Page précédente Table des matières Page suivante


ANNEXE 5: L'adaptation de la politique d'un Etat pratiquant la pêche hauturière à l'évolution récente du droit de la mer

par

Juan Prat y Coll
Directeur général des pêches internationales
Espagne

Le développement de l'industrie halieutique espagnole remonte à plus de vingt ans et plus précisément au 8 septembre 1961. C'est à cette date que le chalutier-congélateur LEMOS a mis à la voile au départ de Vigo, pour aller pécher au large de l'Argentine. Pionnier de l'Europe dans les eaux de l'hémisphère austral, il a été suivi un mois plus tard par l'ANDRADE qui, pour sa part, mettait le cap sur les cotes de l'Afrique australe. Il s'agit là des premiers chalutiers motorisés à long rayon d'action qui, dotés de tunnels à congélation rapide capables de conserver l'ensemble des captures, ont permis au consommateur espagnol d'accéder au poisson péché aux antipodes et qui lui était livré avec toute sa valeur nutritive et sa saveur intacte.

Le bond en avant que représentait cet événement dans les annales de l'expansion de la flottille de pêche espagnole était d'autant plus notable que, jusqu'alors, en dehors de la chasse à la baleine, les opérations de pêche réalisées au départ d'Europe occidentale étaient orientées vers l'Atlantique nord, de la mer de Barents jusqu'au Sénégal. Il semblait alors que même le faible rendement obtenu en péchant au chalut de fond, sur les lieux de pêche traditionnels dont certains souffraient déjà de la sur pêche allait inciter à un changement d'attitude de la part des armateurs intéressés ou provoquer une remise en cause des perspectives dans lesquelles s'inscrivaient leurs plans d'action. En conséquence, les fonds de pêche de l'hémisphère austral, aussi bien ceux qui étaient alimentés par le courant des Malouines que ceux qui étaient alimentés par celui du Benguela étaient en fait fermés aux flottilles ayant leur port d'attache quelque part entre le Spitzberg et Las Palmas et n'osant guère tenter leur chance au sud de l'Equateur.

Evidemment cet événement a eu son importance, non pas seulement parce qu'il signifiait l'ouverture d'une nouvelle pêcherie, représentée par une nouvelle localisation géographique des bancs de poissons, mais aussi parce qu'il annonçait la mise en oeuvre d'un nouveau processus industriel, garantissant l'efficacité et le succès de cette évolution et ouvrant la voie à d'autres, qui allaient poursuivre cette évolution au fil des ans.

Au début des années soixante, l'Espagne n'était pas encore un pays industrialisé. Elle possédait cependant une ancienne tradition de la pêche hauturière. Dans la seconde moitié des années vingt, l'exploitation de la morue a connu un renouveau. Cependant, nos pécheurs avaient, dès le seizième siècle, opéré tout naturellement dans les eaux de Terre-Neuve. Cette pêcherie s'est consolidée après la fin de la deuxième guerre mondiale et, en 1951, la flottille espagnole opérant sur les bancs situés au large de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Ecosse, du Labrador et du Groenland se composait de 21 chalutiers a plateau et de 57 unités péchant au chalut-boeuf. La flottille comportait au total 135 unités, déplaçant au total près de 47 000 tonnes de jauge brute.

Comme on l'a déjà mentionné par ailleurs, cette ère de la morue salée, a été suivie d'une ère de la réfrigération industrielle, d'abord sous forme de glace pilée puis grâce à des méthodes de congélation lente et plus récemment des méthodes de congélation rapide et de surgélation. Le tout a eu des répercussions évidentes et directes sur l'expansion géographique de la pêche dans le monde. On peut donc affirmer sans équivoque que l'installation à bord des navires des techniques de congélation industrielle, en vue de maintenir les captures en parfait état pour permettre sa consommation ultérieure a été à la base de l'essor le plus spectaculaire que l'histoire de la pêche ait jamais enregistré.

L'initiative privée a sans aucun doute été à l'origine de ce processus.

