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X. Conclusion générale

L'élevage familial, qui joue un rôle important dans les pays en voie de développement, est de plus en plus contraint à recourir aux ressources fourragères que constituent les résidus de culture (pailles de riz, de blé,..., tiges de sorgho, de mil, de maïs,...) et les fourrages naturels ramassés par ratissage à un stade pailleux pour passer la saison sèche - surtout la période de soudure - ou pour continuer à se développer sans entrer en compétition avec les cultures vivrières, prioritaires en surfaces agricoles sur les cultures fourragères.

Ces fourrages, provenant de plantes âgées, ont une faible valeur alimentaire. Ils sont en effet riches en fibres (parois) lignifiées donc peu et lentement digestibles. Ils sont pauvres en protéines, en minéraux et en vitamines.

Les ruminants sont cependant capables de les valoriser grâce à leur panse - ou rumen - et aux microorganismes cellulolytiques qui peuvent les dégrader.

a/ Il est possible d'améliorer cette valeur alimentaire,

· soit en apportant aux microorganismes les éléments manquants dans la plante (azote, minéraux, vitamines) à travers une complémentation minimale - "catalytique" - dont l'exemple pratique concret est le bloc à lécher "multinutritionnel", complément tout indiqué des parcours et des chaumes;

· soit en modifiant les propriétés physico-chimiques des parois à travers un traitement qui facilite ainsi le travail de dégradation des microorganismes.

L'objet de cet ouvrage était de montrer comment faire, et pourquoi, et de voir ce que ces techniques permettent d'espérer en termes de production animale ainsi que les chances de succès de leur diffusion au niveau du petit éleveur.

b/ La complémentation

La complémentation minimale doit apporter minéraux, urée (source d'azote non protéique permettant aux microbes du rumen de fabriquer des protéines pour l'animal) et un peu d'énergie. Le mélange liquide mélasse, urée, minéraux, est une solution utilisable à l'échelle d'une région ou de coopératives car elle implique le transport, la manutention et le stockage de quantités importantes de mélasse liquide. Aussi une formule simple et pratique développée depuis quelques années est le bloc multinutritionnel, avec ou sans mélasse.

Il n'existe pas de recettes fixes pour fabriquer ces blocs mais des solutions à adapter à chaque situation locale. Le principe est de solidifier un mélange constitué de mélasse (30 à 50%), d'urée (10%) et de minéraux, d'un support fibreux (sons, feuilles séchées, bagasse, paille, litières de volailles,...) conférant la structure, et d'un liant (chaux, ciment et/ou argile) jusqu'à obtention d'un bloc cohérent, non friable et pouvant être léché par l'animal en petites quantités (400 à 800 g/j pour les bovins et 100 à 250 g/j pour les ovins et caprins). Toutefois il est aussi possible de fabriquer des blocs sans mélasse.

C'est une technique intéressante pour des petits exploitants qui peuvent fabriquer eux-même leurs blocs vue la simplicité de la technique. Comme ces petits fermiers peuvent avoir des difficultés à s'approvisionner régulièrement en différents ingrédients, il est souvent préférable de regrouper la fabrication des blocs au niveau du village, par une coopérative ou un entrepreneur. Cette technique fait d'ailleurs partie de la stratégie du développement de l'élevage de nombreux pays en voie de développement.

c/ Une autre façon d'améliorer les fourrages pauvres est de les traiter:

Le traitement à l'ammoniac et le traitement à l'urée sont les deux procédés les plus utilisés dans la pratique.

Le traitement à l'ammoniac anhydre, injecté sous pression à raison de 3 kg d'ammoniac par 100 kg de paille dont la teneur en humidité ne doit pas être inférieure à 15% est pratiqué en milieu hermétique (meules de balles recouvertes d'un film de plastique). Sa durée dépend de la température ambiante (1 à 3 semaines de 30 à 20°C, 4 à 8 semaines de 20 à 10°C). Il est pratiqué avec succès dans les pays occidentaux et sur le pourtour méditerranéen (Tunisie, Egypte). Il présente toutefois l'inconvénient de nécessiter la présence d'une industrie et d'un réseau de distribution d'ammoniac qui n'existent pas dans la plupart des pays en voie de développement. Il est en outre peu accessible au petit paysan.

L'alternative est de traiter à l'urée qui, en présence d'eau, génère l'ammoniac effectuant le traitement. Il n'existe pas une technique, universelle, mais des techniques à adapter aux conditions locales par les agents d'encadrement qui devront en avoir bien compris les principes de base. Les paramètres ayant fait leurs preuves sont 5 kg d'urée par 100 kg de fourrage (sec) mis en solution dans 50 l d'eau (cette quantité peut varier de 40 à 80 1), pendant 2 à 5 semaines (pour des températures allant de 30 à 15-20°C). L'herméticité est moins importante que pour le traitement à l'ammoniac anhydre et des matériaux locaux peuvent être utilisés pour réaliser l'enceinte de traitement et sa couverture, car l'ammoniac est libéré sans pression.

Son efficacité est d'autant plus grande que la température ambiante est élevée. Il est donc tout indiqué pour les pays tropicaux. Ce traitement est maintenant bien répandu dans les pays en voie de développement où il fait également partie de la stratégie du développement de l'élevage.

