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1 L'AMÉNAGEMENT DURABLE DES FORETS REPENSE

Les communautés qui exploitent les ressources forestières et naturelles discutent du concept de "durabilité" depuis des décennies. A la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio de Janeiro, 1992), des responsables politiques de haut niveau ont pris l'engagement de promouvoir "l'aménagement durable des forêts" (Rio de Janeiro, 1992). Des efforts considérables ont par la suite été investis dans des processus intergouvernementaux pour définir des critères et indicateurs de l'aménagement durable des forêts1. De plus, les gouvernements ont affecté du personnel, du temps et des ressources à l'élaboration d'un programme de promotion de l'aménagement durable des forêts (ex: Groupe intergouvernemental sur les forêts, Forum intergouvernemental sur les forêts et Commission du développement durable des Nations Unies). En dépit de toutes ces initiatives, l'aménagement durable des forêts demeure un objectif vague. Cette section expose brièvement les raisons pour lesquelles ce concept est si difficile à cerner et à mettre en oeuvre.2

1.1 Les objectifs de l'aménagement durable des forêts

Toutes les références à l'aménagement durable des forêts sont vagues et ambiguës. Ce manque de précision vient du fait que l'on ne parvient pas à s'accorder sur une série de questions complexes, largement déterminées par la culture, les valeurs et les aspirations personnelles, ainsi que les craintes et les préoccupations de chacun liées à l'incertitude. Les principales questions restées sans réponse dans le débat actuel sur l'aménagement durable des forêts, sont les suivantes:

Exemple d'une tentative de définition des objectifs de l'aménagement durable des forêts 

Les participants d'une Conférence sur l'aménagement durable des forêts (tenue à l'Université de Californie en mars 1997) ont examiné les objectifs spécifiques de l'aménagement durable des forêts. Ils ont commencé par identifier ceux d'Action 21, à savoir:

· Préserver la biodiversité;

· Maintenir la productivité économique;

· Tirer profit des opportunités économiques présentes;

· Maintenir les possibilités futures;

· Respecter l'équité à travers les générations ;

· Répondre aux besoins sociaux et culturels.

Les participants ont ensuite complété cette liste par d'autres objectifs:

Certains participants ont proposé d'élargir encore cette liste de façon à inclure des dimensions humaines et non humaines, les droits en rapport avec l'environnement, les restrictions comportementales basées sur l'éthique, les régimes fonciers équitables et la création de structures politiques pour promouvoir le développement dans le respect de l'environnement.

A travers l'histoire, les systèmes d'aménagement forestier ont tendu à se concentrer sur un objectif d'importance majeure, tel que le maintien d'un certain flux de bois, la protection d'un bassin versant fragile ou la mise à disposition d'un paysage forestier attrayant, à des fins récréatives. En réalité il s'agissait le plus souvent d'une simplification analytique et opérationnelle. Les utilisateurs et les gestionnaires des ressources naturelles ont toujours eu une sorte de vénération pour le miracle des forêts qui procurent une multitude de biens et de services, souvent au même moment et sur la même surface, et qui se regénèrent pratiquement sans intervention. D'une manière générale, les systèmes d'aménagement axés sur un objectif unique (souvent la production de bois) ont cédé le pas à une approche axée sur l'écosystème, qui s'efforce de tenir compte des multiples avantages procurés par les forêts dans les décisions d'aménagement.

1.1.1 Comment concilier des objectifs contradictoires?

La reconnaissance des aspirations et des attentes des multiples parties prenantes qui se sentent concernées par l'avenir des forêts est un pas en avant certain. Toutefois, ceci nous amène à nous demander comment ces multiples objectifs peuvent être pris en compte, sachant qu'il est évidemment matériellement impossible de gérer les forêts de manière à répondre à toutes ces aspirations à la fois. Des méthodes de modélisation et d'évaluation de plus en plus complexes ont été mises au point pour quantifier toute la gamme de produits et de services écologiques que peuvent fournir les forêts, mais des concessions ou des choix devront être faits lorsqu'il s'agira de mettre en pratique les avis de politique générale. La communauté des professionnels des forêts et des groupes d'intérêt concernés est toujours à la recherche d'une méthode acceptable qui permette de concilier les différentes perceptions de l'importance ou de la valeur relative de chaque objectif d'aménagement forestier.