Cependant, même le tableau que nous venons de brosser ne suffit pas à expliquer totalement la poussée vigoureuse des progrès techniques et la spécialisation qu'a connue la flottille de pêche espagnole depuis le début des années soixante. A l'origine de cela, on trouve deux défauts de structure: l'ampleur limitée du secteur privé et de milieux financiers privés, qui ont été incapables de discerner parmi les nombreuses options dont ils disposaient le véritable potentiel de développement du secteur de la pêche, jointe au fait que les caractéristiques intrinsèques à ce secteur étaient mal adaptées au système de crédit en vigueur.

Dans cette situation, l'assistance du gouvernement a été décisive. Elle s'est exprimée dans une oeuvre législative d'une signification énorme pour le développement du secteur halieutique, qui dans une large mesure doit sa structure actuelle à la loi sur le renouvellement et la protection de la flottille de pêche (Ley sobre Renovación y Protectión de la Flota Pesquera), promulguée le 23 décembre 1961, deux semaines à peine après le retour à Vigo du chalutier congélateur LEMOS, après sa première campagne sur les fonds de pêche de l'Atlantique sud.

C'est effectivement grâce à cette loi que l'administration des pêches s'est résolument engagée sur la voie de l'assistance directe au secteur prive, dans le but évident d'un développement global. A cette fin, elle a entrepris de fournir, à des conditions financières et économiques extrêmement favorables, les ressources nécessaires à l'expansion de la flottille de pêche, directement aux bénéficiaires armateurs présents ou éventuels. L'effet d'une telle politique devait se faire sentir au-delà des limites strictes du secteur halieutique lui-même. De la sorte, alors que l'économie espagnole passait par une phase manifeste de renouveau, la pêche devait elle aussi contribuer au développement de certains autres secteurs économiques.

Dix ans après le début de la mise en oeuvre de la politique financière dont les principales caractéristiques viennent d'être évoquées, sa conséquence la plus directe et la plus évidente a été sans aucun doute la création d'une flottille de congélateurs à long rayon d'action bien équipés et susceptibles d'une productivité très élevée. A la fin de 1971, la flottille se composait de 261 unités de pêche: 236 chalutiers, péchant de préférence le poisson de fond, les céphalopodes, les crustacés et les mollusques et 25 thoniers péchant à la senne coulissante, soit au total 141 000 TJB; en outre, 40 bateaux-usines ou cargos réfrigérateurs, capables de traiter du poisson congelé, pour un total de 72 000 TJB.

Toutefois, ce nouvel élément de la production de pêche espagnole n'est pas la seule réalisation d'une politique halieutique entreprise en 1961, lorsque pour la première fois, les captures espagnoles ont atteint le niveau du million de tonnes (très précisément 1 058 794 tonnes). Depuis lors, ce taux de croissance n'a cessé de s'accélérer. Ainsi, à peine dix ans plus tard, le volume total des captures avait augmenté de plus d'un demi million de tonnes, l'Espagne devenant le septième pays producteur de poisson du monde (pêches intérieures non incluses), le sixième en termes de revenu primaire des produits halieutiques, le cinquième du point de vue de la consommation individuelle de poisson.

Les règlements découlant de la loi 147/1961 du 23 décembre (loi sur la modernisation et la protection de la flottille de pêche) ont exercé un effet continu sur d'autres secteurs économiques que le secteur halieutique, et l'administration allait jusqu'à prendre des mesures spécifiques affectant directement ces autres secteurs. Il en est notamment ainsi de la construction navale, déjà envisagée lorsqu'on 1966 une nouvelle approche était adoptée en matière de financement de la flottille de pêche. Des cette année, conformément aux règlements examinés précédemment, des crédits pouvaient être accordés en vertu des dispositions de l'une et de l'autre, par les banques privées et le "Banco de Crédite a la Construction", non pas seulement aux armateurs mais aussi aux chantiers navals, ce qui leur permettrait de financer des ventes à long terme de navires. Il convient de noter que cette évolution a, de son coté, entraîné des problèmes considérables pour l'administration des pêches, en matière de contrôle, car en effet, il était devenu difficile de se faire une vue d'ensemble de l'évolution du secteur et de la situation en un point donné dans le temps.

