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6. LE SECTEUR DE LA PÊCHE ARTISANALE


6.1 Opérations et équipements de pêche

Les opérations de pêche artisanale peuvent être sommairement classées dans les catégories suivantes: (1) la pêche en rivière; (2) la pêche en estuaire notamment dans les criques et les lagons; et (3) la pêche en mer. Les pirogues traditionnelles fabriquées sur place, constituent l'embarcation de pêche prédominante dans les trois pêcheries considérées, notamment celles munies de moteurs hors-bord. Le taux de motorisation est variable, puisque au cours des deux dernières décennies il a été compris entre cinq et vingt pour cent des embarcations de pêche. Il est en effet fonction de la disponibilité des capitaux nécessaires au remplacement des moteurs hors-bord dont l'usure est rapide (au bout de deux ou trois ans en moyenne), du coût de ces moteurs sur le marché libre, qui a augmenté suite au flottement et à la dévaluation de la naira et selon la disponibilité de moteurs fournis éventuellement dans le cadre de programmes d'assistance technique.

La dévaluation et les augmentations de prix correspondantes ont également affecté la capacité des pêcheurs à acquérir des filets synthétiques. Or, la disponibilité de matériel de pêche et de moteurs affecte elle-même les opérations de pêche et les possibilités d'accès aux ressources halieutiques. (FIDA, 1988, et Keleshis, 1991).

6.2 Secteur de la pêche en rivière (eau douce)

Il s'agit du secteur dans lequel les immobilisations sont le plus limitées et le taux de motorisation le plus faible: souvent itinérants, les pêcheurs suivent les migrations de poisson et utilisent de petites pirogues et différents dispositifs locaux de piégeage et de guidage du poisson réalisés la plupart du temps au moyen de matériaux disponibles sur place. Les opérations de pêche se déroulent fréquemment dans des lieux isolés et en eaux peu profondes, avec les problèmes de transport, de transformation, de commercialisation qui en résultent. Les pêcheurs de rivière ne s'aventurent guère en mer. Ils se spécialisent dans l'utilisation de méthodes de pêche rudimentaires, et toute leur culture est adaptée à leur mode particulier de production alimentaire. Ce mode de production, qui inclut l'agriculture lorsqu'il peut utiliser des terrains surélevés, n'est pas envisageable dans le cas des pêcheurs en mer et en estuaire qui habitent les grèves et les mangroves (FIDA 1988).

6.3 Secteur de la pêche en estuaire (eaux saumâtres)

Cette pêche en eaux protégées s'étend sur de vastes étendues du delta et produit essentiellement des poissons à forte valeur commerciale, ainsi que de petits pélagiques tels que l'alose qui, à certaines époques, peuvent pénétrer les estuaires et être capturés par les pêcheurs qui y opèrent. Les pêcheurs, aussi bien les hommes que les femmes, font appel à un vaste éventail de méthodes, les femmes se consacrant particulièrement à la pêche et à la collecte de crustacés et de mollusques. La pêche est le plus souvent pratiquée à bord de petites embarcations, mais aussi à pied. Ce secteur est particulièrement exposé aux fluctuations du taux de motorisation, puisque les pêcheurs sont généralement plus pauvres que les pêcheurs en mer et donc plus sensibles aux fluctuations économiques susmentionnées.

La pêche en estuaire offre une possibilité de repli face aux aléas économiques et écologiques: les pêcheurs en mer se retirent parfois dans les estuaires pendant la période hors saison, ou lorsqu'ils sont confrontés à des difficultés telles que la perte de leur bateau, de leur moteur ou de leur matériel de pêche, ou encore à des périodes prolongées de mauvais temps, ou lorsque leurs opérations en mer, impliquant des dépenses de carburant importantes, cessent d'être financièrement viables. Les estuaires sont par ailleurs la dernière zone de pêche accessible pour les pêcheurs en mer économiquement marginalisés (du fait de l'âge, de la maladie ou d'une invalidité, etc.). Cette situation a notamment pour conséquence d'exposer ces zones à un effort de pêche assez important et se traduit par ailleurs par des niveaux de revenu généralement inférieurs par comparaison à la pêche en mer. C'est pourquoi on observe une certaine mobilité chez les pêcheurs dynamiques qui trouvent un moyen d'investir dans l'acquisition d'embarcations de haute mer et de moteurs hors-bord (Ben-Yami, 1989; et FIDA, 1988).

