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8. LES MENACES POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE


8.1 Détérioration des ressources halieutiques due au système actuel de gestion

L'inquiétude des populations locales face aux graves menaces pesant sur la sécurité alimentaire fondée sur le poisson, a été exprimée par différentes associations de pêcheurs (Western Isles Fishermen's Association, Mallaig and North-West Fishermen's Association, Highlands and Islands Fishermen's Association et Clyde Fishermen's Association) qui ont toutes attiré l'attention du Gouvernement, de l'Union européenne et de l'opinion en général sur l'effet préjudiciable des mesures de gestion actuelles sur les stocks de poissons qu'elles sont censées préserver. Des associations de la côte est ont également formulé des protestations analogues.

L'aspect le plus préoccupant de la gestion actuelle tient à l'application de contingents monospécifiques à une pêche multispécifique. Ce problème concerne les poissons démersaux ou les poissons de fond qui ne peuvent être capturés de façon sélective et avec une précision quelconque dans un chalut ou une senne coulissante. La morue, l'aiglefin, le merlan, le lieu noir, la merluche, le lieu jaune, la baudroie, le pocheteau et tous les types de poissons plats sont présents conjointement en quantités impossibles à prévoir et ne correspondant pratiquement jamais au dosage particulier des contingents autorisés pour tel ou tel navire. En conséquence, il faut rejeter en mer ou mettre au rebut les captures dépassant le contingent fixé pour une espèce. Le fait de les débarquer à terre pour les vendre est illégal et une amende sanctionnant les débarquements de poissons pêchés hors contingent peut atteindre 85 000 dollars EU[142]

Or, une fois capturés et ramenés du fond de la mer, les poissons sont bel et bien morts: le fait de les rejeter en mer ne contribue aucunement à la conservation des stocks. Cette pratique va en fait à l'inverse du but recherché puisqu'elle dissimule le taux réel de mortalité des poissons adultes qu'il est indispensable de déterminer pour estimer précisément des stocks. Patrick Nicholls, député, a déclaré devant la Chambre des Communes, le 15 décembre 1998, «Ce qui a été présenté comme une politique de conservation s'est avéré un désastre en la matière. Elle était fondée sur l'affirmation ridicule selon laquelle on pourrait conserver les stocks de poissons en rejetant à la mer des poissons morts.»[143]

Les estimations des quantités de poisson rejetées en mer dans les eaux européennes atteignent 40 pour cent des captures totales réalisées par les navires de pêche. [144] L'auteur a eu plusieurs témoignages personnels de pêcheurs et de capitaines de pêche de la mer du Nord et de la côte occidentale qui ont dû rejeter en mer plus de poissons qu'ils n'en capturaient en raison du système des contingents monospécifiques. Ainsi, la quantité totale de poissons rejetés en mer du Nord a été évaluée par le CIEM à 600 000 tonnes par an[145], soit plus de dix fois le volume actuel des captures des pêcheurs des Hébrides et de la côte occidentale.

Si un système plus souple était adopté, les navires pourraient pêcher dans la limite d'un contingent global, indépendant de la répartition par espèce. Le résultat cumulatif serait l'obtention de débarquements identiques en quantité, sinon par espèce, aux CTA (captures totales admissibles). Puisque les captures correspondraient alors à la répartition réelle par espèce dans les lieux de pêche, elles constitueraient probablement une mesure du niveau d'abondance par espèce plus précise, que les estimations actuelles des chercheurs scientifiques, qui de toutes façons sont faites un an à l'avance et sur la base des données de l'année précédente.

Les quantités de poisson détruites et rejetées en mer dans le «domaine maritime commun» de l'Union européenne au voisinage des îles britanniques, ont été estimées par le Professeur J.G. Shepherd, un spécialiste des sciences halieutiques, à 30 pour cent des quantités récoltées.[146] Dans le cas des pêches européennes atlantiques d'espèces démersales et de crevettes, cela représenterait environ un million de tonnes. D'après des estimations fiables, les seules quantités de lieux noirs tués chaque année et rejetés en mer s'élèvent à environ 45 millions par an. L'administrateur en chef des pêches de la Commission des pêches de l'Union européenne a affirmé publiquement que personne n'en connaissait effectivement l'importance et que «les pêcheurs ont toujours effectué des rejets en mer».[147] 0r, comme il devrait le savoir, outre les calculs du CIEM, les scientifiques d'Aberdeen et de différents laboratoires marins nationaux ont effectivement de bonnes estimations des quantités ainsi détruites, dont ils admettent qu'elles sont «substantielles».[148]

