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Préface

En 1998, le Directeur général de la FAO a convoqué un Panel d'experts de haut niveau1 chargé de passer en revue et de formuler des recommandations sur les activités du Département Economique et Social (ES) de la FAO. Le panel a notamment recommandé que les priorités de la Division de l'Analyse du Développement Economique et de l'Agriculture (ESA), en matière de recherche, soient centrées sur l'identification systématique des principaux problèmes actuels et émergents pour l'analyse économique et de politiques, et des lacunes existant au niveau des connaissances de ces problèmes. Le panel a également recommandé que le processus d'identification et de hiérarchisation des thèmes à envisager s'inspire de la vaste expérience et du travail aux échelons national et régional des capacités décentralisées de la FAO en matière d'aide aux politiques et, d'une manière plus générale de la présence de l'Organisation dans les pays et les régions.

Dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations du panel, une consultation a été organisée auprès de toutes les équipes de politiques régionales et sous-régionales de la FAO et du personnel détaché à l'étranger du Département économique et social. Le principal outil de cette consultation était un questionnaire axé sur les « tendances principales » en matière d'alimentation, d'agriculture et de développement rural, à savoir : a) les modifications au niveau du rôle et des fonctions de l'Etat et leurs répercussions sur l'agriculture et l'alimentation ; b) la libéralisation du commerce, la mondialisation et la dépendance accrue vis-à-vis des espaces régionaux ; c) la pauvreté, l'inégalité, l'insécurité alimentaire et la prévention et les secours d'urgence ; d) la croissance démographique, l'urbanisation et les changements connexes quant aux exigences faites à l'agriculture et aux pressions croissantes exercées sur les ressources naturelles et l'environnement ; e) le développement de la recherche et de la technologie et l'inégalité d'accès.

Les réponses apportées à ce questionnaire ont été analysées au sein de la FAO et révisées par des experts externes de façon à compléter les opinions émises par le personnel hors-siège et proposer un petit nombre de thèmes pouvant faire l'objet d'une analyse plus approfondie. Les études approfondies choisies ont été confiées à des spécialistes des domaines respectifs et présentées et analysées lors d'un mini-symposium tenu à Berlin en août 2000, durant les réunions de l'Association internationale des économistes agronomiques.

Le résultat final des différentes démarches décrites plus haut constitue la matière de cette publication sur les « problèmes actuels et émergents »qui comprend (a) un chapitre contenant une synthèse des réponses consolidées apportées au questionnaire lors des consultations internes, enrichies de plusieurs suggestions et (b) plusieurs études approfondies menées par des experts sur les thèmes suivants : (i) nouvelles tendances de la réflexion sur les conséquences pour le développement rural et le secteur agricole ; (ii) pauvreté rurale : causes caractéristiques et stratégies de combat, en particulier en Amérique latine ; (iii) institutions, réformes et productivité agricole ; et iv) migration et problèmes de pauvreté.

Vision générale des contenus

Dans le chapitre d'introduction intitulé « Résumé des résultats de l'enquête », Viciani, Stamoulis et Zezza présentent une synthèse des réponses apportées au questionnaire sur CUREMIS. L'enquête sur chacune des sphères thématiques comprises dans le questionnaire a mis en relief un certain nombre de thèmes de recherche importants qui sont résumés dans ce chapitre. Mais le résultat sans doute le plus surprenant de ces enquêtes est l'importance considérable accordée par toutes les personnes interrogées, indépendamment de leur origine géographique et de leur domaine de spécialisation, au thème de la pauvreté et son incidence en termes de sécurité alimentaire. Ceci constitue en soi un indicateur clair du concept fondamental qui devrait orienter les priorités futures de la recherche pour la FAO et d'autres institutions. Un autre trait saillant de cette enquête est que les réponses reçues font état de deux types de lacunes absolument différents : la première est une lacune éventuelle quant au degré de connaissances et la deuxième est une lacune au niveau de la communication et de la pertinence pratique des études menées par les institutions officielles de recherche par rapport aux responsables de la prise de décision dans les régions en développement. Cette dernière déficience n'est pas moins importante que la première, car la combler contribuerait tout autant à l'élaboration de politiques mieux informées.

