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7. COMMERCIALISATION DU POISSON


7.1 Le système de commercialisation

Le poisson a toujours figuré parmi les principales sources de protéines au Nigéria, et des centaines de milliers de tonnes de poisson ont été importées chaque année de l'étranger selon la force de la devise nationale et en fonction des politiques gouvernementales. Dans les trois État du sud-est du Nigéria, la structure de commercialisation et de distribution du poisson peut être décrite comme étant constituée d'une part du marché des villages de pêche et d'autre part, des activités de transfert vers les marchés urbains. Les quantités débarquées dans les villages sont vendues par les pêcheurs aux mareyeurs. Ces derniers sont des femmes et des hommes qui nettoient, fument et vendent environ 5 pour cent du poisson sur les marchés locaux et les 95 pour cent restants à des mareyeurs de l'extérieur, principalement d'Aba, qui créent un réseau de distribution dans tout le pays (Ladipo et al., 1983).

En fait, le système de commercialisation dans cette partie du pays est un peu plus complexe. Au niveau des villages, les mareyeurs sont souvent des épouses et des parents de pêcheurs, auxquels ces derniers remettent leurs captures pour les fumer et les vendre, ou auxquels ils les vendent directement. Ces mêmes mareyeurs peuvent transporter eux-mêmes le poisson vers les marchés des villes et des cités, où ils le vendent à des petits grossistes et à des détaillants. Ces détaillants vendent également une grande partie des débarquements locaux de poissons frais et des poissons congelés des chaluts qu'ils achètent dans les magasins des entreprises productrices. Dans certains cas, le poisson peut changer de main plusieurs fois avant de finir chez le consommateur. Les principaux mareyeurs, qu'ils soient ou non extérieurs à la zone considérée (par exemple de la ville d'Aba), peuvent également fournir aux pêcheurs, souvent à crédit, des filets, du carburant et parfois même des moteurs hors-bord. Il peut en résulter l'établissement de liens permanents ou semi-permanents entre pêcheurs et mareyeurs - avec tous les avantages et les inconvénients que cela comporte (voir paragraphe 5.6 ci-dessus).

Le manque de fonds de roulement est un des problèmes dont souffre le système local de commercialisation. Bien que les poissonnières prennent effectivement en charge le système traditionnel de crédit, les pêcheurs se plaignent souvent de devoir remettre leurs prises aux mareyeuses, de devoir attendre le règlement jusqu'à ce que les femmes puissent transformer le poisson et le vendre, laps de temps pendant lequel ils ont besoin d'argent pour acheter le carburant nécessaire à leur prochaine sortie de pêche. Faute de carburant, ils doivent parfois attendre jusqu'à ce que le poisson soit vendu, perdant ainsi un temps de pêche potentiellement productif, ou décider de se procurer du carburant à crédit, moyennant le coût lié à ce système. (Voir para. 5.6 ci-dessus).

Dans ce cadre traditionnel de commercialisation associé à un système de crédit, il y a une différence considérable entre les poissonnières villageoises locales et les mareyeurs de l'extérieur; alors que les premières sont des femmes pauvres et travaillant dur, qui s'emploient à faire vivre leur famille et elles-mêmes en étant pratiquement «fumées vives», les seconds sont par contre des marchands au plein sens du terme et des prêteurs sur gages, tant masculins que féminins, qui ont généralement beaucoup d'argent à leur disposition.

Les responsables des trois États du littoral ont déploré régulièrement la trop grande quantité de poisson transportée vers l'intérieur sans que les besoins de la population locale soient satisfaits. Selon la raison habituellement invoquée, la situation n'est pas le résultat du libre jeu des forces du marché, mais s'explique plutôt parce que beaucoup de pêcheurs sont endettés auprès de négociants de l'extérieur et se trouvent donc dans l'obligation de vendre leurs captures à des prix inférieurs à ceux qu'ils auraient été en mesure d'obtenir sur les marchés locaux. Cependant, au moins une partie des quantités de poisson vendues dans les villages de pêche est acquise par des mareyeurs itinérants, puis vendue finalement sur les marchés des villes et des cités des trois États du littoral. L'insatisfaction de la demande s'explique tant par la croissance démographique que par l'insuffisance des importations de poisson du Nigéria, alors que la production locale reste plus ou moins constante.

Bien que la plus grande partie des quantités de poisson dans la région soit fumée, une fraction de la production de qualité supérieure est livrée sous forme de poisson frais aux hôtels et aux restaurants, en particulier les établissements fréquentés par les résidents expatriés et les touristes. Les grands démersaux de mer, par exemple les divers types de mérous, menus flétans et ombrines se vendent à des prix très élevés, tandis que les petits pélagiques constituent l'apport protéinique de base pour la population dans son ensemble. Le poisson-chat, c'est-à-dire la fine fleur de la production dulcicole, en particulier dans l'État de Rivers, est vendu vivant aux mareyeurs venant de l'État de Imo. Stockés dans des paniers flottants, ils peuvent être conservés vivants plusieurs jours après leur capture. Leur fumage intervient seulement lorsque les mareyeurs n'arrivent pas en temps voulu et en l'absence de possibilités de transport vers les points de vente (FIDA, 1988; Ladipo et al., 1983; et Toh, 1982, 1985).

