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5. OBSERVATIONS CONCERNANT LA CULTURE LOCALE


5.1 Langues

Les pêcheurs du delta du Niger appartiennent à un certain nombre de groupes ethniques parlant plus de 200 langues et dialectes différents, nombre des groupes linguistiques isolés vivant dans l’État de Rivers. Essien (1987) et Abasiatai (1987) ont publié une étude importante consacrée aux langues parlées dans les États de Cross River et d’Akwa Ibon, qui contenait certaines indications quant aux caractéristiques ethniques, historiques et culturelles en présence. Par contre, beaucoup de choses restent semble-t-il à découvrir quant à la diversité ethnique de la région du delta, où vivent de nombreuses communautés isolées. De plus, il existe un certain nombre de nouveaux établissements, par exemple des villages créés par les pêcheurs de Yoruba qui ont immigré depuis l’Est du Nigéria depuis la période consécutive à la guerre civile.

Il est certain que la grande diversité linguistique de la zone du projet et l’absence de langue unique commune à tous les habitants, est un handicap majeur, non seulement pour toute initiative de développement, mais aussi pour la coopération intracommunautaire, la gestion traditionnelle des ressources et les différentes activités actuellement intégrées à un contexte ethnique, linguistique et culturel commun et à un cadre traditionnel. D’après une étude très partielle menée à bien par l’auteur, il existe des communautés dans lesquelles les langues principalement parlées étaient l’andoni (Uta Ewa, Oyrokoto), le yoruba (Ajegunle, Downbelow), l’ibibio et l’ibeno (Ibeno), l’oron et l’efik (zone de Calabar et d’Oron), le calabari (le long de la côte du littoral sud-est), l’ijaw (Apokiro) et l’umon (zone de l’île Umon). Bien que l’ibibio semble jouer un rôle prééminent dans l’État d’Akwa Ibom en général, tel n’est apparemment pas le cas dans la population de pêcheurs des marais du delta et du littoral océanique (voir également Abasiatai, 1987; Essien, 1987; Geo-Jaja, 1991; et FIDA, 1988).

5.2 Religion et traditions

Introduit dans la région au XIXe et XXe siècles, le christianisme est considéré normalement comme la religion prédominante. Chacune des nombreuses confessions du christianisme possède ses propres églises, ses missionnaires et son clergé. Toutefois, dans beaucoup de villages de pêcheurs l’ancienne religion traditionnelle reste très répandue. L’islam par contre est rarement présent dans cette partie du Nigéria.

Sur la foi d’observations superficielles, les premiers voyageurs européens ont qualifié les religions d’Afrique occidentale de formes de paganisme, de fétichisme, d’animisme, etc. La réalité est cependant plus complexe. Par exemple, les Ibibios qui forment un groupe ethnique assez mobile d’une importance prédominante dans la région se composent hormis les Ibibios proprement dits, de plusieurs sous-groupes (par exemple, Afik, Oron, Eket, Ibuno, Efiat, Okobo, Andoni de l’est et Annong). En règle générale, ils ont une religion traditionnelle et plutôt monothéiste. Ils ont cru en un Dieu suprême créateur (Abasi Ibom) longtemps avant l’apparition du christianisme dans cette région. Leur religion comporte néanmoins par ailleurs le culte de divinités ou d’esprits secondaires, et celui des ancêtres, parallèlement à celui d’anges, de saints et d’esprits diaboliques occidentaux.

Selon la tradition ibibio, après avoir créé le monde, le Dieu créateur omniprésent, omnipotent et omniscient vivait parmi ses créatures et avec la maîtrise de la nature et du soleil fournissait aux hommes, la lumière, le feu et la chaleur. Globalement, il est possible de se représenter cette époque comme le paradis sur terre. Or, par la suite, irrité par les hommes qui se multipliaient et polluaient Son environnement et qui n’étaient jamais satisfaits de Ses largesses, Dieu a abandonné la terre et s’est installé au ciel. Il a alors emporté avec lui le soleil qui depuis brille au firmament. Toutefois, il a laissé ici-bas des divinités secondaires chargées de le représenter sur place et de gouverner les hommes et les lieux. Puisque les gens étaient tenus d’honorer ces divinités, les Ibibios ont été considérés à tort par les européens comme polythéistes et animistes. Enfin, la tradition de cette religion, dont il existe des variantes dans toute l’Afrique Occidentale, contient un enseignement moral important du point de vue de l’écologie: si les hommes se multiplient au point de détériorer leur écosystème, Dieu les abandonne.

