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Introduction

Les effets de la croissance urbaine sont de plus en plus préoccupants: d'ici l'an 2025, 61% de la population mondiale habitera en zone urbaine et, pour sa majeure partie, près ou même au-dessous du seuil de pauvreté. Comment alors nourrir de façon adéquate cette population urbaine grandissante?

Dans les années 60, deux habitants sur dix des pays africains subsahariens et asiatiques vivaient dans les villes. Il est estimé que près de 60% de leur population habiteront en zone urbaine en l'an 2025: la plupart des villes de ces pays ont des taux de croissance urbaine tels que leur population aura en effet doublé en moins de 20 ans, comme par exemple Kampala et Addis Abéba (5,2%), Nairobi et Conakry (4,3%) et Rawalpindi (3,8%).

La situation est différente en Amérique latine où le problème se pose moins en termes de rapide croissance des centres urbains qu'en termes d'alimentation d'une population qui, en 2025, sera urbaine à 85%. Une paupérisation croissante caractérisera cette population urbaine, comme le montrent les bidonvilles qui entourent la majorité des grandes villes de cette partie du monde.

Dans les pays en transition économique de l'Europe de l'Est, on estime que les niveaux d'urbanisation atteindront de 75 à 80% en l'an 2025, malgré des taux de croissance urbaine souvent inférieurs à 1%. Dans ces pays, le problème se pose en termes d'organisation de la production, de la transformation et du commerce alimentaires pour satisfaire une demande urbaine caractérisée par des niveaux croissants de pauvreté.

La Conférence Habitat II (Istanbul, juin 1996) a attiré l'attention sur la relation directe existant, dans nombre de pays en développement et en transition économique (PDT), entre les niveaux élevés d'urbanisation et les taux de croissance urbaine grandissante, d'une part, et les niveaux de pauvreté urbaine, d'autre part. Cette relation pose le problème urgent de l'alimentation de ces populations citadines.

Le Sommet mondial de l'alimentation, qui s'est tenu à la FAO à Rome au mois de novembre 1996, a considéré prioritaire l'amélioration de l'efficacité des systèmes de commercialisation et des relations entre les zones de production et de consommation, dans le but d'améliorer l'accès aux aliments et donc la sécurité alimentaire dans les pays en développement.

La croissance urbaine a des conséquences directes et indirectes sur l'approvisionnement et la distribution des produits alimentaires et, par conséquent, sur la sécurité alimentaire urbaine. La croissance de la demande alimentaire s'accompagne de profondes modifications au niveau du comportement du consommateur urbain et nécessite le déplacement de quantités croissantes et de plus en plus variées de produits alimentaires des campagnes vers les villes. Cette demande alimentaire croissante est satisfaite à partir de zones rurales toujours plus lointaines et/ou par une augmentation de la productivité. Elle nécessite des structures plus vastes, des transports efficaces et une organisation toujours plus complexe.

Satisfaire les besoins alimentaires d'une ville est un problème complexe. Les systèmes d'approvisionnement et de distribution alimentaires (SADA) vont suivre les mêmes caractéristiques que les espaces urbains dans lesquels ils se développent, essentiellement l'hétérogénéité. Plusieurs systèmes vont coexister dans un espace donné: depuis le minuscule étal du marché ouvert jusqu'au supermarché, mais la dépendance vis-à-vis d'un réseau dominant est encore trop souvent la règle. Les quartiers les plus récents, provenant de l'urbanisation spontanée, sont généralement dotés d'un réseau alimentaire le plus sommaire. L'équilibre économique entre les divers réseaux concurrents est encore loin d'être atteint.

L'activité commerciale est au centre des SADA: son organisation, ses acteurs, les blocages qu'elle révèle ont une influence déterminante sur le fonctionnement de l'économie, non seulement urbaine mais aussi rurale.

Dans un SADA développé, les fonctions assumées par les réseaux d'approvisionnement dépassent largement la simple mobilisation des denrées: financement des exploitations et des aménagements, diffusion de techniques et organisation des agriculteurs. Les stratégies définies à l'intérieur des réseaux d'approvisionnement vont avoir une forte influence sur la production agricole car c'est par elles que se dessinent les mouvements de spécialisation régionale. C'est par elles aussi qu'apparaissent de nouveaux seuils de différenciation entre les producteurs qui sont liés à l'opposition entre productions traditionnelles et spéculations portées par les demandes alimentaires en forte expansion.

Dans beaucoup de cas cependant, ce niveau est loin d'être atteint. En Afrique notamment, les réseaux d'approvisionnement sont souvent dominés par des entités «commerçants - transporteurs - collecteurs» (Tollens, 1997) qui effectuent de multiples opérations: achats fractionnés auprès de nombreux producteurs sur des marchés ruraux dispersés, transport et vente à une échelle souvent réduite et spécialisée par produit. Cette position est renforcée par la présence de sociétés privées qui s'efforcent de monopoliser les circuits de distribution des aliments importés.