6.4 Secteur de la pêche en mer

Dans l'est du Nigéria la pêche artisanale en mer utilise plusieurs méthodes de pêche, et principalement les filets maillants pélagiques pour la capture de petits pélagiques (par exemple, alose, bonga, et sardinelle), les filets maillants de fond pour les démersaux et les poissons d'eaux peu profondes (par exemple, ombrine, menu flétan, nez-rouge et brochet de mer), et enfin des filets maillants pélagiques, pour les gros poissons océaniques (par exemple, requins, espadons et thons). Les zones de pêche dans lesquelles les deux premières méthodes sont utilisées se chevauchent parfois, bien que les pêcheurs de bonga soient tenus dans nombre de cas de franchir des distances considérables pour suivre les bancs migrants. La pêche au gros poisson au filet maillant est pratiquée au large et il faut franchir jusqu'à 30 000 nautiques pour atteindre les zones de pêche.

De toutes les pêches artisanales du sud-est du Nigéria, la pêche au bonga et au gros poisson exige les immobilisations les plus fortes. On utilise à cet effet des pirogues, de 10 à 15 m de long, dotées d'un équipage de 10 à 16 hommes, tandis que les pêcheurs en mer préfèrent utiliser des moteurs hors-bord d'au moins 40 CV, grâce auxquels ils peuvent se rendre et revenir plus rapidement des zones de pêche. Ici et là, l'usage de petites sennes coulissantes a été introduit pour pêcher les bancs de bonga. Cette méthode demande un investissement relativement substantiel que seuls les propriétaires de bateaux les plus aisés peuvent engager.

Autrefois rentable la pêche côtière au filet maillant de fond a été remplacée progressivement au cours des deux dernières décennies par la pêche au large au bonga et au gros poisson. Cette réorientation a été déclenchée par l'intrusion de plus en plus importante des chalutiers dans les zones de pêche côtière traditionnellement exploitées par les artisans pêcheurs. Les chalutiers ont endommagé ou détruit complètement le matériel de fond des pêcheurs artisanaux et ont exploité en concurrence les mêmes stocks. Par ailleurs, les captures accessoires réalisées par les chalutiers ont été à l'origine de problèmes supplémentaires (voir 3.0 ci-dessus).

Ces changements ont entraîné une augmentation de la mortalité due à la pêche et une diminution des captures par embarcation. Par conséquent, on a pu observer une stratification socio-professionnelle parmi les pêcheurs en pirogue: ceux dont les résultats étaient les meilleurs faisant l'acquisition d'embarcations plus importantes et de moteurs plus puissants et passant à la pêche en mer, tandis que ceux dont les résultats étaient moins heureux poursuivaient leur activité de pêche côtière. Ce processus, grâce à l'atténuation de l'effort de pêche dans les zones côtières y a favorisé le rétablissement et le maintien d'un équilibre raisonnable entre l'effort de pêche et les stocks de poissons, et donc un approvisionnement ininterrompu des marchés locaux en poissons démersaux et côtiers (Ben-Yami, 1989; et FIDA, 1988; et Keleshis, 1991).

6.5 Fumage du poisson et bois de feu

Eu égard aux préférences des consommateurs locaux et nationaux et compte tenu également des coûts prohibitifs de l'installation, de l'alimentation électrique et de l'entretien des équipements de réfrigération, le fumage est la seule façon possible de préserver plus de quelques heures le caractère comestible du poisson sur toute l'étendue d'une pêcherie artisanale. Le poisson est fumé à chaud sur une couche unique et grillé sur un foyer ouvert, généralement dans des bâtiments enfumés.

Recherché sur les marchés locaux, le produit obtenu est d'une qualité tout à fait acceptable, même pour des goûts occidentalisés. Mais malheureusement, le fumage en une seule couche exige beaucoup de bois de feu par kilo de poisson fumé et le fait de travailler pendant des années dans la fumée provoque souvent des maladies des yeux et dans certains cas la cécité. De fréquentes explosions risquent par ailleurs de mettre le feu non seulement au bâtiment dans lequel le feu s'est déclaré, mais parfois dans tout le voisinage - ce qui constitue un autre risque de cette méthode de fumage du poisson. L'introduction du fumoir «Chorkor» de type ghanéen, a fait l'objet de plusieurs tentatives, dans le cadre du projet décrit ci-dessous.

