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ANNEXE 4: Conditions d'accès aux pêcheries: considérations sur les ressources


par

J.A. Gulland
Chef, Service des ressources marines
Division des ressources halieutiques et de l'environnement
Département des pêches
FAO, Rome

1. INTRODUCTION

En vertu du nouveau droit de la mer, les Etats côtiers bénéficient d'un large contrôle sur les ressources ichtyologiques qui se trouvent dans leur zone économique exclusive, à l'intérieur de la limite des 200 milles. Cependant, ce contrôle n'est pas absolu. En particulier, le projet de traité suppose que si les ressources sont vastes par rapport à la capacité d'exploitation de l'Etat côtier, des pécheurs d'autres pays devraient, à certaines conditions, avoir accès à ces ressources sous-utilisées. La nature de ces conditions préoccupe de nombreux pays, aussi bien des Etats côtiers que des Etats disposant d'une capacité de pêche hauturière, et on peut les envisager sous différents angles: juridique, économique, social, etc. La présente note se concentre sur la question des ressources, en particulier du point de vue de l'Etat côtier. Deux grandes sections font suite: nature et définition de tout reliquat éventuel, auquel d'autres pays devraient avoir accès, et le coût, direct et indirect, lié à la concession de l'accès.

2. LA NOTION DE RELIQUAT

Le principe en vertu duquel les pécheurs étrangers devraient, à certaines conditions, avoir accès aux ressources, comme il a été établi dans le projet de droit de la mer, est la résultante de nombreux arguments et considérations, parmi lesquels les facteurs biologiques n'ont joué, au mieux, qu'une faible part. L'argument biologique fondamental est apparemment linéaire et repose sur quelques points simples:

(a) on supposera qu'il existe un rendement constant maximum qui peut être prélevé sur tous les stocks et ce rendement peut, avec les recherches voulues, être évaluée, de même que le niveau de population qui le produit;

(b) ce rendement constant maximum peut être modifie par des considérations économiques, ainsi que par des facteurs écologiques;

(c) l'Etat côtier détermine le volume admissible des captures;

(d) si ce volume admissible des captures est supérieur à la quantité que l'Etat côtier peut prendre, la différence est un "reliquat" qui peut être attribué à des pécheurs étrangers.

Il s'ensuit que l'excédent, auquel les navires étrangers devraient avoir accès, est égal au rendement constant maximum moins les captures effectuées par l'Etat côtier. Cela ne semble pas en fait être l'intention du texte du droit de la mer et ne constituerait guère une approche rationnelle a la gestion des stocks de poisson, compte tenu de ce que l'on sait de leur dynamique et de l'aspect économique de la pêche.

Pour ce qui est du projet de texte de traite sur le droit de la mer, les deux notions (volume admissible des captures et rendement constant maximum) sont nettement distinguées. L'alinéa pertinent (article 61(1)) appelle simplement l'Etat côtier à déterminer les captures admissibles. Aucune directive explicite n'est donnée quant à la façon dont ce volume admissible des captures devrait être déterminé. Les alinéas suivants de l'article 61, ainsi que l'article 62, déterminent implicitement qu'un tel calcul serait fondé sur un équilibre entre les intérêts de la conservation et de l'exploitation.

L'article 61(3), qui est l'alinéa dans lequel est mentionne le rendement constant maximum, se propose de maintenir la population a un niveau susceptible de produire ce rendement constant maximum. Cette condition est remplie par une série de tailles de populations, dont le plafond, la taille maximum de population, est établie par la capacité portante de l'environnement. A l'extrémité inférieure de cette gamme des volumes, l'exploitation du rendement maximum constant maintient la population à ce même niveau (le niveau de rendement maximum constant), selon les modèles de populations simples. Aux niveaux supérieurs, une exploitation continue du rendement maximum constant est possible, et amènera l'abondance de la population a décroître jusqu'à ce qu'elle atteigne le niveau de rendement maximum constant. Une exploitation soutenue de la population, dans cette gamme qui, en tout état de cause, est inférieure au rendement maximum constant, entraînera une stabilisation de la population en un point de la fourchette, et tous ces niveaux de captures sembleraient compatibles avec le libellé de cet article du projet de Traité.