7.2 Ventes directes en mer

Les ventes directes en mer de captures accessoires et de divers poissons de chalutage par les équipages de chalutiers auprès des artisans pêcheurs et des petits négociants sont apparues à la suite du développement rapide du chalutage, de l'intrusion des chalutiers dans des zones côtières réservées jusqu'ici à la pêche artisanale, du renchérissement du matériel et des moteurs utilisés pour la pêche artisanale et enfin, de l'accroissement de la demande et de la diminution correspondante de l'offre de poisson de toute provenance. Les pêcheurs des communautés côtières ont découvert qu'ils pouvaient avoir davantage intérêt à utiliser leurs embarcations à rames ou à moteur pour se déplacer jusqu'aux chalutiers qui relèvent leurs filets dans les zones de pêche côtière, puis à acheter à leur équipage du poisson frais et congelé, plutôt que d'investir dans le matériel nécessaire aux opérations de pêche. Les consommateurs sont à présent davantage disposés à payer pour se procurer les petits poissons habituellement présents dans les captures accessoires de chalutiers. Aussi, des mareyeurs les acheminent-t-ils jusqu'aux marchés locaux, en procédant si nécessaire à leur décongélation par immersion dans l'eau, puis à leur fumage selon la méthode traditionnelle.

En fait, ces ventes directes en mer sont le seul moyen concret de faire usage des captures accessoires des chalutiers, en particulier des crevettiers qui emploient des chaluts à petites mailles: du point de vue de la sécurité alimentaire accrue grâce à l'utilisation des captures des chalutiers, il s'agit incontestablement d'un phénomène opportun, du moins tant que les chalutiers sont autorisés à opérer dans les zones de pêche côtière et produisent des captures accessoires constituées notamment de juvéniles qui seraient sinon mis au rebut et gaspillés (FIDA, 1988).

7.3 Pouvoir d'achat

Au cours de la dizaine d'années écoulée, le pouvoir d'achat de la population a diminué en raison de l'instabilité politique et économique du pays. Simultanément, les prix du poisson ont augmenté continuellement, en raison principalement de l'inflation, de la dévaluation de la devise affectant les coûts de production, et des fluctuations des importations de poisson. Bien que le poisson reste la principale source de protéines, on peut semble-t-il constater au sein d'une population dont l'effectif va croissant, que de plus en plus de gens n'ont guère les moyens d'acheter du poisson en quantité suffisante. Toutefois, ce pouvoir d'achat réduit ne peut faire tomber les prix au-dessous du niveau nécessaire à la poursuite des activités des différentes pêcheries. De fait, on observerait même un effondrement des pêches de chalutage qui approvisionnent les marchés locaux, si lesdits marchés n'étaient pas en mesure d'acheter des quantités suffisantes à des prix autorisant la poursuite de leurs activités. De plus, si les prix devaient tomber trop bas, les artisans-pêcheurs devraient se limiter à une pêche de subsistance non motorisée. Enfin, puisque la demande globale dépasse l'offre, le système des pêches du Nigéria continuera à dépendre également de la disponibilité sur les marchés locaux de poisson importé et peu coûteux. Par conséquent, tant que la demande locale de poisson sera loin d'être satisfaite, les captures locales feront vraisemblablement l'objet d'une demande suffisante, à des prix adéquats pour couvrir les frais des opérations de pêche correspondantes (FIDA, 1988).

7.4 Consommation de poisson des pêcheurs

Les facteurs économiques susmentionnées peuvent en définitive affecter les caractéristiques de la consommation de poisson des pêcheurs proprement dits. D'une part, compte tenu de la baisse de leurs revenus, ils peuvent avoir tendance à réduire leur consommation et à augmenter leurs ventes sur les marchés. D'autre part toutefois, avec moins de disponibilités en espèces pour acheter de la nourriture, une fraction plus importante des captures de poisson réalisées a toutes les chances d'aboutir dans les casseroles des familles de pêcheurs. La consommation locale dépend donc dans une très large mesure du type de pêche et de son caractère saisonnier. Elle est différente par exemple dans les communautés qui disposent de débarquements massifs saisonniers de petits pélagiques, par comparaison à celle des communautés de pêcheurs généralement plus pauvres vivant le long des criques, des cours d'eau et des estuaires, dont les captures sont nettement moindres et moins sujettes à des fluctuations saisonnières. L'éloignement des marchés et les problèmes de transport constituent incontestablement une justification supplémentaire incitant nombre de pêcheurs à déclarer: «Faute de pouvoir les vendre, nous pouvons toujours les manger». Il est néanmoins impossible de se nourrir exclusivement de poisson et pour assurer une véritable sécurité alimentaire les pêcheurs doivent non seulement en consommer, mais doivent aussi en vendre une partie ou l'échanger contre des denrées alimentaires de base.

