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VIII. Considérations socio-économiques sur le développement des techniques de valorisation des fourrages pauvres


8.1. Introduction
8.2. Aspects économiques
8.3. Considérations sur la pratique du développement des techniques de valorisation
8.4. Impact des techniques sur les systèmes agraires
8.5. Conclusion


8.1. Introduction

II existe tout un ensemble de moyens permettant à l'éleveur ou au paysan de valoriser leurs fourrages pauvres et leurs résidus de culture. Ils vont de la complémentation minimale (blocs multinutritionnels) au traitement, relativement délicat comme le traitement à l'ammoniac anhydre, en passant par le traitement à l'urée, facile à proposer au petit exploitant.

L'objet de ce chapitre est de faire rapidement le tour des facteurs socio-économiques à prendre en compte lors de tout programme de vulgarisation de ces techniques afin de mettre en évidence les freins, à contourner, et les atouts, à favoriser, permettant d'assurer leur développement en insistant plus particulièrement sur le traitement.

La justification de l'utilisation des techniques de traitement et/ou de complémentation se trouve au croisement, d'une part des besoins nutritionnels, dépendant eux mêmes de la nature et du fonctionnement du système de production animale et, d'autre part, de la disponibilité géographique et saisonnière des ressources fourragères et de leur qualité. Il est donc important de distinguer les systèmes de production selon la disponibilité et la place que fourrages et résidus de cultures y représentent en tant que ressources fourragères (BOUTONNET, 1994).

La question est en outre souvent posée de savoir s'il est plus avantageux de traiter les fourrages pauvres ou de les complémenter. Sur le plan strictement technique la réponse est sans ambigüité: on peut faire produire autant à l'animal avec une paille traitée qu'avec une paille en l'état complémentée, aux restrictions nutritionnelles près permettant d'optimiser la fraction fibreuse de la ration, évoquées au chap. 6. Sur le plan socio-économique, cette réponse est beaucoup moins nette et nécessite une analyse plus approfondie du contexte local devant prendre en compte, d'une part, les marchés des intrants et des produits et, d'autre part, la nature et le fonctionnement des systèmes de production.

8.2. Aspects économiques


8.2.1. Les différents contextes agro-économiques
8.2.2. Comment réduire le coût du traitement?
8.2.3. Optimisation en qualité et en quantité du complément du fourrage traité


8.2.1. Les différents contextes agro-économiques

Si on élimine d'entrée les systèmes extensifs de rente que constituent les grands troupeaux exploitant des espaces pastoraux de manière mobile (nomades, transhumants) ou fixe (ranching) non utilisateurs de résidus de culture (BOUTONNET, 1994), on peut ramener schématiquement les combinaisons ressources fourragères/production animale, très diverses, aux quatre situations définies dans le tableau ci-dessous, pour lesquelles l'approche et la réflexion vont être totalement différentes.

Ressources fourragères/Besoins nutritionnels

Ressources fourragères grossières (offre)

Animaux (besoins)

peu productifs

très productifs

abondantes

cas 1

cas 3

rares

cas 2

hors-sol

Cas 1

C'est le cas de beaucoup de pays en voie de développement à situation fourragère abondante mais saisonnière où sont plus ou moins juxtaposés:

· des systèmes végétaux intensifs à forte production de biomasse végétale dont les sous-produits (résidus de culture) de "mauvaise" qualité ne sont pas utilisés à leur optimum

· et des systèmes d'élevage généralement peu productifs. Les animaux y sont des utilisateurs potentiels des sous-produits. L'intégration de l'élevage à l'agriculture constitue ainsi un moyen d'intensifier le système.

Les périmètres irrigués sahéliens des fleuves Niger ou Sénégal, le Delta et la vallée du Nil en Egypte, l'Asie du Sud-Est, la Chine centrale sont des exemples types de telles situations.

La paille peut n'être disponible qu'en quantités limitées et de manière saisonnière mais constituer la seule ressource complémentaire des fourrages classiques, pâturés ou fauchés. Elle constitue alors une richesse pour laquelle, en principe, toute technique d'amélioration de la valeur alimentaire est bénéfique.