Il ne semblerait donc exister aucune raison, pour ce qui concerne le droit de la mer, de fixer le volume admissible des captures au niveau du rendement maximum constant, voire à proximité de ce niveau (en se plaçant toujours dans l'hypothèse qu'une telle quantité puisse être déterminée et mesurée). Cependant, la notion de rendement (constant maximum) est vaste dès lors que l'on considère la gestion et la détermination du volume admissible des captures, et mérite que l'on s'y arrête un peu plus en détail.

La notion de rendement maximum constant a subi des attaques fréquentes (exemple: Larkin, 1977). Nombre de celles-ci sont de nature économique ou sociale, encore qu'il existe aussi des objections biologiques. Les principales peuvent être énoncées comme suit: (i) il existe des fluctuations naturelles de l'abondance et de la productivité de nombreux stocks, qui n'ont aucun rapport avec la pêche; (ii) le rendement que l'on peut prélever sur un stock varie avec le schéma de pêche (âge et taille du poisson capturé) et (iii) le rendement possible d'un stock est fonction d'événements relatifs à d'autres stocks connexes (exemple: espèces se nourrissant de la première), y compris d'une exploitation quelle qu'elle soit de ces stocks. Il n'est donc pas possible de déterminer une valeur unique et immuable du rendement constant maximum d'un stock. Les captures susceptibles, en termes biologiques d'être prélevées varient d'année en année, en fonction notamment des conditions naturelles ayant prévalu cette année (existence d'une bonne classe d'âge, etc.), de la taille des spécimens péchés et de la pêche, ainsi que d'autres événements affectant des stocks connexes. Quelques-unes de ces complications sont prises en compte lorsqu'on parle de rendement constant moyen maximum. Celui-ci pourrait être défini comme le plus fort rendement susceptible d'être obtenu en conditions moyennes.

La modification du rendement constant maximum compte tenu des facteurs économiques - comme cela a été mentionné à l'article 61(3) - est un concept curieux. Le rendement constant maximum, dans la mesure où il existe, est une entité biologique, déterminée par la nature du stock de poisson et par son environnement physique et biologique, et n'est pas affecté par les facteurs économiques entrant en jeu dans la pêcherie. Ce que cela signifie sans doute c'est la modification de la capture cible ou admissible, pour la porter à un chiffre différent (et obligatoirement inférieur) du rendement constant maximum. Une telle modification est impérieuse. En effet, comme le font remarquer les critiques fréquentes que les économistes attachent à la notion de rendement constant maximum, les avantages économiques et sociaux inhérents à une exploitation du rendement constant maximum sont en général inférieurs, et souvent de beaucoup, à ceux que produisent des options reposant sur une quantité de pêche inférieure. Parmi les avantages découlant d'une exploitation à un niveau inférieur à celui que donne le rendement maximum constant on peut citer notamment: un plus faible coût total, un taux de capture supérieur pour chaque pêcheur, une variabilité annuelle moindre des captures et une plus grande stabilité des stocks de poisson. Les avantages que cela comporte sont de différents types, et chaque type d'avantage demande, pour être porté au maximum, un schéma de pêche différent. Par exemple, pour maintenir un niveau élevé de taux de capture de chaque pêcheur (c'est-à-dire un taux non inférieur au niveau requis pour leur donner un revenu net raisonnable) il faudra une exploitation moindre sur le plan quantitatif que pour porter au maximum le nombre de pêcheurs employés. Il n'existe donc aucun schéma unique d'exploitation qui, pour un stock déterminé pourrait être a priori considéré comme optimal. Cependant, une fois les objectifs nationaux déterminés et l'équilibre entre eux établi, il devient en principe possible d'établir le schéma de pêche optimal, compte tenu de ces objectifs. Ceux-ci pourraient bien évoluer au cours de l'année, a mesure que les politiques nationales ou d'autres facteurs - tels que le prix du carburant - changent. Au cours d'une année déterminée, le schéma optimal (quantité pêchée, tailles des spécimens capturés, etc.) produit un volume de capture donne. Ces captures devraient être de nature à produire un bénéfice maximum (y compris les avantages futurs, dûment escomptés) et pourraient être considérées comme la capture cible ou la capture autorisée, au sens de la discussion du droit de la mer.

