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Organisations paysannes et commercialisation du maïs au nord du Cameroun

Yatahad VICHE Projet NEB, Garoua, Cameroun

Les greniers villageois (GV) sont des organisations paysannes (OP) créées par le projet Nord-est Bénoué (PNEB) dans le but de répondre aux besoins alimentaires des populations en période de soudure.

Ils s'inscrivent dans le cadre des activités d'appui à la production vivrière qui ont permis d'accroître les récoltes. L'abondance de la production a amené le projet Nord-est Bénoué à réorienter son intervention et à organiser les greniers villageois autour de la commercialisation du maïs par la constitution des unions des greniers villageois (UGV), au sein desquelles des commissions de commercialisation du maïs (comais) ont été créées.

Historique des organisations paysannes

1984: Grande famine à l'extrême nord du Cameroun à la suite d'une sécheresse.

• 1985-1986: Création des greniers villageois, dont le stock initial était fourni par le programme alimentaire mondial (PAM).

• 1982-1985: Mise au point par les instituts de recherche agronomique (IRA) de variétés de maïs améliorées largement vulgarisées en milieu paysan par la Société de développement du coton (Soclecoton), par le ministère de l'Agriculture (Minagri) et par le projet Nord-est Bénoué (tableau 1).

• 1985-1992: Bonne pluviométrie, bonne production de maïs (tableaux Il et III) et large diffusion de moulins à marteaux par la Sodecoton.

• A partir de 1989, chute du prix du coton (tableau IV) entraînant une augmentation de la production du maïs, car beaucoup de producteurs se sont convertis à cette culture.

• 1992: Début du fonctionnement des unions de greniers villageois.

Tableau I. Variétés de maïs améliorées mises au point par l'IRA de Maroua.

Variétés Cycle Nombre de jours du semis à la récolte Rendement(t/ha) Pluviométrie moyenne(mm)
CMS 8501 tardif 105-110 7-8 800
CMS 8507 tardif 110-115 7-8 800
CMS 8509 tardif 120 7-8 800
CMS 8710 tardif 110-115 7-8 800
CMS 9015 court 90 4-5 600
CMS 8806 court 95 4-5,5 600

CMS = Cameroun maize selection.
Source: Catalogue variétal des cultures annuelles du Nord Cameroun, campagne 1992-1993, IRA-Maroua.

Tableau II. Données pluviométriques sur le périmètre NEB (mm).

Années Béré Bibemi Lagdo Padermé Pitoa Rey-Bouba Moyenne du périmètre
1985 902,1 916,0 ND 808,0 933,7 905,9 -
1986 948,6 ND ND 1 052,6 957,9 1 098,3 -
1987 627,3 689,3 ND 1 052,6 610,2 852,4 -
1988 1 014,8 1 027,3 1 057,3 667,2 1 359,9 1 175,9 1067,06
1989 826,8 791,5 771,4 1 128,0 866,5 808,0 865,36
1990 878,6 759,5 893,9 955,0 931,7 733,0 858,61
1991 817,5 745,5 989,4 836,0 967,0 945,0 900,06
1992 943,5 1 079,5 944,0 1 029,0 1 112,0 1 281,0 1 064,4

Source Rapports d'activité semestriels de la Division du développement rural (DDR) du projet Nord-est Bénoué de 1985 à1993.

Tableau III. Evaluation des superficies et production des cultures dans le périmètre du projet Nord-est Bénoué.

Années Coton Sorgho Mouskouari Maïs Arachide
  S P S P S P S P S P
1987 18502 22 535 18821 24260 5490 6590 7656 11 485 8294 16280
1988 18520 3 335 15 180 22015 4995 5995 9060 12260 9250 8870
1989 12595 18200 16100 14250 5096 3970 9245 13065 9440 9425
1990 16640 22972 18829 19 749 10097 10671 15 331 20495 8132 9425
1991 15 184 22260 20 774 22850 9689 13564 17367 25410 9 554 9840
1992 15671 24 212 21 156 31 586 10578 19030 19 589 40 588 9795 10490

S = superficie en hectares (ha);P = production en tonnes (t).
Source Rapports d'activités semestriels de la DDR du projet Nord-est Bénoué de 1987 à 1993.