En ce qui concerne les communautés spécialisées dans la pêche au bonga, le fumage du poisson au cours de la principale saison de pêche revêt le caractère d'une industrie domestique. Il peut suffire d'un préposé au fumage et à la vente du poisson, généralement une femme, pour traiter des lots de 1,25 à 2 milliers de tonnes de bonga. Dans les grands fumoirs dont sont équipées les communautés de pêche fortement impliquées dans la production de bonga, des équipes pouvant compter 10 femmes sont en mesure de fumer cette quantité en une journée. Cette technique de fumage sur foyer ouvert consomme donc de grandes quantités de bois de feu.

Les femmes des villages situés dans les bois de mangroves peuvent couvrir leurs propres besoins de bois de feu. Par contre, dans le cas des villages éloignés des bois de mangroves ou lorsque les bois du voisinage ont été épuisés, des équipes de collecte transportent le bois de feu à bord de pirogues dont ils vendent la cargaison complète. Le bois de feu représente un élément notable de l'ensemble des coûts de production, ce qui confère un intérêt particulier au four ghanéen de type «Chorkor» dont la consommation de combustible par unité de poisson fumé est moitié moins importante par comparaison aux méthodes à foyer ouvert (Adebona, 1978; Brownell et al., 1983; FIDA, 1988; Miller, 1991).

6.6 Embarcations de transport de fret/de passagers et acheminement du poisson

Les transports de marchandises et les déplacements quotidiens sont coûteux, notamment en raison de l'utilisation prédominante de moteurs hors-bord fonctionnant au gasoil, même pour les bateaux de fret les plus gros. Selon la disponibilité et le prix du carburant, et suivant les moyens financiers de leurs exploitants, ces bateaux de transport sont habituellement propulsés par deux à quatre moteurs hors-bord de 40 à 75 CV.

Ces embarcations de fret à usages multiples qui circulent dans les cours d'eau et les canaux, jouent un rôle majeur dans la distribution du poisson à l'intérieur de la région considérée et au-delà. Toutefois, puisqu'elles transportent normalement d'autres marchandises, notamment des denrées alimentaires et des barils de carburant et d'alcools (gin), elles ne sont que partiellement tributaires des revenus tirés du transport du poisson. Les femmes acheminent leurs produits vers les principaux marchés, notamment Port Harcourt, Uyo, Calabar, Oron, Abak, Degema et Aba et utilisent à cet effet les embarcations de passage, à bord desquelles se trouvent d'autres passagers et d'autres chargements. Normalement, les capitaines de ces embarcations s'arrêtent en eau profonde au niveau des villages de pêcheurs, à des emplacements ou «stations» où les poissonnières les attendent dans leurs pirogues. Parfois cependant les bateaux de fret - notamment quand ils n'ont plus de place ou quand ils sont en retard - ne s'arrêtent pas du tout, laissant sur place poissonnières et poisson. Aussi, certaines d'entre elles, du moins celles qui sont en mesure d'entretenir de bons rapports avec l'équipage des bateaux, réussissent-elles à les faire s'arrêter et à embarquer, tandis que d'autres, en particulier les usagers occasionnels, restent sur place - tel est souvent le cas, même lorsque les bateaux ont à peine quelques minutes de retard. Par ailleurs, les mareyeurs des villages situés à l'écart des principales voies d'eau sont dans l'obligation d'utiliser une pirogue motorisée ou non pour rattraper le bateau à la prochaine «station».

Une mareyeuse, originaire par exemple d'Apokiru, communauté relativement proche de Port Harcourt, qui veut transporter deux grands paniers de poisson, doit payer 10 à 20 pour cent de la valeur de son poisson pour aller avec son chargement jusqu'aux étals de marché où elle peut le vendre à des détaillants locaux. Pendant la période de pêche du bonga, le transport est une activité plus florissante, et la régularité de la desserte est améliorée, puisque les bateaux de fret passent au moins deux fois par semaine dans chaque village de pêcheurs de bonga (FIDA 1998).


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