6. La nutrition pendant la grossesse

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Les besoins d'une femme pendant la grossesse (et l'allaitement) sont plus importants qu'à aucun autre moment de sa vie. Les raisons en sont évidentes: une femme enceinte élabore dans son propre corps les tissus et organes d'un nouvel être humain. Les différents éléments nécessaires, à l'exception de l'oxygène, sont normalement fournis par ce qu'elle ingère. Ce point est souligné au chapitre 2 et mis en évidence dans le tableau 1 de l'annexe 1.

L'enfant dont la mère manque de vitamine A risquera d'être plus facilement atteint de xérophtalmie ou d'autres symptômes de carence en vitamine A que celui dont la mère absorbe une quantité suffisante de cette vitamine. De même, l'enfant recevant de sa mère une réserve de fer, celle-ci risque d'être insuffisante si la mère elle-même en manque. Cependant, pour beaucoup d'autres éléments nutritifs, l'enfant vit vraiment en parasite et prend tout ce qui lui est nécessaire, que la mère présente ou non une carence. Le calcium est un de ces éléments. Cela ne veut pas dire qu'un supplément de calcium ne soit pas souhaitable pendant la grossesse. Si la mère n'en prend pas davantage, elle puisera dans son propre corps. Les femmes prennent généralement du poids pendant la grossesse. Une personne forte a besoin de plus de calories pour faire le même effort physique qu'une personne plus mince. Dans beaucoup de pays, les femmes ont une vie plus facile, se reposent fréquemment ou ne travaillent pas pendant la grossesse. Elles réduisent ainsi leurs besoins énergétiques. Il n'en va pas de même dans une grande partie de l'Afrique où les femmes enceintes restent actives, même pendant les derniers mois de leur grossesse (figure 8). En général, le métabolisme basal augmente pendant la grossesse, d'où des besoins caloriques plus importants. La plupart des femmes africaines ont donc davantage besoin de calories quand elles sont enceintes.

Il n'est guère douteux que l'avortement, la fausse-couche et la mise au monde d'enfants mort-nés sont plus fréquents chez les femmes mal nourries que chez celles qui sont bien nourries. Il est probable également que les carences alimentaires augmentent les risques de malformation du fœtus. Une malnutrition grave diminue la fécondité et par conséquent les chances de conception. Le cycle menstruel est interrompu chez une femme gravement sous-alimentée. C'est là, de toute évidence, une réaction logique de la nature pour arrêter la perte de substances nutritives qui se produit au moment des règles et pour protéger la femme des fatigues de la grossesse et de l'accouchement. Néanmoins, il n'est pas vraiment prouvé qu'il y ait absence de fécondité chez les femmes - et elles constituent la majorité en Asie et dans certaines régions de l'Afrique - atteintes de malnutrition moins grave.

Le poids de l'enfant à la naissance est aussi influencé par l'état nutritionnel de la mère. En général, les enfants des mères sous-alimentées pèsent moins. Si l'on accroît un peu l'apport énergétique pendant la grossesse, le nouveau-né tend à peser un peu plus. Les enfants venant au monde avec un poids inférieur à la moyenne risquent davantage de ne pas survivre. De nombreuses filles africaines ayant leur premier enfant très jeunes ressentent particulièrement la fatigue de la maternité, du fait que, très souvent, leur propre croissance n'est pas terminée. Il leur faut alors un apport supplémentaire de nutriments à la fois pour leur propre croissance et celle du fœtus.

L'anémie est très fréquente en Afrique et plus particulièrement chez les femmes enceintes. Elle tient surtout à la faible absorption du fer contenu dans les légumes et les céréales et peut être aggravée par une maladie parasitaire.

Toutes les femmes enceintes doivent se rendre en consultation à intervalles réguliers pour un examen prénatal. Il faut vérifier leur taux d'hémoglobine et leur donner des conseils de diététique, pratiques et réalistes, en tenant compte des ressources alimentaires locales et des moyens dont la mère dispose. Il est inutile de lui dire de manger 200 grammes de viande par jour si elle n'a pas d'argent pour en acheter, ou si on ne tue qu'une bête par mois dans son village. Le responsable du service de consultation prénatale se doit de connaître les aliments locaux consommés régulièrement et leur valeur nutritive. Les aliments riches en protéines, en fer, en calcium et en vitamine A sont particulièrement importants pendant la grossesse.