Ces deux traitements augmentent la teneur en MAT (qui passe en moyenne de 30 à 90 g/kg MS) et la valeur énergétique (qui passe en moyenne de 0,40 à 0,55 UFL/kg MS) des pailles. Il permet aussi d'en augmenter les quantités volontairement ingérées (de 50% en moyenne).

d/ Tous les témoignages sur les effets des deux techniques bloc et traitement urée concordent d'un pays et d'un continent à l'autre: les éleveurs constatent une augmentation de l'appétit, de l'état général et de la productivité de leurs animaux.

Les blocs sont le complément de choix des parcours pauvres en zones agro-pastorales. Ils autorisent même des croissances modestes comme le montrent les résultats chiffrés d'ailleurs encore assez peu nombreux.

L'augmentation de la productivité animale peut encore être accrue avec le traitement à l'urée. Il est en effet bien démontré que la réponse en termes zootechniques à l'utilisation d'une quantité donnée d'urée est meilleure à travers le traitement qu'à travers la simple complémentation.

Lorsqu'ils ne sont disponibles qu'en quantité limitée, les fourrages naturels et les résidus de culture traités peuvent ainsi constituer un complément du pâturage naturel de la journée.

Lorsqu'ils ne sont pas limités, ils peuvent constituer la base des régimes des animaux.

Dans les deux cas, le traitement incite l'éleveur à mieux gérer ses résidus de culture et les fourrages naturels qu'il a récoltés.

La "réponse" zootechnique au traitement est d'autant plus nette que les rations contiennent plus de fourrages. Les animaux à besoins modérés sont les meilleurs bénéficiaires du traitement (ce sont les animaux "cibles").

Le traitement à l'urée permet une économie de compléments en maintenant l'efficacité au travail et l'état corporel des animaux de trait. C'est une technique de choix pour l'agro-éleveur et le planteur de riz. A complémentation égale il permet:

· d'augmenter d'en moyenne de 200 g/j les croissances journalières par rapport à la même paille non traitée,

· d'augmenter de 1,0 à 2,5 l la production journalière de lait trait (en plus de la tétée du veau) lorsque celle-ci est de l'ordre de 2 à 8 l/j au départ.

Ces augmentations sont cependant variables. Elles dépendent de la qualité du fourrage initial et du traitement proprement dit. Elles dépendent aussi et surtout de la quantité et de la nature de la complémentation.

En effet, pour éviter de perdre le bénéfice du traitement et avoir "traité pour rien", il est important de respecter les règles de la complémentation, valables aussi pour les fourrages pauvres non traités:

· quantité: le fourrage pauvre devrait continuer à représenter la majeure partie (au moins la moitié) de la ration totale,

· qualité: il doit être complémenté par des aliments riches en fibres digestibles comme les fourrages verts, les pulpes d'agrumes et de betteraves,....; aliments apportant des matières azotées de bonne qualité (peu dégradables) comme les issues de céréales, les tourteaux, les feuilles et gousses d'arbres et de légumineuses fourragères et les déchets et farines de poisson et de viande. Ces aliments sont des compléments "stratégiques". Les concentrés commerciaux ne sont généralement pas adaptés car pas conçus dans ce sens.

Cette notion de valorisation du traitement devient très importante lorsque la productivité animale est élevée. C'est le cas, par exemple, des systèmes associés à la céréaliculture où la paille est indispensable car seul élément de "lest" de la ration. Il convient, dans ces systèmes, de ne donner les pailles traitées qu'aux animaux à besoins modérés, comme les génisses en fin de croissance et les vaches taries, et de réserver les meilleurs fourrages aux vaches fortes productrices.

Sur le plan économique, les chances de succès de l'introduction des techniques de traitement seront donc d'autant plus élevées que la disponibilité et la part des fourrages et résidus de culture dans le système de production seront importantes.

On peut facilement réduire le coût du traitement à travers l'utilisation de matériaux locaux et de l'entraide entre agriculteurs. Lorsque la paille est limitée et souvent plus chère que les concentrés (Maghreb, Proche Orient), le recours à une analyse fine des systèmes de production et du marché des aliments et des produits animaux est conseillé avant tout lancement de la technique de traitement.

e/ Pour faciliter l'adoption de ces techniques par le petit exploitant, le processus de vulgarisation devrait s'accompagner de démonstrations et d'essais en vraie grandeur permettant de collecter des références de terrain. Celles-ci constituent en effet des témoignages concrets complémentaires des références de stations et représentent un outil indispensable pour les vulgarisateurs et les décideurs dans leur travail de diffusion à l'échelle de l'exploitation. Il est également important de choisir les éleveurs "cibles" suffisamment dynamiques et influants sur leurs voisins afin qu'ils jouent un rôle de courroie de transmission dans la diffusion de la technique.

Des mesures d'appui telles que la constitution de stocks d'intrants (urée, minéraux,...) et la mise en place de systèmes de crédit à court terme pour leur achat s'avèrent indispensables pour faciliter cette diffusion.

L'introduction des techniques de valorisation des fourrages pauvres constitue une amélioration du système d'alimentation. Elle doit cependant rester complémentaire des programmes de plus longue haleine d'amélioration du système fourrager de la région agricole lorsque ceux-ci sont entrepris et ne pas s'y substituer.

Enfin, ces techniques sont des éléments favorables à l'intégration de l'élevage à l'agriculture avec tous les avantages non seulement agronomiques mais également sociaux que celle-ci représente.


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