Les aspects économiques sensu-stricto pèseront moins lourd dans les éléments de décision de l'exploitant que, (1) la trésorerie et les ressources fourragères dont il dispose et (2), le besoin, presque immédiat, d'une amélioration en termes de production (lait, viande, efficacité au travail). La décision dépendra du résultat du bilan rentrées/sorties ("budget prévisionnel") pour chacune des deux hypothèses complémentation et traitement.

Calcul économique simplifié coût/avantage du traitement, exemple des hauts plateaux Malgaches (Chenost. 1993)

Coût du traitement


Pour une fosse de 2 m x 1 m x 1 m = 2 m3

permettant de traiter 200 kg de paille sèche

- plastique (bande de 1,5 m de large à 650 FMG (2)/m2)



12 m (1) x 1,5 m = 18 m2



soit 18 m2 x 650 FMG = 11700 FMG



coût

par traitement

par kg de paille traitée

- (1) deux traitements par an pendant 1 an: 11700/2

= 5850 FMG 5850/200

= 29 FMG

- (2) deux traitements par an pendant 4 ans: 11700/(2 x 4)

= 1460 FMG 1460/200

= 7 FMG

- urée (700 FMG/kg)



dose de 6 kg par 100 kg de paille sèche soit



12 kg pour 200 kg de paille sèche traitée



12 kg x 700 FMG = 8400 FMG



coût

par kg de paille traitée

8400/200 =

42 FMG

- coût plastique + urée


- hypothèse (1), 2 réutilisations

42 + 29 = 71 FMG

- hypothèse (2) 8 réutilisations

42 + 7 = 49 FMG

Avantage


On prendra l'hypothèse, réaliste (3) selon laquelle la consommation de 5 kg de paille traitée par jour peut entraîner une augmentation de production de la vache de 1,5 kg de lait par jour par rapport à la paille non traitée.

Il en résulte une augmentation de recettes de, 1,5 kg à 500 FMG/kg = 750 FMG, pour 5 kg de paille traitée soit

par kg de paille traitée


750/5 = 150 FMG

D'où un bénéfice, par kg de paille traitée de


hypothèse (1)

150 - 71 FMG, arrondi à

80 FMG

hypothèse (2)

150 - 49 FMG, arrondi à

100 FMG

(1) - une bande de 0,5 + 1,0 + 2,0 + 1,0 + 0,5 m pour tapisser la fosse dans te sens de la longueur, en ménageant deux rabats de 0,5 m chacun

5,0 m.

- deux fois deux bandes de 0,5 + 1,0 + 0,25 m pour tapisser la fosse dans le sens de la largeur, en ménageant un rabat de 0,5 m et un pied de 0,25 m pour chaque bande

7,0m.

Total

12,0 m

(2) - FMG = Franc Malgache (1 F français = 317 FMG) au 1/1/93


(3) - observée par enquête chez les éleveurs (tableau 27).


L'exemple de Madagascar présenté ci-dessous illustre bien ces situations et montre que le simple calcul coût/avantage est un élément de décision important et suffisant.

La décision entre traitement et complémentation est étroitement liée à la disponibilité des intrants et à leurs prix respectifs (urée, issues de céréales). L'exemple de rationnement des boeufs de traits en condition de travail moyen présenté au tableau 30 montre que pour prendre cette décision il faudra comparer,

· le prix de 360 kg de son, nécessaire pour complémenter 600 kg de paille non traitée, avec,
· le prix de 42 kg d'urée, nécessaire pour traiter 840 kg de paille, et de 60 kg de son, nécessaires pour couvrir les mêmes besoins d'un animal de labour pendant 4 mois.

Enfin la décision sera facilitée par le fait que, dans ces pays, les compléments ne doivent pas entrer en concurrence avec l'alimentation humaine ou, dans certains cas, avec l'exportation (source de rentrées de devises au niveau national).

Cas 2

C'est celui des systèmes des zones steppiques arides avec bassins céréaliers en sec ou irrigués dont l'exemple type est le Maghreb et le Proche Orient. La gamme des systèmes de production peut être assez large et passer du système extensif de cueillette (parcours) au système intensif hors sol, avec toutes les combinaisons intermédiaires, suivant la place que représentent les fourrages et les sous-produits (cultivés ou achetés) dans la ration des animaux.

