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4 DEFAILLANCES DES MARCHES, DES POLITIQUES ET DES INSTITUTIONS

Comme l'a montré l'analyse qui précède, les connaissances techniques sont suffisantes pour mettre au point des pratiques d'aménagement durable des forêts et les marchés mondiaux des produits forestiers ne représentent pas une contrainte majeure; au contraire ils offrent toute une série de possibilités d'atteindre les objectifs de l'aménagement forestier durable. Pourtant, l'aménagement durable des forêts est relativement peu appliqué, surtout dans les régions tropicales. Ceci est dû au fait que les marchés ne favorisent pas les pratiques sylvicoles "durables". En outre, les défaillances des marchés sont souvent aggravées par des défaillances des politiques et des institutions qui font qu'il est encore moins attrayant de gérer les forêts dans une optique de durabilité. De nouvelles initiatives, telles que les "forêts modèles", la certification des produits forestiers et la mise au point de critères et indicateurs de l'aménagement durable des forêts, sont en cours pour corriger certaines de ces défaillances, mais il reste encore beaucoup à faire.

4.1 Défaillances des marchés

Les marchés sont inefficaces pour susciter des investissements économiquement rentables dans la gestion des ressources naturelles, si:

Exemples de quelques-unes des principales " externalités " des forêts

1. Stockage du carbone;

2. biodiversité et habitat;

3. récréation;

4. effet d'ordre esthétique;

5. qualité et quantité des ressources en eau;

6. stabilité du sol;

7. valeurs sociales et culturelles;

8. valeurs d'existence.

Dans le secteur forestier, la plus grande défaillance des marchés est sans doute leur incapacité à prendre en considération certaines externalités importantes associées à l'aménagement des forêts. Les forêts fournissent toute une gamme de produits - tels que aliments, bois de feu et matériaux de construction - qui sont consommés au niveau local et difficilement quantifiables. En outre, elles fournissent divers services qui sont difficilement commercialisables. Certains sont plutôt localisés (ex: protection des sols et de la qualité de l'eau, faune et flore sauvages, activités récréatives et esthétique), alors que d'autres peuvent être demandés aussi bien au niveau local qu'international (ex: conservation de la diversité biologique et fixation du carbone). Il est difficile de gérer ces externalités qui ont des caractéristiques physiques différentes suivant les écosystèmes, et des valeurs différentes suivant le contexte économique et culturel. Il s'ensuit que le régime d'aménagement optimal pour chaque type de forêt ne peut être déterminé que sur la base des conditions locales.

L'aménagement durable des forêts suppose que les responsables investissent dans le but d'obtenir certains de ces produits ou fonctions. Certains investissements pourraient être financièrement viables (ex: techniques d'exploitation à faible impact), mais ne sont pas faits en raison de défaillances des politiques dans d'autres secteurs (ex: là où les gouvernements fixent des prix trop bas pour le bois sur pied). D'autres ne procureraient aucun gain financier, ou presque, au responsable de l'aménagement (ex: réduction des activités d'exploitation sur des stations forestières fragiles). Plusieurs études ont prévu que la mise en _uvre de l'aménagement durable des forêts aurait un coût élevé, ce coût prenant toutefois essentiellement la forme d'une limitation des recettes découlant de la restriction de quelques activités d'exploitation, plutôt que d'une dépense financière. On ne peut donc pas dire que l'aménagement durable des forêts n'est pas rentable, mais il l'est moins que l'exploitation non réglementée.

Le troisième type de défaillance des marchés, dans le secteur forestier, se produit lorsque des problèmes de propriété commune affectent la gestion de la ressource forestière, celle-ci étant partagée entre plusieurs parties. La propriété partagée des forêts a souvent conduit à la dégradation de la ressource (tragédie des biens communs), car ce système décourage l'investissement. Normalement, ceci conduit à surexploiter la ressource et à sacrifier sa gestion. Ce problème peut être résolu en attribuant des droits de propriété sur tout ou partie des produits forestiers (par exemple: eau, bois et fourrage). Toutefois, pour des raisons d'équité, il est difficile d'attribuer ces droits.

4.2 Défaillances des politiques

La réponse la plus classique à une défaillance du marché consiste à concevoir et à mettre en _uvre des politiques pour tenter, soit de réguler la production, soit de créer des marchés pour certaines externalités. Par exemple, de nombreux pays ont une législation forestière abondante et détaillée qui classe les surfaces de forêt en fonction de leurs utilisations possibles et précise la manière dont elles devraient être aménagées. D'autres prévoient des subventions pour favoriser les interventions souhaitables et des amendes ou des sanctions pour décourager les mauvaises pratiques. Cependant d'autres politiques intérieures et extérieures au secteur forestier contrecarrent ou atténuent l'effet de ces mesures.

Dans beaucoup de pays, le gros problème vient de la fixation incorrecte des prix des produits forestiers. En général, ces politiques, qui ont souvent pour but de stimuler le développement du secteur forestier, fixent le prix du bois rond sur pied à un niveau beaucoup plus bas que si l'on avait laissé jouer librement les lois de la concurrence. En outre, les politiques de prix sont souvent mal conçues, tant du point de vue de la structure des prix que du niveau des charges imposées, et leur application n'est pas toujours rigoureuse.

