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2.1 Société, communauté et culture


Société

Pour la plupart des anthropologues le sens du mot «social» est bien défini par Townsley dans son rapport “Social Issues in Fisheries” (1998, page 7):

...on peut définir le mot «social» comme désignant ce qui est relatif aux interactions entre les êtres humains, considérés en tant qu’individus ou en tant que groupes.

Une société sous-entend donc l’existence d’individus ou de groupes en interaction mutuelle de façon plus ou moins permanente et entre lesquels il existe des modalités d’interaction bien définies. Les membres d’une société n’ont pas nécessairement la même culture en commun.

Communauté

De manière générale, une communauté est un groupe social d’une taille quelconque, dont les membres habitent une localité déterminée, sont en interaction mutuelle de façon permanente et ont en commun une certaine perception de leur identité, de leurs intérêts, des valeurs, des institutions gouvernementales, ainsi qu’un héritage culturel et historique. La définition d’une communauté n’exige pas que tous les membres habitent en permanence une localité précise, ni que chacun d’eux soit en interaction permanente avec les autres.

Culture

La culture est une création humaine que les hommes redéfinissent et réinventent constamment. Elle est censée répondre à différents besoins de l’être humain, notamment obtenir des réponses aux questions qu’il peut se poser - depuis les plus pragmatiques et les plus concrètes, jusqu’aux interrogations essentiellement philosophiques et universelles.

Selon cette définition, la notion de culture couvre bien plus que la culture dite «noble», autrement dit va largement au-delà des arts et des humanités, de la musique, de la littérature, des arts figuratifs ou des talents de société reconnus. Elle désigne plus généralement la somme de connaissances communes à une population déterminée, notamment des connaissances concernant la langue, l’histoire, la mythologie, les croyances religieuses, la conception du monde, les valeurs, les normes de comportement, les moyens d’existence actuels et les formes courantes d’organisation sociale économique, politique et religieuse. Ce savoir est constitué en grande partie de symboles importants - par exemple, les conventions propres à la langue d’une culture - ainsi que d’autres connaissances, par exemple celles qui concernent des objets matériels et la façon de les obtenir ou de les fabriquer et de les utiliser. De plus, lorsqu’une culture se compose des connaissances communes accumulées pour répondre à des besoins et résoudre certaines questions, elle peut alors également être définie comme le modèle théorique de mode de vie et de comportement adopté par une population (Keesing 1981: 68-69 et 144). Or, bien que dans une large mesure elle suggère aux membres de cette population un mode de vie et un comportement, elle n’a aucunement un rôle déterminant à cet égard. De fait, la culture est une construction issue des connaissances, des croyances, et des comportements humains et non l’inverse.

Par ailleurs, elle fait l’objet d’un apprentissage par les nouveaux membres de la communauté considérée (c’est-à-dire les nouveaux-nés et les enfants), et est ainsi transmise aux générations suivantes. Une culture particulière est un système complet comportant différents aspects interdépendants, sa composante familiale par exemple, ainsi que ses composantes politiques, économiques et religieuses. Et puisque une culture est organisée en tant que système, les influences extérieures à l’origine de changements survenus dans l’une de ces composantes, sont susceptibles d’avoir des ramifications et des répercussions au sein des autres composantes - parfois dans chacune d’elles.

Par exemple, l’effondrement d’un stock de poissons, qui a été de longue date la base du système de subsistance d’une communauté de petits pêcheurs, entraînera obligatoirement le choix de nouvelles espèces cibles. Cela peut impliquer ensuite un apprentissage du mode d’utilisation de méthodes et de techniques de pêche nouvelles et peu familières. Or, le recours à des méthodes et techniques de pêches nouvelles peut alors impliquer des changements dans le mode d’organisation de l’effort de pêche, provoquant ainsi à leur tour d’importants changements dans l’organisation sociale de la communauté et dans la structure des relations interpersonnelles. L’effondrement du stock de poisson peut par ailleurs avoir eu une grande importance symbolique eu égard aux traditions, à la mythologie, à la religion et à l’identité culturelle de la communauté considérée, laissant ainsi ces mêmes composantes profondément appauvries et dans l’incapacité de se régénérer rapidement. Le fait de recourir à nouveau à des stocks de poissons jusqu’à présent sous-utilisés peut par ailleurs induire de nouvelles croyances et de nouveaux comportements concernant les droits d’accès, d’exploitation et d’aménagement local détenus par la communauté de pêcheurs.

