5. Appréciation de l'état nutritionnel

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Les problèmes nutritionnels sont d'étiologie complexe et il faut réunir des renseignements nombreux et variés pour apprécier l'état nutritionnel. Jelliffe (1966) les passe tous en revue dans le détail et cite entre autres:

1. Données d'examen clinique.
2. Données anthropométriques.
3. Examens de laboratoire.
4. Enquêtes alimentaires.
5. Statistiques démographiques.
6. Autres statistiques sur la santé et renseignements médicaux.
7. Données agricoles touchant la production alimentaire et les bilans des disponibilités alimentaires.
8. Données économiques concernant le pouvoir d'achat, les prix alimentaires, la distribution des aliments, etc.
9. Données socio-culturelles (structures de consommation alimentaire, pratiques et croyances alimentaires).
10. Données scientifiques comme la valeur nutritive des aliments, la valeur biologique des régimes, les effets sur les nutriments des méthodes courantes de préparation de la nourriture, la présence d'agents toxiques ou nuisibles comme l'aflatoxine et d'agents goitrigènes.

Seuls les cinq premiers types de données seront examinés, vu qu'il est très rare que l'on entreprenne une enquête nutritionnelle permettant de réunir tous ces types d'information. Des enquêtes aussi vastes et coûteuses dans lesquelles sont rassemblées des données très diverses touchant à la nutrition sont rarement justifiées et ne doivent vraiment être mises en œuvre que si l'on a la quasi-certitude que les données recueillies serviront à un programme d'action et que l'on dispose des moyens et crédits nécessaires à cette fin. Des enquêtes coûteuses de ce genre ont été effectuées dans de nombreux pays, et en sont restées plus ou moins au stade théorique. Il a été suggéré qu'il faudrait prévoir dix fois la somme normalement dépensée dans une enquête pour mettre en œuvre des programmes visant à remédier aux lacunes relevées par cette enquête.

Ce qu'il faut, c'est donc recueillir le minimum d'informations nécessaire pour évaluer la situation, et simplifier le plus possible les enquêtes.

Les informations réunies pour apprécier l'état nutritionnel d'une communauté peuvent aussi servir à évaluer les programmes et à assurer une surveillance nutritionnelle (voir page 38).

Examen clinique

L'examen clinique vient souvent presque en dernier parmi les méthodes utilisées pour juger de l'état nutritionnel d'une communauté. Pourtant, dans la plupart des pays d'Afrique, étant donné le manque de statistiques démographiques, l'absence de chiffres valables sur la production agricole. la rareté des laboratoires où l'on peut faire des dosages biochimiques, et la difficulté d'accès aux rapports sur les habitudes et pratiques alimentaires locales, les examens clinique et anthropométrique constituent le moyen le plus simple, le plus pratique et sans doute le plus sûr pour déterminer l'état nutritionnel d'un groupe d'individus.

L'état nutritionnel d'une communauté est la somme des états nutritionnels des individus qui la composent. Cependant, dans toute enquête, il suffit d'examiner un groupe représentatif de personnes. Pour se faire une bonne idée de la réalité, ces personnes devraient être choisies complètement au hasard; elles ne devraient pas appartenir à un même groupe d'âge, au même sexe ou à la même religion, ni à une même localité ou à une classe sociale particulière. Un échantillonnage stratifié est valable dans ces circonstances. Ainsi, si l'on fait une enquête dans un but bien défini comme, par exemple, déterminer l'importance et la prévalence de la malnutrition protéino-énergétique chez les enfants dans une région donnée, il est alors sage de limiter les examens aux enfants de moins de cinq ans. Si l'on ne connaît pas la date de naissance exacte de l'enfant, on doit évaluer son âge en utilisant comme repère les événements locaux, historiques, agricoles ou sociaux.

L'examen clinique nutritionnel doit être fait par une personne ayant une formation médicale. Bien que l'on puisse apprendre à des profanes à reconnaître une stomatite angulaire, des dents marbrées, et même l'œdéme, il n'est cependant pas prudent de confier à des gens qui ne possèdent pas de connaissances médicales assez étendues le soin de faire un examen pour rassembler des données cliniques statistiques. Il n'est pas recommandé que des personnes sans aucune formation médicale aient à faire des examens cliniques nutritionnels. Il vaut mieux par exemple que celui qui recherche la dermatose du kwashiorkor ou les manifestations cutanées de la pellagre soit également familiarisé avec l'aspect de la galle ou de l'eczéma. On peut par contre s'en remettre à des non-initiés à la médecine pour rassembler des données anthropométriques (mensurations physiques).