Dans l'étude intitulée « Nouvelles tendances de la réflexion sur le développement et conséquences pour l'agriculture » (conçue comme un document d'ensemble), Maxwell et Percy passent en revue l'opinion actuellement prédominante en ce qui concerne les secteurs du alimentaire, agricole et du développement rural parmi les principaux agents participant au débat sur les politiques (FAO, Banque mondiale et IFPRI), pour ensuite la situer dans le contexte du discours général à propos du développement. D'une longue liste de thèmes possibles, l'étude se centre sur la réflexion sur les aspects suivants : a) la pauvreté, l'exclusion sociale et les moyens d'existence durables, b) la mondialisation, c) le « Consensus post-Washington », et d) l'assistance. La réflexion sur les secteurs de l'alimentation, de l'agriculture et du développement rural en ce qui concerne les points a) à d) s'accorde-t-elle avec les tendances de la réflexion sur le développement en général ? Quel degré et quels types d'ajustements faut-il apporter à notre réflexion sur l'alimentation, l'agriculture et le développement rural ? La conclusion principale de cette étude est que l'opinion actuelle sur les aspects du développement mentionnés plus haut interpelle le consensus actuel en matière d'alimentation, d'agriculture et de développement rural, mais d'une façon plus évolutive que révolutionnaire. Les débats dans ce domaine devraient se centrer davantage sur les éléments suivants : les dimensions non-matérielles de la pauvreté (rurale) ; la vulnérabilité sociale ; le rôle des systèmes non formels de protection sociale : l'utilisation plus effective des « approches basées sur les droits » ; l'évaluation de l'incidence de la mondialisation sur les habitants des zones rurales et les biens publics mondiaux ; le rythme et l'échelonnement de la libéralisation (réformes des institutions et des marchés) ; l'identification des succès et des échecs dans l'application des nouveaux « instruments » ou nouvelles « technologies » au niveau de l'aide et des partenariats entre donateurs et bénéficiaires.

Malgré l'importance croissante accordée à la pauvreté en général au cours des dernières années, la pauvreté rurale n'a pas eu la place qu'elle mérite, étant donné son ampleur et sa gravité, dans le discours sur le développement que ce soit à l'échelon national ou des institutions internationales de développement. Dans l'étude intitulée «  Pauvreté rurale en Amérique latine: tendances récentes et nouveaux enjeux », Valdés et Mistiaen se penchent sur différents aspects de la pauvreté rurale et donnent des exemples spécifiques d'études de cas menées dans la région de l'Amérique latine. Ils analysent ensuite les mesures de la pauvreté et les caractéristiques des pauvres des zones rurales (localisation, activité, sources de revenu, caractéristiques démographiques). L'étude des déterminants de la pauvreté met en évidence le manque d'accès aux avoirs productifs ; l'absence d'activités économiques concentrées là où vivent les pauvres ; l'immobilité de la population rurale en raison d'un manque de compétences ; un déficit de dépenses sociales. Certaines informations recueillies dans l'étude semblent prouver que la croissance globale exerce des effets bénéfiques sur la pauvreté , que « l'imposition » agricole a une incidence négative sur la pauvreté, et que les possibilités de migration présentent une grande importance. Quant aux déterminants au niveau des ménages, l'étude fait ressortir les effets négatifs de la taille des familles et du ratio de dépendance, et le faible rentabilité de l'éducation dans les activités agricoles. Cette analyse rend également compte de la « synergie » existant entre les biens et les services publics dont l'impact se voit renforcé ( l'effet bénéfique des « bouquets » de services). Les auteurs proposent que les recherches futures visent à : a) mieux comprendre qui sont les pauvres et pourquoi ils ne peuvent sortir de la pauvreté ; b) mieux comprendre le rôle des activités rurales non-agricoles et comment les encourager là où vivent les pauvres ; c) mieux comprendre la spécificité de la situation des femmes et des groupes autochtones ; d) mieux comprendre le rapport entre la pauvreté et la dégradation des ressources ; e) parvenir à une approche rurale plutôt que simplement agricole dans l'analyse de la pauvreté ; f) l'incidence de la décentralisation sur la pauvreté, et g) le rôle et le fonctionnement des marchés ruraux des facteurs.

Dans l'étude intitulée « Institutions, réformes et rendement agricole », P. Bardhan examine le rôle des institutions en tant qu'agent de promotion ou de frein du développement. Un aspect important à cet égard est le dysfonctionnement persistent de certaines institutions. L'auteur suggère que le « fossé » entre les institutions existantes et d'autres plus « pertinentes » peut trouver son explication dans les économies d'échelle, les externalités résultant de l'apprentissage et du réseautage, ainsi que les modèles mentaux ou les normes sociales. Pourquoi certaines réformes qui, si elles étaient mises en œuvre, pourraient être bénéfiques à toutes les parties, sont-elles souvent « bloquées » ? L'étude fait ressortir plusieurs grands facteurs : le manque d'engagement crédible de la part des gouvernements ; le caractère diffus et incertain des bénéfices éventuels du changement ; la crainte d'une modification des capacités relatives de négociation des parties à la suite des réformes.

Ces concepts sont ensuite appliqués à l'étude du rôle des institutions dans la mise en œuvre de la réforme agraire et des réformes en matière de fixation des prix et de commercialisation dans le secteur agricole. Pour ce qui est de la réforme agraire, par exemple, la crainte, de la part des propriétaires terriens, de perdre leur influence politique, leur pouvoir de négociation et leurs garanties (nantissement) peut constituer un obstacle à une redistribution des terres qui pourrait se traduire par un «accroissement du gâteaux» bénéfique à chacune des parties. L'étude aborde ensuite le thème de l'échelonnement des réformes et de l'importance de former des alliances (entre organisations publiques, privées et civiles) et prévoir des compensations de façon à établir des partenariats permettant la réalisation des réformes. Finalement, l'auteur suggère plusieurs aspects liés aux institutions pouvant faire l'objet de recherches futures, à savoir : a) des études comparatives et historiques permettant de déceler les arrangements institutionnels qui peuvent expliquer les différences entre les pays sur le plan des résultats du développement ; b) les aspects liés au sexe dans les réformes agricoles ; c) le rôle des droits de propriété intellectuelle en termes de croissance agricole ; d) l'importance des conflits associés à la redistribution et leur incidence sur la croissance et la productivité ; et e) l'importance des mécanismes institutionnels en matière d'adduction d'eau et de fixation des prix.