Les SADA disposent souvent de structures mal localisées ou précaires sous beaucoup d'aspects, et opèrent dans un contexte dynamique et incertain du point de vue économique, social et normatif, ce qui a pour résultat de grever les coûts de l'alimentation pour les couches sociales déjà exposées à de graves réductions de leur pouvoir d'achat en raison des programmes d'ajustement structurel et de transition économique.

Quels sont les facteurs susceptibles de faire évoluer les SADA et de changer le modèle de la fonction commerciale?

En premier lieu, une modification des habitudes alimentaires sous l'effet de la montée des groupes socio-économiques typiquement urbains (classes moyennes) et l'urbanisation des modes de vie (croissance démographique des villes).

En deuxième lieu, la modernisation des techniques de commercialisation (informatique, etc.) va influencer la gestion et l'information. La connaissance des prix et de leur évolution est un facteur essentiel de l'intégration des marchés. Son influence peut être considérable sur les modifications du comportement des acteurs, dans le sens d'un bouleversement du traditionalisme des commerçants.

Cependant, la modernité et la diffusion des innovations n'influencent que très lentement les structures, et le maintien de techniques commerciales rudimentaires concurremment aux hypermarchés et aux produits de luxe est un phénomène permanent.

Il faut souligner que la densité urbaine, le niveau de l'emploi, la présence massive du secteur informel sont autant d'éléments qui vont influencer les seuils de fonctionnement et de modernisation des SADA.

En troisième lieu, les politiques mises en œuvre par l'Etat (arrêt des subventions, ouverture des marchés extérieurs, déréglementation, etc.) vont modifier les relations entre les consommateurs et les SADA, parfois en entamant les positions à caractère monopolistique et monopsonique, souvent en provoquant une multiplication des acteurs, au moins dans le court terme. Il y a en effet un temps d'ajustement nécessaire pour passer de la déréglementation à la réorganisation.

La rapidité avec laquelle les problèmes émergent est un autre aspect à prendre en considération. Chaque intervention nécessite une connaissance approfondie des problèmes bien que leur dynamique risque de rendre inefficaces les politiques d'amélioration au moment même où elles deviennent opérationnelles. L'analyse des problèmes doit être rapide et efficace, et la formulation des solutions doit tenir compte de l'effet multiplicateur des tendances futures. Ceci est possible si l'on dispose d'une méthodologie d'étude permettant aux décideurs d'acquérir une méthode rapide et efficace pour évaluer globalement les problèmes liés à l'approvisionnement et à la distribution alimentaires des villes et formuler des politiques d'intervention tenant compte de l'évolution de la situation.

Quels sont les domaines dans lesquels les politiques publiques peuvent intervenir? Les monopoles, la multiplicité des intermédiaires, l'atomisation de l'offre sont autant d'obstacles à la fluidité du marché, comme le sont le manque d'organisation des producteurs, l'information rudimentaire sur les prix et la congestion des espaces de marchés en ville. Les interventions directes se sont montrées peu efficaces dans le passé, mais le pilotage de la libéralisation s'avère souvent délicat. Le manque d'expérience des cadres dans les relations contractuelles et la gestion d'un partenariat s'avère plus que souvent un obstacle difficilement surmontable.

L'élaboration des programmes de développement des SADA suppose l'existence de solutions à ces problèmes complexes et hétérogènes. Plusieurs solutions alternatives peuvent être proposées pour un même problème, ce qui sera exposé ci-après dans la section consacrée à l'étude de cas.

Une fois l'étape d'analyse franchie, la question la plus difficile à résoudre est évidemment celle du lien entre la problématique et les solutions multiples issues de l'analyse, d'une part, et les éléments du programme, d'autre part, d'où, l'importance d'un scénario et d'une stratégie orientés vers l'efficacité et le réalisme pour permettre le passage à l'action.

Ce Guide vise à fournir des éléments de réflexion et des solutions opérationnelles pour analyser les SADA dans un contexte dynamique caractérisé par un niveau élevé d'expansion démographique et spatiale d'une ville, au sein d'un milieu économique, social et institutionnel en pleine évolution, et pour formuler des politiques, des stratégies et des programmes de développement.

Ce Guide a été rédigé à l'intention des chercheurs et des professionnels dans les pays en développement chargés d'étudier les SADA et proposer des programmes-cadre de développement.

Le chapitre 1 du Guide concerne les éléments relatifs à la compréhension des SADA.

Le chapitre 2 affronte l'approche interdisciplinaire de la problématique en fournissant quelques instruments opérationnels. Le chapitre 3 couvre l'organisation de l'étude de cas, c'est-à-dire la formulation des termes de référence (TOR), l'articulation de l'étude en différentes phases, le travail de l'équipe interdisciplinaire et les restitutions internes et externes des résultats.

Le chapitre 4 est dédié à la formulation d'un programme-cadre de développement des SADA.


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