Pour éviter de laisser échapper des détails importants, l'examen clinique devrait être systématique, et il faudrait que le médecin recherche certains signes spécifiques. La présence ou l'absence de ces signes devrait être reportée sur une fiche normalisée. On trouvera à la page 27 un exemple de formulaire modifié qui a fait ses preuves ces dernières années en Afrique de l'Est.

Quand on utilise ce type de fiche individuelle, il est bon de commencer l'examen par la tête (cheveux, yeux, bouche), de continuer par le corps et de terminer aux pieds. On peut, dans certains cas, s'abstenir d'examiner le système nerveux central pour y déceler les symptômes, car ils s'y manifestent rarement en Afrique. De plus, cet examen peut être difficile et demander beaucoup de temps.

Données anthropométriques

Ces données peuvent être rassemblées par du personnel médical ou non. Dans le premier cas, elles peuvent être réunies dans le cadre de l'examen clinique nutritionnel, mais il est souvent plus simple et plus rapide qu'une personne fiable autre que celle qui fait l'examen médical enregistre la taille et le poids.

Fiche d'examen clinique nutritionnel
(A l'usage du personnel médical)

Nom..........
Sexe..........
Femme enceinte?..........
Taille..........
Hémoglobine..........
Hématocrite..........
Date..........
Age..........
Mère allaitante?..........
Poids..........
Circonférence du bras..........
Epaisseur du pli cutané au niveau du triceps..........

Cheveux
1. Manque de lustre?..........
2. Dépigmentation (changement de couleur)?..........
3. Changement de texture (plus fins et plus clairsemés)?..........
4. Se laissant arracher facilement?..........

Visage
1. Faciès lunaire?..........
2. Pâleur?..........

Yeux
1. Xérosis conjonctival ou xérophtalmie?
2. Kératomalacie?..........
3. Conjonctive épaissie ou ridée?..........
4. Taches de Bitot?..........
5. Conjonctive injectée ou vascularisée?
6. Cicatrices cornéennes?..........

Bouche
1. Stomatite angulaire?..........
2. Chéilite?..........
3. Cicatrices angulaires?..........
4. Gencives ramollies ou saignantes?..........
5. Dents marbrées?..........
6. Nombre de dents cariées (c)?..........
7. Nombre de dents manquantes (M)?
8. Nombre de dents obturées (o)?..........
9. Total de dents CMO..........

Glandes
Thyroïde..........
Goitre..........
Stade 0 1 2 3?..........
Hypertrophie des parotides?..........

Peau
1. Xérose (aspect écailleux)?..........
2. Hyperkératose folliculaire?..........
3. Mosaïque (en dallage irrégulier)?..........
4. Dermatose pellagreuse?..........
5. Hémorragies cutanées (pétéchies ou ecchymoses)?..........
6. Dermatose écailleuse?..........
7. Dermatose scrotale ou vulvaire?..........
8. Œdème?..........
9. Ulcères?..........

Muscles
1. Atrophie..........

Squelette
1. Elargissement des épiphyses?..........
2. Chapelet crostal rachitique?..........
3. Déformations squelettiques?..........
4. Hématomes sous-périostés?..........

Système nerveux central
1. Troubles psychomoteurs (apathie, tristesse, etc.)?..........
2. Perte de la sensibilité?..........
3. Douleurs du mollet?..........
4. Abolition des réflexes tendineux, rotuliens ou achilléens?..........
5. Faiblesse motrice?..........

Organes internes
1. Hépatomégalie?..........
2. Splénomégalie?..........

Remarques (Inclure les autres anomalies) .......... .......... .......... .......... ..........

Poids. De toutes les données anthropométriques, c'est la plus importante. Pour l'interpréter chez les enfants, il faut connaître assez précisément leur âge.

Pour enregistrer le poids, il faut que le sujet soit nu ou porte le minimum de vêtements (short pour les hommes, robe légère pour les femmes). Les chaussures doivent être enlevées. Il faut tenir compte aussi du poids des bracelets de métal inamovibles fréquemment portés dans certaines régions d'Afrique.

Les pesons à ressort sont moins précis que les balances. Dans de nombreux pays d'Afrique, ce dernier type de balance a été fourni aux dispensaires et centres médicaux par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (FISE). Dans les établissements scolaires, il y a souvent une bonne balance dans les cuisines, où elle sert à peser les sacs de nourriture. De même, dans un village, le responsable du marché local ou le propriétaire d'une petite boutique possède souvent une balance qu'on peut emprunter. Il faut employer des balances spéciales pour bébés si l'on veut mesurer avec exactitude le poids des enfants de moins de deux ans.