Dans les régions où l'anémie est très répandue, il faut conseiller aux femmes enceintes de prendre du fer sous forme médicamenteuse. On peut donner un comprimé de 200 mg de sulfate ferreux trois fois par jour; c'est particulièrement important durant la seconde moitié de la grossesse. On ne doit donner des vitamines supplémentaires que s'il y a une raison particulière de le faire. Dans les régions où l'on sait que la carence en vitamine A est fréquente, on peut prescrire de l'huile de foie de morue ou des comprimés polyvitaminés. Le folate médicinal (une des vitamines B) est parfois nécessaire en plus du fer.

7. Nutrition et allaitement maternel

La nutrition pendant l'allaitement

Lors d'un accouchement en hôpital, une femme peut perdre environ un litre de sang. Mais la majorité des femmes africaines accouchent chez elles et les personnes qui les assistent ne savent pas la plupart du temps comment réduire au minimum ces pertes de sang. Pendant les semaines qui suivent l'accouchement, la mère doit compenser cette perte et par conséquent avoir une alimentation qui lui apporte les protéines, le fer et les autres nutriments présents dans le sang. En même temps, la lactation commence; la glande mammaire sécrète d'abord du colostrum puis du lait au bout de quelques jours. En Afrique, l'enfant fréquemment nourri au sein pendant plus d'un an et assez souvent pendant deux ans. A huit mois environ, il reçoit habituellement presque un litre de lait maternel.

Un litre de lait fournit 750 calories et contient:

Glucides 70 g
Lipides 46 g
Protéines 13 g
Calcium 300 mg
Fer 2 mg
Vitamine A 480 µg
Thiamine 0,2 mg
Riboflavine 0,4 mg
Niacine 2 mg
Vitamine C 40 mg

Comme on l'expliquera plus loin, les êtres humains n'absorbent pas intégralement les nutriments qu'ils ingèrent. De même, la transformation de ces nutriments des aliments en nutriments du lait n'est pas totale. Donc, une mère qui allaite, outre les besoins normaux, doit recevoir un supplément de nourriture pour remplacer à la fois le sang perdu lors de l'accouchement et les substances nutritives qu'elle fournit à son bébé sous forme de lait.

Nombre de personnes croient que la composition du lait maternel est très variable. C'est faux. Le lait humain a une composition remarquablement constante, très peu affectée par la nourriture de la mère. Le contenu en glucides, protéines, lipides, calcium et fer ne change pratiquement pas, même si la mère en manque. Par contre, si la mère a un régime déficient en thiamine, vitamine A et vitamine C, son lait contient moins de ces substances, et l'absence de thiamine peut provoquer chez son enfant une maladie carentielle, le béribéri infantile (voir page 104).

De même, contrairement à certaines croyances, le lait des deux seins a la même composition. Fréquemment, les mères, et plus souvent encore les grand-mères, sont persuadées que le lait d'un sein est mauvais pour une raison ou pour une autre et, au grand détriment de la mère aussi bien que de l'enfant, celui-ci n'est nourri qu'avec un seul des deux seins.

L'effet d'une alimentation très insuffisante sur une mère qui allaite est de réduire la quantité de son lait et non la qualité.

Il faut encourager les mères allaitantes à venir en consultation avec leur bébé au cours des mois qui suivent l'accouchement. L'enfant et la mère y sont alors tous deux examinés. Il convient de vérifier le taux d'hémoglobine et le poids de la mère, de lui donner la même quantité de médicaments contenant du fer que celle recommandée précédemment pour la période de grossesse et de lui conseiller une nourriture variée.

