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Résumé des résultats de l'enquête

Franco Viciani

Kostas G. Stamoulis

Alberto Zezza



Franco Viciani et Alberto Zezza sont consultants, et Kostas G. Stamoulis économiste hors classe, Division de l'agriculture et de l'analyse du développement économique (ESAE), FAO, Rome.




I. Introduction

La première étape de l'exercice CUREMIS est une enquête menée parmi l'ensemble des autorités régionales et sous-régionales chargées de la formulation de politiques et le personnel hors-siège du département économique et social de la FAO. L'enquête s'est basée sur le questionnaire qui leur a été distribué et qui était structuré autour des "principales tendances en matière d'alimentation, agriculture et développement rural" identifiées au cours du processus d'élaboration du Cadre Stratégique de la FAO, à savoir :

Puis, les unités du siège central de la FAO et certains experts indépendants ont révisé et commenté une synthèse consolidée des réponses au questionnaire. Le résultat du processus est résumé dans ce chapitre. Son contenu entend refléter, le plus fidèlement possible, les opinions exprimées par le personnel hors-siège de la FAO. Les commentaires formulés par les unités de la FAO et les experts indépendants ont principalement été utilisés afin d'introduire des concepts et des thèmes à discuter.

L'objectif de ce procédé est de présenter les opinions des personnes traitant des problèmes quotidiens à l'échelon national. Le personnel de la FAO des bureaux régionaux et sous-régionaux a accès à la formulation de politiques dans les pays de leur région, et par conséquent, est le mieux placé pour "tâter le pouls" de ce que les gouvernements considèrent comme des problèmes importants qui requièrent davantage d'informations ou d'analyses pouvant fournir une base plus solide à la formulation et l'application de décisions en matière de politiques. Il est ainsi jugé utile d'assumer la réalisation d'une fonction d'intermédiaire entre, d'une part, les besoins de politiques perçus par les gouvernements et la communauté chargée de la formulation de politiques, et d'autre part, les programmes d'institutions universitaires et de recherche (y compris les organismes internationaux). En d'autres termes, le fait de rendre publique la façon dont les problèmes de politiques sont perçus au niveau opérationnel peut favoriser la comparaison avec la perspective plus savante de tels problèmes, ou bien à travers d'exercices similaires réalisés par d'autres organisations (par exemple, l'IFPRI). On espère qu'une telle comparaison puisse conduire à des conclusions fructueuses en matière de politiques futures et de travaux de recherche économique.

L'objectif général de CUREMIS est de proposer à la communauté de chercheurs à l'intérieur et à l'extérieur de la FAO une série de thèmes qui méritent davantage d'analyses économiques. Cependant, l'objectif spécifique de l'enquête résumée dans ce chapitre n'est pas d'être le "nec plus ultra" de la révision des thèmes susceptibles d'être abordés par la recherche. Il s'agit plutôt de fournir des idées et des invitations à la recherche, dont certaines feront l'objet de publications ultérieures de CUREMIS, qui seront diffusées tous les deux ans par la FAO.

De toute évidence, un grand nombre de thèmes proposés par les personnes ayant répondu au questionnaire de la FAO ont fait l'objet d'une recherche de politique plus ou moins exhaustive. Leur prise en compte obéit à plusieurs facteurs : par exemple, les résultats de la recherche n'ont pas été diffusés de façon adéquate et requièrent, par conséquent, d'une diffusion plus large ; ou bien ils n'ont pas été appréhendés de façon pertinente au niveau opérationnel, et par conséquent, doivent être explicités en termes plus clairs et leurs conséquences opérationnelles doivent être analysées de façon plus approfondie. En effet, il se peut que la recherche ait été menée à un niveau trop abstrait, sans référence directe à des prescriptions de politiques pertinentes; ou bien que les résultats de la recherche ne correspondent pas exactement à la réalité de la situation spécifique des pays, et par conséquent, requièrent une adaptation aux différents cas dans les différentes régions, pays, réalités locales, groupes de populations spécifiques, etc. Ou encore, à nouveau, il se peut que les prescriptions de politiques liées aient été expérimentées mais n'aient pas donné les résultats attendus, peut-être parce qu'elles n'étaient pas vraiment pertinentes, ou bien en raison d'une capacité de mise en place inadéquate, d'inefficacité, de pressions exercées par des groupes d'intérêt, de corruption, etc. Il est également possible qu'une certaine confusion existe quant aux conséquences en matière de politiques de différents paradigmes contradictoires ou incompatibles entre eux, ce qui entraîne un sentiment de perplexité et, parfois, un immobilisme ou des changements de direction à mi-parcours durant la phase de mise en application.

A quelques rares exceptions près, les réponses au questionnaire ne font état d'aucune tentative de remplir les "lacunes". Ces lacunes pourraient fournir des pistes intéressantes (dans la même ligne que ce qui a été mentionné plus haut) en ce qui concerne les différences de perception entre les responsables de la formulation des politiques et ceux chargés de la recherche en matière de politiques dans les centres universitaires et qui ont un accès plus facile, précis et complet à la littérature actuelle sur les thèmes en rapport.

Encore un mot d'avertissement sur les limitations des résultats de l'enquête : bien que la définition au sens large du mot "agriculture" inclut les pêches et les forêts, ces deux domaines n'ont pas été abordés de façon spécifique dans le questionnaire. Par conséquent, le résumé ne contient que quelques remarques "superficielles" sur ces domaines. On espère pour bientôt la réalisation d'un exercice similaire portant sur ces deux importants sous-secteurs.

La séquence des thèmes est différente de celle du Cadre stratégique de la FAO, principalement afin de refléter l'importance relative que les personnes interrogées ont accordé aux différentes séries de thèmes. Ainsi, la deuxième section de ce chapitre traite de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire, qui ont été considérées tant par les personnes interrogées comme par les commentateurs comme étant, de loin, les problèmes les plus cruciaux et urgents auxquels doivent faire face les responsables de la formulation des politiques. La troisième section concerne les réformes orientées vers le marché et le rôle changeant de l'Etat, et le quatrième, la mondialisation et les questions liées au commerce international. La cinquième section fait référence aux deux derniers domaines couverts par le questionnaire : les pressions sur les ressources naturelles et l'environnement, et la recherche et la technologie.

Il va sans dire que tous les domaines précités sont étroitement liés. Par conséquent, certaines questions peuvent se répéter, probablement de différentes façons, dans les diverses sous-sections. Ceci était, dans une large mesure, inévitable, et nous avons préféré répéter certains points soulevés dans différentes parties de l'enquête plutôt que de courir le risque d'une omission.

2. Pauvreté, inégalité et insécurité alimentaire

La pauvreté, l'inégalité et l'insécurité alimentaire sont les problèmes les plus cruciaux et persistants auxquels doit faire face l'humanité. Leur réduction est, ou du moins devrait être, au cœur de tout effort significatif de développement. Actuellement, on observe un intérêt renouvelé et généralisé pour les questions liées à la pauvreté de la part des organismes internationaux et des érudits en matière de développement. Cette préoccupation est accentuée par la prise de conscience du fait que les progrès vers l'élimination de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire ont généralement été loin d'être satisfaisants. Cette réalité diverge énormément des engagements concertés et des objectifs établis lors de plusieurs conférences internationales au cours des dernières années.

Lors du Sommet mondial sur le développement social, tenu à Copenhague en 1995, les pays participants se sont engagés à travailler en vue de l'éradication de la pauvreté, décrivant ce compromis comme "un impératif éthique, social, politique et moral de l'humanité", et à éliminer la pauvreté extrême au cours des premières décennies du XXIème siècle. Lors du Sommet mondial de l'alimentation, tenu à Rome en 1996, les dirigeants de 186 pays ont pris l'engagement solennel de réduire de moitié la proportion de personnes victimes de la faim d'ici 2015.

Cependant, des estimations récentes de la pauvreté indiquent que de tels objectifs pourraient fort bien être utopiques si les tendances actuelles ne sont pas inversées. Le Rapport sur le développement humain en 1999 du PNUD affirme que "plus de 80 pays continuent d'afficher des revenus par habitant inférieurs à ceux d'il y a dix ans ou plus". Le Rapport sur le développement dans le monde 2000/1 de la Banque mondiale estime que le nombre de personnes vivant avec moins de $1 par jour dans les pays en développement totalise presque 1,2 milliard, chiffre légèrement supérieur à celui observé dix ans plus tôt. De ces 1,2 milliard de personnes, on estime que 522 millions se trouvent en Asie du Sud et 291 millions se trouvent en Afrique subsaharienne, ce qui représente respectivement 40% et plus de 46% des populations totales.

En ce qui concerne l'une des manifestations les plus extrêmes de la pauvreté, c'est à dire le manque d'alimentation et d'accès à une nourriture adéquate, la FAO estime, dans L'Etat de l'insécurité alimentaire dans le monde 1999, que le nombre de personnes sous-alimentées dans les pays en développement a diminué de près de 40 millions depuis 1990/1992, arrivant à un chiffre d'approximativement 790 millions. Cependant, "durant la première moitié de la décennie, un groupe restreint de 37 pays est parvenu à des réductions totalisant 100 millions de personnes. Dans le reste des pays en développement, le nombre de personnes victimes de la faim a augmenté de presque 60 millions". Le plus inquiétant est que "si on ne freine pas cette tendance, plus de 600 millions de personnes continueront de souffrir de la faim en 2015 dans les pays en développement. Pour atteindre l'objectif du Sommet, un progrès bien plus rapide s'impose".

Un autre thème important est celui de l'inégalité qui a augmenté de façon significative dans plusieurs pays en développement et en transition au cours des vingt dernières années environ. Il existe une préoccupation croissante quant au fait que les objectifs de développement international liés à la pauvreté pourraient ne pas être atteints si des changements significatifs n'interviennent pas dans la répartition des revenus. L'inégalité à l'échelon national s'est accompagnée d'une croissante inégalité entre les pays, dans le contexte d'une polarisation accrue de la richesse entre les pays les plus riches et les plus pauvres du monde.

En ce qui concerne l'alimentation, l'agriculture et le développement rural, les principales inquiétudes sont : dans quelle mesure le développement agricole et rural peut-il contribuer à l'élimination de la pauvreté ; et comment les ménages et les individus pauvres peuvent-ils avoir accès aux aliments dont ils ont besoin. Cependant, il est évident que la pauvreté et l'insécurité alimentaire ne peuvent pas être abordées d'un point de vue purement sectoriel. Par conséquent, les thèmes de politiques et de recherche qui seront mentionnés dans ce texte toucheront inévitablement d'autres domaines en dehors de l'agriculture au sens strict, bien qu'ils se centrent principalement sur l'agriculture et le développement rural.

Etant donné la vaste gamme de thèmes potentiellement pertinents, ce chapitre d'introduction se limitera à présenter de façon succincte quelques unes des questions les plus importantes soulevées par le personnel des bureaux régionaux et sous-régionaux de la FAO, consulté au cours de l'exercice CUREMIS, et commentées à l'intérieur et à l'extérieur de la FAO. Les chapitres suivants analysent plus en profondeur certains thèmes choisis.

En ce qui concerne la pauvreté et l'insécurité alimentaire, les thèmes de recherche peuvent être divisés selon les catégories suivantes :

Dimensions et caractéristiques de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire

Toute intervention significative destinée à lutter contre la pauvreté et l'insécurité alimentaire doit commencer par identifier, dénombrer et localiser la population pauvre. Bien qu'il existe une littérature riche et que les résultats de l'enquête s'accumulent, les personnes interrogées considèrent qu'un plus grand nombre de recherches allant dans cette direction est nécessaire en permanence.