Taille. La taille est également une donnée très importante pour apprécier l'état nutritionnel. Pour interpréter les mensurations de la taille chez les enfants, il faut aussi, comme pour le poids, connaître l'âge de ces derniers.

La taille doit être mesurée le sujet étant pieds nus. En dehors des divers appareils disponibles, on peut mesurer la taille d'une façon assez précise avec un mètre-ruban ou même une règle. On peut procéder comme suit:

Trouver un mur vertical et un plancher parfaitement horizontal. Mesurer soigneusement 1 mètre de hauteur à partir du plancher (60 cm dans le cas des enfants) et tracer au crayon une ligne horizontale de 2 cm environ. Fixer l'une des extrémités du mètre-ruban sur cette ligne avec du sparadrap, du ruban adhésif ou une punaise. Fixer ensuite de la même façon l'autre extrémité vers le haut; cela donnera une hauteur de 2 mètres. Le sujet que l'on mesure se tient debout, le des au mur (figure 6). On vérifie sa taille à l'aide d'une pièce de bois à l'équerre. Un cube de bois rectangulaire de 30 x 10 x 20 cm est indiqué, encore qu'un bloc triangulaire de 30 x 10 x 20 cm, comme celui présenté à la figure 6, soit plus facile à manier.

Il est plus difficile de mesurer la taille des bébés. On peut toutefois faire fabriquer un appareil approprié qui se compose d'une planche de 120 x 40 x 2 cm et d'une autre plus petite de 30 cm de haut fixée à angle droit au bout de la première. On peut se servir du triangle décrit ci-dessus pour caler les pieds. La planche est graduée en centimètres: le mieux pour cela est de clouer un mètre métallique sur la planche.

Un autre moyen, mais moins satisfaisant, est de placer un banc de bois que l'on trouve dans la plupart des dispensaires et des écoles contre un mur dans un coin de la pièce et de le graduer en centimètres à partir du mur, de 50 cm à1,50 mètre. Là encore on se sert du triangle pour caler les pieds.

Pour cette mesure de la taille, le nourrisson ou le jeune enfant doit être étendu bien à plat (figure 6).

Mesures de la taille et du poids

Série de relevés. Une série de mesures du poids et/ou de la taille d'un individu, faite par exemple tous les mois, fournit de précieux renseignements. Chez un adulte, la perte de poids dénote un apport énergétique inférieur à la dépense, et l'augmentation du poids un apport énergétique plus que suffisant. Les courbes de poids des adultes peuvent être utiles par exemple pendant une famine pour s'assurer qu'on prend bien les mesures de secours voulues, ou au cours d'une année normale pour voir si une perte de poids survient pendant la saison de soudure.

6. Gauche:mensuration sur un sol plan, contre un mur vertical. En haut: bloc triangulaire utilisé pour caler les pieds. En bas: toise pour nourrissons.

Chez les enfants, une série de mesures du poids et de la taille, faite tous les mois, est un document extrêmement important sur l'évolution de l'enfant et son état nutritionnel. Un registre des poids et tailles des enfants dans les écoles, les dispensaires et même les centres communautaires est une chose précieuse. Les mesures peuvent être faites par du personnel médical ou non. S'il s'agit d'une série de mesures, les chiffres indiquant le poids seul, sans la taille, peuvent avoir une certaine valeur.

Si l'on ne dispose que de relevés uniques du poids ou de la taille, on peut les comparer à l'échelle des poids ou des tailles normaux. Le poids ou la taille réels de l'enfant peut alors s'exprimer en pourcentage de ce qu'il devrait être pour son âge. C'est ainsi qu'un enfant de 13 mois devrait peser 10 kg. Si à cet âge il n'en pèse que 8, son poids est de 80 pour cent de ce qu'il devrait être. Des tableaux indiquant le poids, la taille et certaines autres mensurations anthropométriques standard figurent à l'annexe 2.

