport des éléments nutritifs dont les microorganismes ont besoin et d'éviter les variations brutales de pH dans le rumen (chap. 1) et, par là, de faciliter leur synthèse et de ne pas pénaliser la cellulolyse.

Ces mélanges sont tout indiqués pour y inclure minéraux et vitamines nécessaires à la cellulolyse et aux besoins de l'animal.

Il existe de nombreux exemples pratiques d'utilisation. Les plus judicieux à citer ici sont ceux de l'Egypte et de la Tanzanie.

L'Egypte dispose de deux sucreries de canne à sucre dans la vallée du Nil et de nombreux élevages basés, dans le delta, sur l'exploitation du berseem (Trifolium alexandrinum) en hiver et des pailles de riz en été. Elle a décidé au début des années 1980, à travers le Projet FAO/PNUD puis CEE sur l'amélioration de l'alimentation animale, de créer une unité de fabrication d'un mélange mélasse/urée (MUFeed) près d'Alexandrie à Noubariya. Cette unité, en fonction depuis 1983, a maintenant une capacité de 45 t/j pour le mélange liquide (de 6 t/j pour le mélange solide vendu sous forme de blocs) et commercialise le mélange dont la composition est indiquée ci-dessous aux éleveurs du delta qui peuvent, en outre, disposer des services des différents centres de traitements de la paille à l'ammoniac.

Formule du mélange liquide mélasse/urée (MUFeed) commercialisé en Egypte:

p.100

mélasse

91,36

urée

2,50

mélange minéral

1,14

eau

5,00

Le mélange minéral contient 14,6 p.100 de P; 5,0 p.100 de Mg; 6,6 p.100 de S; vitamine A, 230.000 UI/kg; vitamine D, 46.000 UI/kg; vitamine E, 1.270 ppm; Fe, 3.700 ppm; Zn, 3.000 ppm; Mn, 2.500 ppm; Cu, 630 ppm; Co, 60 ppm; I, 200 ppm
(Barker et al., 1987)

La Tanzanie s'est lancée en 1983/84 dans le même type de réalisation, à une échelle toutefois plus modeste, dans le cadre de son Projet FAO de développement de la production laitière chez les petits exploitants de la région Kilimandjaro/Arusha, productrice de café et de banane. Elle profitait là de la proximité de l'industrie sucrière dans la plaine Masaï. Il s'agit du programme MMU (mélange mélasse urée) développé autour d'un centre coopératif de mélange et d'un réseau de distribution/stockage du mélange dans les coopératives rurales de la région.

Le mélange contient 3 p.100 d'urée et des minéraux.

Il est distribué sur la base d'un apport quotidien recommandé de 0,5 kg/j/100 kg de poids vif aux vaches laitières (Tanzanian Zebu Shorthorn de 250 à 300 kg de poids vif et faibles productrices -5 à 6 kg de lait/j en plus du lait tété par le veau) par aspersion sur le fourrage dans l'auge (feuilles de bananiers, herbe coupée le long des routes, et, en saison sèche les tiges du maïs cultivé dans la plaine).

Les résultats des enquêtes menées chez les éleveurs ont permis de noter une amélioration de la production laitière moyenne de 0,5 kg de lait par kg de MMU distribué, (LAURENT et CENTRES, 1990).

6.2.3. Cas particulier: Complémentation avec des blocs multinutritionnels


6.2.3.1. Objectif
6.2.3.2. Principes de fabrication et ingrédients
6.2.3.3. Technique de fabrication


6.2.3.1. Objectif

La distribution des compléments liquides à base de mélasse/urée dans les élevages en stabulation (ou, même, dans les ranches) n'est pas adaptée aux petits éleveurs à cause des problèmes de préparation et de transport de ces mélanges. Les compléments classiques, quant à eux, ne sont pas facilement accessibles aux paysans tant pour des raisons de disponibilité que de trésorerie. L'emploi de l'urée comme seul complément des fourrages pauvres peut parfois entraîner des cas d'intoxication.