En plus des signes généraux de pauvreté et d'insécurité alimentaire à l'échelon mondial, régional et national, des informations non-agrégées sur les conséquences de la pauvreté et de la vulnérabilité sont nécessaires afin de créer des politiques pertinentes et cibler correctement les interventions. Cela implique l'identification de différentes catégories de pauvre et sous-alimentée à l'échelon local et au niveau ménage, par secteur d'activité économique, caractéristiques professionnelles, position sociale, âge et sexe (afin de définir le plus précisément possible l'ampleur de la féminisation de la pauvreté). Une attention particulière devrait être accordée à l'identification des personnes les plus vulnérables dans chaque catégorie. Le manque systématiques de données temporelles consistantes sur les changements en matière de pauvreté et de sécurité alimentaire, sur les caractéristiques des personnes qui "sombrent" dans la pauvreté et de celles qui en "émergent" a également été souligné.

Etant donné les récentes visions plus larges des facteurs qui contribuent à la pauvreté (voir section suivante), d'autres indicateurs de la pauvreté et du dénuement devraient également être pris en compte en plus de ceux liés aux revenus : le développement humain (ou l'absence de celui-ci), l'accès à l'éducation, aux services sociaux et aux diverses sources de responsabilisation et participation dans une vie sociale digne. Ces indicateurs sont nécessaires afin de saisir les multiples facettes des éléments qui sont à l'origine des moyens d'existence durables, et par conséquent constituent la base de la hiérarchisation des besoins et des interventions plus efficaces en vue de l'atténuation de la pauvreté et de l'amélioration de moyens d'existence.

Actuellement, ces facteurs sont bien acceptés et même considérés comme évidents dans le discours lié à la pauvreté, mais les énoncer comme un principe est une chose, et mener des recherches, décrire et quantifier de façon concrète où et dans quelle mesure de telles conditions sont dominantes dans divers contextes sociaux en est une autre très différente. A ce propos, des recherches plus approfondies à l'échelon national et local pourraient encore se révéler très utiles.

Les personnes interrogées ont particulièrement centré leur attention sur la pauvreté rurale, appelant à que soient menées des recherches complémentaires sur l'ampleur de la pauvreté parmi certains groupes tels que les petits agriculteurs sans terre, les pêcheurs traditionnels, les ouvriers agricoles, les travailleurs ruraux indépendants du secteur informel, les membres d'ethnies minoritaires, les familles rurales dirigées par une femme, de même que les groupes de population rurale touchés par les catastrophes naturelles. La question liée à la nature de la pauvreté dans les zones isolées, marginales et riches en ressources devrait être examinée de plus près.

La pauvreté urbaine et rurale sont étroitement liées. Dans les zones rurales, l'insécurité quant aux moyens d'existence pousse la population à émigrer vers les centres urbains dans l'espoir de trouver de meilleures conditions de vie. Les migrations, tant à l'échelon national comme à l'échelon international, ainsi que leur rapport avec la pauvreté rurale n'ont pas reçu l'attention qu'elles méritent dans le calendrier de recherche. Les courants migratoires doivent être suivis et évalués en permanence en termes d'ampleur, de composition, de tendances et de direction, et une attention particulière doit être portée aux causes sous-jacentes de ce phénomène. L'analyse opportune de leurs conséquences sur la pauvreté s'impose, tant dans les zones d'origine que dans les zones d'accueil, que celles-ci soient positives (source d'atténuation de la pauvreté, gestion plus efficace des ressources humaines) ou négatives. Ces dernières pourraient comprendre : une éventuelle détérioration (du moins à court terme) des conditions socio-économiques dans les zones rurales en raison de l'émigration des personnes les plus compétentes, ce qui entraîne un appauvrissement de la population rurale restante ; une incapacité des centres urbains d'absorber l'arrivée d'émigrants et des pressions sur les services sociaux en raison du chômage et du sous-emploi dans les zones urbaines et périphériques.

L'aggravation des inégalités sociales et des revenus, en particulier dans les zones rurales, doit également faire l'objet d'une surveillance permanente dans tous les pays. Dans les pays en transition, la nouveauté relative du creusement des inégalités et de l'appauvrissement rapide que les changements socio-politiques ont entraînés, rend particulièrement nécessaires la recherche et le contrôle intensifs. Ceci est particulièrement vrai à la lumière du manque d'expérience dans le traitement de ce genre de phénomènes dans le contexte des changements structurels et institutionnels qui ont eu lieu et se poursuivent dans ces pays dans une direction loin d'être facilement prévisible.

La méthodologie employée pour évaluer les dimensions de la pauvreté et de la sous-alimentation doit être améliorée, tant au niveau désagrégé que général. On observe qu'une carte adéquate de la pauvreté n'a encore jamais été dressée et qu'il existe un manque considérable de coordination entre les organismes concernés en ce qui concerne les mesures, tendances et outils d'analyse de la pauvreté. A ce propos, le Système d'Information et de Cartographie sur l'Insécurité Alimentaire et de la Vulnérabilité (SICIAV), exigé par le Sommet Mondial de l'Alimentation et actuellement en cours de mise en œuvre dans plusieurs pays sous la coordination d'un groupe de travail inter institutions constitue un pas dans la bonne voie. Les organismes et pays concernés, avec l'aide d'institutions de recherche, doivent poursuivre leurs efforts afin d'élargir la couverture et améliorer la qualité de l'information collectée et analysée dans le contexte du SICIAV. L'élaboration et l'analyse d'indicateurs de l'accessibilité à la nourriture et les plans d'allocations alimentaires peuvent être élargis de façon utile et incorporés dans un système intégré, de même que la surveillance nutritionnelle à l'échelon de communautés locales, avec une attention particulière aux groupes les plus vulnérables.

Il ne faut pas sous-estimer la contribution que les techniques participatives peuvent apporter à une évaluation détaillée de la pauvreté et la sous-alimentation. La recherche peut encourager le perfectionnement des méthodologies afférentes et favoriser une plus large application de celles-ci.

Causes de la pauvreté, l'inégalité et l'insécurité alimentaire

S'éloigner de l'analyse de la portée et des caractéristiques de la pauvreté pour aller directement aux façons d'y remédier constitue un raccourci souvent utilisé qui laisse de côté un domaine fondamental de recherche : les causes de la pauvreté. On remarquera qu'en analysant les causes de la pauvreté, il est inévitable de tomber dans un certain degré de cercle vicieux, étant donné que la pauvreté peut souvent être à la fois cause et conséquence de nombreux problèmes mentionnés par les personnes interrogées. Il semble exister une prise de conscience croissante (qui se reflète également dans cette enquête) quant au fait que cet aspect n'a pas fait l'objet d'une attention suffisante, ce qui pourrait être à l'origine du manque d'efficacité de plusieurs mesures et programmes de politiques en matière d'atténuation de la pauvreté.

Actuellement, il est largement admis que les principales causes de la pauvreté sont aussi bien liées à des difficultés pour accéder à l'éducation et à la santé, qu'aux ressources productives (terres, crédit, marchés, réseaux de transport, électricité, télécommunications), mais également aux institutions (marchés, réseaux sociaux, etc.). La réalisation de recherches dans les divers aspects et causalités des difficultés d'accès, de la dotation inappropriée des ressources et des défaillances en matière d'attributions dans différentes situations et pour des groupes sociaux spécifiques constitue une priorité permanente dans le domaine de la recherche. Celle-ci doit couvrir l'analyse des facteurs (sociaux, institutionnels, économiques) qui empêchent ou limitent l'accès à des opportunités contribuant au développement humain et à la formation de capital humain et social, ainsi qu'aux sources de bien-être matériel. Elle doit également inclure des recherches approfondies sur le rapport coût/efficacité de la pauvreté et la sous-alimentation, ainsi que d'autres formes de privations.

Il va sans dire que la guerre et les désordres civils font partie des principales causes de la pauvreté. Il faut accorder une plus grande attention à l'évaluation des conséquences des désordres civils et des conflits militaires sur l'interruption des approvisionnements en vivres et des activités économiques, sur la nutrition et, globalement, sur les sources de moyens d'existence des groupes vulnérables. La recherche orientée vers la caractérisation des groupes sociaux les plus durement touchés et l'impact sur ces derniers en termes d'appauvrissement, de privations et de déplacements, durant ou après les guerres et désordres civils peut conduire à l'élaboration de mesures efficaces pour porter remède à cette situation. La recherche peut également contribuer à la compréhension des facteurs socio-économiques qui sont ou peuvent être à l'origine de l'agitation civile. La pauvreté peut également être la cause, ou l'une des causes principales, de troubles civils et conflits, et non pas seulement une conséquence.

La propagation rapide du VIH/SIDA dans les pays en développement est un fléau qui compromet les moyens d'existence de millions de personnes, en particulier mais pas uniquement, en Afrique. Il est nécessaire d'évaluer attentivement l'impact de l'épidémie, et des changements qui en découlent au niveau de la structure démographique (en particulier la baisse de la proportion des groupes d'âge productifs), sur des aspects tels que la disponibilité de main œuvre pour la production agricole, la pauvreté, la sécurité alimentaire et la nutrition à l'échelon des ménages.

Le lien entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement doit être étudié de plus près dans ses multiples volets pour des zones géographiques et écologiques spécifiques ainsi que les divers groupes de population dont les moyens d'existence en dépendent. Les facteurs qui aggravent la pauvreté dans les zones dites marginales (zones arides, semi-arides, montagneuses et de coteaux, zones propices aux variations climatiques ou autres zones isolées) doivent également faire l'objet d'une attention particulière. Dans ces zones, mais pas seulement dans celles-ci, le problème de la vulnérabilité de la population pauvre rurale aux chocs externes, qu'il s'agisse de catastrophes naturelles ou d'instabilité économique (par exemple des prix), doit également être étudié au cas par cas. La recherche doit également aborder les raisons de l'échec des mécanismes traditionnels de protection contre les chocs externes dans les zones rurales.

La pauvreté, l'inégalité et l'insécurité alimentaire peuvent également être induites par certaines politiques. Dans plusieurs pays, les réformes de politiques orientées vers le marché, mises en place au cours des vingt dernières années, ont eu des effets positifs reconnus sur la croissance et, dans certains cas, sur la baisse de la pauvreté. Cependant, dans de nombreux pays, les conséquences sur la pauvreté et l'inégalité ont été plus discutables. Les personnes interrogées ont souvent insisté sur le besoin d'une analyse rétrospective des résultats des réformes de politiques, afin d'identifier les raisons de leurs performances variables en matière de lutte contre la pauvreté. Ces même personnes ont souligné que, tant les contenus des politiques que les modalités de leur mise en œuvre, devraient être étudiés à la lumière des conditions existantes, y compris des principaux déséquilibres économiques et déficits budgétaires, à l'origine des réformes. Ci-après, figure un résumé de certaines des questions soulevées :

  1. Dans quelle mesure les politiques de réformes orientées vers le marché ont-elles abouti à un déséquilibre, y compris en matière d'inégalité homme-femme, dans l'accès à divers facteurs (connaissance, information, nouvelles technologies, avoirs matériels et autres ressources) et quel est leur effet sur la productivité, la pauvreté et la sécurité alimentaire?
  2. Les raisons du creusement des inégalités sociales dans les pays ayant mis en place des réformes économiques sont-elles inhérentes aux réformes elles-mêmes, ou sont-elles le résultat d'une mise en place incomplète, partielle, ou tendancieuses? Le processus de mise en œuvre de politiques doit faire l'objet d'un examen approfondi, afin de déterminer dans quelle mesure la recherche de profit par tout les moyens, l'inefficacité et la corruption ont contribué, et continuent de contribuer, à fausser la distribution des bénéfices de la croissance économique et du changement de politiques.
  3. L'aggravation des inégalités sociales n'est pas une caractéristique des étapes initiales de croissance engendrée par le marché dans l'est de l'Asie. Dans quelle mesure ce modèle est-il renouvelable dans conditions sociales et institutionnelles différentes? Quelles leçons peut-on tirer, en matière de lutte contre la pauvreté et l'inégalité, qui pourraient par la suite être appliquées ailleurs?
  4. De façon plus générale, les personnes interrogées ont souvent fait référence aux relations entre croissance et pauvreté. Outre la considération évidente selon laquelle la croissance est nécessaire, mais insuffisante, pour réduire la pauvreté, il faut mener un examen plus approfondi des conditions dans lesquelles la croissance économique et, plus particulièrement la croissance de l'agriculture, peut conduire à l'atténuation de la pauvreté et de l'inégalité, ou bien au contraire, coexister avec son aggravation.
  5. Une caractéristique commune des mesures d'ajustement est l'atténuation significative du rôle de l'Etat. La faiblesse institutionnelle de l'Etat dans les pays en développement (ce qui est sans rapport avec l'ampleur ou la limitation de ses fonctions) est vue, dans un grand nombre de réponses, comme l'un des principaux obstacles pour la réduction de la pauvreté. L'analyse des causes de la pauvreté et de l'inégalité doit être accompagnée d'une attention pertinente à ce sujet. Les faiblesses en question comprennent les limitations de l'Etat dans l'appui qu'il apporte aux organismes locaux, et le soutien des initiatives d'auto-assistance de la population pauvre.