8. INDUSTRIE PÉTROLIÈRE

Cette zone riche en pétrole est constellée d'installations liées à ce secteur d'activité et fréquemment responsables d'une pollution aquatique et atmosphérique. Toutes ces installations, plates-formes d'extraction, postes d'entretien ou logements sont desservies par une flottille de puissants remorqueurs qui évoluent rapidement dans les criques et les canaux du delta. Dans un paysage de mangrove vierge et à côté des chaumières des pêcheurs et de leurs pirogues, ces installations font quasiment figure d'ovnis aquatiques.

Bien que géographiquement imbriquée dans cette zone, l'industrie pétrolière n'a, hormis ses effets polluants aucun impact visible sur la vie quotidienne, le travail et les revenus des pêcheurs. On constate la présence côte à côte de deux mondes distincts et parallèles - l'un sous le signe de l'opulence de sa technologie et de ses conditions de vie, l'autre misérablement pauvre - vivant apparemment dans un état d'ignorance mutuelle.

Récemment néanmoins, un nouveau fonds, intitulé Petroleum Trust Fund (PTF) a été créé au Nigéria. Parmi différents projets, il est envisagé d'offrir aux pêcheurs locaux une aide concrète des compagnies pétrolières, consistant à utiliser le gaz de torche pour distiller de l'eau potable et pour fabriquer des briques de construction. Des plateaux pour fumoir «Chorkor» (voir 6.5 ci-dessus) et du matériel analogue, doivent également être fabriqués dans les parcs à ferraille des compagnies pétrolières à partir des matériau de rebut. (FIDA, 1988 et D. Thomson, communication personnelle).

9. CONFLIT AVEC L'INDUSTRIE DU CHALUTAGE

La composition des captures des flottilles de chalutiers recouvre en grande partie celle des artisans pêcheurs. Or, l'économie nationale du Nigéria se porterait certainement mieux si les pêcheurs à petite échelle capturaient effectivement tout ce qu'ils peuvent capturer, plutôt que les flottilles de compagnies qui offrent moins d'emplois, consomment plus d'énergie et dépensent plus de capitaux pour capturer la même quantité de poisson et enfin qui risquent davantage de pratiquer une surpêche des stocks tout en se livrant à un gaspillage et à une exploitation souvent illicite (voir paragraphe 3. ci-dessus).

Les flottilles de chalutiers-crevettiers appartenant à des compagnies sont par ailleurs dépourvues de la polyvalence et de la souplesse des pêcheurs à petite échelle et ne sont donc pas dotées des mécanismes d'autorégulation propres à limiter la surpêche (voir paragraphe 3. ci-dessus). Les flottilles continuent habituellement leurs opérations de pêche jusqu'au stade de la banqueroute ou de l'épuisement total de la ressource. De fait, la quasi-totalité des effondrements de stocks les plus scandaleux survenus dans l'histoire des pêcheries mondiales ont été provoqués par les flottilles industrielles.

Une loi du Gouvernement fédéral du Nigéria interdit aux chalutiers d'opérer à moins de deux milles des côtes. Cette loi vise à laisser cette bande d'océan à l'usage exclusif des pêcheurs artisanaux: or, elle n'est pas appliquée et n'est guère applicable à l'avenir. D'après des sources informées, les patrouilles de la marine nationale, pour autant qu'elles soient effectuées, sont inefficaces. Les chalutiers opèrent à l'intérieur de cette bande où ils exploitent d'abondantes ressources démersales, notamment des crevettes pénaeides à forte valeur. Par ailleurs, les pêcheurs artisanaux opèrent dans une zone allant des eaux littorales jusqu'à l'isobathe 40-45 m qui se trouve bien au-delà de la bande des deux milles.

Ces dernières années, les propriétaires des flottilles de chalutiers se sont plaints des ventes directes en mer de «captures accessoires» (voir paragraphe 7.2 ci-dessus). Non sans raison, ils soupçonnent les équipages de vendre non seulement les captures accessoires dont la vente est admise en tant que privilège de l'équipage, mais aussi des poissons plus gros et de forte valeur, réalisant ainsi un gain supplémentaire, au détriment des compagnies et réduisant les profits de leurs patrons. Paradoxalement, les pêcheurs artisanaux se plaignent avec véhémence, et parfaitement en vain, de la présence des chalutiers dans ces zones, et des dommages qu'ils infligent aussi bien à leur filets maillants qu'à leurs ressources halieutiques. Aussi, les pêcheurs locaux sont-ils vraisemblablement enclins dans leurs rapports commerciaux avec les équipages des chalutiers à adopter la position suivante: «Faute de pouvoir les devancer, tâchons de les corrompre!» (Ajayi et Adetayo, 1982; Ben-Yami, 1989; FIDA, 1998; et McGoodwin, 1984).


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