Le constat suivant va sans doute faire de la migration le thème principal de l'agenda du développement durant le vingt-et-unième siècle : a) l'exode rural à l'échelon mondial ne cesse de s'intensifier ; b) les pays les plus peuplés sont aussi parmi les plus ruraux. Les débats actuellement à l'ordre du jour dans plusieurs pays développés quant à la manière d'affronter la nouvelle vague de migration en provenance des pays en développement témoignent du caractère actuel de ce problème. Les réponses à d'importantes questions quant aux causes de la migration, à ses effets sur la productivité dans les zones rurales et au rôle des envois de fonds sont loin d'être unanimes. Les politiques en matière de migration dans les pays de destination des migrants font l'objet de vives controverses. Tels sont quelques uns des thèmes abordés dans l'article intitulé « Migration : nouvelles dimensions et caractéristiques, causes, conséquences et répercussions en termes de pauvreté rurale », écrit par J.E. Taylor. Dans cette étude, l'auteur propose d'analyser les problèmes liés à la migration dans le cadre de la « nouvelle économie de la migration du travail ». Ce cadre d'analyse se caractérise par une grande richesse au moment d'expliquer la pléthore de facteurs qui conduisent les individus à prendre la décision d'émigrer , ainsi que les effets éventuels de la migration dans les économies d'origine et d'accueil des migrants. A la lumière de la nouvelle économie de la migration du travail, la décision d'émigrer est adoptée par un ménage en fonction des incitations et des limitations rencontrées. La migration et les envois de fonds qui en résultent ont une incidence à la fois positive et négative sur le bien-être des communautés et des familles rurales, incidence qui varie en fonction du type de famille/communauté et avec le temps (effets à long et court terme). A court terme, la perte de main d'œuvre suite à la migration peut se traduire par une baisse de la production agricole , alors qu'à long terme, les envois de fonds effectués par les migrants peut améliorer l'accès de la famille aux actifs grâce en atténuant les contraintes en matière de crédit, ce qui se traduit notamment par une hausse de la production agricole et des revenus des ménages. Les envois de fonds des migrants peuvent également avoir des effets de plus grande envergure sur le revenu des communautés rurales (y compris sur la distribution) , ainsi que sur la pauvreté moyennant l'effet d'entraînement des dépenses et les rapports amont aval de la production. Cependant, comme le souligne l'étude, le rapport entre la pauvreté et la migration n'a pas été suffisamment étudié. Il faut se pencher de plus près sur les effets à long et à court terme de la migration (et des envois de fonds) sur l'agriculture, la pauvreté, la sécurité alimentaire et la répartition du revenu. Il faut également orienter la recherche, analysant les effets de la migration sur les marchés du travail, sur des technologies adéquates, dans les zones d'origine des migrants, qui tiennent compte de l'incidence de la migration sur la disponibilité de la main d'œuvre et du capital. L'auteur propose d'avoir recours à une modélisation, au niveau de l'ensemble de l'économie locale, comme instrument empirique approprié à l'étude des répercussions de la migration sur les communautés rurales.

Il est important de souligner que cette recherche sur les « Problèmes actuels et émergents pour l'analyse économique et la recherche de politiques »ne prétend pas proposer un agenda de recherche à la FAO. Cette institution n'étant pas, pour l'essentiel, un organisme de recherche, elle ne pourrait couvrir qu'une part restreinte des besoins de recherche identifiés ici. Cette étude vise plutôt à détecter des domaines prioritaires de recherche pour la communauté scientifique et tous ceux qui sont plus directement concernés par les politiques de développement.

Jacques Vercueil2

Kostas G. Stamoulis2

Rome, décembre 2000.




1 Le Panel était composé comme suit : Présidence : Dr. Alberto Valdés, conseiller hors classe, Banque mondiale, Washington D.C., Etats-Unis . Vice-Présidence : Dr. Assia Bensalah Alaoui, Professeur de droit international, Rabat, Maroc. Membres : Dr. Ke Bingsherg, Directeur général, Centre de recherche sur l'économie rurale, Ministère de l'agriculture, Beijing, Chine ; Dr. Per Pinstrup-Andersen, Directeur général, International Food Policy Institute, Etats-Unis ; Dr. Ruth K. Oniang'o, Professeur de sciences alimentaires et de nutrition, Nairobi, Kenya ; Dr. Benjamin H. Senauer, Professeur d'économie agricole et appliquée, Minnesota, Etats-Unis.

2 Jacques Vercueil est directeur et Kostas G. Stamoulis est économiste hors-classe, de la Division de l'analyse de l'agriculture et du développement économique (ESA), Département économique et social, FAO, Rome.


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