Poids selon la taille. Une fois mesurés le poids et la taille, on peut se rendre compte si l'enfant est proche ou loin du poids correspondant normalement à sa taille. Même si l'on ne connaît pas son âge, on peut, du moins en partie, juger de son état nutritionnel en déterminant le pourcentage de déficit pondéral par rapport au poids moyen qu'il devrait avoir en fonction de sa taille. On se fait ainsi une idée de son degré de maigreur. Par exemple, un enfant qui mesure 75 cm devrait peser 10 kg s'il était en bon état de santé (voir tableau 3, annexe 2). S'il ne pèse que 7 kg, son poids ne représente que 70 pour cent du poids normal pour sa taille. C'est donc un enfant maigre qui souffre de malnutrition. Mais il faut être prudent à cet égard car dans les zones où sévit sérieusement la malnutrition chronique, le poids par rapport à la taille peut être trompeur, car le poids et la taille en fonction de l'âge peuvent fort bien être inférieurs à la norme, mais pas le rapport poids/taille.

Circonférence du bras. On recourt de plus en plus à la mesure de la circonférence du bras faite à mi-chemin entre l'acromion de l'épaule et l'olécrane du coude pour juger de l'état nutritionnel. Cette mesure doit être prise à l'aide d'un mètre-ruban en fibre de verre qui ne se déforme pas. Bien qu'elle ne donne pas une idée aussi précise de l'état nutritionnel que le poids et la taille, cette mesure a l'avantage d'être bon marché, et on peut l'utiliser quand on ne dispose pas de balance. En outre, entre environ 8 mois et 5 ans d'âge, la circonférence standard du bras n'augmente que très peu. On peut donc considérer qu'une circonférence d'environ 13,5 cm est normale pour des enfants de 1 à 5 ans, qu'une circonférence de l'ordre de 12,0 à 13,5 cm dénote une malnutrition légère et qu'une circonférence inférieure à 12,0 cm est l'indice d'une malnutrition plus grave. Cette méthode de mensuration peut être très utile pour les personnes ayant un minimum de formation ou encore pour juger grosso modo de l'état nutritionnel dans les zones frappées par la famine.

Circonférence de la tête. Pour prendre cette mesure, on se sert du même mètre-ruban que pour prendre celle de la circonférence du bras. On place le mètre horizontalement autour de la tête juste au-dessus des sourcils, des oreilles et de l'extrémité du renflement derrière la tête. Bien que la circonférence de la tête ait un rapport avec la dimension du cerveau, cette dimension n'en a pas nécessairement avec l'intelligence.

Circonférence de la poitrine. On la mesure en plaçant le mètre-ruban au niveau du mamelon. Jusqu'à 6 mois, la circonférence de la tête des nourrissons est généralement plus grande que celle de leur poitrine. Les enfants de plus de 12 mois dont la circonférence de la tête est plus grande que la circonférence de la poitrine sont anormaux; c'est là signe d'un mauvais développement de la cage thoracique.

Epaisseur du pli cutané. On ne peut mesurer l'épaisseur du pli cutané que si l'on dispose d'un compas spécial d'épaisseur (figure 7). Cet instrument permet de mesurer l'épaisseur de la peau et de la graisse sous-cutanée, en appliquant une pression constante sur une surface donnée, le plus souvent au niveau du triceps et de la région sous-scapulaire. Grâce à cette mesure très utile, on peut évaluer la quantité de graisse et par conséquent la réserve d'énergie de l'organisme. Malheureusement, en Afrique, rares sont les hôpitaux, sans parler des centres médicaux et des dispensaires, dotés de cet instrument. On pourrait facilement remédier à cette situation car l'instrument n'est pas exagérément cher.

Examens de laboratoire

De nombreux examens de laboratoire sont d'un grand intérêt pour déterminer l'état nutritionnel. A l'heure actuelle, peu d'entre eux peuvent cependant être réalisés, si ce n'est dans de très grands hôpitaux. Aussi ne parle-t-on dans cet ouvrage que de ceux qui peuvent se pratiquer le plus couramment.

Taux d'hémoglobine. L'évaluation exacte du taux d'hémoglobine est de loin le test de laboratoire le plus important dans toute étude nutritionnelle. Trop nombreux sont les hôpitaux de district, les centres médicaux ou les dispensaires dépourvus d'hémoglobinomètres précis. Le médecin nutritionniste devrait toujours en avoir un à sa disposition.

La méthode de Tallquist ou du « papier buvard » manque de précision et n'a pas grande valeur du point de vue nutritionnel. En fait, une évaluation clinique basée sur la coloration de la langue, des conjonctives et de la matrice de l'ongle, et qualifiée de normale, presque normale, légèrement, nettement et sérieusement anémique, donne des résultats aussi bons et moins prétentieux que le soi-disant pourcentage de l'échelle de Tallquist.