A une même forêt sont attachées des valeurs différentes!

Aux yeux de personnes différentes, ou d'une même personne, une même forêt peut être appréciée pour une ou plusieurs des valeurs ci-après:

· source de matières premières pour l'industrie

· source de bois de feu

· agent de protection des bassins versants

· lieu unique, pour la beauté de la nature

· réceptable à carbone

· site récréatif et éducatif

· source de devises

· lieu où chasser des animaux sauvages pour se nourrir

· vaste espace de plantation forestière

· habitat pour les populations pauvres

· lieu de pâturage

· lieu où trouver des espèces inconnues

· source de médicaments

· lieu de culte

·

Dans l'allocation des biens qui ont une valeur marchande, les prix sont le principal indicateur qui guide les décisions de production, de consommation, d'épargne et d'investissement. Or, comme beaucoup de produits des écosystèmes forestiers ne transitent pas par les marchés et sont de nature "publique", on fait souvent valoir que si l'on laissait jouer librement les facteurs du marché, les investissements de conservation et d'aménagement des forêts seraient beaucoup trop faibles. Cependant, encourager l'investissement et la conservation par d'autres moyens implique des choix qui doivent être analysés dans le cadre d'un système de valeurs communément accepté. Les valeurs déterminent le "poids", ou l'importance, de chacun des objectifs de l'aménagement durable, mais elles varient considérablement suivant les individus et sont rarement exprimées en des termes utiles sur le plan opérationnel. Pour résumer, à défaut d'un accord sur les objectifs et sur leur importance relative, il est impossible de se prononcer sur la durabilité de l'aménagement d'une forêt.

1.1.2 L'incertitude

La difficulté de concilier les objectifs contradictoires de l'aménagement forestier est aggravée par l'incertitude. Il faut parfois 50 ans, sinon plus, pour qu'une forêt développe un habitat particulièrement adapté à certaines espèces de la faune et de la flore sauvages ou produise du bois de la dimension souhaitée. Cette période est plus longue que pour la plupart des autres cultures ou produits industriels, et rend encore plus complexe la définition de l'aménagement durable des forêts. Les experts techniques ont rarement les mêmes points de vue sur l'impact final d'une pratique d'aménagement sur l'écosystème forestier. Ceci s'explique en partie par le caractère extrêmement complexe de cet écosystème, mais aussi par le fait qu'il faut des années, sinon des décennies, pour obtenir des résultats fiables à partir d'interventions menées à titre expérimental en forêt.

1.1.3 Dimensions spatiales et temporelles

L'altération des forêts par l'homme ne date pas d'hier. Des témoignages anthropologiques et écologiques indiquent que les hommes vivent dans les écosystèmes forestiers et les modifient à leur avantage depuis des siècles.

Les dimensions spatiales et temporelles de l'aménagement durable des forêts viennent encore compliquer le problème. Les dimensions spatiales de l'aménagement durable des forêts alimentent des discussions animées, souvent entre parties prenantes ayant des points de vue similaires. La question est de savoir quelle est l'échelle appropriée pour évaluer l'aménagement durable des forêts: un peuplement d'arbres, un bassin versant, un paysage, un pays ou le monde entier?

De même, l'horizon de planification de l'aménagement durable des forêts est lui aussi mal défini. Le responsable de l'aménagement d'une forêt doit-il chercher à garantir la durabilité sur 50, 100 ou 150 ans, ou viser une durabilité éternelle? Il paraît évident que le concept doit être entendu dans le sens de la perpétuité, mais il faut absolument avoir présent à l'esprit que les écosystèmes forestiers ne sont pas statiques. Avec ou sans intervention humaine directe, les forêts évoluent constamment, sous l'effet de forces naturelles qui les modifient, telles que le feu, la sécheresse, les ravageurs et les maladies. Même sans intervention humaine, le domaine forestier actuel est différent de ce qu'il sera dans cinquante ans, ou même parfois dans 20 ans.

Les écosystèmes forestiers ne sont pas statiques

Les forêts et les écosystèmes forestiers évoluent constamment sous l'effet de changements naturels ou provoqués par l'homme. Ces changements sont souvent mesurables, même s'ils ne sont pas dus à l'intervention de l'homme. Les écosystèmes forestiers doivent être gérés activement pour atteindre le plus grand nombre possible d'objectifs de conservation et de développement.