Le végétal est rare par rapport à la demande des animaux. La paille, bien que traditionnellement utilisée, peut être non seulement limitée mais se trouver en concurrence avec d'autres ressources fourragères moins chères comme l'orge, produites et/ou importées. Il sera important, dans ces situations, de réfléchir à l'opportunité économique des méthodes d'amélioration avant de les diffuser inconditionnellement. D'autres arguments (zootechniques et sanitaires) que ceux purement économiques peuvent néanmoins retenir l'intérêt des éleveurs pour ces techniques. En effet les fourrages grossiers sont considérés comme l'élément fibreux indispensable de la ration des ruminants.

Sur le plan nutritionnel et zootechnique:

II faut rappeler (chapitres 6 et 7) que les fourrages traités ne sont nutritionnellement bénéfiques que s'ils représentent la majeure partie de la ration (schématiquement au moins la moitié). Des proportions inférieures entraînent, on l'a vu, des phénomènes de digestibilité associative négative qui viennent "gommer" l'effet traitement.

Or, même traités, les fourrages pauvres auront une valeur alimentaire insuffisante pour pouvoir constituer l'essentiel de la ration d'animaux très productifs à besoins élevés.

Aussi conviendra t-il de les distribuer aux animaux du troupeau à besoins modérés par leur stade physiologique (génisses en fin de croissance, vaches ou brebis allaitantes en fin de lactation) qui seront les "animaux cibles", les animaux productifs recevant, quant à eux, lés fourrages de très bonne qualité.

Sur le plan économique:

II faudra avoir recours à des enquêtes permettant d'identifier le fonctionnement du système afin d'estimer les chances de succès des techniques proposées d'autant plus que, dans ces régions, les concentrés, souvent importés ou subventionnés, peuvent être moins chers que les pailles qui atteignent des prix très élevés en saison de soudure fourragère.

C'est ainsi qu'un "guide" vient d'être récemment mis au point par BOUTONNET et MERCIER (1994). Il propose aux décideurs une méthodologie d'approche sous la forme d'une liste de questions à se poser avant de divulguer les techniques de traitement.

L'objectif est de parvenir à un diagnostic rapide de l'intérêt pour un, éleveur à traiter. On se place du point de vue de l'éleveur ou du point de vue de l'éleveur-agriculteur c'est à dire du producteur de fourrage qui s'interroge sur la meilleure destination économique de ses ressources.

L'étude proposée comporte deux phases:

1/ Une étude de marché: connaître le marché des fourrages: caractérisation du produit étudié (la paille traitée) et des produits substituables, étude de marché des produits (condition d'échange de ces produits), comparaison des valeurs nutritives.

2/ Une étude de la place du produit (paille) dans les systèmes d'élevage: connaître les espèces animales utilisées, les productions animales obtenues (viande, lait, poils,...) et la place de la paille non traitée dans la ration pour en apprécier les conditions d'utilisation et en particulier la nature et les quantités des fourrages distribués en complément, connaître les systèmes d'élevage et leur production.

L'étude se déroule selon les séquences suivantes: caractérisation du produit étudié, caractérisation des produits substituables, étude des marchés de ces produits, conclusion sur la compétitivité du produit, caractérisation des systèmes d'élevage de la région à étudier, choix des élevages à enquêter dans les différentes catégories de systèmes d'élevage, enquête auprès de deux à trois éleveurs par catégorie, calcul des ratios caractéristiques (part de chaque fourrage dans la ration) de chaque système d'élevage, conclusion par systèmes d'élevage et, enfin, conclusion pour le marché et les systèmes d'élevage.

Les deux approches, nutritionnelle et économique, doivent être présentes à l'esprit pour la conclusion:

· il y a intérêt nutritionnel quand la part de la paille dans la ration est supérieure à 50% de la MS,

· il y a intérêt économique quand le coût de l'énergie achetée sous forme de concentré est supérieur à l'énergie supplémentaire procurée par le traitement de la paille et/ou quand la valeur (au prix de marché) de la paille ou du foin non gaspillé grâce au traitement est supérieur au coût du traitement, car dans ce cas, l'éleveur peut vendre sur le marché le foin ou la paille en excédent.

Cette méthode de diagnostic vient d'être testée avec succès au Maroc, en Jordanie et en Syrie, pays de céréaliculture-élevage mais opposés par la disponibilité en paille: limitée pour les deux premiers, pratiquement illimitée pour le troisième.