La nouvelle génération de compléments alimentaires des ruminants dans les pays en voie de développement est une approche innovatrice basée sur la fabrication et la distribution de blocs multinutritionnels qui apportent les nutriments nécessaires pour une meilleure valorisation des fourrages pauvres dans ces pays. Mise au point en Australie pour les animaux au pâturage (BEAMES, 1963), elle alors été reprise par différents auteurs (LENG, 1984; SUDANA, 1985; KUNJU, 1986; SANSOUCY, 1986 et 1995; SANSOUCY et al, 1988) soucieux de la diffuser dans les pays en voie de développement. Elle fait l'objet de nombreux projets de développement lancés par le Groupe des Ressources fourragères de la FAO dans de nombreux pays (annexe 7).

Le but de la fabrication et de l'utilisation des blocs multinutritionnels est de constituer un mélange approprié contenant de l'urée et des sous-produits locaux pour mieux entretenir les ruminants pendant la saison sèche en améliorant l'utilisation des fourrages grossiers et des pâturages pauvres. Les principaux avantages de ces blocs multinutritionnels sont les suivants:

· une complémentation "catalytique" pour les microbes du rumen qui favorise les fermentations ruminales et, par là, améliore la digestibilité et l'ingestibilité du fourrage ainsi que la nutrition azotée de l'animal grâce à une synthèse accrue des microbes du rumen.

· une complémentation minérale qui fait souvent défaut chez les paysans.

· une facilité de manipulation et de transport, très appréciable pour les éleveurs transhumants.

· une diminution des risques d'intoxication par l'urée.

· la possibilité de fabrication artisanale et de commercialisation à l'échelle villageoise.

· une diminution du coût de la complémentation.

6.2.3.2. Principes de fabrication et ingrédients

a - Principes

Le principe est de fabriquer un mélange pouvant, après séchage, garder une structure suffisamment cohérente pour pouvoir se transporter sans se déliter mais suffisamment préhensile pour pouvoir être léché par l'animal.

Plusieurs formules ont été développées (tableau 16). Il n'existe pas de formule standard mais des formules adaptées à chaque situation suivant la disponibilité, le prix, et les caractéristiques nutritionnelles des différentes matières premières et des sous-produits existant localement. Les caractéristiques physico-chimiques de certains composants, tels que la mélasse et le son de céréales, varient beaucoup d'un pays à un autre. Leur utilisation selon une proportion donnée peut ainsi ne pas conduire forcément aux mêmes résultats, Il est ainsi conseillé de procéder à des tests préalables afin de mettre au point et de vulgariser une formule définitive.

Tableau 16: Exemples de formules de blocs multinutritionnels appliquées dans la pratique (composition en %)

b - Caractéristiques des ingrédients

Quelle que soit la formule appliquée, les éléments communs à tout bloc sont:

· l'urée, ingrédient "stratégique",
· un aliment fibreux,
· des minéraux,
· la mélasse (facultative),
· des liants.

- l'urée:

il s'agit de l'urée engrais (46 N). Son incorporation est en général limitée à 10 p.100 afin d'éviter tout risque d'intoxication. C'est le composant principal du bloc sur le plan alimentaire.

- l'aliment fibreux:

il a pour principale fonction d'absorber l'humidité du bloc et de lui conférer une bonne structure. L'ingrédient le plus fréquemment utilisé est le son de céréales (blé, riz, sorgho, mil ou maïs). En plus de son rôle d'absorbant le son (surtout le son de blé) apporte de l'azote, de l'énergie (amidon) et du phosphore sous une forme assimilable par le ruminant. D'autres produits tels que les coques d'arachide finement broyées, la paille très finement broyée, la bagasse fine, les feuilles séchées d'arbustes fourragers finement broyées (Leucaena spp,....) peuvent remplacer partiellement ou totalement le son de céréales.

- les minéraux

le sel apporte le chlorure de sodium (NaCl); il favorise également la prise des blocs et régularise leur ingestion. Le sel ordinaire de cuisine est souvent utilisé. Le gros sel et les blocs de sel ou de natron, traditionnels dans certains pays, peuvent être également incorporés dans le mélange. Le taux d'incorporation est généralement compris entre 5 et 10%. Dans certains pays où le degré hygrométrique est supérieur à 60 p.100 et pendant la saison des pluies, il est recommandé de limiter son incorporation à 5 p.100.