Enfin, il faut tenir compte des revirements de l'opinion publique sur la manière dont les forêts devraient être gérées, en raison de la longueur de la période de production. Au cours des vingt dernières années, la perception du rôle des forêts dans l'économie, dans l'environnement et dans les sociétés a considérablement varié. En principe, les options de rechange devraient être jugées par rapport aux objectifs à long terme de l'aménagement durable des forêts. Ces objectifs devraient refléter les valeurs de la société, mais doivent-ils refléter les valeurs de la société d'aujourd'hui, des générations futures, ou des deux à la fois? Souvent, les partisans de l'aménagement durable des forêts se réfèrent aux valeurs, aux aspirations et aux besoins des générations futures, mais existe-il vraiment une méthode concrète pour les estimer?

1.1.4 L'équité

Enfin, le débat sur l'aménagement durable des forêts témoigne des préoccupations suscitées par l'équité, ou la juste répartition des avantages procurés par les forêts. L'aménagement des forêts comporte de nombreuses dimensions de l'équité, essentiellement parce que, dans les pays en développement, les catégories les plus pauvres tendent à vivre à l'intérieur ou à proximité des forêts. Toutefois, les conséquences de l'aménagement durable des forêts, du point de vue de l'équité, varient en fonction du type d'amélioration qui est envisagé.

Par exemple, l'amélioration de l'aménagement et de l'exploitation d'une forêt commerciale serait bénéfique pour un grand nombre de pauvres (notamment, en réduisant les coûts environnementaux hors-site), et les coûts seraient à la charge d'un petit nombre de parties prenantes (habituellement puissantes). Toutefois, il pourrait être néfaste sur le plan de l'équité, de mettre un terme au processus de défrichage généralisé des forêts par des petits agriculteurs, dans le but de réduire la déforestation. Comme le montrent ces exemples, l'aménagement durable des forêts peut avoir des conséquences positives et négatives sur le plan de l'équité.

L'impuissance relative des politiques forestières à résoudre les problèmes d'équité demeure un obstacle majeur à la généralisation de la mise en _uvre de l'aménagement durable des forêts. La discussion est encore aggravée par des idées très ancrées sur les moyens à employer pour résoudre ces problèmes: réformes des marchés, des politiques ou des institutions. Une analyse technique et économique peut certes jouer un rôle, mais l'équité des opérations des marchés est largement déterminée par des interventions politiques. Il reste utile de rappeler que les attitudes jugées équitables et les définitions de l'équité diffèrent parfois considérablement, selon les cultures et les intérêts des parties prenantes.

1.2 Nécessité de s'orienter vers un processus d'amélioration continue de l'aménagement des forêts

Vu la difficulté de cerner le concept de l'aménagement durable des forêts, tout porte à croire qu'il restera imprécis. C'est pourquoi, de nombreux analystes estiment que les politiques forestières devraient promouvoir des décisions contribuant à améliorer l'aménagement durable des forêts (quelque soit le sens donné à ce concept) ou, tout au moins, propres à éviter les pratiques sylvicoles qui sont manifestement contraires à la durabilité. Ce "processus d'amélioration continue" ou "d'utilisation respectueuse de l'environnement" peut être vu comme une série de "poteaux de buts", basés sur les meilleures informations actuellement disponibles (quoiqu'encore imparfaites) et pouvant servir de guide pour les décisions d'aménagement forestier. Ce point de vue séduira ceux qui, comme les responsables des politiques forestières, s'intéressent plus à l'application pratique de l'aménagement durable des forêts qu'aux détails théoriques.

1 Bien que le sujet central de ce document soit l'aménagement durable des forêts utilisées pour la production de bois, on notera que les politiques forestières sont censées répondre à une série d'objectifs plus généraux, tels que ceux cités dans la Déclaration de 1992 sur les principes relatifs aux forêts, à savoir: "l'aménagement, la conservation et le développement durable de tous les types de forêts".

2 Un document complémentaire de Contreras (1999) examine en détail ce sujet, en s'appuyant sur de nombreux exemples excellents.

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