Cas 3

C'est celui des systèmes de production mixte, agriculture et élevage, ou "modèle paysan". Les troupeaux consomment principalement des sous-produits agricoles ou domestiques, complétés par du pâturage et/ou des fourrages cultivés (BOUTONNET, 1994) ou achetés. Par extension on incluera dans ces systèmes le modèle atelier intensif spécialisé sur une production animale (lait par exemple) qui, à la limite, devient hors sol (cas 4) lorsque les aliments sont achetés en totalité.

Les animaux, exploités de manière intensive, ont souvent des performances zootechniques élevées (prolificité, production laitière, production de viande) et l'approche économique précédant la décision de traitement devra être plus précise.

Ainsi, sur le plan économique,

il y aura lieu de procéder à un calcul plus complet permettant de déterminer le coût du traitement au delà duquel il ne sera plus rentable de traiter (coût maximum admissible). Ce coût peut être calculé à partir de l'égalité suivante:

coût d'une ration paille traitée complémentée = coût d'une ration paille non traitée complémentée, les deux rations assurant la même production zootechnique.

Cette égalité peut être traduite (LIENARD et DULPHY, 1987) sous forme d'équation:

T (Pnt + Tr) + Ct x ct = NT x Pnt + Ct x ct

où,

T = quantité de paille traitée ingérée (kg)
NT = quantité de paille non traitée ingérée (kg)
Pnt = prix du kg de paille non traitée
Tr = prix du traitement du kg de paille
Ct = quantité de concentré ingérée avec la paille traitée
ct = prix du concentré pour la paille traitée
Cnt = quantité de concentré ingérée avec la paille non traitée
cnt = prix du concentré pour la paille non traitée

de cette équation il est possible de tirer le coût (Tr) du traitement qu'il ne faudra pas dépasser:

Tr = [(Cnt x cnt) - (Ct x ct) - (T - NT) x Pnt]/T

= (diminution de consommation de concentré - augmentation de consommation de paille)/(quantité de paille traitée ingérée)

Cette formule simple montre, entre autres, que le coût maximum admissible est d'autant plus élevé (donc qu'il est intéressant de traiter) que,

· l'économie de concentrés est élevée,
· le prix des concentrés est élevé

et qu'il est d'autant plus faible (donc qu'il sera plus difficile de rendre le traitement économique) que,

· le prix de la paille est élevé,
· le prix des concentrés est faible.

La formule permet ainsi de dresser tout un ensemble de familles de courbes (LIENARD et DULPHY, 1987) donnant les limites du coût du traitement suivant les prix de la paille et des compléments, les quantités respectives de paille et de compléments consommées, donc de la qualité de la paille initiale et de l'efficacité du traitement et, aussi, du type d'animaux recevant ces pailles (niveau des quantités ingérées et, donc, de production) auxquels on s'adresse.

sur le plan nutritionnel (animaux cibles):

Outre les contraintes économiques, il sera important, particulièrement pour cette catégorie de systèmes de production, de réserver là aussi les fourrages pauvres traités aux animaux à besoins modérés du troupeau pour les raisons nutritionnelles évoquées plus haut.

8.2.2. Comment réduire le coût du traitement?

Quel que soit le type de situation agro-économique dans lequel on se trouve, le traitement à mettre en oeuvre implique un coût dont les paramètres sont,

· le prix et les quantités d'agent de traitement (ammoniac, urée),

· le coût impliqué par la réalisation de l'herméticité du milieu de traitement: enceinte fixe (son amortissement car elle est réutilisable) ou temporaire (parois en matériaux locaux ou en bâches ou films de plastique,...), couverture du traitement;

· la main d'oeuvre nécessaire pour l'opération de traitement proprement dite.

L'objet n'est pas d'étudier tous les cas de figure mais de souligner les postes où, à notre avis, il sera le plus facile de faire porter les économies. On se référera de toutes façons au chapitre 3 traitant des aspects pratiques du traitement.