Evidemment, l’effondrement d’un stock de poissons traditionnellement exploité serait un événement majeur dans la plupart des communautés de petits pêcheurs, susceptible d’entraîner rapidement un important changement culturel. Toutefois, des événements moins spectaculaires peuvent également avoir des répercussions lourdes de conséquences, sur différents aspects: amour-propre des membres de la communauté, caractéristiques de la composition des ménages, modes de prise en compte des liens parentaux, convictions en matière de rôles des sexes, préférences quant aux divers types de rapports sociaux. On peut donc considérer que les caractéristiques culturelles des communautés de petits pêcheurs peuvent être renforcées ou affaiblies par les influences extérieures, notamment en rapport avec l’aménagement des pêches: il importe donc de garder présent à l’esprit le caractère interdépendant et ramifié de ces caractéristiques.

La culture est en outre évolutive et peut changer en fonction des circonstances, bien que les transformations soient d’ordinaire d’une ampleur modérée, les changements affectant les représentations étant d’ordinaire précédés par les changements induits par des nécessités plus concrètes et plus immédiates. Le changement permanent fait jusqu’à un certain point partie intégrante de la condition humaine, mais un changement culturel trop rapide peut constituer un traumatisme dommageable pour les membres d’une culture. En effet, celle-ci est le résultat d’une accumulation considérable d’expériences humaines, le produit des adaptations à long terme de ses membres aux conditions de vie de leur région, ainsi que d’adaptations à un contexte actuel plus immédiat.

En tant que telle la culture ne doit pas être opposée à la modernisation, comme si l’une précédait toujours l’autre, ou comme s’il s’agissait de réalités bien distinctes, parce qu’à présent la modernisation fait tout autant partie des cultures contemporaines que les traditions anciennes dont l’histoire remonte loin en arrière. Il n’y a pas lieu non plus de supposer que tous les membres d’une culture partagent les mêmes points de vue à ce sujet. Les personnes âgées peuvent par exemple percevoir la modernisation comme un phénomène menaçant et peu souhaitable, tandis que les adolescents et les jeunes adultes peuvent y adhérer avec enthousiasme; les premières peuvent voir dans le passé récent «le bon vieux temps», tandis que les secondes considèrent cette période comme gênante, «sous-développée», ou arriérée. Les hommes et les femmes ne partagent pas toujours la même vision des choses. Même des gens du même âge et du même sexe peuvent avoir des opinions radicalement différentes. Aussi importe-t-il pour toute personne désireuse de connaître une culture de rester sensible à la diversité des opinions qui lui sont généralement présentées.

Certes, les membres d’une culture partagent généralement une «grande tradition», des «traits généraux» ou encore une «identité culturelle»; ils partagent toutefois ces éléments de différentes façons et à des degrés divers. Ainsi, les groupes sociaux ou les communautés qui partagent une partie seulement des caractéristiques plus générales d’une culture sont généralement qualifiés de «sous-cultures» d’une culture plus vaste. Qui plus est, ces mêmes sous-cultures peuvent avoir nombre de points communs avec des sous-cultures appartenant à d’autres cultures très différentes.

Dans le monde actuel en rapide évolution de nouvelles sous-cultures apparaissent sans cesse. Parfois, elles gomment des distinctions culturelles jadis importantes qui jusqu’à maintenant différenciaient des groupes humains en fonction de leur histoire, de leur langue, de leur appartenance ethnique, de l’organisation économique et de la religion. Au cours des trois dernières décennies, de nombreuses cultures ont privilégié de plus en plus des valeurs relativement nouvelles concernant l’utilisation des ressources naturelles, valeurs souvent jugées contraires à leurs intérêts par les personnes faisant partie de cultures «autochtones», «traditionnelles» et «communautaires».


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