Partout dans le monde, les exemples de prix et de niveau de recouvrement des droits trop bas abondent. Or ces politiques ont des inconvénients: elles sont contraires à l'efficience de l'exploitation et de la transformation, dissuadent de mettre au point d'autres sources de bois et de fibres et conduisent à une allocation inefficace des ressources nécessaires au développement (terre, travail et capital) vers le secteur forestier. En d'autres termes, elles vont à l'encontre de l'objectif d'amélioration de la gestion des forêts. Un autre problème vient des interdictions frappant l'exportation de produits forestiers bruts ou semi-transformés, qui font baisser les prix du bois rond coupé et des produits forestiers, sur les marchés locaux. Ces prohibitions ont des effets similaires à l'établissement de prix trop bas pour les arbres sur pied.

La majorité des subventions accordées au secteur forestier (sous la forme de prix trop bas pour les ressources forestières) sont capturées par les exploitants des concessions et par les industries forestières, même si une partie des bénéfices de certaines activités, notamment d'exploitation illicite (où aucune redevance n'est versée) est répercutée sur les consommateurs. Ces subventions permettent aux opérateurs les plus inefficaces d'équilibrer tant bien que mal, alors que les autres retirent des profits très élevés. Les industriels du secteur forestier font souvent valoir qu'ils n'ont pas les moyens de payer le bois sur pied plus cher ou d'investir dans l'aménagement durable des forêts, mais une foule d'exemples démontrent qu'il n'en est pas ainsi. On peut donc en déduire que s'ils y étaient obligés, de larges segments du secteur forestier pourraient investir dans de meilleurs pratiques sylvicoles, même s'ils ont peu de chances de pouvoir répercuter les coûts sur les consommateurs.

Un certain nombre de politiques extérieures au secteur ont aussi un impact négatif sur la gestion du domaine forestier. Les plus typiques sont celles qui encouragent le développement d'autres utilisations des terres, telles que exploitation minière, agriculture, routes et développement urbain. Ces politiques peuvent parfois se justifier au nom de l'efficience économique (ex: promotion d'une utilisation des sols de plus grande valeur), mais ce n'est pas toujours le cas. On a parfois aussi constaté que des programmes d'ajustement structurel plus généraux avaient un impact négatif sur l'aménagement des forêts. Le débat actuel sur l'aménagement durable des forêts est du reste sans intérêt à cet égard. Les pays continueront à convertir des terres forestières à d'autres usages tant que ce sera plus rentable de le faire. Les responsables des politiques forestières n'ont pas assez de pouvoir pour s'opposer à ce processus. Il serait plus constructif de chercher à améliorer la planification globale de l'utilisation des terres et d'accorder des indemnisations lorsque ces changements interviennent, et de promouvoir une meilleure gestion des forêts dans les autres zones.

L'autre grande carence des politiques forestières est le cadre juridique qui gouverne les modes d'occupation des terres et l'attribution de titres fonciers. Les lois et les réglementations nationales sont souvent en conflit entre elles ou avec la législation locale et bien souvent, elles ne prennent pas en compte les lois dérivant de la tradition ou de la coutume, qui sont souvent celles qui ont le plus d'impact sur la gestion des forêts dans les zones éloignées. Cela crée une incertitude qui exacerbe encore les problèmes de propriété commune, auxquels nous avons déjà fait allusion. Il arrive même que les lois régissant la jouissance des terres et l'attribution de titres fonciers encouragent le déboisement. C'est le cas lorsque, pour espérer obtenir des droits de jouissance légaux sur des forêts du domaine public, des individus doivent démontrer qu'ils ont amélioré la terre ou investi d'une manière ou d'une autre à cette fin. Or, dans de nombreux pays, la jurisprudence montre que l'un des moyens les plus couramment employés à cette fin est de défricher la forêt et de la remplacer par une autre culture.

4.3 Défaillances des institutions

On parle de défaillance institutionnelle dans les pays où des politiques et une législation forestières adéquates sont en place pour soutenir la mise en _uvre des divers aspects de l'aménagement durable des forêts, mais où il ne se passe rien sur le terrain car ces politiques ne sont pas appliquées. De fait, on considère souvent que le maintien des mauvaises pratiques sylvicoles est davantage dû à la non-application des politiques forestières existantes qu'à la qualité des politiques et des législations déjà en place.

Par bien des aspects, les défaillances institutionnelles peuvent être considérées comme un prolongement des défaillances des marchés. Souvent, les gouvernements allouent aux administrations forestières un budget insuffisant pour qu'elles puissent s'acquitter comme il convient des tâches qui leur sont assignées et offrir une formation suffisante à leur personnel. Les problèmes de propriété commune associés au secteur forestier s'appliquent autant aux institutions gouvernementales qu'aux particuliers. Ainsi, il n'est pas rare de voir différents organismes publics offrir des concessions pour des activités incompatibles (extraction minière, extraction de tourbe, développement du domaine de palmiers à huile et exploitation forestière) sur une même pièce de terre. La répartition des avantages (revenus, emploi et recettes fiscales) entre les autorités locales et nationales varie aussi souvent suivant les secteurs. Les institutions qui tentent de contrôler les opérations à partir du centre et où une proportion importante des recettes va au gouvernement national ont généralement du mal à mettre en _uvre des politiques sur des zones très dispersées et, malheureusement, c'est souvent le cas des administrations forestières.

Un autre défaillance institutionnelle résulte souvent de la répartition inégale des moyens financiers, des compétences et des pouvoirs des différentes parties-prenantes. Les responsables de la gestion des forêts et les industries de transformation forestières sont normalement mieux nantis, à tous ces points de vue, que les fonctionnaires du gouvernement et les communautés locales. Cette situation peut favoriser la corruption des fonctionnaires et des dirigeants locaux et empêcher d'autres utilisateurs des forêts d'obtenir qu'il soit tenu compte de leurs préoccupations dans les décisions.

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