Les défenseurs de cette étonnante mesure de «conservation» prétendent qu'il n'y a pas d'autre moyen d'appliquer les contingents relatifs aux poissons démersaux, ce en quoi ils se trompent complètement. D'autres pays, comme la Norvège par exemple, observent une interdiction des rejets en mer[149] et la Namibie, dont les stocks de poissons dans l'Atlantique sud-est sont analogues, a obtenu des résultats remarquables grâce à un système interdisant les rejets en mer[150]

Selon la réglementation namibienne, tout le poisson capturé doit être débarqué. Les inspecteurs présents à bord veillent à ce qu'il n'y ait aucun rejet en mer. Les quantités récoltées hors contingents sont débarquées, vendues et le produit des ventes va au navire, moins un prélèvement calculé de façon à ce que le fait de rapporter le poisson à terre n'entraîne de perte pour personne, mais sans que personne puisse juger intéressant de dépasser les contingents.

A la fin de chaque année en Namibie, les débarquements réels sont comparés aux contingents totaux par espèce et les écarts sont toujours limités.

L'autorisation de se livrer à la pêche au lançon figure parmi les autres mesures de gestion, dont les associations estiment qu'elles ont un effet préjudiciable sur les stocks; en effet, les lançons sont les principaux aliments de la morue et de l'aiglefin. Le tacaud norvégien qui fait également l'objet d'une pêche intensive en vue de sa transformation en farine d'alimentation animale pour les porcins et la volaille, est une autre espèce proie fondamentale, dont les règles de l'Union européenne autorisent parfaitement la capture. Or, la pêche des lançons et des sprats transformés en farine a eu estime-ton un effet gravement préjudiciable sur les oiseaux de mer et sur les stocks de gros poissons, par exemple de morue et d'aiglefin.[151]

Une récente innovation de la Politique commune de la pêche consiste à légaliser la capture et la vente de poissons juvéniles, notamment de merlu, de plie et de cardine, nettement en deçà de la taille adulte. Pour le Royaume-uni cela a constitué un renversement complet de 50 ans de protection des poissons non parvenus à maturité. Le Danemark qui est étroitement tributaire des stocks de poissons plats a voté contre cette mesure. De manière analogue, les associations de pêcheurs des Hébrides et de la côte occidentale ont toutes déploré cette mesure et appréhendent ses conséquences sur les stocks.[152]

8.2 Détérioration des zones de pêche et des stocks de poissons locaux

La plus grande menace pour le bon état et la durabilité à long terme des pêches des Hébrides et de la côte occidentale tient sans doute à l'absence d'une gestion locale capable de mettre en oeuvre des pratiques visant à empêcher une pression excessive sur les stocks côtiers, tout en préservant les avantages sociaux tirés localement de cette activité. L'introduction et l'application de façon insuffisamment participative d'une réglementation des pêches côtières fixée depuis Edimbourg, Londres ou Bruxelles, ne permettent guère aux associations locales d'avoir leur mot à dire et ne leur donne aucune participation directe à la gestion.

Avant l'établissement de la PCP et l'adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun, la limite des trois milles offrait une certaine protection aux stocks de poissons côtiers locaux et préservait l'activité des petits pêcheurs locaux. Toutefois, après l'adhésion au Marché commun, la Grande-Bretagne a aboli la limite des trois milles en 1985 et introduit un tissu de mesures secondaires visant à protéger les pêcheries littorales. Pour la plupart d'entre elles, il s'agissait d'une «dérogation» ou d'une exception au principe de totale égalité d'accès, inhérent à la Politique commune de la pêche. Toutes les dérogations sont supprimées à partir de 2002 et bien que le contraire ait fait l'objet de promesses politiques, aucune mesure juridique n'a été prise pour empêcher l'entrée en vigueur intégrale de la réglementation prévue par la PCP.[153]