Cette religion pré-chrétienne et ses rites et coutumes associés ont survécu à l’introduction du christianisme, et bien que celui-ci soit solidement établi, ils font parallèlement l’objet d’une pratique répandue. Au demeurant, cette pratique est souvent exclusive, dans le cas des communautés plus petites et davantage isolées. Les libations qui accompagnent tout rassemblement de quelque importance illustrent parfaitement cette coexistence entre religions traditionnelle et chrétienne. Il y a toujours un chef qui effectue les offrandes traditionnelles, mais si un pasteur chrétien d’une stature suffisante est présent au sein de la communauté, il sera également invité à donner ses propres bénédictions.

La religion traditionnelle est très complexe et présente de multiples aspects. Parmi les croyances qui lui sont propres figurent la réincarnation, l’immortalité de l’âme, le seigneur des morts, différents tabous spirituels et alimentaires, la magie et la sorcellerie, la possession par des sirènes et des tritons provoquant des troubles mentaux, et davantage encore. Les sacrifices humains et la destruction des nouveaux-nés anormaux, des jumeaux et des triplés était une pratique courante avant la propagation du christianisme et l’instauration d’une législation explicite. Il existe par ailleurs, le long des criques et des estuaires de l’État Rivers de nombreux établissements ijaws dont les membres passent pour d’excellents pêcheurs et une authentique population aquatique et dont beaucoup pensent qu’ils immergent leurs enfants nouveaux-nés dans la rivière à titre d’initiation rituelle.

L’indépendance politique du Nigéria a amorcé une renaissance de la culture africaine précoloniale et des religions traditionnelles qui avaient été discréditées pendant la période coloniale. Simultanément, ces éléments furent alors intégrés au christianisme pour former un nouveau syncrétisme. Actuellement néanmoins, on peut s’interroger sur l’intérêt de substituer le christianisme ou l’islam à la religion locale traditionnelle et sophistiquée de type quasi monothéiste par le christianisme ou par l’islam (Abasiatai, 1987; Talbot, 1967; Uya, 1981 et Udo, 1983).

5.3.1 Polygamie

Comme partout en Afrique, la polygamie est très répandue, en dépit du christianisme, à l’exception de certains individus ayant reçu une éducation occidentale. Dans les communautés de pêcheurs ce facteur contribue dans une large mesure à l’indépendance économique des femmes: il en est ainsi en raison des absences prolongées de leurs maris qui se trouvent en mer ou dans les camps de pêche ou qui partagent leur temps avec d’autres épouses. Une femme mariée qui a la responsabilité principale de ses enfants et de la gestion économique de son ménage doit veiller à son indépendance financière.

5.4 Les dirigeants

Les dirigeants communautaires traditionnels ou les chefs, jouent un rôle majeur dans tous les établissements, villages et municipalités de pêcheurs. Le chef est la première personne à visiter pour demander l’autorisation d’entreprendre toute activité. Les chefs doivent être convaincus et parfois recevoir des encouragements matériels à cet effet, avant d’approuver toute nouvelle initiative. L’accord du chef et sa coopération sont donc essentiels et les autorisations émanant de l’administration fédérale, provinciale et locale ont un pouvoir encore accru lorsqu’elles sont entérinées par les chefs traditionnels. La situation se complique cependant lorsque, comme cela est le cas dans beaucoup de villages de pêcheurs, la population est constituée de membres appartenant à plusieurs tribus et à différents groupes linguistiques, chacun doté de son propre chef.

Certains chefs sont reconnus en tant que chefs Juju. Ces derniers sont censés posséder des pouvoirs surnaturels et avoir des rapports avec l’autre monde, et pratiquent la médecine traditionnelle. Ils contribuent par ailleurs à préserver l’observation des normes sociales traditionnelles, consistant par exemple à exécuter certains rituels lorsque deux parties se sont entendues au sujet d’un prêt, de façon à garantir le remboursement par l’emprunteur (Abasieking, 1991; Talbot, 1967; Uya, 1984 et Udo, 1983).