La difficulté la plus grave, au regard de l'argumentation simple en vue de déterminer un "reliquat", est l'incidence de la quatrième étape ((d) ci-dessus). En d'autres termes, si les captures qui pourraient être effectuées par un Etat côtier, dans le cadre de sa capacité existante, étaient inférieures au volume autorisé des captures cibles, la différence, c'est-à-dire l'excédent ou le reliquat, pourrait elle être prélevée sans que soit affectée la pêcherie existante de l'Etat côtier? Il en est rarement1 ainsi. Toute opération de pêche réalisée par des navires étrangers, outre les opérations pratiquées sur le même stock par l'Etat côtier, réduit l'abondance du stock, ce qui tend à diminuer les captures de l'Etat côtier ou exigera de lui qu'il accroisse le degré d'exploitation et, partant, le coût, s'il souhaite maintenir ses captures. Dans l'un et l'autre cas, les avantages pour l'Etat côtier, à partir des ressources qui se trouvent au large de ses cotes, sont réduites. Le schéma de la pêche est donc, si l'on considère les arguments avancés dans les paragraphes précédents, inférieurs à l'optimum, du moins pour l'Etat côtier. Il n'existe donc pas de reliquat.

1 On connaît des exceptions. Le cas le plus fréquent est celui où des espèces capturées par la flottille étrangère ne sont pas exploitées du tout par les pêcheurs locaux. En règle générale, les captures locales ne sont que peu, voire pas du tout, touchées; cependant, lorsqu'il y a interaction avec les captures exploitées localement, un certain effet peut être constant. Celui-ci est même" parfois bénéfique, si les captures effectuées par les navires étrangers sont des prédateurs des espèces capturées localement

Cette argumentation ne tient pas compte des avantages que l'Etat côtier peut éventuellement obtenir du fait de l'exploitation étrangère. Il est maintenant habituel que l'Etat côtier tire des bénéfices de différentes autres espèces et des flottilles de pêche exploitant les fonds situes au large de ses cotes. Parmi ces avantages on peut citer le paiement direct de droits de pêche, l'offre d'une part des captures sur les marches locaux, une assistance donnée par le pays étranger en matière de formation, etc. Lorsque ces avantages directs dépassent les coûts et la réduction des avantages pour les pécheurs locaux, le profit global que l'Etat côtier tire de la ressource augmente. Dans ce cas, le reliquat peut être défini comme la quantité prise par les navires étrangers, lorsque les avantages globaux pour l'Etat côtier, quelle que soit la mesure adoptée, sont maximum.

Les avantages comme les coûts pour l'Etat côtier sont affectes par des conditions d'accès (exemple: niveau des droits de pêche payés, site de l'exploitation étrangère par rapport aux pêcheries locales, etc.). Ainsi le calcul d'un excédent et la détermination des conditions d'accès ne sont pas des processus indépendants. Le volume, voire l'existence d'un reliquat, au sens utilisé ici, sont fonction de la mesure dans laquelle l'Etat côtier est à même d'établir des conditions de nature à accroître ses avantages nets, soit en limitant les coûts, soit en accroissant les bénéfices bruts.

