CONGO

Son Excellence Monsieur Pascal Lissouba, Président de la République du Congo


En prenant la parole du haut de cette tribune à l'occasion de ce Sommet mondial de l'alimentation, mes premières pensées vont aux pères fondateurs de la FAO pour leur vision globale, prospective et généreuse. Mais en cet instant précis, je pense à ces millions d'hommes et de femmes de diverses régions du monde en développement, celles d'Afrique en particulier, qui péniblement et inlassablement luttent pour résister au spectre de la faim et de la misère, objet de cette rencontre. Ces hommes et ces femmes de besoin se demandent en toute innocence pour qui sonne le glas, en se suicidant sans hâte à l'alcool ou à la drogue quand ils ne sont pas fauchés par des outils plus expéditifs ou une régulation plus implacable tels que les cataclysmes ou les violences de plus en plus inhumaines.

Ainsi, nous voici individuellement et collectivement mis au défi, et c'est un réel réconfort d'être sous l'autorité morale de Sa Sainteté Jean-Paul II dont nous sollicitons respectueusement le témoignage pour montrer combien nous sommes déterminés à contribuer ensemble, au travers des textes que nous venons d'adopter, à ce processus essentiel à la dignité humaine, à la lutte contre la faim et la misère, et à la lutte contre la pauvreté absolue pour la survie de notre humanité. Etant à Rome, haut lieu de la sainteté et de la civilisation universelle, j'éprouve une sorte de ravissement inexprimable, au travers d'un tacite engagement, à relever avec vous ce grand défi. Qu'il me soit permis alors, au nom du peuple et du Gouvernement congolais, ainsi qu'en mon nom personnel, d'adresser au peuple et au Gouvernement italiens, aux organisateurs de ce Sommet, à Monsieur Jacques Diouf, Directeur général de la FAO, mes sincères remerciements et ma profonde gratitude pour l'accueil réservé à moi-même, à mon épouse et à la délégation qui m'accompagne.

Le présent Sommet a été placé sous le thème "Nourrir le monde". Est-ce un défi? A l'heure du triomphe de la science et de la technologie, est-ce encore une gageure? Ou plus simplement l'expression d'une volonté du plus être et du mieux être? Nous sommes réunis ici en conséquence pour y réfléchir et pour proposer. Réfléchir d'abord aux exigences culturelles et à la démocratie spécifique qu'impose notre développement, la seule susceptible de prévenir la violence aveugle qui assiège nos continents et paralise leur développement; proposer ensuite, car il faut désormais entreprendre et avec hardiesse. Décideurs du monde au plus haut niveau, nous avons à nous mobiliser en vue d'adopter les solutions les plus aptes à endiguer la faim dans le monde.

S'agissant du premier point, "d'abord réfléchir", vous l'avez déjà admirablement fait, Monsieur le Directeur général de la FAO. Aussi loin que se reporte notre réflexion, et malgré d'énormes difficultés depuis une cinquantaine d'années, des efforts inlassables ont été déployés pour atteindre la sécurité alimentaire, telle la révolution verte, qui a permis d'obtenir des résultats non négligeables et pour la réalisation desquels la FAO a joué un rôle déterminant. De même en Asie et dans les pays industrialisés, les progrès de la science et de la technologie ont été très décisifs.

Toutefois, malgré cette percée, la situation alimentaire mondiale demeure préoccupante, notamment en Afrique où plus d'une quarantaine de pays, dont le Congo, sont classés parmi les pays à déficit vivrier. S'agissant du Congo, mon pays, on a indiqué ici que d'année en année nous importons de fortes quantités de produits alimentaires alors que le pays recèle d'énormes potentialités pour le développement du secteur agricole: terres arables d'excellente qualité, climat approprié, diversité biologique patente; et pourtant, comme dans certains autres pays en développement, il y a lieu de faire remarquer combien le poids de la dette extérieure, la détérioration des termes des échanges, et les conflits inter-ethniques ou inter-régionaux agissent comme facteurs de blocage anihilant les efforts déployés en vue de l'amélioration de la situation alimentaire.

Dans mon pays, outre la dette, puissant frein au développement, il convient de souligner les mauvaises stratégies de développement, voire l'absence de stratégies, qui ont eu cours pendant 25 années d'un régime monopartiste. En effet, pays pétrolier, les excédents de recettes ont été non seulement à l'origine d'une dette la plus lourde du monde par tête d'habitant, mais encore à l'origine de l'exode rural.