Parmi les autres secteurs économiques directement en cause dans le processus, il faut citer l'industrie de la réfrigération et de la congélation et certaines autres branches d'activité que l'on peut classer ensemble sous le vocable "d'industries subsidiaires". Il ne faut pas oublier, non plus, bien sûr, ce que l'on appelle les "industries connexes", dont la grande variété porte témoignage des différentes façons de préparer le poisson: industrie baleinière, industrie de la conserve (la branche la plus importante, dotée d'un certain nombre de lignes différentes de production), le traitement du poisson, la congélation a terre et l'industrie de la farine de poisson.

En tout état de cause, le développement de l'industrie de la pêche n'a pas exercé son effet que sur les secteurs communs; bien au contraire, au-delà des limites strictes du système de production, il a eu, au fil des années, un impact significatif sur deux variables macro-économiques, à savoir la consommation intérieure et les échanges avec l'étranger.

L'attention est attirée sur un phénomène qui sans être nouveau, a, au cours des années, pris une nouvelle dimension tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Nous nous référons à la présence croissante des navires espagnols sur les fonds de pêche internationaux ou dans les eaux des autres pays. Il s'agit là, à l'évidence, d'un résultat de la politique adoptée au cours des années soixante, laquelle a ainsi réalisé l'un de ses objectifs essentiels, à savoir, obtenir accès à des pêcheries situées de plus en plus loin, de manière à réduire la dépendance de la demande intérieure de poisson à l'égard des ressources d'un plateau continental étroit, déjà soumis à une exploitation intense. Cependant, deux événements échappaient au contrôle et à l'influence de l'administration espagnole et ont entraîné un bouleversement radical de la situation des pêches mondiales. Ces événements ont eu un impact particulier sur l'Espagne dans la mesure où ils altéraient radicalement le contexte dans lequel l'activité halieutique de ce pays s'exerçait; nous nous référons bien évidemment aux crises pétrolières et à l'extension généralisée des zones économiques exclusives des pays côtiers à 200 milles marins.

Pour replacer ce problème dans la perspective qui convient, il faut reconnaître sa portée à deux égards. D'une part, ces événements ont directement affecté là situation existante, qui, fondamentalement, se trouvait en conflit avec les nouvelles conditions; d'autre part, ils remettaient en question les buts et les directives qui avaient modelé jusqu'alors le développement de la flottille de pêche espagnole, au moment même où elle faisait l'objet d'une seconde réorganisation visant essentiellement à sa modernisation et à son perfectionnement technologique en fonction des différents types de pêcheries et dé l'état des ressources vivant sur les différents fonds.

De la sorte, et en conséquence de la crise pétrolière, il est devenu manifeste que le modèle décrit pour la réorganisation de la flottille ne convient plus aujourd'hui, tout simplement du fait que le coût du carburant est un facteur qui ne saurait être ignoré par les armateurs lorsqu'ils décident du type d'investissement à effectuer, essentiellement du point de vue des rapports existant entre la puissance des navires et le niveau de productivité projeté. Il en est également ainsi pour l'administration, lorsqu'elle formule les directives en matière halieutique.

Pour ce qui est du second de ces événements, a savoir l'extension généralisée des ZEE à 200 milles, il convient de noter trois points, à titré liminaire:

(a) elle est en opposition ouverte avec la liberté des mers, historiquement prônée par les puissances maritimes traditionnelles comme leur patrimoine commun. Ce concept allait de pair avec la vue selon laquelle l'océan est inviolable. Selon Hugo Grotius, juriste, théologien et historien du dix-septième siècle et tenant inébranlable du principe de la liberté des mers, l'océan ne peut être ni possédé ni enclin par cela même qu'il possède la terre, et non l'inverse;

(b) la controverse qui a éclaté à la suite de la déclaration de Santiago du Chili, en 1952, et qui s'est ultérieurement exprimée dans un certain nombre de problèmes interdépendants: navigation dans les eaux territoriales et les détroits stratégiques, pêche en mer, ressources pétrolières et minérales du fond des mers et au-delà, exploitation de la plate-forme continentale, mise en place des zones économiques exclusives et problèmes liés à la lutte contre la pollution marine;

(c) les divergences d'intérêts existant entre les Etats sont énormes; elles entraînent cependant aussi un problème interne, donnant lieu a des tensions extrêmes au sein même des délégations nationales à la troisième Conférence des Nations-Unies sur le droit de la mer. Les intérêts militaires s'y sont heurtés aux intérêts économiques, les intérêts liés à l'extraction minière étant en conflit avec les intérêts halieutiques et les intérêts stratégiques confrontés aux intérêts scientifiques, etc.