L'enfant doit être examiné à chaque visite. Une augmentation de poids satisfaisante est la meilleure indication d'une alimentation correcte. On doit encourager par tous les moyens la mère à nourrir son bébé aussi longtemps que possible. En général, les mères africaines sont d'excellentes nourrices et le manque de lactation est rare (figures 9 et 10). On peut déconseiller aux mères de donner à l'enfant d'autres aliments d'appoint avant l'âge de quatre mois, à condition que l'enfant gagne du poids normalement et qu'il semble bien portant. Passé cet âge, et au moins à partir du sixième mois, il faudra qu'elle lui donne d'autres aliments, tout en continuant de l'allaiter. Cette nourriture supplémentaire doit comprendre des aliments riches en fer - faute de quoi l'enfant risque de devenir anémique -, riches en vitamine C, et pouvant fournir de bonnes quantités de calories pour la croissance et les grandes dépenses d'énergie de l'enfant. Dès qu'on diminue l'apport de lait maternel, il est capital d'introduire dans le régime de l'enfant d'autres aliments riches en protéines.

Dans ces consultations, on perd souvent du temps à apprendre aux mères comment allaiter un bébé correctement. Les cours sont souvent faits par des femmes qui n'ont elles-mêmes pas eu d'enfants et qui tentent d'inculquer des notions théoriques occidentales sur l'allaitement. En Afrique, il est inutile d'insister sur les rots, les heures de tétée, le soutien-gorge et la position du bébé pendant la tétée. L'allaitement y est simple et facile. Le faible pourcentage de bonnes nourrices parmi les femmes américaines ou même d'Europe occidentale est une preuve du peu de valeur de cet enseignement. Non pas que ce soit spécialement mauvais de faire faire des rots, de nettoyer fréquemment les mamelons, ou de donner la tétée toutes les quatre heures pendant 15 minutes, mais toutes ces règles rigoureuses ont fini par donner à l'allaitement une auréole magique et mythique qui a de graves répercussions psychologiques se soldant souvent par un arrêt de la lactation.

En Afrique, le manque de lait chez une femme appartenant à une classe sociale pauvre est une véritable tragédie. Le lait de vache frais fait d'ordinaire défaut et le lait en poudre non écrémé coûte si cher qu'il est impossible pour la plupart des familles d'en acheter en quantité suffisante. Nourrir un bébé de quatre mois avec un des aliments au lait entier vendu dans le commerce revient à 130 shillings kényens (environ 18 dollars U.S.) par mois au prix en vigueur à Nairobi en 1978. C'est là payer beaucoup trop cher, surtout pour des ouvriers non spécialisés qui ne gagnent que 300 shillings (40 dollars) par mois et pour des familles rurales dont le revenu en espèces est bien souvent inférieur à 100 shillings (14 dollars) par mois. Même si les parents ont les moyens d'acheter du lait en poudre non écrémé et un biberon avec tétine, les chances de survie du bébé restent minces.

Allaitement au biberon

L'allaitement au biberon peut être parfait dans une maison bien équipée avec une cuisinière à gaz ou électrique, un réfrigérateur et l'eau courante. Mais pour 95 pour cent des familles africaines, tel n'est pas le cas. Il est quasiment impossible quand on habite une case, qu'on cuisine sur un feu en plein air et qu'on doit aller chercher l'eau à plusieurs kilomètres, de nettoyer, stériliser et préparer correctement les biberons d'un bébé. Dans ces conditions, il y a de fortes chances pour que l'enfant ainsi nourri meure d'infection gastro-intestinale ou de marasme.

C'est pourquoi il est déplorable que la mode du biberon commence à envahir l'Afrique. C'est pour une large part de la faute des colonies étrangères car ce qu'elles font est souvent considéré comme raffine, sinon supérieur. De leur côté, les compagnies commerciales n'ont pas été longues à comprendre qu'il y avait là une possibilité de gagner de l'argent. De nombreux journaux locaux et autres moyens d'information font de la publicité pour une ou plusieurs marques de lait destiné à l'alimentation des bébés. Cette publicité implique que l'allaitement au biberon est supérieur à l'allaitement au sein. On représente souvent Une mère bien habillée, épanouie, donnant le biberon à un bébé joufflu et souriant; à l'arrière-plan, une solide maison moderne, le tout donnant à entendre que c'est plus raffiné, moins ennuyeux et préférable en un certain sens de nourrir un bébé au biberon. Cette même publicité met aussi parfois en lumière les éléments nutritifs ajoutés à la poudre de lait, sans préciser que le lait de la mère n'a besoin d'aucun apport nutritif supplémentaire pendant les quelques premiers mois d'allaitement. Ce genre de publicité a maintenant gagné le cinéma où de brèves séquences montrent comment il est facile et bon de nourrir un enfant au biberon avec tel ou tel produit. Pour la plupart des Africains, cependant, c'est difficile et très néfaste.