Soixante pour cent de notre population se trouve concentrée dans trois agglomérations urbaines dans le sud du pays, après avoir déserté les zones rurales aujourd'hui totalement enclavées par l'absence de voies d'évacuation et, en conséquence, l'absence de production. La sécurité alimentaire qui en résulte pour le pays doit être surmontée à tout prix et relever ce défi est un devoir de justice à l'égard des plus démunis. Le droit à l'autosuffisance alimentaire est le premier des droits de l'homme donc il détermine tous les autres.

Comment donc ne pas convenir avec vous, Monsieur le Directeur général, lorsque vous déclarez en substance que "là où ce droit n'est pas assuré, tous les autres deviennent illusoires". Si une personne ne mange pas à sa faim, comment pourrait-elle exercer son droit à la formation, à l'information, au travail, à la culture, son droit d'expression et celui de s'exprimer lui-même en participant à la vie politique et sociale de sa cité? La réflexion sur le droit à l'autosuffisance alimentaire revêt de ce fait une dimension politique, éthique, sociale et stratégique qui nous interpelle à tout instant. Face à cela, que proposer?

La sécurité alimentaire doit être considérée sans équivoque comme une priorité du développement et justifier un programme de relance que nous estimons à deux composantes: l'une des composantes concerne des mesures propres à chaque pays qui peuvent être réalisées rapidement en terme d'augmentation de la production et de la productivité; l'autre composante concerne des objectifs accessibles à court ou à plus long terme sur lesquels doivent se guider l'action concrète que déclenchera impérativement le processus de mondialisation de l'économie qui va s'accélérant.

Dans le premier cas, je propose en exemple une rapide évaluation des mesures actuellement mises en oeuvre dans mon pays, le Congo. Elles sont politiques, avec les concepts de démocratie participative et de décentralisation administrative de mon pays. Elles sont économiques, avec la création d'un fonds commun de placement et d'investissement en vue de contribuer au développement de chacune de nos régions. Elles sont aussi, et je passe rapidement, institutionnelles et juridiques et surtout techniques. Ici un certain nombre de programmes nationaux ont été élaborés et amorcés, à savoir la réhabilitation des infrastructures de communication, l'amélioration de l'habitat rural par l'utilisation de matériaux locaux, l'amélioration des mécanismes de commercialisation des produits agricoles au travers des marchés d'intérêt local, voire régional, l'élaboration d'un schéma directeur de développement rural de référence avec le concours financier et l'assistance technique de la FAO, la mise en oeuvre du Programme national de développement rural intégré appuyant les initiatives locales et les privatisations financées pour l'essentiel par le Fonds international de développement agricole, FIDA.

S'agissant de la seconde composante, conséquence optimiste de la première, il nous paraît utile d'évoquer, ne fût-ce qu'à grands traits, l'intégration de l'Afrique au grand courant de l'économie mondiale. Résistera-t-elle malgré de solides atouts à la compétition qui s'annonce féroce? Cela suffit-il à garantir à jamais l'autosuffisance alimentaire et, partant, la paix sociale? La réponse est non, si, en prenant en compte les objectifs à moyen et long terme de notre programme de relance et des conditions déjà perceptibles de la prospérité de demain, nous n'intégrions la mondialisation de l'économie d'une part, et si nous ne faisions pleinement participer nos pays au processus d'innovation technologique d'autre part.

La mondialisation de l'économie et l'informatisation offrent des possibilités de croissance inouies que le monde entier s'applique déjà à saisir. La concurrence s'annonce sévère. Il est grand temps de prendre des mesures tendant à lever les obstacles à la concurrence mondiale et à soutenir l'esprit de créativité et d'initiative provenant pour l'essentiel du secteur privé. L'offensive généralisée des nouvelles technologies, ou technologies clés, implique la participation pleine et entière de l'Afrique au processus d'innovation technologique, afin de restaurer la compétitivité de nos produits d'exportation traditionnels à faible intensité de valeur ajoutée et actuellement, en fin de cycle, de donner à l'intégration économique de notre continent un contenu nouveau, chaque pays développant grâce à la science et à la diversité qu'offre la technologie, des produits clés optimisant les ressources de l'ensemble de la région et, partant, l'industrialisation. De contribuer enfin, grâce aux technologies clés, à l'avenir de l'économie mondiale avec nos ressources, réel atout pour un réel partenariat avec les pays industrialisés.

Ainsi donc, la coopération qui se voudrait alors forme élevée de la solidarité humaine et de la fraternité universelle, qu'elle soit sud-sud à travers l'intégration économique du continent, qu'elle soit nord-sud par le partenariat réussi, devient une ambition pour l'avenir, un réel outil de développement à même de relever les multiples défis auxquels nous sommes confrontés. La science a permis à l'homme de visiter la lune, la technologie qui en découle viendra assurément à bout de ce mal de tout temps: la faim. Je vous remercie.


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