COTE D'IVOIRE

Son Excellence Monsieur Henri Konan Bédié, Président de la République de Côte d'Ivoire


Je salue avec amitié toutes les hautes personnalités et les responsables de tous les pays venus assister à ce Sommet mondial. Je salue aussi M. Jacques Diouf, Directeur général de la FAO, et je lui adresse mes très sincères félicitations pour tous les efforts qu'il a déployés afin d'organiser ce sommet, et pour le succès qu'il connaîtra assurément.

C'est toujours avec émotion et un immense plaisir que je viens à Rome, capitale prestigieuse de la République italienne et siège de la papauté. J'ai eu l'honneur le mois dernier d'y présider la Journée mondiale de l'alimentation et, à cette occasion, de faire connaître le point de vue de la Côte d'Ivoire sur ce qui sera certainement au cours du prochain siècle le problème majeur de l'humanité, celui de la faim et de la malnutrition, dont l'éradication au bénéfice de tous est désormais notre objectif commun. La sécurité alimentaire, le partage du pain, c'est l'acte premier de la fraternité humaine.

Certes, bien du chemin a été parcouru depuis octobre 1945, date à laquelle a été fondée la FAO.

Aujourd'hui, si nous sommes réunis ici, c'est non seulement pour renouveler notre engagement de mettre un terme à la faim et à la malnutrition dans le monde, car ce fléau persiste et s'aggrave notamment sur notre continent africain, mais pour tirer le meilleur profit possible de l'acquis des expériences menées, de sorte qu'il soit possible de réaliser dans un avenir proche un plan basé sur de vastes programmes soutenus par des initiatives précises, concrètes et efficaces.

Aussi, je voudrais profiter du temps qui m'est imparti pour revenir sur le problème qui est fondamental à mes yeux, lorsqu'il s'agit de la faim dans le monde et de la sécurité alimentaire, je veux parler de la gestion de l'eau et plus particulièrement de la maîtrise de l'eau par les agriculteurs, qu'il faut considèrer comme hautement prioritaire dans l'execution du Plan d'action.

Sans l'eau les populations sont affamées, sans l'eau il n'y a pas d'activité agricole, sans l'eau il n'y a pas de vie, il n'y a pas de civilisation.

Sur notre continent - l'Afrique - la consommation alimentaire, fondée essentiellement sur les céréales - mil, riz, maïs, sorgho - devrait augmenter d'au moins un tiers ces prochaines années, alors que la région est loin d'être autosuffisante.

Comment, dans ces conditions, éviter la dégradation d'une situation déjà préoccupante ?

L'Afrique possède, selon les données statistiques de la FAO, un potentiel irrigable de 90 millions d'hectares alors que les surfaces actuellement irriguées couvrent seulement 14 millions d'hectares. Ce potentiel correspond à 9 pour cent de l'ensemble des terres agricoles exploitables qui représentent environ un milliard d'hectares. C'est dire, en quelques chiffres, l'immensité des ressources naturelles encore disponibles pouvant être mises en valeur afin de satisfaire les besoins en cultures agroalimentaires.

De plus, de nos jours, l'agriculture dite «pluviale», dépendant directement des précipitations atmosphériques locales, caractérise encore plus de 95 pour cent des surfaces cultivées. C'est dire notre retard dans le domaine de l'irrigation.

Or, sur le continent africain, les ressources internes en eau douce renouvelable sont d'environ 4 000 milliards de mètres cubes. Un immense capital auquel s'ajoutent d'importantes réserves en eau souterraine. Ces ressources en eau dépassent l'échelle de nos besoins à très long terme. Nous devons pouvoir gérer et exploiter ce capital eau en sachant le préserver. Des solutions existent.

Certes l'irrigation coûte cher, mais l'inaction coûtera encore plus cher. C'est pourquoi toutes les réticences doivent nécessairement être surmontées si nous ne voulons pas connaître, au siècle prochain, des événements d'une extrême gravité, face auxquels toutes les entreprises humanitaires resteront impuissantes.