D'autres thèmes liés plus spécifiquement au secteur agricole et rural devant faire l'objet de recherches, ont été mentionnés, dont les suivants :

  1. De quelle façon les changements dans la structure de l'agriculture résultant de politiques de réformes se répercutent-ils sur la répartition des revenus dans les zones rurales?
  2. Dans quelle mesure, et dans quelles circonstances, les hausses des revenus agricoles compensent-elles la réduction de la prestation de services publics dans les zones rurales, à la fois pour les aides liées (subventions pour les facteurs de production, support des prix ) ou indirectement liées (subventions pour l'éducation et la santé) à l'agriculture et, globalement, des mesures de bien-être social et de redistribution?
  3. Quel a été l'effet des dispositifs de protection sociale et des mesures d'aides visant directement à l'atténuation de la pauvreté rurale? Ont-ils vraiment contribué à améliorer la condition de la population pauvre et à favoriser la défense de ses droits, ou s'agit-il seulement de mesures temporaires sans effets durables? Quelle a été leur réelle couverture des groupes ciblés?
  4. Quelle a été l'expérience des programmes d'atténuation de la pauvreté entrepris conjointement par des organisations de la société civile, le gouvernement et les organismes internationaux?
  5. A l'échelon international, quelle est l'incidence sur la pauvreté et l'inégalité, dans les pays en développement, des barrières commerciales (tarifaire et non-tarifaire), des aides à l'exportation et d'autres mesures commerciales discriminatoires adoptées par les pays développés? Dans quelle mesure les pertes des pays en développement dues à de telles politiques commerciales sont-elles compensées par l'aide au développement?
  6. Un cas particulier serait celui des anciens pays socialistes, où l'accès à la nourriture des groupes à faibles revenus est devenu un sujet particulièrement préoccupant. La réalisation d'études complémentaires pourrait mettre en lumière quels aspects des réformes (en particulier en ce qui concerne les questions liées à l'agriculture et à la terre) et de l'organisation sociale, politique et institutionnelle ont constitué des obstacles à l'atténuation de la pauvreté et la sécurité alimentaire.

Mesures de politiques et changements institutionnels destinés à atténuer la pauvreté et l'insécurité alimentaire.

Une grande inquiétude en matière de politiques, qui se reflète dans les réponses de l'enquête, est liée au cadre dans lequel les politiques sont élaborées. D'après un grand nombre des personnes interrogées, la recherche doit se poser la question de la pertinence du paradigme de développement économique prédominant durant les années 1980 et 1990 afin d'aborder les problèmes liés à la pauvreté. L'opinion dominante est que ce paradigme a obtenu de maigres résultats dans ce domaine. La Banque mondiale elle-même, qui en était l'un des principaux partisans, s'est engagé dans un processus de reformulation et a commencé à introduire des corrections dans le paradigme identifié avec le consensus de Washington. Le Rapport sur le Développement dans le Monde 2000/1 (qui au moment où s'écrivait le présent document venait juste de paraître) se centre sur la pauvreté, et apporte de nouveaux éléments de réflexion sur les limitations des approches précédentes.

Les deux principaux aspects des stratégies en faveur des populations pauvres faisant l'objet d'un consensus général, sont l'investissement en développement humain et un meilleur accès à un ensemble élargi d'actifs pour les pauvres, comprenant les avoirs matériels et les services publics. Les résultats de l'enquête reflètent cette orientation.

Le développement humain est considéré comme l'un des facteurs les plus décisifs, voire le plus crucial, de la croissance économique et de l'atténuation de la pauvreté. Le risque d'avancer à pas inégaux dans le développement du capital humain et l'acquisition de la connaissance et de l'information est vivement ressenti. L'une des principales priorités dans le cadre de l'élimination de la pauvreté est de trouver le moyen d'offrir un accès équitable aux moyens de développement de la capacité humaine. Pour orienter et élaborer des politiques, il est nécessaire d'approfondir les recherches qualitatives et quantitatives sur la relation entre les éléments du capital humain et l'atténuation de la pauvreté. L'analyse devrait inclure des données distinctes en fonction du sexe.

Tant pour les hommes que pour les femmes, le développement humain implique un investissement considérable en éducation, santé et autres services sociaux. La recherche peut constituer une aide en fournissant des informations, provenant de l'expérience des succès et échecs passés, sur des questions telles que : quelles formes et combinaisons d'investissement en éducation, santé, hygiène, etc., sont les plus prometteuses en termes d'efficacité pour l'atténuation de la pauvreté? Dans quelles directions doit se diriger l'assistance extérieure afin pour avoir un effet catalytique dans ce domaine?

Le développement humain implique également la responsabilisation et la participation de la population pauvre, en particulier de la population pauvre rurale. La recherche peut aborder les questions suivantes: quelles politiques, législations, mécanismes et programmes institutionnels peuvent améliorer les capacités d'organisation, exécution, promotion et de direction des populations pauvres, aussi bien que leur capacité d'effort personnel pour générer des revenus et des emplois. Elles sont également liées au rôle que peuvent jouer les gouvernements aux échelons central et local et les organisations de la société civile dans ce domaine.

L'accès aux avoirs matériels et aux services constitue l'autre pilier sur lequel les stratégies d'atténuation de la pauvreté peuvent se baser. Les principaux problèmes, extraits des réponses au questionnaire, portent sur comment éliminer les obstacles à l'accès aux ressources et comment améliorer l'accès aux avoirs matériels (principalement la terre et le capital) pour les populations pauvres, en particulier les populations pauvres rurales.

Le défi que doit relever la recherche est de mettre en place des interventions de politiques permettant de transformer la redistribution des actifs de façon à ce que tous gagnent et dans lequel l'intégration des populations pauvres pourrait constituer un facteur de croissance. L'étude de cas où les populations pauvres elles-mêmes ont participé au processus par la création « d'institutions d'accès » (telles que les organisations de secours mutuels) vaut la peine d'être poursuivie. Il en est de même en ce qui concerne l'analyse du rôle que l'état peut jouer dans la fourniture d'un appui de base à de telles organisations.  

D'après l'enquête, la première priorité de la recherche en matière de politique de redistribution des actifs est la définition de modalités de réformes foncières novatrices. L'expérience passée comprend succès et échecs, là où les transferts de propriétés foncières ont été réalisés par des méthodes bureaucratiques et socialement dangereuses. L'explosion démographique attendue dans les pays en développement rend absolument nécessaire la recherche de nouvelles modalités. Celles-ci doivent tenir compte de la viabilité économique et financière des réformes agraires et de l'efficacité du processus d'apprentissage pour les petits agriculteurs qui sont supposés être parmi les bénéficiaires de ces réformes. Dans les anciens pays socialistes, la réforme agraire peut avoir un impact considérable sur la pauvreté si les actifs agricoles peuvent être utilisés, loués ou vendus efficacement.

L'établissement et le renforcement d'un cadre réglementaire et institutionnel du développement de l'occupation des terres et d'un marché foncier constituent une priorité. Pour ce faire, des études comparatives et une recherche innovatrice sont nécessaires dans le domaine de l'analyse, la formulation et la mise en place de politiques agricoles, prévoyant autant que possible, une action communautaire et coopérative pour la gestion de la terre (et de l'eau). Il serait également utile de passer en revue les expériences des banques et fonds agraires, expérimenter et tirer des conclusions sur le type d'approches s'étant révélées les plus efficaces et en comprendre les raisons. La section V de ce chapitre aborde certains aspects liés aux politiques agraires.

L'accès au capital est l'autre facteur primordial dans l'amélioration des conditions matérielles des petits agriculteurs et d'autres populations pauvres rurales. Un meilleur accès au crédit pour la population pauvre entraînerait d'importantes améliorations dans une vaste gamme de services financiers, y compris les mécanismes d'épargne, normes et gestion bancaires, formes d'assurance appropriés, l'utilisation de pratiques financières innovatrices qui pourraient réduire les coûts et les risques des transactions, et l'appui d'une série de structures financières (formelles, semi-formelles et informelles) dans la fourniture de crédit.

Les initiatives de micro-crédit ont fait l'objet d'une analyse approfondie à travers de nombreuses études de cas. Une comparaison internationale et une synthèse des leçons qu'on peut tirer des initiatives entreprises dans différents pays au cours des dix dernières années, de leurs avantages et désavantages, pourront offrir une orientation intéressante pour l'appui de telles initiatives dans d'autres pays/régions. Il faut passer de la connaissance générale à l'analyse de mécanismes spécifiques de mise en place, facilitant la prise de conscience des modalités les plus efficaces en matière de micro-crédit pour la sécurité alimentaire.

Le thème de la pauvreté dans les zones à haut et faible potentiel doit être abordé avec une attention particulière. Si la majeure partie de la population pauvre est concentrée dans des zones à faible potentiel, quelle stratégie faut-il élaborer? La gageure au niveau des politiques à appliquer dans de telles zones consiste à créer les conditions favorables à l'apparition d'une combinaison d'activités agricoles et non-agricoles minimisant les risques liés aux revenus et à la consommation particulièrement présents dans de telles zones. Sinon, serait-il plus efficace de concentrer l'investissement et d'autres interventions de politiques dans les zones à potentiel élevé, favorisant en même temps un processus de migration ordonnée depuis les zones à faible potentiel vers celles à potentiel élevé? De quelle façon les activités agricoles peuvent-elles être développées dans les zones marginales sans provoquer davantage de pressions sur des écosystèmes naturels fragiles?

Il est possible d'accroître la production agricole grâce à des méthodes permettant d'économiser la terre et intensifiant la productivité du travail. Cependant, il existe certaines limites à l'absorption de la main œuvre supplémentaire générée par l'accroissement de la population dans les zones rurales. Un grand nombre des personnes interrogées a souligné le besoin de politiques allant au-delà de l'agriculture de production, vers le développement général de l'espace rural, tout en évitant les erreurs commises dans le passé dans des projets intégrés de développement rural. Il faut redoubler d'efforts pour formuler des stratégies orientées vers la diversification rurale, le développement et l'accès accru aux mécanismes de transformation à petite échelle, la promotion de l'industrie agroalimentaire et de groupes industriels agroalimentaires dans les zones rurales et, globalement, toute activité visant à accroître la valeur ajoutée des produits agricoles et la compétitivité des petits agriculteurs et autres opérateurs ruraux.

Les interventions abordant les questions liées à la pauvreté contribueront également à lutter contre l'insécurité alimentaire. Cependant, des mesures spécifiques visant à améliorer la sécurité alimentaire s'imposent. Les thèmes associés à la sécurité alimentaire peuvent être abordés de façon plus pertinente dans le contexte du Plan d'action accordé lors du Sommet mondial de l'alimentation tenu en 1996 qui, avec ses sept engagements, couvre un vaste éventail d'initiatives visant à améliorer la sécurité alimentaire à l'échelon des ménages, de la communauté locale, nationale et internationale. Des recherches sont nécessaires afin de contribuer à la formulation et la mise en œuvre, et d'aider les pays à identifier les façons les plus efficaces de matérialiser les engagements contractés et surmonter les problèmes rencontrés dans ce domaine.