Cas du traitement à l'ammoniac anhydre

Le coût du traitement par kg de paille traité a fait l'objet de nombreuses études économiques. Nous citerons celle de ZWAENEPOEL et LIENARD (1987) qui montre que le coût unitaire de traitement dépend de la technique utilisée et du tonnage traité. Le traitement en meule est toujours le plus économique. Toutefois, dans les conditions européennes, le traitement par la méthode d'injection en balles rondes mises en gaine devient comparable au traitement en tas à partir de tonnages annuels supérieurs à 300 tonnes. La principale économie réalisable dans le cas du traitement en meule est celle du film de plastique inférieur, l'herméticité de la meule étant alors assurée par l'enfouissement, soigneusement réalisé, du film de couverture dans le sol sur tout le pourtour de la meule.

Il est bien entendu que les investissements lourds (citernes,...) sont très élevés et ne pourront être envisagés qu'à l'échelle de groupements d'éleveurs ou de coopératives. Cette technique est rarement justifiée économiquement dans les conditions des pays en développement.

Cas du traitement à l'urée

Les économies réalisables dans le cas des traitements à l'urée ne peuvent pas porter énormément sur les quantités d'urée à utiliser. Ce dernier point serait toutefois à moduler si l'efficacité des associations urée/chaux est confirmée. On a vu (§422), dans le cas de l'urée seule, que les quantités d'urée ne devraient pas être inférieures à 5 kg/100 kg de paille traitée pour garantir un bon traitement.

En revanche, c'est essentiellement sur la nature de l'enceinte et de la couverture qu'elles peuvent jouer comme indiqué au §431. L'étude du Maroc selon le guide décrit plus haut a montré en effet que le plastique représentait 70% du coût du traitement

L'utilisation de matériaux locaux dans le cas de petits volumes traités et le badigeonnage par de la boue (Maroc, Tunisie,...) ou un mélange boue/déjection, voire l'auto couverture par une couche de paille "sacrifiée", dans le cas du traitement de gros volumes, sont les principales voies d'économie sur le coût unitaire de traitement.

Le traitement à l'urée est particulièrement adapté à la petite exploitation et au milieu paysan. Sa simplicité permet de le mettre en oeuvre sans faire appel à de la main d'oeuvre extérieure rémunérée. Il est généralement exécuté par les membres de la famille aidée par les voisins (échanges de services réciproques)

8.2.3. Optimisation en qualité et en quantité du complément du fourrage traité

L'exemple chinois (FINLAYSON, 1993; DOLBERG et FINLAYSON, 1995) est intéressant à double titre:

· En ce qui concerne la nature du complément, il montre que des compléments comme le tourteau de coton s'avèrent nutritionnellement parfaitement appropriés à là valorisation de la paille traitée, n ne milite pas, au contraire, au recours à des concentrés commerciaux souvent non équilibrés et onéreux.

· En ce qui concerne les quantités de compléments, les courbes de réponse du croît couplées à l'analyse économique montrent que l'optimum zootechnique, atteint avec 2 à 3 kg de tourteau/j/animal, ne constitue pas forcément l'optimum économique. Cet optimum diffère d'ailleurs (FINLAYSON, 1993) suivant que l'on considère le profit par tête de bétail engraissé (cette quantité est de 1 kg) ou par jour d'engraissement (elle est alors de 2 kg). Le profit optimum par tête s'applique à l'éleveur n'engraissant qu'une série d'animaux dans l'année alors que le profit optimum par jour s'applique à l'éleveur qui engraisse plusieurs séries d'animaux successives au cours de l'année.

8.3. Considérations sur la pratique du développement des techniques de valorisation

Importance des essais en vraie grandeur et du choix des éleveurs cibles

Outre leur intérêt pour la collecte de références techniques et économiques, les essais de démonstration et, surtout, les essais conduits de manière encadrée chez l'éleveur ont une valeur de vulgarisation inestimable en tant que témoignage vécu par le paysan. Ils ont surtout l'intérêt de vérifier si la technique proposée est adaptée au système dans lequel on veut la vulgariser.

Il est particulièrement important de prévoir ce type d'essais dans les programmes de développement.

Un aspect également important est le choix des éleveurs et paysans chez lesquels ont lieu les démonstrations. Pour que ces dernières ne restent pas sans lendemain après le départ de l'agent de vulgarisation, il faudra avoir choisi les éleveurs "cibles", suffisamment motivés et persuasifs vis à vis de leurs voisins. Ils deviendront alors de véritables "courroies de transmission" (formation en cascade) dans le processus de diffusion de la technique.