5.5 Associations d’épargne traditionnelles

Dans nombre de communautés d’Afrique occidentale il existe des groupes ou des clubs traditionnels d’épargne et de crédits, connus sous des appellations diverses telles que esusu, osusu, adashi, club, etc., selon la langue ou le dialecte local considéré. La forme et la nature précise d’un esusu sont variables d’une tribu à l’autre et d’un endroit à l’autre, mais présenteront en règle générale les caractéristiques décrites ci-dessous. Ces associations d’épargne méritent une attention particulière, compte tenu du rôle qu’elles jouent dans l’attribution aux pêcheurs de crédits du système institutionnel.

Les associations Esusus sont constituées habituellement de 20 à 30 membres dont les antécédents sont similaires. Faisant partie d’un même groupe d’âge, ils ont grandi ensemble et se connaissent depuis l’enfance; parfois, ils exercent tous le même métier par exemple, celui de pêcheur en mer, ou de pêcheur dans les eaux intérieures, ou encore de poissonnière, sinon, ils ont parfois émigré depuis le même village d’origine. Normalement, l’association est constituée de personnes d’une seule et même tribu et du même groupe linguistique, et dont les caractéristiques économiques et sociales sont plus ou moins les mêmes.

Les esusus ont pour objectif essentiel d’assurer une certaine stabilité financière à leurs membres et de les aider lorsqu’ils sont dans le besoin. Dans un village important, il peut y avoir un grand nombre d’associations de ce type. Par exemple, au début des années 1990, il y avait 10 clubs esusus dans le village d’Okoroete du delta.

La gestion d’une association esusu est normalement assurée par un petit comité, constitué habituellement d’un président et d’un secrétaire qui en conserve les archives éventuelles. Les règles d’adhésion ne sont pas nécessairement équitables. Normalement, chaque membre doit effectuer un versement périodique (hebdomadaire, mensuel) à la caisse du groupe, en fonction du nombre de parts qu’il détient dans le club. Evidemment, le nombre de parts que l’on peut et que l’on souhaite détenir, détermine la position hiérarchique et la situation sociale au sein du groupe. Aussi, le président de l’esusu détient-il habituellement la part la plus importante.

En vertu d’un arrangement local, chaque membre est habilité à bénéficier d’un prêt consenti par la caisse qui d’ordinaire, mais pas nécessairement, sert à l’achat de matériel. Des intérêts peuvent être perçus. Les membres qui refusent d’accepter le prêt sont néanmoins tenus de payer tout ce dont ils sont redevables. En pareille circonstance néanmoins, lorsque leur tour vient, ils peuvent obtenir un montant double. Grosso modo, la somme disponible est attribuée aux membres par roulement, dans un ordre pré-établi. Néanmoins, si l’un des membres a un besoin d’argent urgent, l’ordre du fichier peut être suspendu afin de porter secours à celui qui en a besoin. Les associations esusus sont habituellement à but non lucratif et n’enregistrent pas de pertes, bien qu’elles puissent être affectées par l’inflation. De plus, quand la période de Noël approche et que le travail s’interrompt pendant au moins un mois, alors que de nombreux migrants rentrent chez eux, la somme disponible peut être dépensée en totalité ou en partie par les membres de l’association.

La qualité de membre n’est pas facilement attribuée aux nouveaux venus et l’acceptation d’un candidat doit être parrainée par au moins deux membres actuels. De plus, sur la base de la confiance mutuelle, un prêt peut être accordé à un membre avec la garantie d’un autre membre, voire sans aucune garantie du tout. Les pressions exercées par les autres garantissent l’exécution des paiements périodiques et le remboursements des emprunts. Des délais justifiés sont tolérés, mais des mesures peuvent être prises à l’encontre des membres qui contreviennent aux règles.

Bien que d’un point de vue financier les associations esusus ne soient pas axées sur la croissance, en particulier lorsque aucun intérêt n’est facturé, elles fonctionnent par ailleurs relativement bien. Les normes sociales fondamentales indissociables de la culture locale créent divers types de pressions, notamment une obligation morale, qui assurent leur bon fonctionnement. Par ailleurs, l’aide fournie pour l’achat de matériel (en particulier de moteurs hors-bord) est substantielle, bien qu’elle ne soit pas parfaitement adéquate. Par exemple, un groupe esusu constitué de 25 membres et de 30 parts, moyennant un versement bi-hebdomadaire de 100 Naira (en unités monétaires de 1988) par part, a permis de recueillir le montant suivant en une année:

30 parts x 100 Naira x 26 quinzaines = 78 000 Naira soit 2 600 Naira par part.