En se centrant plus particulièrement sur la nutrition, la recherche peut contribuer à mieux formuler, orienter et promouvoir des programmes d'aide nutritionnelle. Il faut définir de façon précise et classer par ordre de priorité les principaux problèmes des groupes vulnérables pour ensuite traduire les connaissances acquises sur ces problèmes par des mesures pratiques destinées à améliorer une nutrition reflétant les opinions des parties concernées et s'adaptant à leurs besoins. De même, il est nécessaire d'améliorer la méthodologie de contrôle et d'évaluation de l'incidence nutritionnelle des programmes et projets de développement agricole et rural.

La question de la sécurité alimentaire est étroitement liée au thème de la prévention et des réponses à apporter aux catastrophes naturelles et provoquées par l'homme. A cet égard, plusieurs personnes interrogées ont souligné le besoin d'interventions afin d'atténuer l'incidence de chocs extérieurs sur les populations pauvres et d'améliorer leur capacité de résistance. Ces interventions peuvent porter sur des modifications de la technologie de production, des innovations dans les modalités d'organisation sociale et des systèmes de sécurité sociale. Il est nécessaire de développer d'autres recherches approfondies sur les ménages agricoles et ruraux les plus vulnérables aux catastrophes naturelles et aux variations climatiques dans le domaine: des systèmes de partage des risques et des stratégies de gestion des risques des ménages, à l'échelon des ménages, des exploitations agricoles et national,, et. Des politiques de stabilisation du marché peuvent jouer un rôle important.

Enfin, il faut réévaluer la fonction de l'Etat dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Les fonctions de l'Etat doivent faire l'objet d'une meilleure définition à la lumière de l'expérience acquise au cours des dernières décennies, aussi bien lorsque l'Etat jouait un rôle prédominant que lorsqu'il s'est vu radicalement réduit. La révision de ses fonctions, associée à une obligation accrue de rendre des comptes, sa démocratisation et une bonne gestion des affaires publiques, sont des thèmes fondamentaux dans l'agenda du développement et sont de toute évidence les plus importants en matière de pauvreté. Il s'agit de questions qui appellent de façon primordiale à l'action. Cependant, la recherche peut fournir un appui utile pour une meilleure définition des fonctions publiques dans l'atténuation de la pauvreté et l'identification d'instruments locaux et nationaux de contrôle social, ainsi que de formes de conditionnalité internationale propres à favoriser une gouvernance. Ces aspects seront analysés dans les sections III et IV de ce chapitre, qui abordent respectivement les changements dans la fonction de l'Etat, et la mondialisation et le commerce international.

3. Reformes de politiques touchant l'agriculture et le développement rural et changements dans la fonction de l'état

Presque vingt ans d'expérience en matière de stabilisation macro-économique et de réformes de politiques orientées vers le marché et le retrait généralisé conséquent, bien qu'inégal, de l'Etat des activités économiques liées à la nourriture et à l'agriculture, ont laissé un grand nombre de questions sans réponses, ou incomplètes. Les plus fréquemment soulevées par les personnes interrogées sont liées à :

Les questions liées aux niveaux et à la répartition des revenus ont été abordées dans la section précédente, avec une attention particulière accordée aux aspects suscitant le plus d'inquiétude, tels que l'inégalité, la pauvreté et l'insécurité alimentaire. Tournons-nous maintenant vers l'autre ensemble de questions mentionnées précédemment.

Analyse rétrospective

Une analyse rétrospective des conséquences des réformes de politiques sur l'agriculture ne se prête pas à des généralisations trop faciles. Il faut au préalable aborder plusieurs thèmes déjà mentionnés au cours de l'enquête.

Le premier concerne les critères en fonction desquels la performance du secteur agricole peut être évaluée. L'indicateur de performance le plus simple, et probablement le plus significatif, est la croissance du PIB du secteur agricole. Cependant, en ce qui concerne les objectifs des réformes de politiques menées à bien dans le contexte d'un ajustement structurel et sectoriel, d'autres critères de performance peuvent être adoptés afin de vérifier les progrès accomplis dans la réalisation de certains objectifs. Parmi ceux-ci, on peut citer : les changements dans les termes de l'échange du secteur agricole ; les variations dans les patrons de production agricole vers des produits réputés présenter un avantage comparatif pour le pays concerné ; la croissance des exportations agricoles ; et la part de la valeur ajoutée totale revenant aux agriculteurs, et, plus généralement, à la population rurale.

Le deuxième thème concerne la difficulté d'isoler les conséquences des réformes de politiques par rapport à d'autres facteurs de causalité ayant une influence sur les résultats agricoles. Ceux-ci comprennent, à l'échelon de chaque pays : les conditions initiales de l'économie; la dotation en ressources nationales, l'accès et la distribution de la propriété foncière et autres ressources,; les structures agraires en vigueur ; les niveaux et les types de technologie en vigueur et l'utilisation de facteurs de production. A un niveau plus général, il faut également tenir compte de l'impact de forces exogènes sur lesquelles les réformes nationales n'ont aucune influence, principalement les tendances mondiales en matière de production, prix et les politiques de commerce international d'autres pays.

A cet égard, une troisième question se pose lorsqu'il s'agit d'évaluer l'incidence des réformes sur différents aspects du développement agricole et rural : "que se passerait-il en l'absence de réformes?" Les réformes ont été mises en place pour répondre à des situations insoutenables, créées par une combinaison de conditions extérieures et de politiques mal ciblées. Dans quelle mesure la situation post-réforme reflète t-elle les effets d'une crise pré-réforme? Un tel scénario, bien que très difficile à construire, peut cependant conduire à une évaluation plus précise des conséquences de politiques mises en place pour faire face à une crise.

Quelle que soit l'influence des facteurs extérieurs et des situations de crises préexistantes, les personnes interrogées ont insisté sur le besoin d'évaluer les réformes de politiques. Leurs suggestions se divisent en trois principaux domaines. Le premier est lié à la conceptualisation et à la conception des réformes elles-mêmes, y compris leur calendrier et échelonnement prévus. Le second fait référence à l'efficacité de leur mise en place, en tenant compte du degré d'adoption et de la façon dont le processus de réforme s'est mis en place, en tenant compte des contraintes politiques et la capacité de mise en œuvre. Le troisième thème est lié aux réponses que les réformes, ainsi que la façon dont celles-ci ont été conçues et mises en place, ont engendré dans le secteur agricole. En ce qui concerne les trois domaines, les personnes interrogées ont insisté sur le besoin d'une analyse plus fine, chaque fois que possible, au niveau local, afin d'être en mesure de déceler les conséquences des réformes de politiques sur les villages, certains types particuliers d'agriculteurs et autres populations rurales.

En ce qui concerne le premier point, c'est à dire la nature de la conception et de l'élaboration des réformes, les principales questions soulevées portent sur l'élaboration des réformes de politiques ainsi que de leur calendrier et échelonnement. Dans la plupart des cas, l'élaboration des réformes de politiques a suivi des schémas préétablis et uniformes, sans tenir compte des particularités des régions et pays. Dans quelle mesure le manque d'adaptabilité aux conditions locales, à la structure de l'économie rurale, aux institutions prédominantes dans les différents pays, etc. ont-ils influencé l'efficacité des réformes? Il importe d'approfondir les analyses portant sur la nature des réformes de politiques vis-à-vis de pays spécifiques et de caractéristiques locales, à l'aide de recherches à l'échelon national. Le calendrier et l'échelonnement des réformes ont souvent été remis en cause. Le besoin de mettre sur pied une infrastructure institutionnelle s'est révélé fondamental dans ce domaine (cadre juridique, normes sur la propriété privée, systèmes de contrats, supervision bancaire) parallèlement au processus de privatisation et de libéralisation. L'empressement et la confiance en ce qui concerne l'approche de type "big bang", la conviction que "fixer des prix appropriés" conduirait en soi à des systèmes de marchés efficaces expliquent peut-être une certaine négligence quant aux aspects institutionnels des réformes. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de certaines économies en transition. Cependant, il en va de même pour un grand nombre de pays à faibles revenus.

Quant au second domaine d'intérêt, c'est à dire l'efficacité de la mise en œuvre, les personnes interrogées ont formulé une requête générale liée au besoin permanent d'analyser et d'évaluer les facteurs ex-post (économiques, sociaux et institutionnels) qui, dans la pratique, ont soit contribué au succès des réformes entreprises dans le domaine agricole, soit entravé leur bon déroulement, dans différents pays.

Certaines questions liées à la mise en place partielle ou sans grande conviction des changements de politiques ont également été soulevées : dans quelle mesure la mise en œuvre incomplète a t-elle constitué un obstacle pour atteindre les objectifs de développement du processus de réforme? A l'inverse, dans certains cas, une application plus pressée et exhaustive des préceptes imposés par les organismes internationaux de crédit a t-elle pu faire obstacle au développement rural et au bien-être des agriculteurs? Une question similaire à cet égard est liée à la distinction qui devrait être établie entre les cas de libéralisation effective et de libéralisation officielle.

S'agissant de la différence entre libéralisation "notionnelle" et effective, le thème de l'économie politique des réformes est incontournable. Les aspects de l'économie politique ont fréquemment été décrits au cours de l'enquête comme étant des facteurs déterminants du succès, ou de l'échec, de la mise en place de politiques. Un grand nombre de politiques de réformes n'a pas donné les résultats attendus car celles-ci n'étaient pas de l'intérêt d'importants groupes dans le pays. Dans quelle mesure la pression exercée par ces groupes a t-elle joué contre la mise en place réussie des réformes? Dans quelle mesure le manque de transparence dans l'administration des politiques, la recherche de bénéfices et la corruption ont-ils inhibé l'exécution effective des changements de politiques? La politique est-elle plus influencée par les élites urbaines? De nouvelles recherches s'imposent afin de comparer les politiques de pays affichant une bonne performance avec celles de pays n'ayant pas atteint les résultats attendus, et "isoler" les facteurs institutionnels et politiques qui compromettent le processus de réforme.

En ce qui concerne la question portant sur la réactivité de l'offre en agriculture, la principale question a été : "à quelles circonstances peut-on attribuer une réactivité de l'offre du secteur privé plus lente que prévue dans le domaine de l'agriculture face aux changements de prix et opportunités, en particulier dans les pays moins avancés, et à l'inverse, quels sont les facteurs ayant facilité une transition plus rapide dans certains pays?" Plusieurs hypothèses ont été avancées sur les raisons expliquant la faible réaction du secteur privé. Chacune d'elles mérite d'être prise en compte dans des programmes de recherche, notamment :

Les personnes interrogées considèrent que les questions suivantes méritent également d'être étudiées plus en détails :

La prestation de services agricoles et la fourniture de facteurs de production constituent un thème important qui n'est pas directement lié à la réactivité de l'offre, mais plutôt à la capacité du secteur privé de remplir le vide que laisse l'intervention amoindrie du gouvernement. Une analyse rétrospective à l'échelon national et local peut apporter des réponses sur la rapidité et l'efficacité des opérateurs privés au moment de se substituer au secteur public là où les mécanismes de prestation de services et de fourniture de facteurs de production ont été réduits de façon significative. Quelles catégories d'agriculteurs et de population rurale ont bénéficié, été lésées ou abandonnées en raison de la disparition ou de la diminution des interventions publiques en matière de recherche et d'extension, de fourniture en semences, engrais et pesticides ou de subventions, de gestion de filières commerciales, de réparation et d'entretien de l'infrastructure rurale, etc.?

Conséquences sur l'élaboration et de la mise en place de politiques

Passant d'une analyse rétrospective à l'identification des conséquences sur l'élaboration de politiques, l'enquête fait apparaître un certain nombre de problèmes.

Les réformes commerciales dans le domaine de l'agriculture ont essentiellement été basées sur la libéralisation des marchés existants, dans l'espoir de voir émerger des marchés compétitifs et d'accroître l'efficacité de la distribution de ressources en général et dans le système agricole. La recherche peut jeter une lumière sur la façon (dans le contexte social et culturel spécifique des différentes sociétés) dont les changements institutionnels ont été ou peuvent être mis en place afin de stimuler l'implication du secteur privé et créer des conditions de marché compétitives pour les facteurs de production et les produits agricoles, là où le retrait des interventions gouvernementales précédentes a créé, ou risque de créer, un vide commercial ou bien l'apparition de monopoles ou monopsones privés.