Tableau IV. Evolution des prix du coton.

Année Prix au producteur (FCFA) Ristourne Cours mondiaux
1 - qualité 2e qualité 3e qualité(FCFA/kg)
1980 70 70 65 0  
1981 80 75 75 0 480
1982 90 85 85 0 510
1983 105 95 95 0 690
1984 117 117 105 0 755
1985 130 117 105 15 580
1986 140 130 110 15 390
1987 140 130 110 15 400
1988 140 130 110 15 465
1989 140 130 110 0 440
1990 95 80 50 0 515
1991 95 85 50 0 465
1992 95 85 - 0 385

Source Conté et Fusillier, 1993.

Les débouchés du maïs

• Grands centres urbains, grossistes et détaillants et office céréalier: achat dans les magasins locaux de 3 021 t en 1991, de 1 704 t en 1992 et de 273 434 t auprès du projet Nord-est Bénoué en 1991.

• Sociétés de transformation: importation par Maïscam de 15 000 t de maïs en 1991 et de 16 500 t en 1992, achat de 800 t auprès des organisations paysannes du projet Nord-est Bénoué en 1993. Importation par les provenderies de 9 000 t de maïs en 1992.

• Programme alimentaire mondial: achat de 1 250 t de maïs auprès de l'Office céréalier en 1991 et de 1 249 t auprès de Maïscam en 1992 (CONTÉ et FUSILLIER, 1993).
• Populations: consommation de couscous, bili bili et beignets.

Les greniers villageois

En 1992, il existe 126 greniers villageois, dont 67 sont membres des unions de greniers villageois. Ce sont de véritables organisations paysannes sur lesquelles le projet Nord-est Bénoué oriente ses activités de développement: agriculture, élevage, forêt, épargne, route, santé, éducation, hydraulique...

Le fonctionnement des greniers villageois

Chaque grenier villageois a un comité directeur composé d'un président, d'un trésorier et d'un secrétaire chargés de:

Les autres activités des greniers villageois sont - la création des écoles des parents;

Le comité d'un grenier membre de l'union de greniers villageois siège d'office à l'assemblée générale (AG).

Pour être membre d'un grenier, il suffit de résider dans le village et de bien rembourser ses crédits.

A partir de 1993, dans le but de protéger leurs intérêts et les intérêts des membres, certains greniers ont prélevé des fonds dans la caisse de l'Association villageoise autogérée (AVA) de la Sodecoton pour acheter du maïs aux producteurs sur les marchés locaux à un prix plus élevé que celui proposé par les commerçants spéculateurs, afin de le revendre aux commissions de commercialisation du maïs (Padermé).

Les problèmes de greniers

• Mauvaise gestion des stocks et des caisses.

• Mauvaise tenue des documents.

• Mauvais stockage des grains.

• Les greniers n'ont pas d'existence légale

• Non cohabitation ethnique ou religieuse.

Les solutions adoptées ou a proposer

• Formation des membres du grenier à la gestion comptable.

• Poursuite du programme, d'animation sur les conservations des denrées stockées avec la mise au point d'une démonstration dans chaque grenier. Elaboration des statuts et des règlements intérieurs et reconnaissance de ces greniers par l'Etat (action en cours).

• Maintien et renforcement de la collaboration avec les autorités traditionnelles.

Les unions de greniers villageois

Il y a cinq unions de greniers villageois en 1993 et six en 1994. Elles n'ont pas non plus d'existence légale et ont vu le jour en octobre 1992. Le rôle dévolu à une union de greniers villageois est la commercialisation du maïs et l'égrenage des céréales.

Les activités des unions de greniers villageois

La tenue des assemblées générales se fait sous la coordination du projet Nord-est Bénoué, une fois par an. Au cours des assemblées générales, les points suivants sont débattus:

A la fin de l'assemblée générale, un programme d'activité est mis sur pied et la commission de commercialisation du maïs entre ainsi en activité.