Hématocrite ou volume globulaire. Cette donnée est également importante pour le diagnostic de l'anémie. On remplit un tube capillaire de sang prélevé sur une veine ou au bout du doigt, puis on le place dans une centrifugeuse électrique normalisée. Les globules rouges se séparent ainsi du plasma. L'hématocrite indique le pourcentage du volume de sang composé de globules.

Numération globulaire et prélèvement de sang. Le premier examen est difficile à faire et n'apporte guère d'éclaircissements. Par contre, le prélèvement du sang puis son étalement en mince pellicule sur une plaque de verre est une opération aisée et utile. Il indique l'uniformité des hématies et leur dimension. Il peut aussi faciliter le diagnostic du paludisme et des hémoglobinopathies, également causes éventuelles d'anémie.

Protéines sériques. La détermination du total de protéines dans le sérum ainsi que des taux d'albumine et de globuline ne peut se faire que dans un laboratoire bien équipé. Ces analyses donnent des renseignements utiles dans le cas du kwashiorkor mais n'aident en rien le diagnostic d'une malnutrition protéino-énergétique légère ou modérée. Il en va de même pour les deux autres analyses, à savoir celle du rapport des acides aminés et celle de l'indice hydroxyproline-créatinine. Aucune de ces analyses ne peut être faite à l'hôpital, au centre médical ou au dispensaire de district.

Recherche de parasites dans les selles, les urines et le sang. Si l'on fait des examens de laboratoire au cours d'une enquête nutritionnelle, les plus importants après la recherche du taux d'hémoglobine ne sont pas réellement des examens nutritionnels. Néanmoins, comme on l'a dit plus haut, l'infestation parasitaire et la malnutrition sont sans doute étroitement liées. Le médecin nutritionniste qui examine des individus isolés ou des collectivités entières doit s'intéresser à tous les problèmes de santé publique. Il faut faire en laboratoire des examens de selles pour rechercher les œufs d'ankylostomes, d'ascaris, de Schistosoma mansoni et d'autres parasites, des examens d'urine pour la recherche de l'albumine, des cylindres et de Schistosoma haematobium, ainsi que des analyses de sang pour dépister le paludisme. Tous ces examens peuvent être effectués aisément dans la plupart des dispensaires. Ils nécessitent seulement un microscope, une centrifugeuse à main, un minimum de récipients de laboratoire et quelques réactifs simples. Les prélèvements et leur évaluation doivent se faire avec précaution. Il faut également, si possible, analyser quantitativement l'importance de la parasitose.

Il peut être souvent préférable au cours d'une enquête nutritionnelle de réserver un jour spécial pour tous ces examens ou d'y procéder l'après-midi, après avoir fait les examens cliniques dans la matinée. Dans le cas d'une grande collectivité, il est avantageux de limiter ces examens à Un groupe donné, par exemple à tous les enfants de l'école locale. On se fera ainsi une assez bonne idée de la fréquence de certaines maladies comme le paludisme et l'ankylostomiase dans cette collectivité. Il est plus aisé et plus hygiénique (surtout en ce qui concerne les examens des selles) de procéder ainsi plutôt que de prélever des spécimens chez des gens vivant éparpillés un peu partout et qu'il a fallu rassembler en grand nombre dans un centre pour les examiner cliniquement.

Enquêtes alimentaires

Il faut beaucoup plus de temps pour évaluer avec précision la consommation alimentaire d'une collectivité que pour dresser le tableau de son état nutritionnel à partir d'examens cliniques ou anthropométriques. Il y a deux types principaux d'enquêtes alimentaires. L'une repose sur l'observation directe: on mesure et pèse toute la nourriture consommée par un échantillon de la population pendant un laps de temps déterminé. L'autre procède par interrogatoire, un groupe plus important de personnes pouvant alors être interrogées sur leur alimentation. La première méthode a l'inconvénient de demander vraiment beaucoup de temps, et la deuxième de dépendre de la mémoire, de la sincérité et de l'intelligence des sujets interrogés. Ni l'une ni l'autre ne tiennent compte de l'alimentation antérieure à l'enquête, ni des incertitudes quant à la composition des aliments. Des méthodes aussi précises sont rarement justifiées ou pratiques. Il vaut souvent mieux recourir à des moyens plus rudimentaires et plus simples. Ces derniers fournissent en général des données qui révèlent les causes de la malnutrition et suggèrent des mesures correctives.