De toutes façons, aussi bien les dérogations que la réglementation de la pêche côtière s'avèrent inadéquates pour faire face à la situation. De puissants navires britanniques modernes ont tout loisir pour opérer en parfaite légalité à l'intérieur des détroits et à proximité des Hébrides. On peut avoir un aperçu de l'impact de cette technologie par les énormes captures de morue et d'aiglefin réalisées dans les lochs des Highlands par les chalutiers semi-pélagiques conçus pour la pêche au hareng.[154]

La plupart des bateaux de pêche locaux continuent à observer la pratique traditionnelle qui consiste à ne pas pêcher le dimanche et s'arrêtent de travailler du vendredi soir jusqu'au lundi matin. Cette pratique assurait aux lieux de pêche un répit pendant le week-end - de telle sorte que le lundi était invariablement une journée de bonnes captures - et convenait également aux marchés. Or, actuellement les flottilles de pêche venues de l'extérieur opèrent sept jours par semaine et un certain nombre de pêcheurs locaux ne voient pas l'intérêt de rester à terre le dimanche, tandis que d'autres exploitent à fond cette possibilité. S'il n'y avait pas cette intrusion de pêcheurs non locaux et si un programme de gestion locale adoptait une réglementation interdisant la pêche le dimanche tous les patrons de pêche locaux seraient heureux de l'observer puisqu'alors personne ne bénéficierait d'un avantage injustifié, la mesure s'appliquant à toutes les embarcations de pêche opérant dans la zone ainsi gérée. L'interdiction actuelle pendant le week-end d'utiliser des engins mobiles dans le Firth of Clyde est un exemple de règlement et de coutume locale opportune du point de vue de la collectivité et avantageuse tant du point de vue biologique qu'économique.[155]

Sans aucun doute certains pourront avancer l'argument selon lequel, pour maximiser les profits, il conviendrait d'autoriser les patrons de pêche à travailler aussi souvent qu'ils le souhaitent. Or, la faille de cet argument réside dans l'hypothèse supposant la rentabilité accrue d'une activité de pêche poursuivie sept jours par semaine. En effet, il est plus probable qu'une semaine de pêche de cinq ou six jours laisserait aux stocks le temps de se reposer et de se reproduire et, qu'après un certain temps, stocks et captures augmenteraient en fait et corrélativement, les recettes réalisées.

Il y a par ailleurs tout lieu de penser que pêcher le dimanche n'est pas nécessairement rentable ou que le choix d'un autre jour présente un désavantage sur le plan économique, comme en témoigne l'expérience de l'une des flottilles de bateaux senneurs les plus rentables et les plus efficaces de Grande-Bretagne; il s'agit de la flottille dont la famille Buchan de Peterhead est propriétaire et assure l'exploitation. En dépit de tous les millions investis dans ces bateaux modernes, cette pieuse famille n'envoie jamais les bateaux qui lui appartiennent pêcher le dimanche. Or, leur façon de procéder ne semble aucunement nuire à leur réussite financière.

Une interdiction totale de la pêche le dimanche ou pendant le week-end sur la côte occidentale risque toutefois d'être difficilement applicable en raison du mode opératoire de certains pêcheurs locaux. Ainsi, ceux qui utilisent les engins statiques préfèrent laisser leurs casiers dans l'eau, parce que le marché espagnol, principal débouché commercial des crevettes entières, préfère en disposer à la vente dès le lundi et à l'état frais, ce qui en exige la récolte le dimanche. Toutefois, les pêcheurs qui opèrent de cette façon pourraient se préparer à arrêter la pêche pendant deux ou trois jours juste avant le week-end.[156] D'autres pêcheurs qui préfèrent ne pas opérer le dimanche placent leurs crevettes dans des tubes et les immergent dans l'eau de mer pendant tout le week-end, pour qu'elles restent vivantes et puissent être expédiées à l'état frais le lundi. Cette façon de procéder implique bien sûr un certain supplément de main-d'œuvre.