Stocks d'urée

Des régions peuvent être isolées et éloignées des zones agricoles et ne pas bénéficier du réseau de distribution de l'urée. C'est le cas de certains villages des régions sahéliennes purement pastorales ou des régions montagneuses d'Afrique ou de Madagascar. Elles peuvent cependant être intéressées par le traitement à l'urée ou la fabrication de blocs multinutritionnels. Il est très important que les autorités publiques, nationales ou régionales, prennent les mesures appropriées pour faire bénéficier les groupements de production ou d'éleveurs ou les coopératives locales de l'approvisionnement nécessaire en urée et autres intrants afin de les rendre autonomes.

Crédits à court terme pour l'achat des intrants

Les paysans sont souvent dans l'impossibilité d'acheter le minimum d'urée leur permettant de démarrer les opérations de traitement et de les poursuivre par manque de trésorerie. Pourtant ils savent que les rentrées seront à terme supérieures à ce qu'elles étaient auparavant. Des mesures simples de crédit s'avèrent indispensables pour démarrer et pérenniser des actions pilotes.

Rapidité et perceptibilité de la réponse au traitement et aux compléments en termes de production animale: conséquences sur les chances d'adoption de la technique par le paysan.

Par la rapidité de sa réponse et sa perceptibilité, c'est généralement la production laitière qui constitue le plus gros atout pour faire adopter une nouvelle technique d'alimentation par le paysan. L'exemple des paysans Cambodgiens et Nigériens (chapitre 7) observant une meilleure efficacité au travail depuis que leurs paires de boeufs recevaient de la paille traitée est également un témoignage de l'efficacité de la technique pour les animaux de trait.

En revanche les animaux en croissance répondent eux aussi à ces techniques mais moins vite. Il est donc important, dans ce dernier cas, qu'en plus des mesures d'accompagnement par le crédit (voir ci-dessus) les vulgarisateurs soient eux-mêmes convaincus pour être suffisamment persuasifs auprès du paysan et l'encourager à persévérer lorsqu'il s'est engagé dans une telle opération même s'il n'en voit pas immédiatement les résultats.

Variabilité de la valeur nutritive des pailles

La paille est trop souvent considérée comme un résidu de récolte alors que dans la plupart des systèmes de production, Méditerranée, Sahel, Madagascar, Asie,... c'est une véritable ressource fourragère. Les systèmes occidentaux ont trop "biaisé" la façon de raisonner en termes de production de grains et il est urgent de se soucier plus qu'auparavant des différences de qualité des tiges de céréales en terme de valeur nutritive pour les animaux.

La valeur alimentaire des pailles varie, nous l'avons vu, dans des limites très importantes. Or nous manquons encore des outils nécessaires (estimateurs) pour évaluer rapidement (sur le terrain) et de manière précise (en laboratoire) la valeur alimentaire des pailles. Ce point a déjà été souligné à maintes reprise par les chercheurs et les acteurs du développement. Comme on sait en outre que les pailles répondent d'autant moins bien au traitement que leur valeur alimentaire en l'état est plus élevée, il est important de pouvoir mettre rapidement au point ces critères de prévision.

Un de nos souhaits serait que cet ouvrage contribue, à sa manière, à sensibiliser les lecteurs disposant d'un minimum de pouvoir afin qu'ils aident,

· d'une part les nutritionnistes à s'investir plus dans la recherche de ces estimateurs et,
· d'autre part les agronomes généticiens à utiliser, plus que par le passé, ces outils au profit de programmes visant l'amélioration de la qualité des pailles de céréales trop longtemps reléguée au second plan par rapport à l'amélioration de la productivité en grains de ces dernières.

8.4. Impact des techniques sur les systèmes agraires


8.4.1. Sous produits locaux et introduction d'espèces fourragères améliorées
8.4.2. Impacts liés à la diffusion du traitement à l'urée
8.4.3. Une technique simple, support de la politique de développement de l'élevage


8.4.1. Sous produits locaux et introduction d'espèces fourragères améliorées

Les programmes d'amélioration des espèces et de la production fourragères sont des opérations de longue baleine qui peuvent être certes dissuasifs. Il ne faut toutefois pas les minimiser. Leur objectif final n'est pas seulement l'amélioration de l'alimentation des ruminants mais également l'amélioration du système agraire dans son ensemble.