Le carbonate de calcium, le phosphate bicalcique et la farine d'os enrichissent les blocs en P et Ca. Lorsqu'ils ne sont pas disponibles localement et/ou que leur coût est prohibitif ils peuvent être remplacés par de la chaux et des superphosphates. La composition minérale de ces éléments est donnée dans le tableau 17.

Tableau 17: Composition en calcium et en phosphore de quelques sources minérales pouvant être incorporées dans les blocs multinutritionnels (p.100)

Sources

Calcium

Phosphore

Carbonate de calcium

33-38

0

Phosphate bicalcique

23-24

16-18

Phosphate tricalcique naturel

20-34

10-17

Farine d'os

25-27

12-13

Super phosphate triple (0-46-0)

16

20

Super phosphate simple (0-16,5-0)

20

7

- la mélasse:

il s'agit d'une excellente source d'énergie fermentescible optimisant l'utilisation de l'urée, des minéraux, en particulier d'oligo-éléments, et constitue un facteur d'appétabilité en raison de sa teneur en sucre. Elle ne doit pas être diluée car sa consistance est un facteur très important de la réussite du bloc. Dans le cas de fabrication en quantités importantes le degré Brix (lié à la concentration en sucres qui détermine le taux de matière sèche de la mélasse) recommandé doit être au moins égal à 75. Le taux d'incorporation de la mélasse dans les blocs dépend de son prix et des quantités disponibles localement. On ne devrait toutefois pas dépasser un taux de 40 à 50% car une quantité trop élevée de mélasse diminuerait la dureté du bloc et allongerait son temps de séchage (d'autant plus long que le degré hygrométrique ambiant est élevé).

Toutefois si l'utilisation de la mélasse est souhaitable pour les raisons citées plus haut, elle n'est pas obligatoire et les pays n'en disposant pas peuvent réaliser des blocs sans mélasse comme l'ont montré HASSOUN et BA (1990).

- les liants:

le ciment, celui utilisé en maçonnerie. Un taux d'incorporation dans le mélange de 10% est en général suffisant. Il n'est pas recommandé de dépasser 15%. Lorsque son prix est élevé, ce taux peut être ramené à 5 p.100 et il est utilisé en association avec l'argile. Aux doses recommandées, le ciment ne présente pas de danger pour l'animal (les quantités qui en sont ingérées sont de toutes façons très faibles). Un ciment vieux ou mal conservé entraîne des problèmes de cohésion du bloc.

la chaux vive, celle qui se présente en pierre et qui dégage de la chaleur en présence d'eau. Son broyage est nécessaire avant utilisation. La chaux éteinte sous forme de poudre est plus facile à manipuler mais n'a pas toujours donné d'aussi bons résultats. La chaux vive utilisée comme seul liant donne des résultats comparables au ciment lorsqu'elle est incorporée à raison de 10% mais les blocs sont légèrement moins durs. La chaux présente l'avantage d'apporter du calcium et de diminuer le temps de séchage des blocs.

l'argile, celle utilisée dans la fabrication des briques ou des poteries artisanales. L'emploi de l'argile est plus récent mais a donné des résultats très satisfaisants (Projets FAO/TCP/Cambodge/2254, KAYOULI, 1994 b et FAO/TCP/Tanzanie/2255, PRESTON, 1993). L'utilisation combinée d'argile (20%) et de ciment ou de chaux vive (5 à 10%) améliore considérablement la dureté des blocs et réduit la durée de séchage par rapport au ciment ou à la chaux utilisés seuls. L'argile, localement disponible, est une alternative intéressante permettant de diminuer le coût de production des blocs.

- les autres ingrédients.