Bien que les différentes enquêtes alimentaires montrent souvent clairement ce qui ne va pas dans l'alimentation, il faut s'abstenir de s'en servir pour établir un diagnostic. On n'en tirera des conclusions qu'après avoir étudié d'un œil critique toutes les sources et marges possibles d'erreur du procédé employé.

On parlera plus loin des difficultés que présente une enquête alimentaire par les méthodes d'observation, dans laquelle on pèse et évalue la nourriture.

L'observation. La seule façon d'évaluer avec précision le régime alimentaire est de peser et de mesurer toute la nourriture que les individus consomment pendant un laps de temps représentatif. L'équipe d'enquête se rend dans les familles pour peser et mesurer tous les aliments préparés, cuits et consommés, de même que ceux qui sont gaspillés ou jetés. Chaque famille doit être visitée pendant une période allant de trois à dix jours, et l'opération doit si possible être répétée au cours des différentes saisons de l'année. Il faut en même temps questionner les familles pour s'assurer par exemple que, s'il y a un seul jour dans le mois où l'on tue une vache, ce jour exceptionnel ne fausse pas la valeur des résultats.

Il convient, si possible, de peser la part de nourriture que consomme chaque individu. C'est particulièrement difficile dans la plus grande partie de l'Afrique où les convives mangent souvent dans un grand plat commun ou une marmite. Après avoir constaté ce que chaque individu absorbe en moyenne par jour, il faut se référer à des tables quantitatives de composition des aliments pour calculer la quantité de chaque élément nutritif absorbé par chaque individu ou chaque famille. Dans les enquêtes alimentaires effectuées en Afrique, on peut trouver dans les régimes des aliments qui n'ont jamais été analysés auparavant. Il est alors souhaitable de les faire analyser par un laboratoire, même si cela oblige à envoyer l'échantillon très loin ou à l'étranger.

Une telle enquête alimentaire demande une équipe d'au moins deux personnes qui ne peuvent s'occuper que de deux ou quatre familles à la fois, et à la rigueur de 20 familles en un mois. Il vaut mieux choisir des foyers vraiment représentatifs et étudier correctement ce petit échantillon de la population, acceptable statistiquement, plutôt que d'enquêter sur un plus grand nombre de familles.

L'interrogatoire. Cette méthode ne peut donner d'informations très précises en ce qui concerne la quantité de calories ou autres substances nutritives consommées. Mais elle peut donner une idée de la fréquence des repas, de la façon de préparer les aliments et de les cuire, et des indications sur les aliments de consommation courante. On ne peut estimer ainsi que très approximativement la quantité de chaque aliment absorbé. Un questionnaire détaillé peut également servir à rassembler quelques renseignements sur des aliments plus rarement consommés.

En Afrique, c'est le plus souvent un enquêteur qui va dans les familles, pose des questions aux femmes sur la nourriture et inscrit les réponses sur un formulaire. Ce genre d'enquête dépend beaucoup de la mémoire de ceux qui répondent, et aussi de leur attitude envers celui qui les interroge. Des réponses inexactes sont souvent données inconsciemment. Mais il se peut aussi qu'il y ait une raison cachée qui pousse le sujet à tromper l'enquêteur. Par exemple, si les gens pensent que le but de l'enquête est de décider s'il faut apporter ou augmenter une aide alimentaire, ils diront bien entendu qu'ils mangent peu et que leur nourriture est peu variée. S'ils croient par contre que celui qui les interroge veut évaluer leur niveau de vie ou leur degré de développement, leur fierté peut les inciter à dire qu'ils mangent davantage et d'une façon plus variée qu'en réalité.

La méthode la plus utilisée est de demander à chaque personne de se rappeler les aliments qu'elle a pris durant les 24 heures précédentes. Il est utile de disposer des mesures locales (bols, coupes, cuillères) de manière que la personne interrogée puisse indiquer approximativement les quantités consommées.

Souvent aussi, on fait remplir un questionnaire par des gens qui savent lire et écrire. Une méthode d'enquête intéressante consiste à remettre aux écoliers un questionnaire qu'ils devront compiler tous les matins pendant une semaine. On leur demande d'inscrire ce qu'ils ont mangé au cours des 24 heures précédentes, et l'on procède ainsi à différentes époques de l'année. Une telle enquête ne donne pas d'indication sur les quantités consommées, mais elle peut fournir des renseignements utiles sur la composition des repas, les aliments de base dans chaque famille, la fréquence de consommation de la viande, du poisson, des œufs, des fruits ou des légumes, les changements saisonniers de l'alimentation, etc. Les enquêtes de ce type peuvent être réalisées sur d'autres groupes de personnes. Elles fournissent une information qualitative, mais non quantitative.