Les activités des commissions de commercialisation du maïs la commercialisation

Le bureau d'une commission de commercialisation du maïs est formé de six membres actifs et d'autant de conseillers que de greniers membres de l'union de greniers villageois n'ayant pas de représentants au sein de la commission de commercialisation du maïs.

Composition du bureau: un président, un vice-président, un secrétaire, un secrétaire adjoint, une trésorière, un trésorier adjoint, des conseillers.

Les membres du bureau des commissions de commercialisation du maïs sont formés par le projet Nord-est Bénoué aux différentes opérations de commercialisation: test d'humidité, traitement du maïs, pesée, contrôle de stock dans le village et dans le magasin central et acheminement à l'usine (deux personnes). Une fois par semaine, le bureau de la commission de commercialisation du maïs se réunit pour débattre des problèmes liés à la commercialisation.

L'avantage des organisations paysannes

Les prix d'achat du maïs par l'union de greniers villageois sont nettement plus élevés que ceux observés sur les marchés locaux. Le maïs s'achète au village, donc les paysans économisent les frais de transport qu'ils devraient payer s'ils vendaient leur maïs dans les marchés hebdomadaires. Les producteurs sont dis pensés des droits de marché au moment de l'achat du maïs; après pesée, ils rentrent chez eux avec leurs sacs, qui coûtent 150 FCFA l'un, et sont payés immédiatement.

L'utilisation des bénéfices par les organisations paysannes

• Remboursement des crédits.

• Achat ou location des égreneuses et des tracteurs.

• Distribution des ristournes aux producteurs par les greniers et aux greniers par les unions de greniers villageois.

• Réalisation d'actions d'intérêt communautaire.

• Epargne sous forme de fonds de roulement.

Les problèmes liés à la commercialisation

• Fragilité des unions de greniers villageois du fait de leur jeunesse.

• Pas de ressources financières; ce sont des prêts du projet Nord-est Bénoué.

• Pas d'existence légale - les unions de greniers villageois ne peuvent pas signer de contrats avec des partenaires extérieurs. a Récession économique qui hypothèque les marchés de provenderies et de maïscam, gros consommateurs de maïs.

• Concurrence du maïs importé.

• Dissolution de la filiale camerounaise de la firme Pioneer, seul producteur de semences.

• Mauvais état des routes rendant les coûts de transport et d'amortissement des véhicules élevés.

Tableau V. Bilan des campagnes de commercialisation du maïs de 1990 à 1993.

Campagne Quantité achetée (t) Organisme d'achat Prix à l'usine (FCFA) Prix aux producteurs par l'UGV (FCFA) Coût total (FCFA) Vente (FCFA) Bénéfice (FCFA)
1992-1993 799,9 Maïscam 55 40 31 995060 44003207 12008147
1991-1992 273,4 Office céréalier - 50 et 55 1 366745 - -
1990-1992 240 Maïscam 55 50 12000000 13200000 1 200000
Total 1 293,3 - - - 45662510 57203207 13208147

Source. Rapports d'activité semestriels de 1990 à 1993 de la DDR du projet Nord-est Bénoué.

• Qualité douteuse du maïs stocké chez les producteurs, rendant le maïs national moins compétitif à cause de débris végétaux, cailloux, charançons, humidité, etc.

• Coûts élevés des intrants.

• Faible technicité des producteurs.

• Rémunération des membres des commissions de commercialisation du maïs et des greniers non définie.

Les solutions adoptées ou à proposer

• Renforcer la cohésion des unions de greniers villageois par des rencontres, des visites organisées.

• Constituer une épargne avec les ristournes issues de la vente du maïs.

• Elaborer les statuts et les règlements intérieurs.

• Organiser les autres marchés de céréales.

• Former les paysans semenciers.

• Les unions de greniers villageois doivent penser à l'entretien des routes comme dans les années 70.

• Veiller à la qualité du maïs au moment des achats une vaste campagne de sensibilisation doit être menée dans ce sens.

• Rentabiliser les exploitations agricoles et encourager l'utilisation du fumier organique.