D'autres sous-produits peuvent également être incorporés dans les blocs. Ce sont, les grignons d'olive (cas de l'Afrique du Nord et du Proche Orient), la litière sèche de volailles, des farines animales (poisson, déchets d'abattoir), des tourteaux de coton, d'arachide, de sésame, des farines de luzerne, des algues marines, des drêches de brasseries,... Enfin les blocs, surtout ceux qui ne contiennent pas de mélasse, peuvent être enrichis en oligo-éléments, particulièrement dans les zones fortement carencées ou pour des animaux dont les besoins sont élevés. Des sources de phosphore telles que le phosphate bi- ou mono-calcique ou la farine d'os peuvent être ajoutées au taux de 5%.

6.2.3.3. Technique de fabrication

La technique de fabrication est simple, elle présente l'avantage de pouvoir être exécuté avec un minimum de matériel accessible au petit exploitant. Elle est exposée dans l'annexe 4 à travers deux formules différentes ayant été utilisées dans le cadre de deux projets de développement, l'une au Cambodge (FAO-TCP/Cambodge/2254, Plan de sauvegarde pour le bétail) et l'autre au Niger (FAO-PNUD/NER./89/016, Extension de la méthode de traitement à l'urée).

6.2.4. Complémentation avec des fourrages verts et des résidus de culture

II est également possible de complémenter les pailles avec d'autres fourrages, plus riches. Ce sont,

· soit les fourrages verts ou les feuilles de légumineuses arbustives ou d'une manière générale d'arbustes fourragers,

· soit les fanes de légumineuses vivrières comme les pois, les arachides, le niébé,... qui sont plus digestibles que les pailles et, surtout, plus riches en matières azotées.

Cette complémentation, quoique souvent évoquée (PRESTON et LENG, 1984; DEVENDRA, 1991; PRESTON, 1995) comme nutritionnellement justifiée et bénéfique, est en général sous-estimée et sous utilisée. Il est vrai qu'elle ne s'applique pas toujours aux régions à saison sèche marquée mais plutôt aux systèmes de production mixtes agriculture-élevage des régions tropicales humides.

Les compléments fourragers sont nombreux et très divers. Ils vont de l'herbe verte fauchée ou pâturée le long des chemins, des routes ou des bordures et diguettes de rizières aux feuilles des légumineuses arbustives utilisées comme haies ou clôtures (Acacia spp., Erythrina spp., Gliricidia spp., Leucaena leucocephala, Sesbania spp.,...) en passant par les feuillages et fanes de cultures vivrières comme le manioc (Maniholt esculenta), le pois d'Angole (Cajanus cajan), etc...

Les légumineuses arbustives présentent toutefois l'intérêt, par rapport aux ressources fourragères classiques, de persister et d'être disponibles pendant la saison sèche. Elles font l'objet de travaux de recherche et de développement de plus grande envergure qu'auparavant (SPEEDY et PUGLIESE, 1992). Un des principaux objectifs actuels est de mieux les intégrer aux systèmes agricoles comme en Asie.

Tableau 18: Influence de la complémentation de pailles de riz en l'état (NT) ou traitée à l'urée (T) par des légumineuses herbacées ou arbustives sur les quantités ingérées, la digestibilité et les croissances.

(1) et (2) Straw utilization Project (1986) (3) Suriyajantratong et Willaipon (1985)


Régime

1

2

3

4

(1) Tourillons (98-109 kg)





MS ingérée (kg MS/100 kg PV)





paille de riz (NT)

2.7

2.8

2.5

2.2

Gliricidia


03

0.6

1.1

Digestibilité MS (%)

47

46

49

55

GMQ (g/j)

-113

-54

-94

10

(2) Taurillons (98-109 kg)





MS ingérée (kg MS/100 kg PV)





paille de riz (T)

3.2

3.1

3.4

2.8

Gliricidia


0.3

0.5

1.0

Digestibilité MS (%)

41

45

50

52

GMQ (g/j)

-28

63

134

130

(3) Bouvillons (140-150 kg)





MS ingérée (kg MS/100 kg PV)





paille de riz (NT)

3.02

3.21

3.22

337

Vérano


0.44

0.96

1.36

GMQ (g/j)

-165

11

60

104

Le tableau 18, donnant les résultats de quelques essais asiatiques, illustre bien l'intérêt de la complémentation des pailles avec des feuilles de légumineuses herbacées (Stylosanthès verano) ou arbustives (Gliricidia spp). Il a été observé une substitution très faible de la paille par le fourrage vert, voire une augmentation de la quantité de paille ingérée avec des taux d'incorporation croissants dans la ration une augmentation de la digestibilité de la ration totale et, par tant, des gains de poids des animaux (taurillons et bouvillons) qui passent de valeurs négatives à des valeurs positives.