Le fait est que, du point de vue de la pêche, la situation découlant de la révolution du droit de la mer a des repercussions moins franches que la crise pétrolière, encore qu'elles soient beaucoup plus étendues. Le phénomène direct de la limitation d'accès aux fonds de pêche traditionnels a forcé un processus de sélection pour déterminer quels navires auraient le droit d'opérer. Ce processus ne s'étend pas seulement aux navires eux-mêmes, mais aussi aux fonds et même aux différents types de pêcheries.

En somme, la question est extrêmement complexe et sa complexité est d'autant plus grande si l'on tient compte du fait que les objectifs que l'on se propose par le processus de sélection ne sont pas toujours compatibles. Ainsi, quelles devraient être les priorités? "Alléger" la flottille de manière à obtenir un rendement économique maximum par unité ou maintenir le niveau le plus élevé possible d'emploi? En d'autres termes, la meilleure flottille possible ou la plus grande?

La situation est encore plus pressante si l'on considère que la réponse à ces questions affectera un grand nombre de régions côtières dont l'existence économique et sociale est fortement tributaire de la pêche. Il s'agit là d'un élément nouveau, d'où la nécessité de réexaminer l'ensemble du problème.

Cette situation est clairement très différentes de ce que l'on avait au départ; restructurer la flottille signifiait alors essentiellement perfectionner son niveau technologique, obtenir de meilleurs rendements et améliorer le niveau de vie des pêcheurs.

En d'autres termes, il ne suffit plus aujourd'hui de reconnaître que la déclaration généralisée de zones économiques exclusives a précipité dans une crise totale le droit traditionnel d'exploiter ce qui constituait précédemment les eaux internationales, ni d'affirmer que cela a immédiatement entraîné une vague de négociations en vue d'asseoir entre les pays, et ce, dans les meilleurs délais, les relations de pêche bilatérale notamment en matière de contingents, de permis, d'exploitation conjointe des fonds, de commerce extérieur, etc.

Ce nouveau problème, venu se surajouté aux problèmes existants, comporte non seulement des éléments circonstanciels, mais aussi un aspect structurel plus profond. Les premiers pourront être contrés avec plus ou moins de succès par des mesures d'urgence. Mais c'est l'aspect structurel du problème qui est de loin le plus grave, dans la mesure où il exige une transformation profonde du secteur de la pêche, pour l'adapter aux nouvelles conditions.

Dans le cas de l'Espagne, ces transformations sont allées jusqu'à affecter la structure organique et exécutive de l'administration des pêches, qui a cherché à s'adapter à la complexité du problème auquel le secteur halieutique était confronte. Et nous mettons l'accent sur le terme de "complexité", car nous n'avons pas à faire a des problèmes distincts et sans lien entre eux, susceptibles, une fois classés par ordre de priorité d'être résolus un par un. Bien au contraire, nous sommes face à des problèmes interdépendants qui, si on les considère hors du contexte dans lequel ils se sont formés, donneront sans doute lieu à des conclusions erronées et à des solutions inadaptées.

Ainsi, il est évident qu'une grande part des problèmes surgissant au niveau de la production ainsi que de la commercialisation sont une projection des faiblesses de structure des compagnies de pêche et plus particulièrement de celles qui sont engagées dans certains types d'exploitation. Aujourd'hui, il faut aussi ajouter que, face au défi que constitue l'établissement des zones de 200 milles, cette question constitue dans nombre de pays un nouvel obstacle particulièrement notable à la mise en oeuvre d'une politique de pêche étrangère rationnelle.

Vues sous cette optique, les politiques halieutiques actuelles constituent une tentative de lutter contre les graves difficultés auxquelles est confronté ce secteur, non pas seulement sur une base temporaire ou conjoncturelle, mais aussi dans l'optique de la recherche de solutions cohérentes à long terme, susceptibles de constituer la pierre angulaire du développement futur, sur des bases qualitatives plutôt que quantitatives.