Méthode associant observation et interrogatoire. Selon cette méthode, les observateurs se rendent dans des foyers préalablement choisis et demandent à la femme de leur montrer les aliments qu'elle a l'intention de préparer pour sa famille ce jour-là. Ceux-ci sont alors pesés avec précision, et l'on se renseigne sur le nombre de personnes qui composent la famille, leur sexe et leur âge. Puis l'enquêteur se rend dans la famille suivante. De toute évidence, on peut ainsi couvrir en un jour un secteur bien plus étendu qu'on ne le fait avec la méthode décrite plus haut qui consiste en une enquête alimentaire complète.

Cependant, la femme peut n'avoir aucune idée de la quantité de nourriture dont elle va se servir ce jour-là, ou alors exagérer outre mesure. Ce genre d'enquête ne tient pas compte de la perte ou du gaspillage et ne précise pas ce que consomme chaque membre de la famille. Souvent le médecin nutritionniste veut surtout savoir ce que mange réellement le tout jeune enfant ou la femme enceinte, et non pas l'ensemble de la famille.

Une enquête de ce genre effectuée en Afrique de l'Est sous la direction de statisticiens a fait ressortir que, dans la population étudiée, on absorbait plus de 5 000 Calories par personne et par jour. Or, on savait qu'il y avait dans cette région de la malnutrition et de la sous-alimentation et que la ration des personnes interrogées était sans doute de l'ordre de 2 200 Calories. De toute évidence, les chefs de famille avaient voulu montrer à l'enquêteur à quel point ils vivaient bien.

Statistiques démographiques

Ces statistiques sont celles qui concernent les naissances et les décès dans la collectivité. Il n'existe actuellement pas de statistiques démographiques complètes et exactes dans les pays d'Afrique, et rien ne permet d'espérer qu'il y en ait sous peu. Elles ont cependant une telle importance comme indice de l'état nutritionnel et pour d'autres problèmes de santé publique qu'elles demeurent des plus utiles même si elles ne portent que sur de petites zones bien limitées.

Dans les pays industrialisés, le taux de mortalité infantile (c'est-à-dire les décès au cours de la première année) donne une bonne idée de l'état nutritionnel et de la santé d'une collectivité. Le taux de mortalité néonatale (décès au cours du premier mois) et le pourcentage d'enfants mort-nés sont également utiles.

En Afrique, les taux de mortalité des enfants (entre 1 et 5 ans) seraient beaucoup plus utiles pour le nutritionniste que les autres taux. Ils donnent souvent une bonne indication sur l'importance de la malnutrition proteino-énergétique, encore qu'ils ne reflètent pas nécessairement l'état nutritionnel de l'ensemble de la collectivité.

On peut trouver un taux de mortalité élevé chez les jeunes enfants, dû à une malnutrition protéino-énergétique, dans une collectivité où les autres sont correctement nourris, et vice versa.

Prenons un exemple: les mères d'une communauté sise au bord d'un lac arrêtent brusquement de nourrir l'enfant au sein lorsqu'il a environ un an. Elles considèrent que le poisson est mauvais pour les tout jeunes enfants et ne les nourrissent pratiquement que de bouillies préparées avec de la farine de manioc. Un taux de mortalité élevé chez ces jeunes enfants' du à une malnutrition protéino-énergétique, n'aurait donc rien de surprenant. Pourtant, la nutrition des habitants plus âgés de cette communauté qui mangent du manioc, du poisson, des arachides et des feuilles vertes, peut être satisfaisante. Par contre, dans une autre communauté qui vit dans une région aride d'élevage, l'allaitement au sein est poursuivi jusqu'à deux ans, le lait maternel étant progressivement remplacé par une bouillie de mil mélangée à du lait caillé. Le taux de mortalité chez les jeunes enfants, dû à une malnutrition protéino-énergétique sera sans doute bas, et pourtant l'ensemble de la population peut manquer de calories, de protéines et de vitamines A et C.

Le taux de mortalité des tout jeunes enfants fait souvent apparaître, par comparaison, des données très intéressantes pour juger du degré d'évolution d'un pays. C'est ainsi qu'en Scandinavie, en U.R.S.S., en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne, ce taux est d'environ 1 pour 1 000, alors que dans la plus grande partie de l'Asie et de l'Afrique, il est au moins 40 fois plus élevé. Le taux de mortalité infantile est d'environ 10 pour 1 000 en Suède, alors qu'il varie entre 35 et 180 pour 1 000 dans la plupart des pays africains.