Une telle complémentation favorise la cellulolyse grâce à la présence de parois (feuilles) digestibles. Elle apporte un complément de matière organique digestible en plus des matières azotées (présentes dans les feuilles) manquantes pour une bonne utilisation digestive des fourrages pauvres. Elle permet ainsi de faire passer l'état nutritionnel de l'animal de la subsistance à l'entretien voire à une production modeste.

Les feuilles, les fanes et les tiges de cultures vivrières sont largement utilisées en zone agro-pastorale soudanienne et soudano-sahélienne d'Afrique où les fanes d'arachide et de niébé sont en général soigneusement ramassées et stockées après la récolte et font même l'objet d'un commerce important. Il en est de même dans certains pays du Maghreb et du Mashreq avec les fanes de pois, de pois chiches, de vesce,...

Comme les compléments fourragers évoqués plus haut, ces résidus, plus digestibles et plus riches en MAT que les pailles qu'ils complémentent, ont le même effet "catalytique" sur l'utilisation digestive de ces dernières et en améliorent ainsi la digestibilité et l'ingestibilité comme le montre le tableau 19.

Tableau 19: Influence de la complémentation d'une paille d'orge en l'état par des fanes de pois et de vesce sur la digestibilité de la matière organique (dMO) et sur les quantités de matière sèche (MS) et de matière organique digestible ingérées (MODI) par des moutons. Comparaison avec le tourteau de coton.

Complément

MS ingérée

dMO

MODI

(% de la MS de la ration)

(g/j)

(p100)

(g/j)

aucun

785

46

360

fanes de pois




(33 p100)

955

48

455

(67 p100)

1070

46

490

fanes de vesce




(33 p100)

1065

48

515

(67 p100)

1345

50

670

tourteau de coton




(15 p100)

1250

49

615

source: Goodchild et al., 1992

L'intérêt de ces complémentations est qu'elles ne coûtent, en général, que le prix de leur collecte.

6.2.5. Complémentation avec des sous-produits locaux


6.2.5.1. Complémentation "paysanne" ou "fermière"
6.2.5.2. Rations "complètes" permettant de valoriser les fourrages pauvres


L'objectif est d'apporter l'énergie et l'azote complémentaires pour couvrir les besoins de production de l'animal.

Cette complémentation devra non seulement respecter les caractéristiques nutritionnelles évoquées plus haut, mais, également,

· être économique,
· et être compatible avec les disponibilités locales au sens socio-économique.

Il est illusoire d'envisager des compléments à base de céréales ou d'aliments riches en amidon (racines et tubercules) lorsque ceux-ci sont destinés en priorité à l'alimentation humaine (ou parfois à l'exportation,...).

6.2.5.1. Complémentation "paysanne" ou "fermière"

Nous parlerons de complémentation paysanne ou fermière en ce sens qu'elle ne fait pas appel à des aliments composés du commerce mais à des aliments disponibles directement sur l'exploitation.

Ces aliments ne sont généralement pas très nombreux et la liste en est vite faite. Ce sont essentiellement les issues des céréales produites et transformées localement (brisures et sons de riz, sons de sorgho, de mil, de maïs,...) ou importées (surtout le blé) et les graines de coton. En effet les autres sous-produits comme les tourteaux sont généralement exportés ou, s'il en reste, ne sont accessibles que près des villes et surtout utilisés pour les monogastriques après être passés par la filière des industries de l'aliment du bétail. Il en est de même des farines de poisson et de viande. Les drêches de brasserie sont plus difficiles à transporter et sont utilisés par les élevages laitiers périurbains.