Allaitement au sein et allaitement au biberon

Le grand pédiatre Paul György a dit: « Le meilleur lait pour les petits des vaches est le lait de vache et le meilleur lait pour les petits des hommes le lait de femme. » Nul ne saurait nier la justesse d'une telle déclaration. Cependant, la science et l'industrie ont réussi, dans un effort concerté, à mettre au point des produits laitiers qui imitent le lait maternel et contiennent à peu près les mêmes quantités de nutriments connus. Pour les gens aisés et jouissant de toutes les facilités modernes, rien ne prouve vraiment que l'allaitement au sein est, du point de vue nutritionnel, bien supérieur à l'alimentation au biberon. Aucune personne sensée n'aurait toutefois l'idée de prétendre que ces préparations ou le lait d'autres mammifères valent mieux que le lait maternel pour les nourrissons. Aussi conseillons-nous fortement aux femmes d'allaiter au sein plutôt qu'au biberon, à moins que quelque bonne raison ne le leur interdise.

L'allaitement au sein a sur l'allaitement au biberon un certain nombre d'avantages: il constitue un mode d'alimentation plus accessible et plus facile; le lait maternel contient les nutriments voulus; il atténue beaucoup les risques d'obésité infantile; il est économique pour la famille et le pays (c'est le seul aliment protéique d'origine animale bon marché); il favorise les rapports entre la mère et l'enfant; il immunise grâce aux globulines et autres éléments qu'il contient; il diminue les risques de diarrhée; et enfin il agit comme contraceptif.

Il y a peu de temps encore, le dicton selon lequel l'allaitement au sein empêchait la grossesse était considéré comme un conte de bonne femme. On a maintenant de bonnes preuves que si l'allaitement maternel n'est pas un moyen contraceptif sûr, il retarde en moyenne les nouvelles grossesses de cinq à huit mois chez les femmes qui le pratiquent. Ceci tient à un effet hormonal qui retarde la reprise de l'ovulation. Dans certaines sociétés aussi, les mères allaitantes n'ont pas de rapports sexuels, ou en ont moins que celles qui n'allaitent pas. Peut-être l'espacement plus grand entre les naissances dû à l'allaitement au sein influe-t-il davantage dans bien des pays sur le taux de croissance démographique que ne le fait la pilule ou le dispositif intra-utérin.

L'allaitement au sein est avantageux partout et il est désormais reconnu que, pour les deux tiers environ de la population mondiale, l'allaitement des nourrissons au biberon est à déconseiller vivement. Bien souvent, commencer à nourrir au biberon équivaut à signer l'arrêt de mort de l'enfant. Ce mode d'alimentation est à l'origine de bien des maladies et morts infantiles. Dans beaucoup de pays en développement, il cause plus de décès que le cancer; et pourtant, on consacre de grosses sommes à la recherche sur le cancer, on publie des revues et manuels sur les tumeurs, alors que les recherches sur l'allaitement maternel sont des plus limitées et la documentation à ce propos assez rare.

