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2.5 Fierté professionnelle, ténacité et identité culturelle


Les membres des communautés de petits pêcheurs qui opèrent en mer, éprouvent généralement une profonde fierté de leur identité professionnelle en tant que pêcheurs, et un véritable attachement à ce mode de vie. La pêche en mer exige un degré élevé d’indépendance et d’autonomie, une grande aptitude à prendre des risques et une bonne capacité d’adaptation à un travail extérieur difficile: ces importantes caractéristiques culturelles du métier de pêcheur sont par ailleurs non moins importantes en tant que caractéristiques personnelles de ceux qui l’exercent. Qui plus est, lorsque les pêcheurs travaillent en mer dans des conditions particulièrement dangereuses, ou lorsqu’ils capturent des espèces marines dont la taille ou la valeur est exceptionnelle, ce métier peut être entouré d’une aura d’héroïsme au sein des communautés d’origine. De fait, dans nombre de communautés de petits pêcheurs il existe souvent une certaine mystique de la pêche.

Chez nombre de ceux qui la pratiquent à titre professionnel, la pêche confère souvent, non seulement des repères importants en matière d’identité et de fierté personnelle, mais aussi une sorte de «prime de satisfaction» que l’on ne peut mesurer uniquement en termes économiques. Ainsi, pour la plupart des pêcheurs à petite échelle qui année après année, choisissent de travailler en mer, la pêche est considérée non seulement comme un moyen d’assurer leur subsistance, mais aussi comme une activité intrinsèquement gratifiante à part entière - autrement dit un style de vie attrayant et authentique. Cette fierté et cette satisfaction professionnelle sont en outre perçues même parmi ceux qui se livrent à la pêche pendant une petite partie seulement de l’année, tout en consacrant sinon la plus grande partie de leur temps à d’autres activités indépendantes de la pêche.

Les raisons exposées ci-dessus jouent pour nombre de pêcheurs en faveur d’un attachement tenace à leur métier et les incitent à continuer à l’exercer même lorsqu’il a cessé d’être économiquement rentable - ce qui a intrigué aussi bien les économistes que les responsables des pêches. Aussi, si la logique économique courante n’explique sans doute pas la ténacité des pêcheurs à petite échelle confrontés à la baisse de leurs revenus, la logique existentielle humaine permet peut-être de comprendre cette attitude.

Les responsables des pêches désireux d’introduire des pratiques et des politiques de gestion plus efficaces et plus pertinentes auront tout intérêt à se pénétrer de l’importance des caractéristiques culturelles susmentionnées propres aux communautés de petits pêcheurs. De fait, ils constateront sans doute chez les pêcheurs dont ils s’occupent une valorisation aussi forte, voire plus forte encore de la pérennisation de leur style de vie, plutôt que d’essayer simplement de faire en sorte que la pêche soit un moyen rentable de garantir leur subsistance.2

Encadré 1
Fierté professionnelle, indépendance, et acceptation des risques

Junger (1997: 48-49) cite la veuve du capitaine d’un bateau de pêche au destin tragique, originaire de Gloucester au Massachusetts, (E-U) quant aux sentiments de son mari à l’égard du métier de pêcheur:

Une fois engagés dans cette voie, les hommes ne connaissent rien d’autre. Il s’agit en définitive d’une véritable passion qui les emporte... personne ne peut l’éradiquer du plus profond d’eux-mêmes et ils ne peuvent être heureux tant qu’ils n’exercent pas cette activité.

Par ailleurs, Allison (1988: 234), cite une femme qui pendant plus de 20 ans a été patron de son propre navire de pêche, pratiquant la pêche au saumon et au thon blanc au sud-est de l’Alaska et au large des côtes des Etats de Washington et de l’Oregon (E.U):

Vous connaissez l’expression... «l’appel de la mer»? C’est exactement ce qui m’est arrivé. Quand je m’éloigne de l’eau, n’importe où, j’ai l’impression d’être prisonnière des terres. Il faut absolument que je sois à proximité de l’eau; je suis persuadée que ma vocation majeure se trouve là. Et j’ai pourtant connu quelques tempêtes assez méchantes.

Dans la plupart des communautés de petits pêcheurs où la pêche subvient aux besoins d’une fraction notable de la population locale, les divers métiers liés à ce secteur et exercés par des membres de la communauté se trouveront imbriqués à travers le tissu même de la culture locale communautaire, jouant un rôle dans pratiquement toutes les composantes majeures du système culturel. Ainsi les éléments constitutifs suivants seront normalement et dans une large mesure façonnés et imprégnés par les activités liées à la pêche: l’organisation sociale, notamment les modes dominants d’organisation domestique, familiale et parentale; l’organisation économique, notamment les principaux modes d’obtention des actifs matériels, de recrutement de la main-d’œuvre et de partage et de distribution des divers coûts et avantages économiques; l’organisation politique, les principaux modes de gestion des affaires internes; l’organisation religieuse, notamment les principaux symboles, ainsi que l’organisation et le calendrier des principaux rituels, l’identité culturelle de la communauté et enfin, l’identité culturelle personnelle des différents membres de la communauté.

Qui plus est, même lorsque les activités liées aux pêches ne constituent qu’une minorité des activités de subsistance d’une communauté, la sous-culture de la pêche est néanmoins susceptible de contribuer dans une mesure disproportionnée à la définition de la culture locale et de l’identité culturelle communautaire. Par conséquent, les responsables des pêches doivent impérativement garder présentes à l’esprit l’étendue des ramifications possibles des activités liées aux pêches parmi les différentes composantes de la culture d’une communauté, et l’importance des implications potentielles des changements survenus dans les pratiques et les politiques d’aménagement pour nombre de ces composantes, sinon pour toutes.


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