On peut arguer que, lorsqu'on détermine le niveau optimal d'exploitation, la quantité qu'il s'agit de porter au maximum devrait équivaloir aux avantages totaux nets pour la collectivité mondiale, c'est-à-dire aussi bien l'Etat côtier que les Etats dont les pêcheurs pourraient obtenir accès à la ressource. Le schéma de pêche pourrait alors différer quelque peu et être un peu plus intense que celui qui porte au maximum les avantages nets pour l'Etat côtier seul. En pratique, la différence n'est pas nécessairement très notable. Il serait évidemment déraisonnable que l'Etat côtier accepte une situation dans laquelle les pêcheurs hauturiers auraient des avantages considérables alors que sa propre situation serait plus défavorable qu'en l'absence de pêche non locale. (Il en serait particulièrement ainsi si l'Etat côtier était un pays en développement et que les navires hauturiers provenaient d'un pays développé riche.) Pour être viable, tout schéma de pêche doit donc tenir compte des avantages et des coûts pour l'Etat côtier. A contrario, un plan de pêche visant a accroître au maximum les avantages pour l'Etat côtier, compte tenu de la pêche non locale, n'est réaliste que si les navires de pêche non locaux en tirent également des bénéfices suffisants.

3. COUTS

3.1 Pertes subies par les pêcheries existantes

Le coût le plus notable de toute pêcherie étrangère risque d'être constitue par l'incidence sur les pêches locales, notamment mais non exclusivement du fait de la diminution de l'abondance du stock. Il existe cependant d'autres coûts significatifs. Le projet de Convention sur le droit de la mer impose à l'Etat côtier des obligations, avec ses privilèges. Au titre des premières, il s'agit entre autres d'assurer la gestion et la conservation des ressources. Cette obligation tient compte du coût de la recherche et sans doute de la mise en oeuvre et du contrôle de toute mesure de gestion.

Les coûts imposés à une pêcherie locale par l'entrée en action d'une flottille étrangère sont illustrés à la figure 1. Celle-ci représente une courbe de rendement typique, montrant un rapport entre l'effort de pêche et le rendement moyen qui serait obtenu si cet effort était maintenu pendant une certaine période. La pêcherie locale, au moment actuel, est indiquée par le point A, avec un rendement annuel moyen de 50 000 tonnes. Etant donné que le rendement maximum dépasse largement 1 00 000 tonnes, il pourrait sembler raisonnable de donner accès à des flottilles étrangères, pour pécher 50 000 tonnes.

Ce qui se passe alors est fonction de la réaction des flottilles locales et des conditions d'accès (qu'elles se mesurent en termes de captures ou d'effort). Ce qui a le moins de chances de se produire, c'est que la flottille locale continue de pêcher 50 000 tonnes, la flottille étrangère péchant la même quantité. Un doublement des captures totales, pour les porter à 100 000 tonnes (c'est-à-dire au point A2) suppose plus que le doublement de l'effort total (de F1 à F2, c'est-à-dire de 32 à 120 unités). Dans ce cas, et si la flottille locale devait maintenir à 50 000 tonnes le volume de ses captures, elle devrait porter son effort de 32 à 60 unités (c'est-à-dire à la moitié de l'effort total accru). Cela semble assez peu probable dans l'hypothèse de base d'une capacité limitée de la pêcherie locale. Un tel accroissement de l'effort entraînerait un accroissement du coût.

Ce qui risque bien davantage de se produire, c'est que la flottille étrangère capture 50 000 tonnes et que la flottille locale maintienne son effort à 32 unités. Cela accroîtrait l'effort total (pour le porter en F3) et les captures totale (en A3). Par suite de la réduction des captures par unité d'effort, les captures de la flottille locale chuteraient (à C). Dans l'exemple illustré, cela signifie une régression de 50 000 tonnes à environ 35 000 tonnes, d'où, pour la pêcherie locale, une perte d'environ 15 000 tonnes, pour avoir autorisé les flottilles étrangères à accéder aux ressources locales.