Toutefois, en l'absence d'un contrôle exercé par les instances de gestion locales, la pêche se poursuit dans la région sept jours par semaine, 52 semaines par an, sauf dans le Firth of Clyde. Le document pour consultation récemment publié par le Scottish Office sur le thème de la gestion de la flottille de bateaux de moins de 10 m, proposait d'interdire la pêche le week-end.[157] Or, cette mesure ne pénaliserait que les petits pêcheurs si elle n'était pas obligatoire pour tous les autres navires de pêche opérant dans la région.

L'absence d'instance de gestion locale se traduit en outre par des conflits relatifs aux engins de pêche et par un défaut de réglementation de ces derniers là où cela serait avantageux. Au demeurant, certains accords spontanément conclus sont observés et leur efficacité témoigne des possibilités en matière de gestion locale. Toutefois, la mise en place d'une gestion efficace dans toute la région et dans la zone côtière exigera davantage de mesures de contrôle que ne le permet le régime actuel de la Politique commune de la pêche. Lorsqu'un système local a été mis en place et juridiquement reconnu il est possible de limiter les conflits concernant les engins de pêche, ainsi que le nombre de ces derniers ou la puissance des navires, pour que l'effort de pêche global reste en-deçà de limites fixées propres à ne pas compromettre la pérennité des stocks locaux.

Le Parlement européen a convenu désormais des possibilités offertes dans ce sens; les mesures envisageables présentées dans son rapport intitulé «Régionalisation de la Politique commune de la pêche» préconisent «des séries de dispositifs de gestion observant le principe de précaution définies au niveau régional ou au niveau des pêcheries,... dans le but de mettre en place une gestion des pêches régionale».[158]

Une étude de l'Université du Pays de Galles (Marine and Coastal Environment Research Group) est parvenue à des conclusions similaires en 1997. Il y était précisé que les objectifs de conservation des stocks de poissons et de durabilité des communautés de pêcheurs exigeaient la mise en place d'une gestion véritablement régionale et l'introduction de droits de propriété indissociables des pêcheurs.[159]

8.3 Déclin des installations locales de transformation des produits alimentaires dérivés du poisson

Le secteur post-récolte de l'industrie locale des produits alimentaires dérivés du poisson a une importance vitale pour la communauté, aussi bien en termes d'emplois, que pour garantir l'obtention de la plus grande valeur alimentaire possible à partir de la récolte. Or, le secteur de la transformation est peu développé et en recul, du fait d'un approvisionnement de plus en plus réduit en matière première. D'après les études consacrées au secteur en question, la région réalise une plus petite part du travail de valeur ajoutée effectué sur les débarquements de poisson (inférieure de plus de moitié), par comparaison aux régions situées sur la terre ferme.

La transformation du poisson et des crustacés est essentielle pour la région puisqu'elle fournit des centaines d'emplois occupés en majorité par des femmes. Or, cette source d'emplois et de valeur ajoutée tend à diminuer. «Les installations locales de transformation du poisson sont nettement moins développées qu'elle ne l'étaient dans le passé» déclare un secrétaire d'association.[160] Les entreprises de transformation des Hébrides et de la côte occidentale sont confrontées à nombre de problèmes logistiques dus à l'éloignement des principaux marchés; elles ont néanmoins démontré qu'elles pouvaient survivre et prospérer, pour autant qu'elles disposent d'un ingrédient essentiel: la continuité de leur approvisionnement.

Les approvisionnements sont actuellement compromis à cause de la réduction des flottilles de pêche locales et de la présence de détenteurs non locaux de contingents, qui de plus en plus envoient le poisson ailleurs pour le faire transformer. L'un des plus importants transformateurs locaux - l'entreprise Scottish Seafoods of Goat Island (à Stornoway) - risque de devoir fermer ses portes faute de matière première. D'ores et déjà son gérant doit importer du poisson non seulement du reste du pays, mais de l'étranger. Moyennant des approvisionnements suffisants, l'entreprise pourrait employer 120 personnes; par contre, si les approvisionnements continuent à se raréfier, ses 60 employés risquent de rejoindre les rangs des chômeurs. D'autres transformateurs de poisson de la région étudiée confirment ce pronostic peu encourageant.[161]