Bien qu'il soit normalement impossible à un enquêteur ou à une équipe de rassembler des statistiques démographiques précises, on peut habituellement obtenir une information de valeur sur les taux de natalité et de mortalité. Par exemple, au cours d'une enquête, la façon la plus simple de recueillir de tels renseignements est de poser à toutes les femmes mariées en âge d'avoir des enfants les deux questions suivantes:

- A combien d'enfants vivants avez-vous donné naissance?
- Combien vivent encore aujourd'hui'?

A partir de ces réponses, on peut obtenir le pourcentage d'enfants qui sont morts, et les chiffres donnent également une idée du taux de fécondité. Un interrogatoire soigneux peut aussi révéler les âges approximatifs des enfants vivants et permettre d'évaluer à peu près l'âge auquel les autres sont morts. Poser des questions sur la cause du décès conduit rarement à une information ayant une valeur réelle.

Tout renseignement fourni par ce type d'interrogatoire devrait être vérifié avec le chef du village ou, dans une collectivité chrétienne, avec le prêtre ou le pasteur de l'endroit. Dans les communautés chrétiennes, on peut recourir aux registres de baptême pour donner un âge aux enfants et aux registres d'inhumation pour calculer le taux de mortalité.

A souligner que ces moyens de rassembler des renseignements ne donnent qu'une idée très approximative mais néanmoins utile de la situation, qui devra suffire en attendant que soient instaurées de véritables statistiques démographiques.

Surveillance nutritionnelle

Par « surveillance nutritionnelle », on entend un système qui permet de suivre en permanence certains facteurs qui touchent ou influencent la situation nutritionnelle d'une collectivité ou d'une région. Ce système devrait indiquer le moment auquel s'impose une intervention nutritionnelle. Aucun pays ne dispose encore d'un système convenable ou complet de surveillance nutritionnelle. Cependant, il devrait être possible de concevoir des systèmes de surveillance à la fois simples et suffisamment efficaces pour déceler les aggravations ou les améliorations de l'état nutritionnel. Ainsi, l'alarme pourrait être donnée avant que la famine ne s'installe dans les régions très vulnérables aux disettes. L'Ethiopie, l'Inde et le Mexique ont récemment instauré, sous une forme ou une autre, une surveillance nutritionnelle afin d'évaluer la situation nutritionnelle à tout moment dans certaines régions du pays.

Ces systèmes appellent une gestion efficace car les données rassemblées doivent être transmises rapidement à un centre aux fins d'analyse; les résultats sont alors communiqués aux autorités gouvernementales pour suite appropriée.

Exemple. Un pays dont deux régions éloignées sont en proie à la famine décide d'instituer un système de surveillance limité aux-dites régions. Dans ces dernières, on choisit au hasard un village sur dix et on rassemble trois sortes de données à titre d'indicateur de famine: le pourcentage d'enfants entre 1 et 5 ans ayant une circonférence du bras inférieure à 13 cm; le prix des céréales et des haricots dans les boutiques de village; et la pluviosité hebdomadaire dans chaque village. Le personnel médical du dispensaire ou du centre sanitaire le plus proche de chaque village est chargé de mesurer tous les quinze jours la circonférence du bras de 100 enfants provenant de ménages choisis au hasard, tandis que le vulgarisateur agricole dans la région contrôle les prix alimentaires et que l'on dote le directeur de chaque école primaire d'un pluviomètre pour faire rapport sur les chutes de pluie. Un samedi sur deux, l'agent de santé et le vulgarisateur rencontrent le directeur de l'école. Ce dernier rassemble les données sur un formulaire préétabli afin de les poster immédiatement à l'adresse du bureau central chargé de la surveillance nutritionnelle. Ce bureau décide alors des interventions possibles en fonction des rapports connus entre ces indicateurs.

Bien que dans cet exemple on n'ait cité que trois indicateurs, des renseignements sur les conditions atmosphériques, la santé, la production alimentaire, les ravageurs, etc., pourraient aussi donner une utile information supplémentaire.

Quelques pays d'Afrique sont en train de programmer des systèmes de surveillance nutritionnelle nationale. Ils ont besoin de choisir des indicateurs appropriés, de concevoir une méthode rapide de report des données et de programmer les moyens d'action en fonction des mesures notées.


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