Dans le cas le plus simple, représenté par l'exemple qui précède, lorsque deux flottilles opèrent sur le même stock et capturent du poisson de même taille et dans le même état, l'impact de la pêche étrangère sera donné directement par la rentabilité marginale au sens de Gulland (1968), c'est-à-dire la proportion des captures découlant d'un surcroît d'effort de pêche (dans le cas spécifique, des opérations de la flottille étrangère), ce qui consiste à compléter l'ensemble des captures, plutôt qu'a réduire les captures des navires existants. La figure 2 montre comment cette rentabilité marginale baisse a mesure que les captures totales (exprimées en un pourcentage du rendement constant maximum) augmentent. Les courbes correspondent a différentes hypothèses sur les caractéristiques biologiques des stocks et la nature du modèle employé pour évaluer l'état du stock. Il conviendrait de ne pas s'arrêter trop longuement sur les détails des courbes. On soulignera toutefois que, même pour la courbe supérieure (la plus favorable), la rentabilité marginale tombe sensiblement au-dessous de 100%, alors que le stock est encore relativement peu exploité. Ainsi, elle passe à 90 % lorsque les captures sont de 10 à 30 Z du maximum. En d'autres termes, lorsque l'exploitation est faible, la réduction des captures des flottilles existantes représente 10 % des captures des navires supplémentaires,

En pratique, il arrive souvent que les navires étrangers n'exploitent pas le même "segment" de ressources que les navires locaux. De façon typique, on peut s'attendre à ce qu'ils travaillent plus au large et en eaux plus profondes. Cela a des chances d'impliquer des espèces quelque peu différentes et, lorsqu'il s'agit de la même espèce, ils recherchent des spécimens plus gros et plus âgés. Un exemple évident, mais non nécessairement typique, porte sur les crevettes pénéides. On trouve de jeunes crevettes dans les lagunes et dans les autres eaux à l'intérieur des cotes, et ce sont surtout des artisans pêcheurs qui les capturent avec des engins traditionnels. Candis que les adultes se trouvent plus au large et sont exploitées par des chalutiers commerciaux (ayant un port d'attache local ou provenant de pays étrangers). Dans ces cas, si l'on se borne à considérer les événements concernant une seule classe de poissons et de crevettes, la pêcherie au large des cotes n'est guère susceptible d'affecter l'exploitation des jeunes. Dans la mesure où les incidences les plus sérieuses d'une exploitation trop poussée résultent d'une défaillance du recrutement et si l'exploitation des adultes influe sensiblement sur la taille du stock de reproducteurs, cet effet risque d'être important. Il est toutefois malaise de déterminer cela, et ce n'est en général qu'une fois le stock en cause épuise que l'on obtient des preuves conclusives de ce qu'il est convenu d'appeler la sur pêche au recrutement.

Dans la mesure ou une nouvelle pêcherie exploite des espèces totalement différentes de toute pêcherie existante, il n'y aura aucun impact immédiat. Il est cependant exceptionnel de ne constater aucun chevauchement. Le chalutage, en particulier, tend à provoquer des captures incidentes d'un grand nombre d'espèces (ce que l'on appelle le faux-poisson) lorsque la pêcherie proprement dite, vise essentiellement une ou deux espèces principales. On peut encourir des pertes lorqu'une pêcherie locale porte spécifiquement sur l'une des espèces capturées incidemment. Ainsi, dans le Pacifique nord-est, l'une des espèces démersales les plus prisées des pêcheries nord-américaines est le flétan. Des problèmes notables ont été soulevés (notamment avant l'adoption des limites de 200 milles) par suite des captures accessoires de petits flétans par des flottilles de chalutiers asiatiques, qui recherchaient des espèces démersales plus abondantes, encore que moins prisées (pleuronectidés, rougets, lieus de l'Alaska).

Alors même qu'il n'y a pas de chevauchement, on ne saurait affirmer qu'il n'y aura pas d'interaction. L'expérience dans des secteurs aussi variés que la mer du Nord, le golfe de Thaïlande et les zones d'upwelling au large de la Californie et du Chili/Pérou montre que l'abondance relative de différentes espèces est susceptible de changer de façon spectaculaire; le déclin ou l'essor d'une espèce pouvant alors être influencée par le degré d'exploitation d'autres espèces. Ces interactions peuvent se produire dans différentes directions. L'abondance - et partant le volume des captures - d'un prédateur tend à être réduite par une exploitation poussée de sa proie. Cependant, les captures des espèces-proie tendent à bénéficier d'une exploitation intense des prédateurs ou d'autres espèces concurrentielles.