En 1996, le secteur des pêches en Écosse offrait dix emplois pour 185 tonnes de poisson débarquées. En ce qui concerne les Hébrides et la côte occidentale, il y avait 3 500 emplois dans le secteur des pêches, et le rapport était de cinq emplois seulement pour 185 tonnes de poisson.[162] La situation normale dans une pêcherie évoluée correspond à deux à cinq emplois à terre pour un emploi en mer. Pour les Hébrides, le rapport est de moins d'un emploi à terre pour un emploi en mer. Bien qu'il soit impossible de réduire l'écart par rapport à la pêcherie bien développée de la côte orientale, il ne serait pas injustifié de se fixer pour objectif un rapport de 1,0 à 1,5 dans le secteur moins évolué de la côte occidentale. Dans le cas des pêches des Highlands et des Iles, on obtient pour les multiplicateurs des avantages en termes de revenus et d'emplois tirés du secteur, des chiffres allant de 1,5 à 1,85.[163]

D'après une étude du secteur des pêches à l'échelle du Royaume-Uni, il y avait en 1990 en moyenne 1,7 emploi dans le sous-secteur de la transformation du poisson et de sa commercialisation au port, par emploi dans le sous-secteur de la capture.[164] Ces calculs ne tenaient pas compte des emplois dans le commerce de gros et de détail et dans les restaurants. Si le même rapport était appliqué à la région étudiée il y aurait plus de 3 000 emplois dans le secteur de la manutention et de la transformation du poisson, outre les 2 000 emplois de pêcheurs. Cela ne tiendrait pas compte non plus des emplois dans le secteur de la réparation et de l'entretien des navires, ce qui pourrait ajouter 400 autres emplois aux possibilités de cette branche, au niveau réduit actuel des captures et des débarquements.

Les débarquements locaux sont tombés à 60 000 tonnes en 1998, alors qu'ils dépassaient 260 000 tonnes en 1985. Or, la plus grande partie des captures réalisées dans des eaux au large des Hébrides sont transportées à des centaines et des centaines de kilomètres pour être débarquées, puis transformées dans des ateliers de la côte orientale, ainsi qu'en France et en Espagne.

Les programmes de l'Union européenne visant à aider les régions périphériques rurales, tels que Objectif 1 (aide structurelle au développement au bénéfice des régions en retard) que la région vient de perdre, et ceux qui visaient particulièrement le secteur de la pêche, tels que l'Accord de La Haye et le programme PESCA (aides aux zones dont l'industrie de la pêche est en déclin), n'ont eu aucun impact en termes de protection ou de préservation des pêches locales et des stocks de poissons locaux, dont l'évolution se caractérise dans un cas comme dans l'autre par un déclin et devrait selon toute vraisemblance continuer à le faire à moins que des changements radicaux n'interviennent. La région ne dispose pas d'autre ressource ou activité offrant les mêmes possibilités que les pêches en matière d'emplois durables, de production alimentaire et d'activité industrielle. De plus, le concept de stabilité relative n'a pas eu non plus de signification concrète ne serait-ce que pour protéger la flotte de pêche locale contre la part croissante des captures accaparées par les flottilles de l'Union européenne grâce aux accords touchant aux «pavillons de complaisance», à l'achat de licences et de contingents et du fait de l'adhésion à l'Union européenne de nouveaux pays pratiquant la pêche.

8.4 Propositions de gestion locale

Les pêcheurs locaux, leurs associations et les conseils locaux ont avancé des projets de gestion des pêches qui mettraient un terme aux effets préjudiciables actuels du régime existant s'ils étaient mis en oeuvre dans le cadre d'accords de gestion participative. Ce système protégerait les stocks en mettant fin aux rejets en mer du poisson capturé au-delà des contingents fixés, grâce à l'instauration de contingents multispécifiques plus souples; en réduisant les captures de juvéniles et en interdisant leurs ventes; et en limitant les moyens techniques et la puissance des navires autorisés à opérer dans la zone côtière (sur une bande maritime de 25 milles à partir des lignes de référence). De telles mesures permettraient de reconstituer les stocks, comme en témoigne de toute évidence le rétablissement de la ressource observé dans la période d'après guerre, ainsi que le rétablissement du stock de harengs de la côte occidentale après l'interdiction de 1978-1981. «Tout porte à croire», écrit un secrétaire d'association locale, «qu'une gestion locale efficace conduirait à une régénération des stocks».[165]

Dans le but de protéger leurs pêcheurs côtiers et leurs pêcheries, les associations de la côte occidentale et des Hébrides se sont réunies en 1995 pour constituer le groupe de gestion de la pêcherie «West of Four» qui fait office de lieu de discussion et de présentation des projets de gestion des pêches locales. Le groupe a cinq objectifs majeurs:[166]

Etablir et documenter la situation des stocks de poissons dans la bande des six milles.

