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Le pin du Parana - Source possible d'approvisionnement en bois pour la reconstruction de l'Europe

Par TOM GILL

Membre de la Commission consultative permanente pour les forêts et les produits forestiers

LE Comité intérimaire des Forêts et des produits forestiers de la FAO, a fait ressortir dans un grand nombre de ses discussions et dans plusieurs rapports, le besoin d'une source d'approvisionnement en bois qui pourrait être exploitée à temps pour aider à la reconstruction de l'Europe. Nous citerons parmi les possibilités mentionnées: l'Alaska, la Sibérie et la région du Parana au Brésil.

La discussion a été reprise par des comités ad hoc, puis par la Commission consultative permanente pour les forêts et les produits forestiers. De l'avis général, c'est le pin du Parana Araucaria angustïfolia (Bort.) O. Kuntze, qui offrirait les meilleures chances de remédier à la crise actuelle.

A la réunion de la Commission consultative permanente, tenue à Oslo au mois d'août 1946, M. L. Watts proposa d'envoyer au Brésil une mission chargée d'étudier ces possibilités et suggéra comme mesure préliminaire de charger M. T. Gill, membre de la Commission, représentant l'Amérique latine de recueillir des renseignements sur le pin du Parana.

Le présent rapport répond à la demande de M. Watts. C'est un résumé des données fournies par une correspondance qui s'étend sur plusieurs mois. Ces documents comprennent des lettres et des notes prises sur place par des spécialistes forestiers connaissant bien la région où pousse le pin du Parana, le rapport de l'Attaché commercial de l'ambassade des Etats-Unis au Brésil, le rapport du Consul général des Etats

Unis à Sao-Paulo, une communication du Bureau du commerce brésilien et des rapports techniques du Laboratoire de produits forestiers du Service forestier des Etats-Unis.

1. Ressources

Poussant en peuplement serré, et en raison de la variété de ses emplois et de sa facilité d'extraction, le pin du Parana est, du point de vue économique, l'espèce la plus importante de bois d'œuvre du Brésil. On le trouve dans les régions de hautes montagnes des Etats de Rio-de-Janeiro, Minas-Geraes et Sao-Paulo et sur les plateaux des Etats de Parana, Santa-Catharina et Rio-Grande-do-Sul, à une altitude de 550 à 1.100 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il couvrait primitivement une superficie de 259.000 km2 dont le centre était l'Etat de Parana, mais cette superficie a été réduite par des années d'exploitation. On estime qu'à présent le pin couvre plus de 10 millions d'hectares de terrain au Parana; en Santa-Catharina et au Rio-Grande-do-Sul; il couvre des étendues beaucoup moins considérables dans les Etats de Minas-Geraes et de Sao-Paulo. Les forêts de la partie nord du Rio-Grande-do-Sul sont, paraît-il, des forêts vierges et contiendraient plus de 10 millions de board feet (45 millions de m3).

Pour l'ensemble de la région le peuplement présente une densité moyenne de 90 m3 à l'hectare, mais dans les vallées humides et abritées elle peut atteindre 260 m3 ou même davantage. L'arbre est dépourvu de branches jusqu'à une hauteur de 23 à 30 mètres et les arbres arrivés à maturité donnent en général 4 à 5 grumes de 4,88 m chacune dont les deux ou trois premières sont nettes de nœuds. Le diamètre de l'arbre varie de 30 cm à 1,75 m et atteint parfois 2,14 m.

Il fournit un bois sans tare et on trouve rarement des arbres défectueux. Ce bois est tendre et flexible, modérément élastique, résistant et léger, ne pesant qu'environ 577 kgs par m3 quand il est séché à l'air. Pour le grain il ressemble au tsuga occidental, Tsuga-hetero-phylla (Lap) Sarg., ou à l'Abies magnifica A. Murr., de la côte du Pacifique plutôt qu'aux autres essences de futaies des Etats-Unis, et, de toutes les diverses espèces d'arbres, c'est lui qui présente les fibres de cellulose les plus longues. Il se présente en général par grandes quantités et est relativement facile à exploiter En Allemagne, pays qui en importe des volumes considérables, on le trouvait utilisable aux mêmes fins que les conifères d'Europe quand il était convenablement séché. Ses nombreuses utilisations comprennent la construction permanente, les échafaudages, la fabrication de portes, de châssis, de parquets, de coffrage, la tonnellerie, etc.

2. Industrie

L'industrie du pin du Parana est organisée depuis de nombreuses années et de toutes les industries forestières de l'Amérique du Sud c'est celle qui est la plus développée. L'industrie du bois de construction est celle qui prédomine de loin dans l'économie de l'Etat de Parana, où environ 80% de la population vit directement ou indirectement de l'exploitation du pin du Parana. L'exportation normale varie de 470.000 à 590.000 m3 par an; l'Argentine est le principal importateur; ensuite viennent l'Uruguay, le Royaume-Uni et l'Union Sud-Africaine. Ce bois a également été vendu aux Etats-Unis.