Une évaluation précise de la réduction des captures de la pêcherie existante, lorsque des navires étrangers ont été autorisés à accéder à une zone de pêche sera sans doute difficile. Néanmoins, on peut toujours procéder a des calculs grossiers, qui montrent du moins l'ordre de grandeur probable de toute perte potentielle encourue par une pêcherie existante qu'il est alors possible de mettre en regard des avantages potentiels. Au minimum, des courbes de rendement (ou du moins des courbes de rendement par recrue) du type montré à la figure 1 peuvent être déterminées. Elles tendent à donner l'indication d'une limite maximum de perces dans l'hypothèse d'un mélange de tailles.

L'évaluation de l'impact probable de la pêche par des flottilles étrangères ne devrait pas, dans la plupart des cas, se borner a une estimation unique, considérée "la meilleure" ou "prudente". Il conviendrait de tenir compte de la façon dont une évolution de la nature de l'accès étranger et du degré de maîtrise que l'on en a, modifierait les effets. Ainsi, on pourrait envisager une pêcherie étrangère, susceptible d'exploiter loin au large, des espèces pour une part autre que celle que pêche la flottille locale côtière et en partie les individus plus âgés de l'espèce pêchée par la flottille locale. Dans l'un et l'autre cas, on s'attendrait à ce que l'incidence directe d'une pêcherie côtière soit faible. Néanmoins, si, comme cela se produit souvent, les meilleurs taux de captures pour les navires étrangers sont enregistres plus près des cotes, le chevauchement entre les espèces et les tailles des poissons capturées par les pêcheurs locaux et les étrangers serait accru, d'où une incidence correspondante plus grande. L'évaluation des pertes potentielles devrait en conséquence tenir compte non seulement du volume brut de toute capture étrangère mais aussi des tailles et des espèces de poissons captures. La mesure dans laquelle ces caractéristiques de la pêcherie étrangère peuvent être précisées à l'avance et être incorporées dans les conditions de l'accord d'accès et être respectées entre également, c'est évident, pour une part importante dans toute évaluation.

Figure 1: Effort de pêche (unîtes arbitraire)

Figure 2: Captures (% du maximum)

3.2 Coût de la surveillance continue et du contrôle

La responsabilité que le nouveau droit de la mer accorde à l'Etat côtier en matière de conservation et d'exploitation rationnelle des ressources de la ZEE (fixation du volume admissible des captures, etc.) implique pour l'Etat côtier certains frais. Pour une mise en oeuvre totale de cette responsabilité, toutes les données pertinentes (y compris les informations statistiques fournies par les flottilles de pêche) devraient être recueillies et compilées, ces données étant analysées pour déterminer l'état des stocks; des mesures de gestion appropriées, déterminées et mises en oeuvre et les dispositions visant à assurer le respect des règlements étant prises. Tous les coûts pertinents tendent à augmenter lorsque des navires étrangers prennent part à l'exploitation.

Les plus évidents, parmi ces coûts, sont peut-être ceux qui sont encourus au stade ultime, celui du contrôle de la mise en oeuvre. Ces aspects ont été envisagés par un certain nombre de consultations de la FAO et ne seront pas étudiés à nouveau ici, la présente note se concentrant sur les ressources.