Or, en 1988, année de la réalisation de cette étude, ce système aurait donné à chaque détenteur de parts, la possibilité théorique d’acheter un nouveau moteur hors-bord tous les trois ans, dans l’hypothèse où il n’y aurait eu entre temps aucun retrait. Evidemment, la situation des détenteurs de plusieurs parts est bien meilleure à cet égard. Dans les associations moins bien loties, moyennant un versement bihebdomadaire disons, de 50 Naira seulement, le même système donnerait la moitié du chiffre mentionné ci-dessus et la possibilité théorique pour le détenteur d’une seule part d’acheter un moteur hors-bord tous les 6 ans seulement. En supposant diverses dépenses régulièrement engagées, notamment pour Noël, il n’y aurait pratiquement aucune possibilité d’acquisition d’un moteur hors-bord. (Abasiatai, 1987; Ben-Yami, 1996 et FIDA, 1988).

5.6 Crédit traditionnel

Le système traditionnel de crédit est profondément intégré aux cultures locales. Il ne s’agit pas simplement d’un cadre technique de financement des activités de production, mais d’un système imbriqué dans la vie des pêcheurs. De plus, il s’avère absolument nécessaire à toute activité de pêche, même la plus simple. Malheureusement, les pêcheurs paient très cher l’argent qu’ils empruntent auprès des mareyeurs, des prêteurs, et des fournisseurs de matériel et de marchandises qui constituent le cœur de ce système. Dans de nombreux cas, les pêcheurs sont tenus de vendre leurs captures à des créanciers, à des prix pré-établis, le plus souvent inférieurs aux prix du marché. De plus, les prêts peuvent être accordés sous forme de fournitures, ou d’équipements à des prix nettement supérieurs à ceux en vigueur sur le marché. Par conséquent, le crédit traditionnel est généralement coûteux et tend à placer les emprunteurs dans une situation de dépendance constante vis-à-vis du créancier.

L’exemple réel suivant, calculé au taux et au prix en vigueur en 1988 au Nigéria permet d’illustrer le coût du crédit traditionnel. Cet exemple laisse donc entrevoir tous les avantages que les producteurs ruraux, en l’occurrence les pêcheurs, pourraient retirer d’un accès au système institutionnel de crédit.

Un marchand de poisson a consenti à un pêcheur, moyennant une marge de profit pré-établie, un prêt de 2 000 Naira remboursé progressivement en nature sur les captures réalisées pendant six mois. Essayons de calculer le taux d’intérêt effectivement appliqué.

Si le pêcheur avait pu vendre une partie de ses captures sur le marché libre au prix en vigueur à cette époque, il aurait gagné 2 857 Naira.

Donc, il a payé en fait 857 Naira d’intérêts sur le prêt de 2 000 Naira.

Le prêt a toutefois été remboursé par mensualités. Par conséquent, au cours des six mois de sa période d’endettement, la somme moyenne due au créancier était d’environ 1167 Naira.

Donc, le taux d’intérêt annuel payé par le pêcheur s’est élevé à:

100 x (857x2): 1 167 » environ 147 % par an.

Pour le même prêt (2 000 Naira pendant six mois, remboursé par mensualités), avec un taux d’intérêt officiel de 15 %, les intérêts dont le pêcheur aurait été redevable se seraient élevés à:

1 167 x 0,15: 2 = 87,5 Naira.

En outre, disons 12,5 Naira de frais administratifs, soit un total de 100 Naira. Le coût supplémentaire du crédit traditionnel pour un prêt de 2 000 Naira pendant 6 mois remboursé en 6 mensualités, par comparaison au crédit institutionnel, a donc été de:

857 - 100 = 757 Naira.

Par conséquent, dans ce cas particulier, le crédit traditionnel a été 8,5 fois plus cher que ne l’aurait été le crédit institutionnel.