• Poursuivre le programme d'alphabétisation fonctionnelle et repenser la prise en charge des alphabétiseurs et des membres des commissions de commercialisation du maïs.

L'appui du projet Nord-est Bénoué aux organisations paysannes

• Formation des membres.

• Mise à disposition des organisations paysannes des moyens financiers et logistiques nécessaires.

• Organisation des marchés et des producteurs dans le système formel quand les prix sont faibles sur les marchés locaux et dans le système informel quand les prix sont satisfaisants sur ces marchés.

• Recherche des débouchés et négociation des prix.

• Octroi de crédits agricoles aux organisations paysannes.

• Vulgarisation agricole.

• Epargne.

• Organisation des rencontres regroupant toutes les unions de greniers villageois pour fixer les prix d'achat du maïs auprès des producteurs ou pour leur remettre les bénéfices réalisés après vente.

Dans les greniers, les actions d'animation portent sur: la conservation des récoltes; le remboursement des céréales empruntées; la commercialisation du maïs; la reconstruction ou la réfection des greniers 1 la construction de nouveaux greniers avec apport du stock initial par les membres.

Perspectives

• Renforcer la collaboration entre greniers villageois et l'association villageoise autogérée Sodecoton.

• Créer d'autres greniers villageois dans les villages sans grenier et redynamiser ceux qui fonctionnent mal. a Fusionner toutes les unions de greniers villageois en vue de créer un marché local, régional, national et même panafricain (KOFFI, 1993).

• Rendre le maïs local plus compétitif.

• Obtenir la reconnaissance des unions de greniers villageois par l'Etat.

• Responsabiliser les unions de greniers villageois dans la commande, dans la distribution et la récupération des facteurs de production.

• Mettre un conseil d'administration à la tête de chaque union de greniers villageois.

Conclusion

L'organisation des producteurs autour des cultures vivrières est d'un intérêt capital pour les producteurs, surtout à cette époque de recession économique dont les effets pervers obligent les Etats à se désengager de certaines fonctions de production (KOFFI, 1993).

Malgré les multiples appuis du projet Nord-est Bénoué aux greniers villageois et aux unions de greniers villageois, des efforts restent à fournir dans les domaines de la planification locale, de la gestion des ressources naturelles et des contrats entre acteurs (MERCOIRET, 1994).

L'avenir de la culture du maïs dépend de la pérennité des ressources naturelles renouvelables. justement, le projet NEB est installé dans une zone à hauts risques de dégradation, et l'appropriation de la terre pose de sérieux problèmes entre les différents groupes sociaux (LE BRIS et al., 1991).

Une action de développement à long et moyen terme doit nécessairement tenir compte de la gestion des ressources naturelles (GROUPE GESTION DES TERROIRS, 1993).

Références bibliographiques

CONTÉ S., FUSILLIER J.-L., 1993. Analyse économique de la filière maïs au Cameroun. Yaoundé, Cameroun, Direction des enquêtes agro-économiques de la planification agricole (DEAPA), ministère de l'Agriculture, 60 p.

GROUPE GESTION DES TERROIRS DU RÉSEAU RECHERCHEDÉVELOPPEMENT, 1993. Document n° 2, mars 1993. Paris, France, GRET, 56 p.

GROUPE DE RÉFLEXION EN AMÉLIORATION DES PLANTES

(GAP). Catalogue variétal des cultures annuelles du Nord-Cameroun, campagne 1992-1993. Maroua, Cameroun, IRA, 37 p.

KOFFI B.E., 1993. Le Pouvoir de la brousse. Paris, France, l'Harmattan, 314 p.

LE Bris E., LE Roy E., MATHIEU P, 1991. L'appropriation de la terre en Afrique noire. Paris, France, Karthala, 359 p.

MERCOIRET M.-R., 1994. L'appui aux producteurs ruraux. Guide à l'usage des agents de développement et des responsables de groupements. Paris, France, Karthala, 464 p.

PROJET NORD-EST BÉNOUÉ, 1985 à 1993. Rapports d'ac tivité semestriels de la Division du développement rural du projet NEB. Cameroun, projet NEB.


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