L'objet de cette politique de l'Espagne peut être récapitulée autour des six thèmes ci-après:

- gestion des pêcheries sur nos propres fonds de pêche;

- réorganisation de la flottille en fonction des différents types de pêcheries dans les eaux étrangères et internationales;

- perfectionnement du système interne de commercialisation du poisson;

- politique étrangère en matière de produits de la pêche;

- politiques étrangères en matière de pêche, tant sur le plan multilatéral que bilatéral;

- expansion de l'administration des pêches, en vue de l'adapter aux nouvelles circonstances.

Il convient de noter dans ce contexte le Décret royal N° 681/1980 du 28 mars relatif à la gestion nationale des pêches, qui constitue le point de départ de la mise en place progressive des programmes de gestion correspondants, destinés à permettre en dernière analyse une restructuration de nos flottilles, grâce à la fusion de deux objectifs fondamentaux, à savoir la réglementation de la capacité de pêche et l'adaptation des navires aux fonds.

En vue de la réalisation de ces objectifs, on a adopté le principe fondamental et clairement défini de l'interdiction de tout accroissement de la pression par pêche sur les ressources ichtyologiques. L'objectif primordial consistera à optimiser le niveau technologique des flottilles affectées à chaque pêcherie, afin d'améliorer les résultats économiques obtenus. Cela signifie que les améliorations technologiques devront être compensées par l'élimination d'une capacité de pêche au moins équivalente. Simultanément, l'interaction de différents types d'activités halieutiques exercées simultanément sur les fonds sera dûment prise en compte afin de réaliser un état d'équilibre optimal.

Pour récapituler, on peut dire que, les ressources ichtyologiques n'étant pas illimitées et du fait que des mesures rigoureuses de conservation s'imposent, une gestion et un contrôle stricts de nos pêcheries constituent, logiquement, un préalable indispensable à la restructuration de la flottille. Cette dernière ne sera possible qu'une fois les limites de nos ressources ichtyologiques - tant nationales qu'internationales - établies.

Pour ce qui est de la flottille espagnole exploitant les eaux des autres pays, le secteur privé a été invité à reconnaître dans certains cas l'existence d'une capacité excédentaire. Celle-ci varie évidemment selon la pêcherie. Compte tenu des facteurs fondamentaux entièrement nouveaux et différents et en conséquence directe de l'adoption des limites de 200 milles, les instances chargées de la formulation des politiques halieutiques ont dû concevoir un programme de restructuration des flottilles qui va au-delà du processus normal de modernisation. L'élaboration d'un tel programme n'est pas chose facile. En effet, vu l'extension géographique considérable des pêcheries et la disparité des niveaux opérationnels et des techniques des flottilles correspondantes, il faut envisager la possibilité d'un accès alternatif à des fonds de pêche différents. Cela signifie qu'il faut analyser le degré de "mobilité" des navires et examiner quels engins de pêche pourraient être utilisés alternativement.

Néanmoins, la réponse espagnole la plus originale et la plus rationnelle, mise en oeuvre rapidement après l'instauration des zones de 200 milles a consisté dans la mise en place d'entreprises de pêche conjointes, autorisées par le Décret royal du 8 octobre 1976, qui permettait de maintenir les navires de pêches dans les ZEE des pays qui n'autorisaient plus les navires battant pavillon étranger à opérer sans être prêts à les remplacer par leurs propres navires et équipages.

L'article 1 de ce décret définit les entreprises de pêche conjointes comme des compagnies constituées dans un pays étranger et sujettes aux lois de ce pays, par des compagnies de pêche espagnoles répondant à la définition de la loi N° 147/1961 (Loi relative à la modernisation et à la protection de la flottille de pêche), en association avec des citoyens ou des personnes juridiques du pays en cause ou, le cas échéant, d'autres pays, en vue de l'exploitation conjointe des ressources halieutiques marines.