Il est nécessaire d'identifier des trains de mesures pouvant induire une participation plus effective du secteur privé dans les marchés agricoles, en tenant compte des expériences du passé, qu'elles soient positives ou négatives. Dans le contexte de la libéralisation du marché, on perçoit le besoin de trouver des façons d'améliorer les rapports entre les producteurs des zones urbaines et rurales et entre les secteurs à l'intérieur de l'espace rural, afin de favoriser le développement rural ; d'évaluer et d'améliorer l'efficacité des systèmes de commercialisation existants ; d'identifier des mesures propres à appuyer le processus de développement de marchés (instruments de gestion des risques, information et autres services) ; et d'explorer des modalités effectives de partenariat privé/public pour assurer la prestation de tels services.

Les conséquences de la crise financière dans les pays de l'Est de l'Asie mettent en évidence le besoin d'étudier l'agencement le plus approprié de politiques afin d'éviter, et de se remettre des chocs extérieurs qui compromettent la stabilité économique et sociale d'un pays. Plus particulièrement, la recherche peut contribuer à identifier les mesures les plus adéquates pour protéger les revenus et la sécurité alimentaire de la population pauvre dont les moyens de subsistance sont susceptibles d'être mis en danger par des facteurs extérieur.

En ce qui concerne les nouvelles tendances en matière d'élaboration de politiques, on peut citer le Cadre Global pour le Développement de la Banque mondiale, qui appelle à une approche holistique à long terme, accorde une bien plus grande importance que dans le passé aux aspects institutionnels et à la spécificité des différentes sociétés, souligne l'importance d'une bonne gestion des affaires publiques, exige "l'appropriation" du pays récepteur et accorde une importance moindre à la stricte conditionnalité au profit de méthodes favorisant la consultation et la participation.

Le Cadre Global pour le Développement n'est pas un plan d'action détaillé, mais plutôt (comme son nom l'indique) un cadre au sein duquel de nouvelles idées et propositions d'initiatives peuvent être avancées, pour avancer dans la réalisation des objectifs du Cadre Global pour le Développement, à savoir le développement durable et l'atténuation de la pauvreté. Les chercheurs des différentes organisations peuvent contribuer à la formulation de propositions de politiques innovatrices, tenant compte, entre autres, des interactions entre les principes exprimés dans le Cadre Global pour le Développement et les engagements contenus dans le Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation.

Changement de rôle de l'Etat

Au cours des dernières décennies, le rôle de l'Etat dans l'économie a changé radicalement. Avant les années 1980, les gouvernements des pays en développement jouaient un rôle prépondérant en matière économique, pour lequel, dans la plupart des cas, ils n'étaient absolument pas faits. La prise de conscience à l'égard des faiblesses de l'Etat a conduit à un changement radical dans le paradigme concernant son rôle dans l'activité économique. L'orientation des institutions internationales de financement a imposé une intervention gouvernementale minimum, ainsi que l'abandon, par l'Etat d'un certain nombre de fonctions qu'il avait jusqu'alors remplies.

Il est aujourd'hui généralement admis que la profonde dichotomie "marché - Etat" est grossièrement simpliste et que l'Etat a un rôle important à jouer dans l'activité économique et l'atténuation de la pauvreté, même si celui-ci est différent de son rôle traditionnel. Le sentiment général est que le gouvernement doit être fort et efficace, bien que de taille réduite, assumer la responsabilité de fournir des biens publics et corriger les défaillances du marché.

Cependant, l'ampleur et les modalités des interventions gouvernementales, ainsi que les modalités d'interaction et de partenariat avec le secteur privé et l'organisation de la société civile sont encore loin d'être clairement définies. Celles-ci varient évidemment d'un pays à l'autre et dépendent largement des capacités institutionnelles du gouvernement central et des entités publiques périphériques. Les personnes interrogées ont soulevé de nombreuses questions quant à la contribution que la recherche peut apporter à la définition du rôle du gouvernement, des unités publiques décentralisées et de la société civile dans le cadre de l'alimentation, l'agriculture et du développement rural. Ces questions peuvent se résumer comme suit :

  1. Il serait utile de faire le point de la recherche actuelle afin de définir le caractère public, commun et privé des fonctions économique et sociale, étant donné l'existence d'une grande divergence d'opinions à ce sujet. Les fonctions publiques tendent à être associées avec le secteur public (par exemple la réalisation de fonctions publiques par les institutions et fonctionnaires publics). Il serait souhaitable d'identifier les activités publiques pouvant être mises en place par le gouvernement ou les entités locales publiques et celles pouvant être confiées à des organisations privées ayant diverses formes de contrôle social ou public, compte tenu de la spécificité des structures et des institutions locales.
  2. D'une manière spécifique, le retrait de l'intervention directe de l'Etat dans les marchés agricoles soulève un grand nombre de questions, telles que : quel enseignement peut-on tirer de l'expérience accumulée jusqu'ici dans différents scénarios institutionnels? Quels services d'appui à l'agriculture peuvent être fournis par le secteur privé et diverses organisations de la société civile, et quelles sont les fonctions que devrait conserver le gouvernement, sous quelles conditions et selon quelles modalités? Il faut également préciser le rôle qui doit être joué par les associations d'agriculteurs, les ONG et d'autres formes d'organisations de la société civile en matière de fourniture de biens et services publics ruraux. Il est nécessaire d'analyser le rôle de chaque type d'organisation en termes sur leur capacité de réponse face aux différentes défaillances du marché. Les études de cas et les analyses des conditions ont permis des expériences réussies restent nécessaires et peuvent contribuer à améliorer les connaissances existant sur les modalités d'organisation les plus pertinentes en agriculture.
  3. Les activités économiques non-agricoles menées dans l'espace rural tombant trop souvent dans un vide institutionnel, les politiques destinées à les promouvoir impliquent la redéfinition du rôle de Ministère de l'agriculture et d'autres entités gouvernementales en matière de développement rural. Le cadre institutionnel et la structure organisationnelle les plus propices au développement rural devraient faire l'objet d'une recherche par pays, à la lumière des liens existant avec les unités décentralisées du gouvernement, le secteur privé et la société civile.
  4. Les petites entreprises centrés sur l'agriculture et les services, en particulier les coopératives et associations agricoles, peuvent assumer efficacement des activités jadis gérées par le secteur public dans des zones rurales. Cependant, les mécanismes institutionnels de consultation et d'appui des entreprises du secteur privé/de la population rurale sont souvent déficients. Des dispositifs excessifs ou erronés de contrôle freinent souvent le développement de coopératives et d'associations agricoles viables. Il faut en savoir plus sur les expériences en matière de décentralisation et de privatisation, moyennant des études empiriques analysant le coût-efficacité de nouvelles options de décentralisation et privatisation des services dans les zones rurales. Les aspects budgétaires de la décentralisation constituent également des questions importantes.
  5. En ce qui concerne la décentralisation, le danger fréquent est que les gouvernements veulent généralement que les unités gouvernementales locales soient structurées uniformément. Cependant, l'un des principaux avantages de la décentralisation est que celle-ci permet de diversifier les processus de prise de décisions selon les conditions locales, et d'accroître la capacité institutionnelle. A l'échelle locale, il y a beaucoup à apprendre de la diversité des prise de décisions publiques et d'options sociales, qui ont des conséquences directes ou indirectes sur l'alimentation et l'agriculture. Il serait utile de faire le point des expériences passées. De plus, davantage d'informations sont nécessaires afin d'analyser le processus et le calendrier de mise en place souhaitables de la décentralisation.
  6. Une question délicate est le redéploiement du personnel d'organismes para-étatiques dont les fonctions sont privatisées. Dans le même temps, il importe d'accroître l'efficacité du personnel restant par un renforcement de leurs capacités, ainsi qu'une politique de rémunérations appropriée, afin de réduire, et dans l'espoir de neutraliser, la corruption. L'analyse d'exemples réussis d'options pratiques pourrait servir de guide dans ce domaine.

4. Mondialisation et libéralisation du commerce international

Le terme " mondialisation " est très largement utilisé, bien que très rarement défini, dans la recherche et les débats de politiques, ainsi que par la presse et le public en général. En effet, plusieurs définitions ont été avancées mettant l'accent sur différents aspects de ce phénomène. D'un point de vue strictement économique, ce terme fait référence au degré croissant d'interdépendance entre les pays et régions, résultant de l'intensification des échanges commerciaux internationaux et des courants de capitaux. Une définition plus ample inclurait certains aspects tels que l'information, l'environnement, la société, la culture et même la santé, qui acquièrent de plus en plus souvent une dimension mondiale. La gouvernance et le rôle des gouvernements nationaux sont également touchés par la mondialisation, à mesure qu'augmente l'importance des organismes de gouvernance mondiale et des accords mondiaux (par exemple l'OMC) et que se renforce la tendance mondiale à réduire les réglementations et à faire une plus large part aux marchés (malgré le risque d'une inversion de la tendance actuelle).

Les formes d'interdépendance comprises dans la définition de la mondialisation (par exemple le commerce et les courants de capitaux) ne sont pas nouvelles. La nouveauté réside peut-être dans la vitesse à laquelle leurs dimensions mondiales sont en train de s'étendre. Il s'agit par conséquent d'une question d'ampleur, plutôt que d'un processus totalement nouveau : le commerce a augmenté deux fois plus vite que le PIB mondial au cours des dix dernières années, mais sa part du PIB mondial est comparable, par exemple, à celle qu'il avait dans les années 1930.

Probablement, la littérature émergente portant sur la mondialisation se caractérise par la volonté d'expliquer clairement la différence entre les opportunités et les menaces que celle-ci implique, ainsi que les mécanismes à travers lesquels celles-ci pourraient se matérialiser. Une observation à ce propos concerne l'opposition entre les pays et populations de plus en plus "connectées" et les pays et populations de plus en plus marginalisés. Par exemple, quelques pays représentent à eux seuls la quasi-totalité des courants de capitaux internationaux, et au sein d'un même pays (comme cela a été le cas de la Chine) l'écart entre les régions à vocation exportatrice et les zones isolées pourrait se creuser.

L'objectif de cette section n'est cependant pas d'analyser ou même seulement de présenter les multiples aspects de la mondialisation, que le lecteur peut trouver dans les éditions 1999 du Rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale et le Rapport sur le développement humain du PNUD. Il s'agit plutôt de présenter ici un résumé succinct des questions liées à l'alimentation et à l'agriculture que les personnes interrogées ont soulevées et qui concernent : a) les aspects transversaux de la mondialisation ; b) la libéralisation des mouvements de capitaux ; et c) la libéralisation du commerce international. Il va sans dire que cette distinction est parfois quelque peu arbitraire et que même des questions déjà mentionnées précédemment à propos des réformes orientées vers le marché sont abordées dans cette section.

Les opportunités et les dangers découlant de la mondialisation (y compris la libéralisation internationale du commerce agricole) doivent être analysés de façon détaillée en ce qui concerne différents groupes de pays et différents groupes de population afin de mieux cibler les interventions de politiques et d'assistance nécessaires. Dans les réponses au questionnaire, se dégagent les préoccupations principales face à la mondialisation: le risque d'une aggravation de l'appauvrissement des pays les plus pauvres et des groupes de population les plus pauvres, la détérioration de leur sécurité alimentaire et l'augmentation de la marginalisation pouvant être associés à la croissante bipolarisation de l'économie mondiale. Davantage de recherches en matière de mesures de politiques aux échelons nationaux et internationaux sont absolument nécessaires afin de limiter, et si possible inverser, les conséquences de ces menaces. Il faudrait cependant souligner le fait que l'existence d'un lien de causalité entre la mondialisation et l'élargissement du fossé entre les économies riches et pauvres à l'échelon macro-économique est loin d'être clair ou démontré, et que ce thème devrait faire l'objet de recherches plus approfondies.