Les compléments qu'on peut qualifier de "stratégiques" sur le plan nutritionnel sont,

· les sons et brisures de céréales (riz, blé, mil, etc... - produit ou importé -). Ils apportent de l'énergie digestible grâce à l'amidon qui reste après extraction de la farine. Certains amidons comme celui du riz présentent en outre la propriété de ne pas être dégradés en totalité dans le rumen et d'apporter ainsi des sources de glucose au niveau de l'intestin grêle grâce à la digestion enzymatique (cet aspect souligné par PRESTON et LENG, 1984, est important avec des fourrages de qualité médiocre). Ils apportent des MAT assez peu dégradables donc intéressantes comme source d'acides aminés précurseurs de glucose. Enfin les issues de riz apportent des acides gras à longue chaîne faisant souvent défaut dans des rations à base de fourrages pauvres.

· les graines (et tourteaux) de coton. Elles apportent des MAT relativement dégradables et de l'énergie (parois, amidon, matières grasses). Comme les brisures de riz elles apportent également, en plus des protéines, les acides gras "alimentaires" manquants.

· les déchets et farines animales (viande, sang et os, poisson,...). Ce sont les compléments de choix de tels fourrages en particulier des fourrages traités qu'ils permettent de bien valoriser. Leur intérêt majeur est la fourniture de protéines peu dégradables. Les farines de poisson fournissent également les acides gras faisant défaut avec ces rations. Cependant ces compléments, souvent chers, sont généralement mieux valorisés par les monogastriques.

L'annexe 6 regroupe les caractéristiques nutritionnelles de ces principales ressources fourragères.

6.2.5.2. Rations "complètes" permettant de valoriser les fourrages pauvres

Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une technique de complémentation, il peut être intéressant d'évoquer ces types de rations qui ont été testées et utilisées en particulier dans les pays du Proche Orient (Projet UNDP/FAO Syrie, HADJIPANAYIOTOU et al., 1989) et en Tunisie (KAYOULI et al.; 1993).

Les fourrages pauvres (pailles et/ou tiges de maïs) constituent le "support" d'une association de sous-produits locaux, voire également de fourrages verts, soit mélangés dans l'auge, soit ensilés ensemble, couche par couche. Le fourrage pauvre constitue ainsi la fraction fibreuse de la ration en même temps qu'il relève le taux de matière sèche du mélange permettant ainsi d'assurer les conditions optimum du processus d'ensilage et, de toutes façons, du fonctionnement du rumen. Des exemples de telles rations ou d'ensilages sont donnés dans le tableau 20. Elles se prêtent parfaitement à l'engraissement en lots de moutons ou de bovins.

En plus de la partie fibreuse que constitue la paille, les autres éléments constitutifs de ces rations sont généralement,

· des pulpes d'agrumes, apportant de l'énergie sous forme de parois digestibles,

· de la litière de volailles, fournissant l'azote dégradable,

· des sons ou issues de céréales, apportant à la fois de l'énergie et de l'azote peu dégradable,

· enfin, des sous-produits divers d'intérêt nutritionnel variable comme, en zone méditerranéenne, les grignons d'olive.

Tableau 20: Exemples d'utilisation de rations à base de sous-produits locaux et de paille par des ovins, des caprins et des bovins en région méditerranéenne et au Proche Orient, (d'après Kayouli et al., 1993: Hadjipanayiotou. 1993 et Hadjipanayiotou et al., 1993)


Kayouli et al., 1993

Hadjipanayiotou (1993)

Hadjipanayiotou et al. (1993)

témoin

ration expérimentale

témoin

ration expérimentale

ration expérimentale

(mouton Barbarine)

(béliers Awassi)

génisses

agneaux

chevreaux

(Frisonnes)

(Chios)

(Damas)

Quantités ingérées (g/j)








concentré

1010

380

971

478

2646

606

534

paille

200


583

382

890

205

182

ensilage


1140


698

3488

261

35

foin (d'avoine)





874

196

174

Poids initial (kg)

