SENEGAL

Son Excellence Monsieur Abdou Diouf, Président de la République du Sénégal


Dans l'histoire de l'humanité, le passage d'un millénaire à un autre a toujours suscité de grandes frayeurs. La question lancinante a toujours été: "de quoi demain sera-t-il fait?" Et millénaire après millénaire, les progrès accomplis par les hommes, traduits par une courbe, auraient une allure exponentielle. Si l'homme fut pendant si longtemps la principale source d'énergie, aujourd'hui les hydrocarbures, l'atome, le solaire, domestiqués par lui, le projettent à la conquête de l'espace. L'informatique et les télécommunications lui donnent chaque jour la possibilité de lire un journal paraissant dans un autre continent avant même sa mise en vente dans les kiosques. Les découvertes de la génétique et les techniques culturales modernes permettent de produire des aliments, en quantité et en qualité, pour mettre fin à la situation que nous vivons présentement et qui, si elle était maintenue, conduirait l'Afrique au sud du Sahara, dans 25 ans, à un triplement de son déficit alimentaire et à un doublement du nombre d'enfants mal nourris. Cela est inacceptable. D'autant plus inacceptable que nous avons les moyens d'inverser la tendance. C'est dire que le Sommet mondial de l'alimentation, organisé par la FAO, vient à son heure et j'en félicite très vivement le Directeur général, M. Jacques Diouf.

Aujourd'hui, tout le monde admet qu'il faut lutter contre la pauvreté. Mais qui donc est plus pauvre que celui qui ne mange pas à sa faim, qui dépérit et meurt de faim? Qui donc est plus pauvre que cet homme, plié en deux, au soleil, grattant la terre sèche et assoiffée, avec un instrument d'une autre époque, cherchant par là même à se nourrir, lui et sa famille, pour un résultat dérisoire? Qui donc est plus pauvre que cet enfant qui, de sa naissance à l'âge de sept ans, période décisive dans sa formation à tous égards d'homme ou de femme, est de ce fait handicapé à vie? Qui donc est plus pauvre que cette femme qui porte un enfant et sait, à l'avance, qu'elle peut le perdre parce qu'elle-même est mal nourrie, que cet enfant qu'elle va mettre au monde a une chance sur deux de survivre entre zéro et cinq ans parce que mal nourri, mal soigné?

Je salue les efforts déployés par la communauté des hommes pour vaincre ces maladies terribles que sont le cancer et le SIDA. Mon pays, avec ses moyens, y participe, non sans succès. Mais la faim, si elle peut être assimilée à un fléau mortel, n'est pas une maladie incurable. Les pays développés, par de multiples politiques, par la mise en oeuvre de moyens adéquats, assurent, et au-delà même, leurs besoins en nourriture. La question, en cette aube du troisième millénaire, est de savoir si les hommes et les femmes des pays en développement sont capables d'atteindre ces objectifs. Je réponds oui, sans aucune hésitation. Nous avons des terres, nous avons de l'eau, nous avons des semences hautement productives que nous savons conserver et protéger, nous avons du soleil pour la photosynthèse, nous avons des animaux d'élevage, nous avons des poissons. Les techniques modernes, en culture sèche ou irriguée, avec notamment l'usage des engrais organiques et minéraux et de toutes sortes de fertilisants, les équipements mécaniques, depuis le semoir individuel jusqu'à la moissonneuse-batteuse, depuis la décortiqueuse manuelle jusqu'à l'usine de décorticage, les techniques de conservation des produits agricoles, de leur transformation industrielle, sont connues et maîtrisées. Et surtout, nous avons des femmes et des hommes, décidés à travailler rudement pour s'assurer une vie digne pour être à leur diapason et bâtir, avec eux, un monde plus juste, plus fraternel. Utopie? Non! Les Européens, pendant des siècles, se sont entre-déchirés, dépensant ressources et moyens d'une manière improductive. Les Euraméricains, à quelques rares exceptions près, aujourd'hui ayant vaincu la faim, s'adonnent à des activités autrement plus complexes et ordonnent leur vie pour aller plus avant dans la connaissance et dans la transformation de leurs conditions de vie. Nous leur disons, au passage, prenez soin de notre environnement, patrimoine commun à toute l'humanité.

Vous constatez que la paix entre les peuples est une condition majeure pour assurer la réussite de toute politique tendant à éradiquer la faim. Je l'admets bien volontiers. En Afrique, ce préalable de la paix, à l'intérieur de nos pays comme entre nos différents Etats, est un passage obligé. Il en est de même de la démocratie et du respect des droits de l'homme. Tout cela participe de ce combat, toujours recommencé, pour assurer la liberté de chaque homme et de chaque femme.

Le problème essentiel est aujourd'hui de mobiliser les moyens nécessaires à des conditions pouvant assurer le succès de l'entreprise. Ne faisons pas de discours sur la pauvreté. Entreprenons des actions concrètes, précises, allant dans le sens de nos objectifs. Cela est possible. Songez que pour les céréales comme le mil et le sorgho, les rendements d'une année sur l'autre, peuvent augmenter de 40 à 50 pour cent par le simple fait d'utiliser des fertilisants. Encore faut-il que les agriculteurs puissent y avoir accès.

Si nous n'étions pas déterminés à vaincre les obstacles en dégageant les moyens nécessaires, le troisième millénaire s'ouvrirait aussi sur une grande frayeur, elle-même enfantée par les milliards d'hommes et de femmes qui ont faim. Parce que nous aurons pris le taureau par les cornes, et c'est bien l'objectif de ce Sommet, nous pourrons alors entrer, avec espérance, dans une ère de paix et d'amélioration sans précédent du sort de toute l'humanité. Nous en sommes capables.


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