La mise en place de techniques simples permettant de mieux valoriser les résidus de cultures est attractive car elle est rapide. Pourtant elle ne représente qu'une amélioration d'un volet d'un système déjà existant.

Il est important que les responsables politiques du développement agricole respectent le juste milieu entre ces deux groupes de techniques et ne privilégient pas l'une par rapport à l'autre.

L'exemple du Maghreb montre combien, dans les systèmes céréaliculture/élevage, il est facile d'adopter inconditionnellement le traitement des pailles à l'urée ou à l'ammoniac en substitution des fourrages annuels classiques comme le foin de vesce-avoine, plus astreignant et moins facile à réussir et dont les superficies sont en régression par rapport à celles consacrées aux céréales.

En revanche, dans le cas malgache par exemple, l'utilisation des pailles de riz traitées dans l'alimentation des bovins des hauts plateaux constitue une solution supplémentaire par rapport aux programmes à long terme d'introduction fourragère, importants pour ces régions.

8.4.2. Impacts liés à la diffusion du traitement à l'urée

La vulgarisation d'un thème technique comme la valorisation des résidus de récolte pour l'alimentation animale, plus particulièrement le traitement à l'urée, s'accompagne d'effets aussi bien positifs que négatifs et, parfois, imprévus dont il convient de tenir compte.

a) Le traitement des pailles à l'urée incite les paysans à moins les brûler qu'auparavant. La gestion des ressources fourragères est ainsi améliorée. Les éleveurs peuvent beaucoup mieux les négocier, mais à des prix parfois assez élevés pour ceux qui n'en possèdent pas mais qui les achètent habituellement pour l'alimentation de leurs animaux. L'effet positif du traitement est de toute façon l'amélioration de la gestion des réserves fourragères.

b) Le traitement développe l'esprit de solidarité entre paysans du village ou de la communauté à travers l'organisation matérielle des chantiers de traitement et l'échange de services.

c) II contribue également à favoriser l'intégration de l'élevage dans le système agricole: amélioration de la fertilité du sol (apport de fumier de meilleure qualité) mais surtout de l'efficacité de la traction animale qui se surajoute aux possibilités d'embouche.

d) Cette technique est devenue une sorte de vecteur autour de laquelle de nombreuses autres actions permettant l'amélioration des techniques d'élevage peuvent se greffer: construction de mangeoires et d'abris, utilisation plus rationnelle des fourrages et des compléments, collecte et épandage du fumier, suivi sanitaire (essentiellement le déparasitage), etc...

Elle constitue également, pour les agents de vulgarisation, une occasion de s'intéresser beaucoup plus aux problèmes concrets de terrain qu'à travers les campagnes routinières de vaccination.

En revanche,

Le traitement des résidus de culture à l'urée, implique leur récolte et leur stockage. Avant l'introduction de cette innovation, il convient de connaître le mode d'utilisation et de gestion de ces résidus tant au niveau de l'exploitation que des systèmes d'échange entre paysans. L'appréhension des conséquences que pourraient avoir la diffusion de l'innovation technique est indispensable. Les points suivants illustrent quelques unes de ces préoccupations:

· maintien de la fertilité des sols: les cas ne sont pas rares de paysans qui récoltent leurs tiges de mil, de sorgho et de maïs par arrachage, rendant ainsi les sols encore plus fragiles;

· intégration entre activités agricoles et d'élevage ou sources de conflits?:

prise en considération des accords entre agriculteurs et éleveurs des systèmes agro-pastoraux sahéliens (contrat de fumure ou de parcage) selon lesquels les premiers laissent aux seconds leurs résidus au champ. L'agriculteur profite ainsi, en retour, de la fumure organique laissée par les animaux. Dans ces systèmes traditionnels, la sédentarisation de plus en plus importante des pasteurs et agro-pasteurs et de leurs troupeaux peut ainsi entraîner des conflits autour des résidus de culture qui constituent la ressource alimentaire principale pour le cheptel et, même, une source de combustible domestique et de matière première pour les constructions (banco).

8.4.3. Une technique simple, support de la politique de développement de l'élevage

L'amélioration de la valeur alimentaire des fourrages pauvres par la technique du traitement à l'urée devient de plus en plus populaire dans les pays en voie de développement. En effet les nombreux paysans l'ayant pratiquée sont unanimes dans leurs commentaires:

· simplicité et faible coût (souvent seule l'urée est achetée) de la méthode qui peut être mise en oeuvre par le paysan lui-même avec des matériaux locaux,

· efficacité de la méthode qui améliore la qualité de leur paille, base de l'alimentation de leur cheptel.