A cet égard, plusieurs personnes interrogées ont souligné que la mondialisation pourrait accroître l'exposition des pays aux chocs extérieurs ainsi qu'aux opportunismes. Il importe donc d'avoir une meilleure compréhension des facteurs qui influencent la capacité d'un pays à s'ajuster aux chocs et/ou tirer parti de tels opportunismes. L'infrastructure matérielle, l'éducation, le développement de marchés et d'institutions à l'échelon national auront probablement une conséquence bénéfique directe sur cette capacité. Cependant, il est fort probable que la liste soit incomplète, et que de nouvelles recherches soient nécessaires afin d'améliorer nos connaissances limitées: a) des facteurs les plus pertinents dans le secteur rural afin qu'il puisse gérer de tels changements, b) des mécanismes faisant fonctionner ces facteurs et c) des politiques pouvant promouvoir la capacité d'ajustement d'un pays.

L'émergence de questions liées à la bonne conduite des affaires à l'échelon mondial est un autre aspect de la mondialisation qui soulève de nombreux thèmes de recherche. Un bon exemple en est le pouvoir de l'OMC sur les nations membres, qui est bien plus grand que celui du GATT. Cependant, il existe en outre une pléthore d'accords multilatéraux sur l'environnement et d'unions commerciales et monétaires qui ont une incidence considérable à l'échelon national (en particulier les conventions en matière de biodiversité et de changement climatique, mais également de biotechnologie, biosécurité et droits de propriété intellectuelle). Une recherche systématique s'impose afin de mettre au point des options de politiques pour les négociations. Une telle recherche devrait s'effectuer à différents niveaux : général (questions-clés de politique) ; national et régional (afin d'assister la formulation de politiques); institutionnel (afin de mettre en lumière les liens fondamentaux entre recherche et politiques et les contraintes au niveau de la prestation des politiques).

Courants internationaux de capitaux

Seuls quelques "marchés émergents" (une vingtaine) participent de façon significative aux marchés internationaux de capitaux, tandis que la plupart des économies en développement restent encore sur la touche. En effet, certains établissent une distinction entre les pays (la majorité) se trouvant dans une "première phase" de la mondialisation (ce qui implique une ouverture commerciale et introduire une convertibilité des transactions courantes) et les pays déjà installés dans une "deuxième phase" de la mondialisation (se caractérisant par une certaine intégration aux marchés de capitaux mondiaux et une certaine convertibilité des comptes de capital). La distinction n'est pas seulement théorique puisque les problèmes et les opportunités issues des différents niveaux d'intégration à l'économie mondiale ne sont pas du tout les mêmes pour les deux groupes de pays.

L'entrée de capitaux, en termes d'investissement étranger direct, attiré, entre autres, par une structure compétitive des coûts des facteurs, crée des opportunités favorables à une expansion des activités économiques et de l'emploi qui ne devraient pas être sous-estimées. A cet égard, des modalités innovatrices de coopération entre les investisseurs étrangers et l'agriculture nationale et l'industrie agroalimentaire doivent être mises au point afin d'accroître les gains des revenus pour les pays en développement, tout en tenant compte des conséquences environnementales et sociales.

Faute d'une réglementation appropriée des institutions financières nationales, des mouvements de capitaux financiers libres et de grande envergure peuvent constituer une source de crises financières, comme cela a été récemment le cas en Asie et en Amérique latine, dont les répercussions se font sentir sur l'économie et dans le secteur agricole. La nature et l'ampleur de ces répercussions, en particulier sur l'agriculture, l'industrie agroalimentaire et le secteur rural dans différents pays, doivent faire l'objet d'analyses plus approfondies. De même, des efforts de recherche conduisant à une séquence plus précise des politiques de libéralisation et institutionnelles afin d'éviter (ou de minimiser l'impact) de telles crises sont nécessaires. La récente polémique sur la pertinence de la réponse politique à la crise asiatique confirme qu'un consensus sur une question de cette importance est loin d'être atteint.

Cependant, de nombreux pays se trouvant actuellement dans la "première phase" de l'intégration à l'économie mondiale devraient finalement passer, bien que non nécessairement, à la "deuxième phase". De nouvelles recherches devraient être menées sur les politiques propres à gérer ce processus de façon adéquate et à créer les conditions pour que les pays attirent et bénéficient de l'entrée de capitaux internationaux sous toutes leurs formes, en particulier en ce qui concerne les conséquences sur les secteurs agricole et rural.

Commerce agricole international

Les personnes interrogées ont soulevé plusieurs questions liées à la mise en place de mesures de libéralisation du commerce dont l'incidence doit être étudiée. Les questions soulevées comprenaient des évaluations des expériences passées en matière de libéralisation commerciale (principalement durant la série de négociations de l'Uruguay) et également des thèmes pertinents pour de futures négociations. Ci-après, certaines de ces questions sont énumérées dans l'ordre suivant :

L'un des problèmes posés par l'amorce d'une nouvelle série de négociations commerciales multilatérales est le scepticisme croissant avec lequel de nombreux pays en développement considèrent actuellement les bénéficies potentiels et les coûts d'un commerce plus libre. Et ce, parce que les bénéfices qu'ils sont parvenus à obtenir à l'issue des négociations de l'Uruguay sont perçus par beaucoup comme bien plus limités par rapport aux attentes qu'ils s'étaient formées à la fin des négociations. Lors de la Réunion ministérielle de l'OMC, tenue à Seattle en décembre 1999, ces préoccupations ont été clairement exprimées par de nombreux pays en développement, qui ont souligné le besoin d'évaluer les expériences correspondant à la mise en place de l'Accord sur l'agriculture avant d'entreprendre de nouvelles négociations. Leurs propositions mettaient l'accent sur deux points en particulier : a) les difficultés que rencontrent les pays en développement dans la mise en place de l'Accord, et b) l'évaluation de son incidence sur le commerce, y compris une évaluation des contraintes des pays en développement en matière d'accès aux marchés d'importation, en raison des barrières douanières et non-douanières. Des préoccupations similaires ont pu être observées dans les réponses au questionnaire CUREMIS.

Par conséquent, un premier thème d'importance pour la recherche est de déterminer dans quelle mesure les pays en développement ont pu tirer profit des dispositions de la série de négociations de l'Uruguay. D'autres questions en rapport avec ce sujet concernent les problèmes particuliers rencontrés dans le respect des engagements contractés lors des négociations de l'Uruguay, et lorsqu'il y a lieu, quelles mesures ont été ou doivent être prises, et dans quels domaines, pour y remédier.

Une autre question capitale porte sur l'importance relative d'autres facteurs, tels que les normes d'hygiène et phytosanitaires ou les barrières techniques au commerce. Plusieurs personnes interrogées ont exprimé leur grande inquiétude sur les politiques des pays développés (en particulier l'Union européenne, les Etats-Unis et le Japon) destinées à entraver les exportations des pays en développement, en particulier les subventions explicites ou implicites à l'exportation, la hausse des droits de douane et de différentes formes de barrières non-douanières à l'importation. Cette question a également été soulevée au cours des récentes conversations commerciales multilatérales, puisque les pays en développement ont exprimé leur mécontentement quant à la mise en œuvre des Accords issus des négociations de l'Uruguay, notamment la mise en place inappropriée de la Décision de Marrakech concernant les effets négatifs possibles du programme de réformes sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets d'aliments.

L'érosion des traitements préférentiels est perçue par certaines personnes interrogées comme un grave problème, bien qu'il existe un certain désaccord sur l'ampleur potentielle de son incidence. Du point de vue de certains pays et de certaines matières premières, les conséquences de cette érosion pourraient ne pas être compensées de façon appropriée par les dispositions adoptées lors des négociations de l'Uruguay en faveur des pays en développement. La conséquence de ces deux ensembles de facteurs sur les recettes des exportations et les revenus agricoles peut-elle être identifiée et quantifiée?

La position des pays en ce qui concerne la libéralisation du commerce est souvent menée selon des préoccupations politiques divergents quant à la distribution des coûts et des bénéfices d'un meilleur accès aux marchés, d'une réduction des subsides aux exportations et de l'appui national à l'agriculture, ainsi que de la suppression des barrières commerciales. Leur position négociatrice lors de la prochaine série de négociations commerciales internationales reflétera ces différentes préoccupations. La recherche conduisant à orienter la position négociatrice de groupes de pays ayant des préoccupations similaires afin d'optimiser les bénéfices ou réduire l'impact négatif de certains aspects spécifiques des accords de commerce international est perçue par les personnes interrogées dans cette enquête comme une contribution utile. Une attention particulière doit être accordée aux pays les moins avancés en général, et plus particulièrement aux petits pays ayant un faible pouvoir de négociation.

Ci-dessous sont présentées certaines questions qui ont été soulevées dans ce domaine :

  1. A mesure que diminuent les bénéfices de systèmes préférentiels, quelles autres options de traitement en faveur de groupes de pays en développement concernés peuvent-elles être proposés afin de réduire le coût de l'ajustement à la concurrence accrue qui s'observe à l'échelon mondial? Il était question, dans les options proposées, de droits de douane compensatoires (afin de contrebalancer les subventions toujours en vigueur dans certains pays développés), de fonds d'ajustement destinés à promouvoir le changement en faveur de lignes de production plus écologiques, de façon à réduire les subventions accrues à l'exportation ainsi que des droits de douane sur les importations. Une analyse détaillée de l'incidence potentielle de ces options, ainsi que d'autres mesures, est nécessaire afin que toutes les parties bénéficient d'une capacité de négociation en connaissance de cause. Comment la sécurité alimentaire peut-elle être mieux assurée moyennant des dispositions supplémentaires à celles déjà adoptées lors des négociations de l'Uruguay. D'autres types de mesures spéciales peuvent-elles être élaborées afin de protéger les moyens d'existence des groupes les plus vulnérables, tant dans les zones rurales que dans les zones urbaines?
  2. Quelle serait la séquence la plus appropriée de mesures de libéralisation commerciale et d'autres politiques de réformes actuellement entreprises par un grand nombre de pays en développement (par exemple, des réformes du taux de change, du marché national des facteurs) ?
  3. Bien qu'en théorie, les questions liées à l'environnement soient mieux traitées dans le cadre d'accords et politiques spécifiques (non commerciaux), les gouvernements ont découvert que les mesures commerciales peuvent se révéler un mécanisme utile pour promouvoir la participation et la mise en œuvre d'accords environnementaux multilatéraux. Alors que l'importance accordée aux normes environnementales tend à augmenter avec le PIB par habitant, les pays les plus pauvres veulent éviter que les normes environnementales soient imposées de façon excessive par le truchement des accords commerciaux. Il en va de même pour les normes du travail. Quel est le rapport entre les préoccupations commerciales et celles liées à l'environnement et au travail? Sont-elles mieux traitées à travers des négociations commerciales ou bien par d'autres moyens? Quel est l'intérêt des pays pauvres dans ce domaine? De nombreux pays en développement considèrent que les questions liées à l'environnement devraient être laissées en marge des accords commerciaux, et craignent que l'inclusion de questions environnementales ne masque un protectionnisme croissant des économies développées.

La recherche sur ces thèmes devrait, elle aussi, contribuer à des positions négociatrices mieux informées.

En plus des accords internationaux, les accords commerciaux régionaux sont parfois cités comme un moyen de développer le commerce intra-régional, renforçant ainsi le pouvoir de négociation des pays participants, et comme une possibilité de contribuer à accroître la sécurité alimentaire au niveau sous-régional. Bien que certaines questions sur les conséquences théoriques de la mise en place d'accords commerciaux régionaux, ou l'analyse de leur fonctionnement dans les pays à revenus moyens et élevés (par exemple l'Union Européenne, l'ALENA, le Mercosur) aient fait l'objet d'études approfondies, les autres accords commerciaux régionaux ont bénéficié d'une attention bien plus réduite.