Pourquoi l'allaitement au biberon constitue-t-il un problème de santé publique si grave pour les tout jeunes enfants des pays en développement et ceux des familles pauvres du monde entier? Cela tient à deux grandes raisons:

L'excès de dilution entraîne le marasme. L'alimentation au biberon conduit souvent à la dénutrition, puis au marasme nutritionnel et fréquemment à la mort chez les tout jeunes enfants des collectivités pauvres. Les produits vendus dans le commerce pour cette alimentation sont assez chers au regard des revenus perçus dans les pays en développement. Aussi la famille a-t-elle tendance à n'acheter que trop peu de lait ou d'aliment préparé et à le diluer à l'excès dans le biberon. Il se peut que l'enfant ait le nombre voulu de tétées et le volume de liquide recommandé, mais chaque tétée ne contient pas assez de calories et d'autres nutriments. D'où la manifestation lente mais inévitable du marasme nutritionnel. En Tanzanie, en 1963, pour nourrir convenablement un enfant de six mois, il fallait compter un coût équivalant à la moitié du salaire minimum en vigueur. Aucune famille ne peut consacrer la moitié de son revenu à l'alimentation de son plus jeune membre. On a également estimé qu'en Tanzanie continentale, où la population est d'environ 10 millions de personnes, la production de lait de femme atteint près de 40 millions de « gallons » par an. Ceci reviendrait à 22 millions de dollars U.S. par an si l'on devait substituer à ce lait du lait de vache en poudre ou un produit équivalent, autrement dit une somme de très loin supérieure au budget total du Ministère de la santé en 1963; et depuis, le coût relatif n'a pratiquement pas changé.

La contamination entraîne la diarrhée. Le manque d'hygiène dans l'alimentation au biberon est source majeure de gastro-entérite et de diarrhée chez les tout jeunes enfants, vu que le lait favorise la propagation des agents pathogènes. Dans les pays en développement, les enfants nourris au sein y sont beaucoup moins sujets. Les statistiques de mortalité des collectivités les plus pauvres montrent que ce sont les infections gastro-intestinales qui causent le plus de décès parmi les enfants. Les services pédiatriques des hôpitaux tropicaux sont pleins de bébés qui se meurent de cette maladie. Il est extrêmement difficile d'obtenir un biberon stérile quand la famille puise son eau dans un fossé ou un puits souillé d'excréments humains (et rares sont les ménages dans les pays en développement qui disposent d'eau courante potable); quand l'hygiène familiale laisse à désirer et que le foyer est envahi de mouches et de déjections; quand il n'existe ni réfrigérateur ni autre lieu où l'on puisse entreposer en toute sécurité un biberon préparé; quand il n'y a pas de cuisinière automatique et que, pour stériliser le biberon et faire bouillir un peu d'eau, il faut chaque fois que quelqu'un aille chercher du combustible et allume un feu; quand il n'existe aucun ustensile approprié pour laver le biberon entre les tétées, ou encore quand ce dernier consiste en une bouteille de boisson non alcoolisée ébréchée et presque impossible à nettoyer; et enfin, quand la mère n'a que peu de connaissances d'hygiène et ne comprend même pas que la maladie est due aux microbes.

Pourquoi cette vogue de l'alimentation au biberon? Pourquoi gagne-t-elle si rapidement du terrain dans les pays en développement, notamment dans les zones urbaines? L'explication réside parfois dans l'éclatement de la famille élargie, dans l'émancipation des femmes et dans l'obligation où elles se trouvent de jouer leur rôle dans les rangs de la population active. Dans certains pays, les femmes qui travaillent sont encouragées désormais à nourrir leurs bébés sur leur lieu de travail, où on leur donne des facilités pour le faire.

Le recul de l'allaitement maternel dans les pays en développement tient cependant entre autres aux facteurs suivants: influence de l'Occident, conseils médicaux et publicité.

Influence de l'Occident. Les mères américaines et européennes nourrissent rarement leur enfant au sein, et leur comportement ainsi que leur manière de se vêtir influent puissamment sur les sociétés pauvres. L'Occident a engendré une sorte de culte du sein. La poitrine de la femme est devenue le symbole sexuel majeur, ce qu'accentuent encore les livres, les mass-media et les vêtements féminins. En même temps elle est devenue un objet de pruderie. Pourtant, dans bien des pays africains, les femmes exposent encore très naturellement leur poitrine en public. On admet très bien qu'une femme donne le sein en public, tout comme on l'admettait autrefois aux Etats-Unis et en Europe, mais la population a tendance à croire que l'allaitement au biberon est plus chic et plus moderne. L'allaitement au sein est souvent considéré comme une pratique « primitive » et le biberon comme un symbole de supériorité.