Aussi, pour beaucoup de ces pays, la technique du traitement à l'urée fait-elle maintenant partie de la stratégie de développement de leur élevage. Cette technique est également de plus en plus utilisée par les projets de développement et d'encadrement en élevage, qu'il s'agisse de projets bilatéraux (Sri Lanka,...) ou multilatéraux (annexe 7). A cet égard la Banque Mondiale l'a inscrite à l'arsenal de ses interventions de terrain. Sa diffusion a été principalement initiée par la Division de la Santé et de la Production Animales de la FAO avec le support du Programme de Coopération Technique (PCT) ou en collaboration avec d'autres bailleurs de fonds (cas, par exemple, du Projet de développement du petit élevage laitier en Tanzanie). La liste des pays ayant démarré le traitement à l'urée est déjà fourni. La Chine est un exemple de choix en matière d'impact d'une technique sur le développement

8.5. Conclusion

Sur le plan économique, une technique de valorisation des fourrages pauvres (blocs multinutritionnels, traitement) se justifiera d'autant mieux que ceux-ci seront plus disponibles (disponibilité géographique et saisonnière) et que leur place en tant qu'aliments dans les systèmes de production sera importante.

Par ailleurs, sur le plan nutritionnel et zootechnique, la complémentation et le traitement des fourrages pauvres améliorent d'autant mieux les performances du bétail que celles-ci sont plus faibles au départ.

Dans le cas de la plupart des pays en voie de développement où le stock de fourrages pauvres n'est pas limité et où la productivité animale est modeste (cas 1), l'objectif immédiat de l'éleveur est d'améliorer la productivité de son troupeau en termes de production de lait et de viande et d'efficacité au travail. La décision d'adopter une nouvelle technique dépend ainsi essentiellement du bilan coûts/bénéfices qu'elle permettra.

Dans le cas où le stock fourrager disponible est limité et la productivité animale modeste (cas 2), une analyse plus approfondie du contexte local (marchés des intrants et des produits animaux, nature et fonctionnement des systèmes de production) s'impose. Une méthodologie vient d'être proposée à cet effet aux régions du Maghreb et du Mashreq, représentatives de cette situation.

Enfin, dans le cas des pays à économie avancée (cas 3) où les stocks sont abondants et la productivité animale plus intensive, l'analyse précédant la décision doit être plus précise et bien prévoir le coût du traitement au delà duquel il ne sera plus rentable de l'appliquer.

Dans les deux dernières situations il est particulièrement important de distribuer les fourrages traités aux animaux à besoins modérés et de réserver les fourrages de très bonne qualité aux animaux productifs.

Le développement des techniques de fabrication des blocs et du traitement à l'urée devrait s'accompagner de démonstrations et d'essais en vraie grandeur permettant de collecter des références de terrain. Celles-ci constituent en effet des témoignages concrets complémentaires des références de stations et représentent un outil indispensable pour les vulgarisateurs et les décideurs dans leur travail de diffusion à l'échelle de l'exploitation. Des mesures d'appui telles que la constitution de stocks d'intrants (urée, minéraux,...) et la mise en place de systèmes de crédit à court terme pour leur achat s'avèrent indispensables pour pérenniser les actions. Ces mesures doivent de toutes façons être doublées par tout un processus de formation/vulgarisation, en cascade, dans lequel l'éleveur doit jouer le rôle de courroie de transmission dans la diffusion et l'adoption de la technique

La meilleure assurance de l'adoption des techniques de traitement et de fabrication des blocs multinutritionnels par le paysan sera finalement la rapidité et la perceptibilité de la réponse en termes concrets d'amélioration de la santé et d'augmentation de la productivité de ses animaux.

L'introduction des techniques de valorisation des fourrages pauvres constitue un moteur de l'amélioration du système fourrager. D'une manière plus générale elle constitue un vecteur du développement de l'élevage paysan. Elle doit rester complémentaire des programmes d'amélioration du système fourrager de la région agricole lorsque ceux-ci sont entrepris et ne pas s'y substituer.


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