Le défi est là, certain et considérable. Et je suis heureux de constater qu'un rapport récent (1993) de la FAO le relève en ces termes: «On attend de l'agriculture irriguée qu'elle produise dans l'avenir beaucoup plus qu'actuellement en utilisant moins d'eau qu'aujourd'hui». Les perspectives sont à la mesure de la pression démographique car cette agriculture irriguée peut faire vivre plus de la moitié de la population mondiale.

Sans doute convient-il de recourir davantage aux progrès scientifiques et technologiques.

Sans doute convient-il aussi de permettre aux agriculteurs de posséder et d'exploiter eux-mêmes leurs installations d'irrigation.

Donnons à chaque nation, à chaque communauté rurale, à chaque village et à chaque agriculteur sa chance ! Ces techniques nouvelles et l'expérience accumulée devraient mieux nous y aider. Proposons des solutions raisonnables et réalisables. La micro-irrigation se prête à une gestion des ressources en eau aussi bien en termes de quantité que de qualité.

Elle permet de réconcilier la vie avec la nature, l'homme avec la nature. Elle permet à l'homme de reconquérir une fidélité ancestrale à sa terre nourricière.

Aucun pays ne saurait réaliser tout cela à lui tout seul, mais la tâche est possible si nous oeuvrons tous ensemble dans le cadre d'un partenariat mondial. Ce Plan d'action veut rappeler à la conscience de tous une morale universelle qui porte un nom: la solidarité humaine.

Car il y a avant tout la question des moyens, en particulier des moyens financiers. La communauté internationale, il faut le reconnaître, a déjà beaucoup donné, en particulier à l'Afrique d'où je suis originaire. A aucun moment nous ne l'oublions, et notre gratitude à cet égard lui demeure à jamais acquise.

Mais la mise à la disposition de moyens importants ne suffira pas à elle seule.

Il faut également agir pour sortir nos pays du piège de la dette, qui est aujourd'hui celui de notre impuissance. C'est le problème principal auquel bon nombre d'entre nous sont confrontés.

Cela suppose de vraies réponses, des programmes qui nous permettent de modifier l'ampleur et la nature des contraintes que pose au développement de nos pays le poids permanent de cette dette extérieure. Il faut aussi combattre l'échange inégal, la détérioration insupportable des termes de l'échange, les cours erratiques d'amplitude exagérée des matières premières agricoles.

Ces actions doivent être au service d'une politique qui refuse de soumettre la fragilité de nos jeunes nations aux lois du plus fort et doivent s'ordonner autour de quelques grands axes au nom de la justice et de l'équité.

Il est indispensable d'organiser les échanges internationaux sur la base de la justice et de l'équité - deux valeurs fondamentales du libéralisme. Il faut un juste prix des matières premières, un encouragement aux transferts de technologies, une reconnaissance explicite du droit des pays en développement en vue de protéger leurs industries naissantes.

En ce qui concerne mon pays, la Côte d'Ivoire, une immense volonté de progrès s'appuie sur la promesse d'un ordre économique plus juste donnant aux peuples africains les moyens d'un véritable développement.

C'est pourquoi je me félicite de la tenue du présent Sommet. Désormais, nous le constatons ici-même, des actions concertées à l'échelle mondiale sont possibles. Dans de nombreuses occasions, les égoïsmes nationaux ont pu être surmontés, des organisations supranationales dont l'action est approuvée et souhaitée par tous ont pu être mises en place. D'autant qu'il s'agit de problèmes de caractère global. Lutter contre la pauvreté et la faim c'est tout à la fois résoudre les questions de la croissance excessive de la démographie, des migrations massives des populations et de la dégradation des milieux. Ce sont des questions indissociables. Elles intéressent l'humanité entière puisqu'il s'agit tout simplement de la survie de l'espèce humaine.

Le problème n'est plus pour les peuples de vivre en paix égoïstement repliés sur eux-mêmes, mais bien au contraire d'agir ensemble et de s'organiser, en vue de créer une véritable communauté mondiale, pacifiée, solidaire et généreuse, une communauté internationale qui garantira désormais le progrès pour tous, le bien-être et le bonheur pour chacun.


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