Conseil médicaux. Dans certains pays, le corps médical a incontestablement une large part de responsabilité dans le recul de l'allaitement maternel. Dans bien des hôpitaux, les nourrissons sont mis au biberon alors que leur mère se trouve encore à la maternité, et rares sont les obstétriciens ou les pédiatres qui encouragent vraiment les femmes à allaiter leurs petits. Il est arrivé que des sociétés industrielles emploient des femmes africaines, leur fassent endosser l'uniforme blanc des infirmières et les dépêchent ainsi dans des hôpitaux et cliniques pour vanter les mérites de leurs produits. Souvent des boîtes de lait en poudre sont remises gratuitement aux mères après leur accouchement. La mère peut s'en servir pendant quelques semaines, puis se rendre compte que cela lui coûte cher; mais comme jusque-là elle n'a pas allaité, il se peut que son lait se soit tari. Aussi ne lui reste-t-il d'autre choix que de continuer l'allaitement au biberon, pratique coûteuse et dangereuse. Dans bien des hôpitaux, dispensaires et cabinets de médecins, on peut voir sur les murs des affiches publicitaires pour les produits de substitution du lait maternel.

Publicité et commercialisation des produits pour l'allaitement au biberon. C'est peut-être bien là la raison majeure de l'abandon rapide de l'allaitement maternel dans les pays en développement ces dernières années. L'impact de la publicité est énorme, le message a de la force, les bénéfices sont élevés et lourde est la souffrance humaine qui en résulte. Les fabricants usent aussi de techniques de vente agressives et tentent souvent de faire pression sur le corps médical et sanitaire pour qu'il conseille à ses patientes l'allaitement au biberon.

Les gouvernements africains devraient sérieusement songer à promulguer une loi interdisant ce genre de publicité, et essayer de contrôler la commercialisation de ces produits. En Guinée-Bissau, les gens ne peuvent acheter des aliments pour enfants que s'ils sont munis d'une ordonnance.

Défaut de lactation

Cependant, dans certains cas, la mère a vraiment du mal à allaiter. Il faut alors si possible la faire entrer à l'hôpital et la mettre dans une salle où d'autres femmes réussissent à allaiter. Elle doit être examinée pour savoir si ses difficultés ont une raison physique quelconque. Il faut lui donner beaucoup de boissons, parmi lesquelles du lait. Tous ces procédés sont surtout des stimulants psychologiques destinés à favoriser une reprise de lactation.

Si l'allaitement au sein reste impossible, il faut apprendre à la mère à donner du lait, soit à la cuiller, soit directement à la tasse, et trouver le moyen de l'approvisionner en lait frais ou en lait en poudre non écrémé si elle n'a pas d'argent pour en acheter, ce qui est généralement le cas. Une tasse et une cuiller sont plus faciles à garder propres qu'un biberon et une tétine. L'enfant doit être amené en consultation régulièrement. Ce mode d'alimentation est également valable pour le bébé dont la mère est morte en couches. Il est alors souhaitable d'admettre à l'hôpital en même temps que l'enfant toute parente pouvant se charger de le nourrir. Une autre possibilité est de trouver parmi les parents ou amis une nourrice susceptible d'allaiter l'enfant.

Si la lactation cesse ou si le décès de la mère survient quand l'enfant a plus de quatre mois, le régime devra être différent. On peut lui donner une bouillie légère (ou uji) préparée avec l'aliment de base local. Il faut y ajouter des quantités suffisantes de lait entier ou, si c'est impossible, du lait écrémé en poudre enrichi d'un peu de matières grasses. Une quantité relativement faible d'huile d'arachide, de sésame (simsim), de coton, de palme rouge ou autre huile comestible augmente beaucoup la ration énergétique sans trop ajouter au volume de l'ensemble. Si l'on n'a pas de lait à disposition, on peut employer d'autres aliments riches en protéines comme les légumineuses, les œufs, la viande hachée, le poisson ou la volaille.


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