Pendant la guerre et depuis la fin des hostilités il a été à peu près impossible de recueillir des informations concernant la production totale de pin du Parana, mais en 1941 le Brésil exportait plus de 340.000 tonnes métriques de bois évalué à plus de 7.000.000 de dollars, dont 85% représentaient du pin du Parana. Pendant les sept premiers mois de 1946 le total des exportations s'est élevé à 244.000 tonnes métriques.

On estime que les scieries sont susceptibles d'un grand développement. Il existe plus de 2.000 scieries de pin dans les principaux états producteurs de bois de construction. Dans la plupart des cas, l'exploitation se fait à l'aide d'un outillage moderne identique à celui qu'on emploie dans les forêts de pins du sud des Etats-Unis. Les scieries emploient en général des scies circulaires, à ruban et à mouvement alternatif, dont la plupart sont bien mécanisées et utilisées rationnellement. Le principal handicap des scieries locales est le manque de moyens adéquats de séchage, tels que fours, etc. Avant la guerre, la plupart des scieries étaient très bien outillées en machines allemandes, mais depuis les machines industrielles se sont bien détériorées et d'autre part il est devenu très difficile de trouver les pièces de rechange. Très souvent la force électrique est fournie aux industries et aux maisons d'habitation des ouvriers.

En raison des difficultés de transport et de la limitation des exportations, les scieries détiennent actuellement des stocks considérables de bois de construction. Les scieries nouvellement enregistrées n'ont jamais reçu l'autorisation de travailler et il a fallu en fermer un grand nombre pour cause d'insuffisance de moyens de transport. Dans l'ensemble de l'industrie, les scieries ont aujourd'hui une capacité de rendement beaucoup plus considérable que ne l'indique la production réelle. Lorsqu'on aura amélioré les transports et supprimé le contingentement de la production, l'industrie du bois de construction se développera d'une manière substantielle.

3. Transports

L'insuffisance des moyens de transport semble être l'obstacle le plus important auquel ait à faire face l'industrie du pin du Parana.

Les expéditions de bois de construction utilisent trois moyens de transport différents: voie ferrée, camions et cargos, et le problème le plus ardu à résoudre est celui de l'équipement des chemins de fer. Il est difficile d'importer des rails, des wagons de marchandises et d'autres matériaux pour l'entretien des chemins de fer existants; à l'heure actuelle une compagnie de chemins de fer a en souffrance de 20 à 25.000 demandes de wagons pour la seule industrie du bois de construction. Cela signifie que, pour les régions les plus éloignées, cette compagnie de chemins de fer, dont les rails s'étendent sur 2.200 km, est de 12 à 14 mois en retard sur son horaire.

Des stocks énormes de bois de construction sont en attente de transport et d'importantes scieries déclarent que certains stocks attendent depuis deux ans et demi. Dans les régions du sud où les moyens de transport sont particulièrement désorganisés, le bois entassé le long des voies ferrées remplirait plus de 5.000 wagons. Cette crise de transport s'est traduite par un énorme gaspillage de bois. Les scieries n'envoient plus que les produits de la meilleure qualité, brûlant ou cédant de grandes quantités de bois de basse qualité aux prix qu'elles peuvent obtenir sur le marché local. Même les planchettes des caisses à fruits sont fabriquées en bois de premier choix.

Au pied d'un grand pin du Parana (Photo: American Forestry Association)

Silhouette typique de pin du Parana, net de toutes branches jusqu'à 23 ou 50 mètres (Photo: Jasons Swallen)

La pénurie de charbon constitue Un autre problème sérieux pour les transports ferroviaires et de nombreuses compagnies utilisent souvent le bois comme combustible.

Beaucoup de transports de grumes se font par camions; or, il y a pénurie de camions, de pièces de rechange et d'essence. On a également besoin de bonnes routes car presque toutes celles de l'intérieur sont construites et réparées par les ouvriers eux-mêmes qui ont maintenant de la peine à se procurer les machines nécessaires pour leur construction et leur entretien. Parfois on emploie des véhicules à gazogène, mais ils ne sont pas pratiques dans les régions forestières accidentées et ils sont incapables de transporter des charges très lourdes.

4. Contrôles gouvernementaux

En 1941 le Gouvernement brésilien a créé l'Instituto Nacional do Pinho (Institut national du pin) pour assurer le contrôle de la production et empêcher une exploitation destructive. L'Institut est chargé d'études technologiques, de la surveillance de la production, du reboisement, des crédits, des questions financières, de l'enregistrement obligatoire des exploitants, de l'établissement des prix et des quotas, ainsi que de l'installation de nouvelles industries du pin. Il est directement responsable pour tout ce qui touche à la sylviculture au Brésil ainsi que pour le fonctionnement de l'entière industrie du bois.