Les autres coûts, en particulier le coût de la collecte de données et celui de la recherche ne sont pas négligeables et tendent à augmenter du fait de la présence d'exploitants étrangers et de l'évolution du droit de la mer. Le premier de ces points est évident: si la pêche est limitée aux flottilles locales et peut-être aux stocks qui se trouvent au voisinage des rivages, l'ampleur des recherches nécessaires pour assurer la surveillance continue des stocks et leur coût est évidemment moindre que lorsqu'il s'agit de flottilles importantes, l'observation des ressources étant destinée à couvrir leurs activités et les zones au voisinage des cotes qu'elles exploitent. Quant au second point, certaines explications s'imposent. A l'époque des limites de 3 ou de 12 milles, lorsque tous les Etats avaient, du moins en théorie, un droit d'accès égal aux stocks situes en haute mer, une tradition s'était instaurée et se trouve particulièrement bien illustrée dans les discussions au sein du CIEM et de la CIPAN, a savoir une mise en commun de toutes les données de base (par exemple, les statistiques de captures) et l'échange libre entre tous les chercheurs. Tous les pays avaient accès à des informations relativement exhaustives et objectives, sur tous les stocks. Il leur suffisait pour cela de participer aux discussions au sein de ces organismes ou de groupes de travail concernés. La situation n'a pas totalement change; cependant les discussions scientifiques sont, davantage que par le passé, influencées par les conflits d'intérêts entre les différents pays. Ceux-ci, vu l'évolution de la juridiction, sont de plus en plus polarisées entre Etats côtiers et Etats hauturiers. En particulier, dans le contexte de l'octroi d'un "reliquat" éventuel, il est évidemment de l'intérêt de ces derniers de montrer que les stocks sont importants et sous-exploités, l'Etat côtier préférant une interprétation plus prudente.

Dans ces conditions, il serait peu judicieux qu'un Etat côtier se fonde exclusivement sur les recherches et les interprétations assurées par les Etats hauturiers. Il lui faudra procéder lui-même à des efforts de recherche suffisants et disposer de connaissances scientifiques convenables pour vérifier à tout le moins les systèmes de collecte des données et les méthodes d'analyse employées. Cela soulève des questions qui vont au-delà des coûts; nombre d'Etats côtiers ne disposent que de compétences scientifiques limitées et la demande est forte, s'agissant des experts, pour d'autres tâches urgentes. Ici se profile donc une possibilité évidente de contribution indépendante, dont les organismes halieutiques régionaux de la FAO donnent l'exemple. On évoquera plus particulièrement à ce titre le rôle joué par la FAO ou d'autres experts indépendants de tout pays en cause, dans les activités techniques (groupes de travail d'évaluation, etc.) de ces organismes.

3.3 Effets indirects

Outre les effets directs examines ci-dessus, l'accès consenti aux navires étrangers affecte souvent, de façon indirecte, mais à plusieurs chefs, le développement des pêcheries nationales dans l'Etat côtier. Les effets peuvent être avantageux: la flottille étrangère peut montrer où se trouve le poisson, comment on peut le prendre et développer des débouches (dans le pays étranger, dans l'Etat côtier ou dans un pays tiers). Tout cela peut aider le pays côtier à développer ses propres pêcheries et, souvent, à remplacer ultérieurement la pêcherie étrangère. Cet effet n'est cependant pas nécessairement aussi avantageux qu'il semblerait. La tendance évidente consiste donc à développer la pêcherie locale, selon des orientations similaires à celles de la pêcherie hauturière. Il faut en général pour cela de grands navires modernes, des capitaux puissants et des coûts d'exploitation qui le sont aussi alors que les frais de main-d'oeuvre sont relativement faibles. Cela ne constitue pas nécessairement la forme de développement qui convient le mieux à l'Etat côtier. Comme on l'a souligné par ailleurs (y compris dans des documents destinés à d'autres réunions préparatoires de la Conférence mondiale de la FAO, comme celles qui ont été consacrées au contrôle de l'effort et aux stratégies de développement), les objectifs très variés (alimentation, emploi, bénéfices économiques, etc.) qu'un pays peut rechercher et le choix, ainsi que l'équilibre entre ces objectifs, influent sensiblement sur les politiques du pays. Les objectifs nationaux, ainsi que d'autres facteurs non halieutiques (disponibilités de capitaux de main-d'oeuvre qualifiée ou non) dans l'Etat côtier diffèrent souvent de ce qu'ils sont dans le pays pratiquant la pêche hauturière. Le premier peut donc juger qu'il ne serait guère approprié de considérer ce dernier comme un modèle et comme un guide pour le développement de ses propres pêcheries.