Cela se reflète dans certaines questions soulevées par les personnes interrogées dans le cadre de cette enquête : a) Quel est le facteur déterminant du succès ou de l'échec de certains accords commerciaux régionaux, et plus particulièrement, quelle a été l'expérience de pays plus pauvres (par exemple en Afrique et en Asie) dans la mise en place d'accords commerciaux régionaux? ; b) Quel serait l'impact des différentes options d'accords commerciaux régionaux sur la sécurité alimentaire nationale ? ; c) Les accords commerciaux régionaux sont-ils un moyen de se diriger vers une intégration commerciale multilatérale (création d'échanges commerciaux) ou plutôt un obstacle dans ce processus (détournement des échanges et discrimination commerciale accrue)? Ce sujet mérite des recherches approfondies dans différents contextes économiques et géographiques, à la lumière de sa compatibilité avec l'accord actuel de l'OMC en matière d'agriculture et dans la perspective des prochaines négociations de l'OMC.

Certaines inquiétudes ont également été soulevées en matière de commerce agricole international concernant plus directement des thèmes et politiques à l'échelon national, plutôt que les négociations commerciales multilatérales et la libéralisation du commerce. Un premier ensemble de préoccupations concerne les changements dans la composition de production agricole face à l'environnement émergent en matière de commerce et de politiques. Dans quelle mesure ces changements dans le commerce agricole ont-ils influencé (ou bien vont-ils influer à long terme) le changement de productions agricoles et le niveau de la production alimentaire destiné à la consommation nationale, et quelles en sont les conséquences? De quelle façon la tendance à l'industrialisation agroalimentaire est-elle renforcée par l'accroissement du commerce agricole, la concurrence internationale et l'internationalisation de normes de produits qui touchent le développement des différents secteurs agroalimentaires (agriculture, matières premières, transformation et distribution) dans les pays en développement? Dans quelles conditions ce processus conduit-il plutôt à des bénéfices résultant de la croissance économique répartis de façon équitable qu'aux bénéfices inégalement répartis? Quelles en sont les conséquences en matière de politiques, notamment celles liées au développement et à l'adoption de technologie ainsi qu'aux changements institutionnels?

Quels ajustements de politique nationale faut-il apporter dans les différents pays en vue d'améliorer la compétitivité et matérialiser les bénéfices potentiels issus de l'application des droits de douane et de l'élimination des distorsions commerciales? Il pourrait s'avérer intéressant, comme cela a été suggéré par quelques personnes interrogées dans le cadre de l'enquête, de traiter les produits échangeables de l'agriculture comme un cas particulier d'analyse industrielle et appliquer de nouvelles approches méthodologiques provenant d'autres disciplines, spécialement dans l'analyse des avantages comparatifs dynamiques et des mesures que peuvent adopter les gouvernements pour promouvoir la compétitivité.

Parmi les pays plus petits, certains craignent qu'à la suite de la mondialisation, l'importation d'aliments transformés et de moindre valeur nutritive ne remplace de façon croissante les produits alimentaires traditionnels dans le régime alimentaire de la population locale, ce qui provoquerait une forte détérioration de la qualité nutritionnelle. Cette inquiétude, ainsi que d'autres similaires, exigent que les politiques commerciales fassent l'objet d'analyses sur l'impact nutritionnel.

Une source potentielle de bénéfices pour l'agriculture des pays en développement pourrait être la création d'"étiquettes" définissant les conditions spécifiques de production (par exemple l'agriculture organique, l'absence de manipulation génétique, la répartition équitable des bénéfices), ce qui permettrait d'améliorer la production et l'exportation potentielles des produits agricoles nationaux, au lieu de produits provenant des méthodes de production industrielle en masse généralement employées par les entreprises transnationales. Il serait intéressant d'étudier les possibilités, ainsi que les mécanismes pouvant permettre leur application de telles mesures afin de contribuer à une croissance favorable aux populations pauvres.

5. Accroître la production agricole : enjeux en matière de durabilité et de technologie

Pression accrue sur les ressources naturelles et l'environnement

A mesure que s'étend l'échelle d'activités humaines, la capacité des écosystèmes de (ré)générer la base des ressources naturelles devient un facteur limitant de plus en plus contraignant pour la croissance et le développement. En ce qui concerne l'agriculture, l'effet combiné de la croissance démographique dans les pays en développement, des augmentations des revenus par habitant et des changements dans les modes d'alimentation liés, entre autres, à l'urbanisation croissante, va provoquer un accroissement considérable de la demande alimentaire et d'autres produits agricoles. Cette demande alimentaire plus forte devra être couverte soit par la production alimentaire locale, soit par une augmentation des recettes à l'exportation, principalement agricoles pour un bon nombre de pays en développement. Dans tous les cas, il existera des contraintes spécifiques liées au contexte, qui entraîneront probablement, même là où des progrès s'observeraient en matière de technologie agricole de gestion du sol, une plus grande expansion sur des terres de moins en moins productives, un besoin croissant en eau, des déboisements, une plus grande exploitation des ressources halieutiques et une dégradation de l'environnement.

La croissance démographique est un facteur important de pression sur les ressources naturelles et la dégradation de l'environnement. Une évaluation pertinente des problèmes associés au rapport population/aliments exige généralement un niveau d'analyse à l'échelon local, voire des ménages, bien que l'action puisse impliquer un appui à l'échelon national et au niveau international. C'est pourquoi les personnes interrogées ont insisté sur le besoin d'effectuer des recherches sur l'interaction entre les facteurs démographiques et la disponibilité alimentaire, y compris sur les indicateurs de la structure démographique et de croissance potentielle, et de trouver des mécanismes opérationnels afin de mesurer les rapports population/approvisionnement alimentaire et la vulnérabilité à l'insécurité alimentaire à l'échelon local et rendre compte des actions politiques pertinentes.

Une priorité générale de recherche qui se dégage de l'enquête concerne le besoin d'une révision et d'une évaluation peaufinées des meilleures pratiques pour une utilisation et une gestion durables des ressources naturelles, découlant des travaux de recherche menés jusqu'à présent, y compris l'analyse empirique des facteurs de réussite et échecs rencontrés sur la base des méthodes s'inspirant de la " Révolution doublement verte ". De telles pratiques peuvent être incluses dans des trains de mesures de politiques visant à accroître la production, tout en garantissant la durabilité et en favorisant l'accès aux ressources vivrières.

Ces mesures se verraient également favorisées par de meilleures informations et statistiques à l'échelon national et local sur des aspects tels que : les ressources foncières disponibles, les modes actuels d'utilisation du sol, les changements dans l'utilisation du sol, les terres potentiellement disponibles, l'érosion et la dégradation des sols, les ressources hydriques disponibles, etc. Un débat de fond autour des politiques exige également que des progrès soient accomplis dans la méthodologie d'estimation des ressources naturelles et des méthodes d'identification des compensations environnementales et à la production, des externalités associées à différentes technologies et processus, et de création d'instruments basés sur le marché afin de rationaliser et internaliser les coûts conformément à la répartition des bénéfices. 

De plus, il est nécessaire d'avoir une connaissance plus approfondies des facteurs conduisant à l'expansion des frontières agricoles (par exemple, cultures plus extensives opposées aux cultures intensives) et de l'incidence du choix du système agricole découlant des incitations de politiques, sur l'épuisement des ressources naturelles (déboisement, dégradation des sols et, généralement, réduction de la capacité productive). Comment le processus de dégradation des ressources peut-il être évalué, et si possible, enrayé sans compromettre la croissance? Des méthodes d'évaluation de la viabilité écologique et économique des systèmes de production des ménages sont indispensables pour éviter une décapitalisation progressive des producteurs (par exemple, épuisement de la fertilité des sols).

Plusieurs personnes interrogées dans le cadre de l'enquête ont souligné le problème des conflits en matière d'accès aux ressources naturelles et l'importance de mieux comprendre la façon dont les conflits entre différents acteurs (producteurs, consommateurs, éleveurs sédentaires et nomades, tourisme) peuvent être abordés et résolus tout en encourageant la croissance agricole et rurale durable, ainsi que le développement en général. D'autres thèmes de recherche identifiés par les personnes interrogées sont :

  1. L'évaluation du rôle et des possibilités de l'agriculture biologique et/ou raisonnée dans l'accroissement de la valeur de la production agricole, de l'emploi agricole et des revenus de façon durable.
  2. Une meilleure compréhension des questions, sociales et économiques, susceptibles d'orienter l'investissement public vers les zones les plus fertiles ou de faible potentiel.
  3. La réalisation, à cet égard, de recherches sur les politiques pertinentes pour affronter le problème des gains de productivité agricole de façon durable, dans des zones isolées et marginales.
  4. La recherche et diffusion de conclusions sur le développement d'activités durables et intégrées d'agrosylviculture, y compris la recherche portant sur l'utilisation efficace des aliments, ainsi que d'autres produits non-forestiers.

Ressources en sols et en eau : quelques questions économiques et politiques

Les régimes d'occupation et d'utilisation des terres et certaines politiques connexes constituent un facteur important de la croissance agricole durable. La question de la réforme agraire est toujours d'actualité dans de nombreux pays : l'accès à la propriété de la population rurale sans terres, d'autres formes de distribution des terres ou de consolidation d'exploitations restent des questions de politiques importantes. La façon dont ces thèmes seront abordés aura de fortes répercussions tant sur l'équité que sur l'efficacité dans les zones rurales.

Un premier thème de recherche soulevé par les personnes interrogées en ce qui concerne la politique agricole est le besoin de réaliser une enquête systématique sur les expériences en matière de politiques de réforme agraire en vue d'en tirer des leçons sur l'élaboration et la mise en place de politiques de réformes agraires. Les avantages comparés de la création de marchés de location des terres, en opposition à la distribution des terres, pourraient également faire l'objet de recherches approfondies. La question des réformes agraires basées sur le marché et leurs conséquences devraient être étudiées en profondeur.

Dans de nombreuses zones, les systèmes traditionnels d'utilisation des pâturages a libre accès et sans restrictions sont en train de perdre leur stabilité en raison de la croissance démographique, des politiques gouvernementales, de la commercialisation de l'agriculture, et des changements technologiques. Dans de tels cas, l'absence de régime foncier clairement définit et d'accès aux ressources sûrs peut constituer un obstacle au développement agricole durable. C'est particulièrement le cas des terres destinées à l'élevage, où l'accès libre a conduit au surpâturage, l'érosion et la désertification des sols. Par conséquent, une recherche s'impose pour identifier les mesures institutionnelles et légales nécessaires à la résolution de ces problèmes.

L'analyse de systèmes intégrés de gestion de la terre, de l'eau et du littoral est perçue par les personnes interrogées comme une priorité de recherche, en particulier en ce qui concerne les petits états insulaires. Dans ces pays, une meilleure compréhension de ces systèmes est une condition sine qua non pour l'élaboration de politiques pertinentes aux fins du développement durable.

Un grand nombre des thèmes précités acquiert une importance considérable dans les économies en transition, dans le contexte de l'adjudication de terres qui appartenaient à l'Etat ou étaient de propriété commune. De même, en ce qui concerne les économies en transition (entre autres), des études approfondies sur le fonctionnement des marchés fonciers devraient être effectuées, afin de mieux comprendre les raisons du manque de progrès dans le développement de marchés agraires fonctionnant de façon appropriée.

Le secteur de l'agriculture étant le principal utilisateur d'eau, une plus grande production destinée à satisfaire les besoins d'une population qui ne cesse d'augmenter implique une plus grande utilisation pour des approvisionnements déjà limités. La demande croissante et consommation souvent irrationnelle d'eau créent des problèmes de pénurie exigeant une plus grande attention dans l'élaboration de politiques pour une utilisation durable de cette ressource vitale. Le problème est particulièrement grave au Proche Orient et en Afrique du Nord, mais il est également présent dans d'autres régions. Les personnes interrogées ont soulevé certaines questions dans ce domaine, qui sont résumées ci-après.