Au mois d'août 1946, le Gouvernement a interdit l'exportation de toutes grumes, et de tout bois de construction, de placage et de contreplaqué. En novembre, cet embargo a été modifié pour permettre l'exportation d'un quota mensuel de 80% des exportations normales de pin du Parana. Les exportations de pin pour le bâtiment sont actuellement soumises à un système de licences d'exportation et il en résulte que les envois seront probablement très réduits en 1947.

Le bois de construction fait l'objet de l'un des principaux articles de l'accord commercial entre le Brésil et l'Argentine qui a été mis en vigueur le 1 janvier 1947. C'est là un facteur qui pourrait avoir une influence sur les possibilités d'exportation vers l'Europe, car il est peu vraisemblable que, pour satisfaire à une simple mesure de crise, le Brésil consentisse à détourner du bois de construction destiné à l'Argentine et à l'Uruguay. Ces pays sont importateurs de longue date et il est naturel que le Brésil s'efforce de garder leur clientèle. Il semble probable, d'autre part, que le Brésil tienne à améliorer son système de transports et à établir l'industrie du pin du Parana sur une base économique, surtout si les moyens lui étaient fournis pour pouvoir remettre en valeur les régions déboisées.

5. Résumé et recommandations

Il ne semble pas qu'il y ait lieu de mettre en doute l'intérêt commercial du pin du Parana. Depuis des années il est bien connu dans de nombreux pays comme produit d'échange et sa valeur pour la construction et beaucoup d'autres usages est indiscutable. L'industrie qui l'exploite est bien organisée et pourvue, en majeure partie, d'un équipement moderne, bien qu'elle ait grand besoin de pièces de rechange. Le Gouvernement brésilien, par l'intermédiaire de son Institut national du pin, est en mesure de procéder dans un délai minimum aux changements de politique qui sont ici proposés. L'Institut a un personnel familiarisé avec les problèmes de l'exploitation du pin, et il a déjà dressé des plans détaillés en vue de programmes nationaux de sylviculture et de reboisement. La région des pins du Parana semble être dans une situation exceptionnelle puisqu'elle a de grandes quantités de bois déjà en stock dans les entrepôts des scieries et le long des voles ferrées. Avec des moyens de transport appropriés, cette région pourrait devenir la source des approvisionnements pour liquider la crise du bois en Europe.

Le revers de la médaille réside dans les difficultés de transport et dans l'impossibilité où l'on se trouve de se procurer l'équipement nécessaire à l'exploitation et à l'industrie. Il ne faut pas sous-estimer ces obstacles à une extension rapide de l'industrie du pin. Mais ils ne semblent pas insurmontables quand on les mesure aux besoins urgents de l'Europe.

Sans se livrer à une enquête plus approfondie il est possible d'affirmer que le pin du Parana, en tant que source d'approvisionnement de crise pour l'Europe offre plus de possibilités que tout autre bois de construction.

En admettant que le Gouvernement brésilien accueille favorablement cette proposition, il restera deux problèmes à résoudre: premièrement, une évaluation précise du volume dont l'Europe pourra garantir l'achat au cours des trois à cinq années à venir; deuxièmement, l'outillage nécessaire à l'exploitation et à l'industrie du bois camions, machines servant à la construction des routes, matériel ferroviaire et essence pour les transports.

A ces fins, il est recommandé à la FAO de prendre des mesures rapides en vue de:

1. S'assurer de la position du Gouvernement brésilien relativement à l'expansion de l'industrie du pin du Parana.

2. S'assurer du volume de bois dont il sera possible de garantir l'achat.

3. Sonder les possibilités d'emprunt à la Banque internationale pour fournir l'outillage et pour toutes les autres opérations de financement.

Si les résultats de ces pourparlers préliminaires sont satisfaisants, la FAO devra envoyer des spécialistes au Brésil pour s'entendre avec ceux de l'Institut du pin, sur les transports et les possibilités d'exploitation supplémentaires et décider de la structure administrative qu'il conviendra d'établir. Les spécialistes de la FAO devront également déterminer d'accord avec ceux de l'Institut du pin quelles mesures il serait nécessaire de prendre pour remettre en valuer les régions déboisées.

Si la FAO peut obtenir le concours des organismes appropriés et coordonner leurs efforts en vue d'assurer aux pays d'Europe dévastés par la guerre un approvisionnement en bois répondant à la situation de crise actuelle, elle aura prouvé d'une manière concluante l'efficacité d'une action internationale. Ce sera là un exemple pour toutes les nations du rôle que peut jouer la FAO comme facteur de coordination de l'économie mondiale.


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