Note: je tiens à exprimer ma gratitude au Professeur Burke d'avoir bien voulu attirer mon attention sur la question des données que l'Etat côtier est supposé examiner en vertu de la Convention. Il S'agit là d'une question juridique et je n'ai pas compétence pour y répondre. Dans mon exposé, il est question du type de données dont un Etat côtier aurait besoin dans son propre intérêt pour mettre en place les contrôles voulus. Il lui faudra davantages de données et il en coûtera davantage pour les recueillir et les analyser, et des flottilles étrangères pêchent déjà

On peut noter en passant que, même dans les pays développés, le grand chalutier hauturier est rarement l'unité la plus rentable sur le plan économique. Les pays en développement peuvent être incités, à tort, à croire que des chalutiers très grands et très modernes sont synonymes de pêche moderne (et, partant, représenter le type de pêche qu'il faut rechercher), alors que les pêcheries les plus rentables dans les pays développés sont souvent les petites entreprises familiales, dotées d'une embarcation dont le type ne diffère guère des navires convenant aux pays en développement.

Des remarques assez similaires peuvent s'appliquer à quelques-uns des "avantages" - formation, recherche, assistance technique, etc. - que les pays pratiquant la pêche hauturière peuvent offrir en échange du droit d'accès. Ces avantages peuvent incontestablement se révéler très utiles a l'Etat côtier, s'ils répondent à ses besoins. Or la nature de la formation, etc., correspond souvent à la situation d'une pêcherie hauturière (exemple: formation à l'exploitation de grands chalutiers-usines). Au meilleur des cas, une telle formation est inutile et, dans la mesure où elle encourage un type de développement local qui ne convient pas, l'effet est tout a fait nuisible. On peut citer encore l'exemple de la construction (alors même que l'Etat côtier n'encourrait aucun frais) d'un grand laboratoire scientifique bien équipé ou d'un navire de recherche. L'intérêt peut être minime si l'Etat côtier ne dispose ni du personnel ni des ressources nécessaires pour exploiter convenablement l'institution ou le navire et l'effet serait nuisible si les ressources scientifiques étaient distraites d'autres activités.

4. DISCUSSION

Les premiers paragraphes de la présente communication ont rapidement passé en revue la notion d'un excédent existant dans une ZEE, auquel des flottilles étrangères pourraient accéder. Les coûts directs et indirects que l'Etat côtier pourrait encourir du fait de l'octroi du droit d'accès ont été examinés. Il est clair qu'un excédent ou "reliquat" est une notion mouvante, sujette à de nombreuses interprétations. Selon certaines, tout à fait plausibles, un "excédent" n'existe - et il ne faudrait y donner accès - que si les avantages qui en découlent dépassent les coûts possibles, directs et indirects, encourus par l'Etat côtier. Parmi ces coûts, il faut inclure la réduction des captures des pêcheries locales existantes, le coût de la recherche, de la surveillance continue et de l'application ainsi que le risque de fausse évolution ultérieure des pêches côtières.

Il peut être malaisé d'évaluer avec précision tous ces facteurs. Cependant, on peut établir des estimations grossières et il conviendrait de le faire en tout cas. Ces évaluations devraient aussi tenir compte de la façon dont les différentes options possibles pour les conditions d'accès à un "excédent" déterminé (compte tenu de la saison ou du lieu de pêche, ou de la taille ou des espèces capturées) peuvent affecter les pertes. Dans de nombreux cas, et plus particulièrement lorsque le même stock risque d'être exploité par les flottilles locales et étrangères, les pertes peuvent être considérables. En vertu de l'interprétation que nous avons adoptée, il n'y aurait pas "d'excédent" alors même que les captures actuelles demeureraient largement inférieures au rendement constant maximum théorique. Les Etats côtiers peuvent demeurer prudents quant au droit d'accès. Il convient cependant de souligner aussi que les avantages potentiels peuvent, dans certaines circonstances être importants (la valeur effective de certains des "avantages" devant toutefois être évaluée prudemment). Sous réserve de l'évaluation des coûts, il faudrait favoriser l'accès de flottilles étrangères.


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