Le coût élevé des «avances» liées à des engagements de livraison de poisson a été signalé dans de nombreuses régions du monde et en Afrique notamment. Il est néanmoins difficile de remplacer le système traditionnel bien établi par un système bancaire institutionnel en raison des nombreux avantages offerts par le premier:

1. Les rapports entre débiteurs et créanciers sont informels et directs.

2. Les emprunteurs traitent avec des personnes qu’ils connaissent bien et non avec des institutions.

3. Aucune paperasserie et pratiquement aucune exigence de garantie n’est impliquée.

4. Le remboursement est souple si la situation se détériore.

5. Les prêteurs traditionnels jouent souvent un rôle protecteur de telle sorte que les producteurs ruraux ont quelqu’un à qui s’adresser pour demander de l’aide lorsqu’ils ont besoin d’urgence d’une somme d’argent supplémentaire.

6. Le prêteur fait souvent partie de la famille proche ou étendue.

7. Une norme sociale, profondément enracinée dans la culture locale, accompagnée fréquemment de certaines cérémonies contractuelles garantit le remboursement, conférant ainsi au système traditionnel une fiabilité supérieure à celle de tout autre système institutionnel.

L’ensemble du secteur de la pêche artisanale repose sur le système traditionnel de crédit: bien qu’il tende à exploiter les pêcheurs et réduise parfois leurs gains réels à un niveau minimum, ce système joue néanmoins de longue date un rôle essentiel dans l’activité quotidienne et le développement des pêches. Il représente un facteur socioculturel et socioéconomique dont les pêcheurs ne peuvent se passer et auquel ils s’affrontent simultanément pour pouvoir vivre avec. Il joue un rôle de tout premier plan pour préserver la sécurité alimentaire des pêcheurs, bien qu’à un niveau à peine satisfaisant. (Ben-Yami et Anderson, 1985; Ben-Yami, 1996; C.I.A.F., 1990 et FIDA, 1988).

5.7 Autres organisations de pêcheurs

Les organisations autochtones présentes dans la région comprennent, hormis le réseau de groupes tribaux ou de familles étendues (clans), des associations traditionnelles comme les esusus, les sociétés secrètes masculines et féminines et les syndicats de mareyeuses. Différents groupements religieux peuvent également être considérés comme des sortes d’organisations qui assurent des liens plus ou moins étroits.

Les coopératives de type occidental ont été introduites dans le secteur des pêches, sous les auspices du gouvernement et des organismes d’aide étrangers. Elles se sont répandues dans les années 1970 et 1980 pendant la période dite de la «révolution verte», alors que la quasi-totalité des crédits accordés par les pouvoirs publics et de l’aide technique (essentiellement pour le subventionnement de moteurs hors-bord et de filets de pêche) étaient distribués par l’intermédiaire des coopératives. Hormis quelques coopératives authentiques, la plupart d’entre elles étaient en partie fictives. En effet, pour qu’une coopérative soit considérée comme telle, chacun des organisateurs (lesquels étaient souvent des protégés du gouvernement, des marchands et des mareyeurs aisés, des propriétaires inactifs de bateaux), et différentes personnes aisées et influentes du village devaient recueillir la signature d’un certain nombre de pêcheurs en tant que membre de la coopérative. Or, cette clause n’avait posé aucune difficulté, en particulier pour ceux qui avaient prêté de l’argent à beaucoup de personnes, ou ceux pour lesquels travaillaient de nombreux villageois. En tant que «présidents», ils se sont arrangés pour canaliser la plus grande partie des bénéfices et empocher des prêts jamais remboursés. On comprend donc aisément pourquoi la plupart de ces coopératives, ont en définitive fait banqueroute, à l’exception toutefois de leurs «présidents».

Bien qu’un petit nombre de coopératives authentiques aient été en mesure de survivre, ainsi que d’obtenir et de rembourser des prêts bancaires, tout en jouant leur rôle auprès de leurs membres, l’échec général de ce concept importé a eu pour effet de démoraliser les pêcheurs de deux façons: (i) il a instauré une attitude de cynisme généralisé au sujet des coopératives; (ii) il a «appris» aux pêcheurs à bénéficier de prêts dans le cadre de programmes soutenus par le gouvernement qui constituaient des subventions camouflées qu’ils n’étaient jamais tenus de rembourser; (Abasiatai, 1987; Ben-Yami, 1986 et 1991; Ekpoudom, 1987; FIDA, 1988; Talbot, 1967 et Toh, 1985).


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