Définir et analyser l'activité de pêche passée et présente dans cette zone.

Elaborer des projets de gestion et des accords concernant l'exploitation des stocks pour garantir leur durabilité et identifier les modalités selon lesquelles la pêche peut s'avérer bénéfique pour la localité.

Fournir à l'industrie de la pêche les informations et l'aide nécessaires pour définir sa position sur les questions et les propositions en matière d'environnement et de conservation.

Mettre sur pied une base de données économiques sur l'industrie de la pêche côtière et ses activités afin de favoriser le maintien d'une industrie viable.

Pour résumer, les propositions locales élaborées par le Groupe afin de renforcer la gestion des pêches, d'éviter la surexploitation et de créer et conserver une pêche durable, par des mesures réalistes adoptées au niveau des compétences locales, sont notamment les suivantes:

- mise en place d'une autorité locale et conclusion d'accords visant à éviter les conflits relatifs aux engins de pêche

- mise en place de périodes de fermeture et de zones d'interdiction de la pêche d'espèces particulières

- interdiction de la pêche le samedi et les week-ends ou d'autres jours spécifiés

- limitation de la taille ou de la puissance des navires opérant dans les eaux côtières

- restrictions concernant les engins de pêche utilisés dans les eaux côtières

Une des associations de pêcheurs emploie un biologiste marin chargé de la conseiller en ce qui concerne la situation des stocks de poissons et la durabilité des pêches. Toutes les associations font preuve d'un réel intérêt pour la communauté et s'efforcent de préserver les emplois locaux. D'après une récente étude de l'entreprise HIE, «au niveau local, des systèmes de gestion localisée ont été proposés, mais ont été écartés par le Gouvernement pour leur caractère inadéquat en dépit des résultats probants obtenus en Angleterre. Des mesures de conservation de l'environnement ont par ailleurs été proposées par le Conseil des Iles occidentales.»[167]

Un parti politique récemment créé (Highlands and Islands Alliance ou H&IA), propose d'arrêter de gérer les pêches de l'Écosse occidentale à partir de centres éloignés tels que Bruxelles (mais aussi Londres ou même Edimbourg) qui «ne tient guère compte du caractère spécial de nos pêches, ni de notre souveraineté sur les lieux de pêche traditionnels...L'alliance H&IA veut obtenir... le contrôle et la gestion de notre industrie de la pêche par les communautés côtières elles-mêmes et par les pêcheurs qui en font partie.»[168] Il propose la création de fonds pour la mer, sur le modèle des fonds de soutien aux petits fermiers créés pour aider les petits agriculteurs des régions côtières.

Le concept de droits d'usage territoriaux des pêcheurs (DUTP), a été longtemps préconisé par les Nations Unies et par des instances internationales telles que l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), le Centre international d'aménagement des ressources bioaquatiques (ICLARM) et la Commission du Pacifique Sud afin de protéger les communautés vulnérables de pêche côtière contre l'impact de plein fouet de l'effort de pêche mondial.[169] Même la Banque Mondiale, et son organisation affiliée, la Banque Asiatique de développement, soutiennent maintenant le principe en question parce que les conséquences du préjudice infligé aux fragiles économies de base des communautés côtières annulent à toutes fins pratiques l'avantage temporaire des profits accrus obtenus par quelques grandes entreprises.[170]

Attirant l'attention sur les possibilités d'emplois des pêches côtières à petite échelle, Alain Le Sann estime: «Dans plusieurs parties du monde, des communautés entières vivent de la pêche. Ces communautés ont souvent des caractéristiques culturelles spécifiques qu'il est impératif de prendre en considération lors de l'élaboration des programmes de développement. La survie d'une pêche dépend autant de la capacité globale de la communauté à réagir que de la situation des stocks de poissons.»[171]