A cette fin, et compte tenu de la nécessité d'assurer une offre appropriée de poisson sur le marché intérieur, menacé par la nouvelle situation internationale, le Décret royal susmentionné établissait des normes aux fins ci-après:

(a) réglementation des effets des investissements de capitaux espagnols dans les pays exploitants, grâce aux entreprises conjointes;

(b) réglementation du transfert et de la vente de navires espagnols aux entreprises conjointes;

(c) réglementation de l'importation en Espagne du poisson capturé par ces entreprises.

Les entreprises espagnoles participant à des entreprises conjointes bénéficiaient des incitations habituelles à l'exportation: facilités fiscales et de crédit, crédits spéciaux aux acheteurs, garantie des risques non commerciaux, etc.

Compte tenu de la nature particulière de ce type d'activité ainsi que des circonstances spéciales dans lesquelles elles s'inscrivent, d'autres incitations ont été proposées, à savoir notamment la possibilité d'importer en franchise de droits, de taxes ou d'autres charges, une partie des captures effectuées par des navires espagnols et transbordées ou vendues par des compagnies de pêche espagnoles à des entreprises conjointes.

En conséquence, après avoir procède à une évaluation de la production prévue pour chaque entreprise conjointe, l'Administration des pêches établit pour chaque période semestrielle un contingent global total d'importations autorisées hors taxes, en fonction de la demande intérieure et des captures prévues de la flottille espagnole.

Le secteur privé de la pêche a répondu très favorablement à cette initiative. Nous avons précédemment fait état de la forte dépendance de la flottille espagnole à l'égard d'un certain nombre de fonds de pêche passant subitement sous la juridiction d'autres pays. Deux ans à peine après la promulgation du Décret, 80 unités de pêche de cette flottille opéraient déjà dans les eaux du Maroc, de l'Afrique du Sud, du Chili, de l'Argentine, de l'Uruguay, d'Haïti et du Mexique sous les pavillons respectifs de ces pays. Il convient de noter aussi que les navires en cause étaient en général des unités jaugeant en moyenne environ 900 TJB, 1 700 tonnes en charge, dotes d'un équipage de 30 hommes. Actuellement, 182 navires au total participent à des entreprises conjointes dans 14 pays, pour un total de 95 748 TJB.

Ces entreprises conjointes ont comporté l'avantage supplémentaire de retirer des fonds de pêche traditionnels actuellement soumis à des restrictions draconiennes un nombre croissant de navire de forte capacité, ce qui a permis à la flottille de s'adapter à la nouvelle situation.

Par la suite, le Décret royal 2209/1980 du 20 août établissait des règlements complémentaires, éliminant toute restriction relative à la date de construction des navires susceptibles d'être transfères. En liaison avec l'obligation de mise au rebut, cela a facilité d'autant l'élimination des unités atteintes d'obsolescence, et simultanément encouragé la construction navale.

En dernière analyse, les entreprises conjointes représentent une modalité particulière d'investissement à l'étranger, comportant des résultats immédiats en assurant une offre substitutive de poisson, précédemment satisfaite par des sources "locales" qui ont cessé d'être disponibles dans la même mesure que par le passé.

A court et à moyen terme, la législation espagnole applicable aux entreprises conjointes se traduit en fait par une assistance indirecte à l'exportation de technologies halieutiques. Le développement halieutique des pays insuffisamment dotés d'expérience, d'infrastructures techniques et d'un système de distribution en est facilité et la politique de coopération de l'Espagne avec ces pays constitue un apport important.

Enfin, sur le plan économique, les règlements espagnols en matière d'entreprises conjointes ont exercé des effets importants sur la politique de l'emploi, en préservant les emplois des membres d'équipage.

Dans le contexte de la conjoncture économique et politique mondiale des années soixante, la législation espagnole était expansionniste, celle de la seconde moitié des années soixante-dix devenant plus prudente. Au cours des dernières années, dans le contexte d'une tendance plus générale, l'Espagne a entrepris une politique d'adaptation structurelle aux nouvelles conditions.

Elle vise à ce titre, à une réduction de la flottille de chalutiers à moyenne portée, au bénéfice des flottilles de chalutiers congélateurs hauturiers et de senneurs péchant à la senne coulissante, qui disposent encore d'une marge d'expansion limitée et qui devront faire l'objet d'une transformation pour s'adapter à un coût d'exploitation accru.


Page précédente Début de page Page suivante