Les données actuelles en matière de disponibilité en eau utilisées pour l'élaboration et l'évaluation de politiques sont loin d'être satisfaisantes. La collecte et la diffusion de données et de statistiques en matière de consommation d'eau dans les activités agricoles ont été signalées comme étant prioritaires.

Dans le contexte des débats passés et actuels sur la pertinence et la relation coût-efficacité de différents système d'irrigation. Des analyses approfondies et actualisées devraient être réalisées sur l'incidence des réformes de politiques en matière de ressources hydriques, y compris la diminution des travaux d'entretien, la rentabilité des différents types de systèmes d'irrigation dans divers contextes, le rôle (et l'association potentielle) entre) le secteur public et les groupes sociaux. Cette recherche devrait contribuer à orienter les futures politiques gouvernementales et la coopération internationale.

On perçoit également le besoin d'effectuer de nouvelles recherches sur la façon de fournir des incitations aux agriculteurs afin que ceux-ci adoptent des pratiques plus rationnelles d'utilisation de l'eau dans les travaux agricoles. Il existe un besoin spécifique de recherches sur la meilleure façon de développer des politiques pertinentes et socialement acceptables de fixation des prix de l'eau, et sur la gestion durable des eaux souterraines, en particulier au niveau des institutions qui gèrent cette ressource non-renouvelable de propriété commune. Un autre problème important est le manque de conscience des utilisateurs d'eau dans les régions où les nappes phréatiques sont surexploitées. Une recherche et communication opportunes afin de sensibiliser le public sur les menaces pesant sur l'environnement sont des conditions nécessaires à la prise de décisions en matière de politiques, ainsi qu'à leur acceptation.

Il est nécessaire d'approfondir les recherches portant sur les politiques et les mécanismes de formulation et de mise en place de modalités pertinentes de gestion partagée des ressources hydriques. La création d'associations d'usagers de l'eau est un système institutionnel de gestion des ressources hydriques souvent défendu par les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux de développement lors de ces dernières années. Des recherches sont nécessaires sur l'expérience de ces associations d'usagers de l'eau, y compris les facteurs déterminant leur création et dissolution. Quel peut-être le rôle des politiques à l'échelon national ou local afin de renforcer leur efficacité?

La disponibilité d'eau potable est étroitement liée à la sécurité alimentaire et des moyens d'existence. Sans pour autant négliger l'impact de ces tarifs sur les populations pauvres, l'analyse des systèmes de fixation des prix de l'eau équilibrant la demande en eau pour l'agriculture et la consommation humaine est essentielle.

Recherche et technologie agricoles : quelques thèmes économiques et de politiques

Dans la quête de l'atténuation de la pauvreté, de l'accroissement de la sécurité alimentaire et de la durabilité, le progrès de la recherche et de la technologie agricoles joue un rôle fondamental. Le progrès technologique peut contribuer à accroître la production, la sécurité et la qualité des aliments et des produits agricoles, à un coût réduit et avec un épuisement moins important des ressources naturelles. Il existe des systèmes nationaux et internationaux pour aborder les problèmes de la recherche et de la technologie agricoles et de leur gestion. Il ne s'agit pas, dans cette section, de commenter leurs efforts, mais de se limiter à décrire les perceptions des thèmes soulevés au cours de l'enquête pouvant faire l'objet de recherches.

Une plus grande productivité de la terre et de la main d'œuvre est possible, à court terme, moyennant une application plus généralisée à l'échelon local des technologies existantes et, à long terme, le développement ou l'adaptation de nouvelles technologies à des systèmes identifiés de production agricole. Jusqu'à présent, la recherche agricole dans les pays en développement s'est principalement concentrée sur la production dans des zones à potentiel relativement élevé et sur les exportations traditionnelles et les principaux aliments de base. Les personnes interrogées appellent à réaliser un changement partiel dans les stratégies de recherche, afin d'inclure le développement de technologies pour les cultures vivrières nationales et les produits d'exportation non-traditionnels.

Il est largement admis que le rendement des investissements en recherche agricole a généralement été élevé et que l'application des résultats des recherches a conduit à des gains de production. Cependant, dans certaines régions, (par exemple l'Afrique subsaharienne) les Systèmes Nationaux de Recherche Agricole n'ont jusqu'à présent pas eu l'impact obtenu ailleurs en termes de gains de productivité. Actuellement, l'un des principaux défis est d'engendrer une recherche agricole qui permette de doter les pays de l'Afrique subsaharienne, ainsi que d'autres régions, jusqu'à présent exclues de la plupart des gains de productivité de ces dernières décennies, de la technologie nécessaire afin d'accroître et d'améliorer la production agricole de façon durable et à tous les niveaux.

A ce sujet, certains thèmes ont été soulevés par les personnes: la façon de renforcer la capacité des Systèmes Nationaux de Recherche Agricole afin de les rendre plus efficaces et effectifs pour répondre aux besoins de recherche et de développement et transfert de technologie ; le besoin d'étudier de façon approfondie de nouvelles stratégies pertinentes de financement de la recherche agricole (publiques ou privées, payées par l'Etat ou la clientèle, etc.), également liée à différents thèmes de recherche ; la mesure dans laquelle le manque d'investissements, services et biens publics complémentaires fait obstacle à une application efficace des technologies modernes destinées à améliorer la productivité ; la portée des politiques destinées à améliorer la performance des technologies agricoles autochtones avec la participation des communautés locales et la mise au point de lignes directrices en vue de parvenir à des approches participatives efficaces.

Les technologies pertinentes peuvent varier énormément selon qu'il s'agisse d'agriculture commerciale ou des petites exploitations agricoles. Les agriculteurs commerciaux affrontent généralement moins de difficultés pour adopter la technologie nécessaire. Les petits agriculteurs sont limités par des facteurs tels que le manque de crédit et les facteurs risques. Le défi consiste à formuler des politiques et à mettre sur pied les institutions nécessaires afin de créer, adapter et diffuser les technologies pertinentes pour les différents types d'agriculteurs.

Des études spécifiques du point de vue géographique concernent le marché du travail sont également nécessaires afin de définir les caractéristiques et l'ampleur des conditions de travail, du sous-emploi et d'autres thèmes connexes, tels que les patrons saisonniers de la demande de travail. Les résultats de ce type de recherche auront des conséquences sur les politiques liées à la création et l'adoption de technologie.

Un domaine encore relativement vierge est celui de la biotechnologie. Quel sera son impact sur la biodiversité? Quels en sont les usages possibles pour satisfaire les besoins des populations pauvres et garantir la sécurité alimentaire, et quelles rôle joueraient les systèmes nationaux et internationaux de recherche agricole dans ce domaine? A l'inverse, quels sont les risques de polarisation de la production dans les pays développés et de déplacement de la production agricole des pays en développement moyennant la substitution des aliments produits grâce aux innovations biotechnologiques, y compris de ceux qui jusqu'à présent ne pouvaient être obtenus que dans les pays tropicaux? Comment la coopération entre pays peut-elle promouvoir l'acquisition d'innovations biotechnologiques?

Ce qui a été clairement établi dans les expériences passées, et que les personnes interrogées ont constamment réitéré, est le besoin absolu de se centrer sur la demande de nouvelles technologies et la formation de personnes pouvant les utiliser. Dans les zones rurales, des taches spécifiques doivent être réalisées afin d'établir l'accessibilité aux moyens de communications et d'information : Comment ces besoins sont-ils déterminés? Comment la capacité des Systèmes nationaux de recherche agricole peut-elle promouvoir le perfectionnement des Systèmes d'information agricole? Comment accroître la participation des différents acteurs? Comment mesurer l'effectivité des systèmes d'information en ce qui concerne les objectifs établis?

Il n'y a aucun doute sur le fait que la privatisation et la libéralisation se sont traduites par un accroissement de l'efficacité agricole globale et de la prestation de certains services. Cependant, étant donné que la recherche et l'extension comprennent un élément considérable de bien public, une privatisation complète pourrait conduire à un déficit de financement de telles activités. Il est probable, en particulier, que l'agriculture à petite échelle soit laissée de côté, tant par manque d'intérêt des institutions de recherche privées qu'en raison du coût élevé que représenterait pour les petits agriculteurs l'accès aux conclusions des travaux de recherche, avec les pertes d'efficacité que cela entraîne. Existe t-il des exemples réussis de privatisation des travaux de recherche et d'extension, et quelles sont les caractéristiques de ces systèmes? Lesquels d'entre eux peuvent-ils être imités?

En Afrique, par exemple, le secteur public joue encore un rôle important dans la recherche agricole et la génération de technologie. Bien qu'il serait souhaitable d'étudier le degré d'association avec le secteur privé, toute décision de déplacement vers un système agricole plus orienté vers le secteur privé devrait, d'après les réponses à cette enquête, être soigneusement examinée. Dans les pays en transition, la façon dont doit être réorientée la recherche agricole en fonction de l'évolution du contexte économique, soulève des questions très différentes de celles d'autres régions, et doit être analysée en profondeur.

Les expériences passées avec les différentes méthodes de recherche et d'ingénierie doivent être appréciées à leur juste valeur, afin de préciser les raisons spécifiques des pertes d'efficacité de la recherche là où celles-ci ont été observées, les initiatives de politiques nécessaires pour relancer les recherches sur les besoins des petits agriculteurs, et le cadre institutionnel pouvant garantir une transition effective vers un système de recherche et de connaissance déterminé par la demande. Les efforts de recherche devraient se centrer sur la façon dans laquelle les pays abordent le thème de la décentralisation, et les conséquences de politiques que cela implique sur la recherche agricole.

Des mesures destinées à éviter l'effondrement des services publics de vulgarisation devraient être envisagées, en raison de la nécessité d'étendre ces services aux populations rurales pauvres. Dans ce domaine, de nouvelles modalités de prestation de tels services (par exemple par les écoles, les magasins locaux, la radio, Internet) devraient être analysées à travers, entre autres, une perspective coût/bénéfice. L'expérience quant à la coopération entre associations d'agriculteurs, ONG, groupes communautaires et le gouvernement en matière de recherche et d'encadrement doit également être étudiée afin de formuler des lignes directrices en vue d'une meilleure coordination.

Le volet des droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne l'agriculture a bénéficié d'une attention particulière de la part des personnes interrogées. Des recommandations ont été formulées dans deux grands domaines : a) le besoin d'effectuer des recherches plus approfondies sur les conséquences économiques de l'extension des droits de propriété intellectuelle aux variétés, technologies et marchés agricoles et b) le besoin de développer et de renforcer des mécanismes institutionnels, des systèmes de contrôle nationaux et internationaux afin d'aider les gouvernements à gérer les droits de propriété intellectuelle dans le domaine de l'agriculture et éviter que les bénéfices des droits de propriété intellectuelle ne se limitent à quelques rares privilégiés.

La tendance récente à la protection accrue des droits de propriété intellectuelle provient des pays développés. Il s'agit d'un thème qui provoque une préoccupation croissante dans les pays en développement, en raison des risques d'accentuation de la polarisation et de l'exclusion. La protection des droits de propriété intellectuelle implique des compromis très complexes en ce qui concerne les éventuels effets positifs (par exemple, la promotion des innovations) et préjudiciables (par exemple, l'accès restreint) sur la création et diffusion de connaissances et information. L'importance relative de tels effets peut varier considérablement d'une industrie à l'autre (certaines sont plus intensives en droits de propriété intellectuelle que d'autres, l'exemple type étant celui de l'industrie pharmaceutique) et peut faire intervenir d'autres facteurs, tels que l'ouverture commerciale d'un pays ou une structure de marché de la branche d'activités. En effet, les politiques de protection des droits de propriété intellectuelle influent également sur la structure du marché et aura des conséquences au niveau de la distribution. Cependant, on sait très peu de la façon dont fonctionnent ces liens complexes et leurs effets potentiels nets sur l'agriculture. Par conséquent, une recherche plus approfondie s'impose afin d'évaluer l'incidence possible de différentes options de politiques dans ce domaine, depuis la perspective des pays en développement.


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