Sir Frank Fraser Darling, dont les conseils formulés en 1955 auraient placé les Hébrides et les Highlands de l'Ouest dans une situation nettement plus avantageuse, déclarait: «lorsque tous les types d'activité industrielle auront été pleinement explorés, alors la terre et la mer resteront la base de toute prospérité future pour les Highlands et les îles»[172]


[142] Fishermen’s Association Ltd., memorandum to the Council of Ministers of the European Union, Novembre 1998
[143] Patrick Nicholls MP, cité dans Hansard, 15 décembre 1998
[144] John Ashworh, The Common Fisheries Policy, The June Press, Londres 1997
[145] Commission d’enquête scientifique et technique de la Chambre des Communes, Fish Stock Conservation and Management, HSMSO, HL Paper 25, 18 janvier 1996
[146] Ibidem
[147] John Farnell, Courrier des lecteurs, Sunday Telegraph, 8 février 1998
[148] Laboratoire marin d’Aberdeen, communication personnelle avec les spécialistes des sciences halieutiques, 1998.
[149] Chambre des Communes, Commission d’enquête scientifique et technique, Fish Stock Conservation and Management, HSMSO, HL Paper 25, 18 janvier 1996
[150] Namibia Brief, et Ministère des Pêches, Annual reports,Windhoek, 1995-1998
[151] Alastair Hetherington, Highlands and Islands,A generation of Progress, Aberdeen university Press, 1990
[152] Fishermen’s Association Ltd, Memorandum to the Council of Ministers of the European Union,Novembre 1998
[153] Michael Wigan, The Last of the Hunter Gatherers, Swan Hill Press, 1998

Fishermen’s Association Ltd. Memorandum to the Council of Ministers of the European Union, Novembre 1998
[154] John MacDonald, Highlands and Islands Fishermen’s Association, lettre, 1999
[155] Patrick L.M.Stewart, Clyde Fishermen’s Association, lettre personnelle; 30 mars 1999
[156] Richard Greene, West of Four Fisheries Management Group, conversation, 1999
[157] Département de l’Agriculture et des Pêches de l’Écosse, management of the Under 10 metre Fishing Fleet, Document pour consultation, Ministère des Affaires écossaises, 31 mars 1999
[158] Parlement Européen, La régionalisation de la Politique commune de la pêche, Impact on Structural Policy and Multi-Annual Guidance Programmes (MAGP) in relation to Agenda 2000, FISH-101a EN, 1999.
[159] A.D.Couper & H.D. Smith, The development of fishermen-based policies, dans Marine Policy, Vol. 21, N°2, 1997
[160] Patrick L.M.Stewart, Clyde Fishermen’s Association, lettre personnelle, 30 mars 1999
[161] EES Consultants, Scottish Seafood Project Review, Scottish enterprise, 1998
[162] Ibidem estimations
[163] Integrated Management LtD. The Future Managment of Fish Stocks in the Seas Surrounding the Highlands and Islands, Rapport HIE, 1991
[164] M. Dunn, S. Potten, D. Whitmarsh, Portsmouth Polytechnic., The Sea Fish Industry in the UK: A Workforce Audit, Rapport de la Seafish Industry Authority, 1991
[165] Patrick L.M.Stewart, Clyde Fishermen’s Association, lettre personnelle, 30 mars 1999
[166] West of Four group, News&Views, Mars 1996, HCEDS Inverness
[167] Integrated Managment Ltd;, The Future Management of Fish tocks in the Seas Surrounding the Highlands and Islands, Rapport HIE, 1991
[168] Edwin Stiven, The Problem dans Fishing, Aquaculture and the Marine Environment, Highlands and Islands Alliance, Glenelg 1999
[169] R. Shotton, Property Rights in Fishery Management, Groupe consultatif sur la gestion des pêches fondée sur des droits, FAO, 1998,
[170] Alain Le Sann, A Livehood from Fishing - Globalisation and Sustainable Fisheries, intermediate Technology Publications, Londres, 1998
[171] Ibidem
[172] Fraser Darling, West Highland Survey, Oxford University Press, 1955


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