213

21.2

60

60

340

48.5

41.3

Poids final (kg)

36.4

38.0

67

67

360

50.4

43.2

GMQ (g/j)

221

253

114

103

759

70

66

IC (kg MS ing./kg gain)

55

6

13.6

15.1

10.4

18.1

14


ensilage de:

proportions

ensilage de:

proportions

ensilage de:

proportions



(p.100)


(p.100)


(p.100)


grignons d'olives

45

pulpe de betterave

80

pulpes d'agrumes

80 à 85




(17% MS)


(18% MS)


litière de volaille

45

litière de volaille

20

litière de volaille

20 à 15




(90% MS)


(78% MS)



son de blé

10





Distribuées en libre service, de telles rations présentent l'intérêt nutritionnel d'un apport continue et régulier de l'ensemble des nutriments contribuant ainsi à la bonne utilisation digestive du fourrage pauvre.

6.2.6. Complémentation "classique" avec des concentrés commerciaux

On ne s'étendra pas sur ce type de complémentation qui,

· d'une part, n'est souvent pas adapté, tant sur le plan nutritionnel qu'économique, pour valoriser les fourrages pauvres et,

· d'autre part, n'est pas du ressort des pays à difficultés nutritionnelles (utilisation de céréales en alimentation animale) à l'exception toutefois de certains pays du Maghreb et du Proche Orient où les céréales (orge) peuvent être moins chères que la paille pendant certaines périodes (saison sèche) de l'année. Ceci encourage alors les éleveurs à les utiliser de manière exagérée et conduit à des accidents digestifs parfois mortels (acidoses, entérotoxémie,...). Dans ces derniers cas, c'est d'ailleurs la paille ou les parcours qui constituent les "compléments" des concentrés en tant qu'apport d'éléments fibreux à la ration.

6.3. Conclusion

En conclusion, l'objectif final de la complémentation des fourrages pauvres est d'en faciliter l'utilisation digestive et d'en augmenter les quantités ingérées. Ceci ne peut être obtenu que par l'optimisation de la cellulolyse dans le rumen.

La complémentation minimale, que nous avons qualifiée de catalytique, vise précisément à favoriser cette cellulolyse grâce à l'apport aux microbes du rumen des éléments manquant dans le fourrage. Ce sont les matières azotées (dégradables ou non protéiques comme l'urée), les minéraux et les vitamines A et D3.

L'exemple typique d'une telle supplémentation est le bloc multinutritionnel à lécher. Les réalisations et exemples pratiques en ce domaine sont nombreux et encourageants. Cette complémentation permet de faire passer l'état nutritionnel de l'animal d'une situation déficitaire à une situation de subsistance ou d'entretien.

Pour faire passer cet état nutritionnel à une situation de production, il faudra des apports plus importants et une complémentation de production. Cette complémentation devra toutefois ne pas remettre en cause la cellulolyse. Elle devra donc être nutritionnellement compatible avec une bonne cellulolyse. Ce principe s'applique d'ailleurs à la fois aux fourrages en l'état et aux fourrages traités. Il conviendra de porter une attention particulière à la quantité et à la qualité de cette complémentation et, cela, encore plus avec les fourrages traités si on ne veut pas perdre le bénéfice du traitement et ne pas avoir "traité pour rien".

· la quantité: le fourrage pauvre devrait continuer à représenter la majeure partie des quantités de matière sèche ingérées par l'animal,

· la qualité: aliments riches en fibres digestibles comme les fourrages verts, les pulpes d'agrumes et de betteraves,....; aliments apportant des matières azotées de bonne qualité (peu dégradables).

Les compléments stratégiques sont les issues de céréales, les graines protéagineuses et oléagineuses (ou leurs tourteaux), les feuilles et gousses d'arbres et de légumineuses fourragères et, surtout, les déchets et farines de poisson et de viande. Il ne s'agit pas des concentrés commerciaux qui ne sont généralement pas conçus dans ce sens.

Les résultats en termes zootechniques seront examinés au chapitre suivant regroupant essais et constatations de terrain avec des fourrages en l'état et/ou traités.


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