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RÉFORME DES PROGRAMMES D'ENSEIGNEMENT FORESTIER DANS LES PAYS EUROPÉENS EN TRANSITION:
Le projet TEMPUS-TACIS «ENARECO» en Ukraine

GIORGIO ANDRIAN
Programme conjoint de doctorat
Département de Géographie, Université de Padoue (Italie),
et Institut des Politiques Forestières, Université de Fribourg (Allemagne)


L'effondrement de l'ex-Union soviétique, en 1991, a marqué le début d'une nouvelle ère pour les États indépendants nouvellement créés (ex-Républiques d'URSS) et pour la plupart des pays satellites: ils sont tous entrés dans une période de transition vers l'économie de marché. Depuis, la grande partie de la population des Pays d'Europe centrale et orientale (PECO) ont vu se produire des changements radicaux dans leur politique, leur société et leur économie.

Dans la plupart des pays d'Europe centrale et orientale, le secteur forestier a toujours eu une grande importance (dans les Balkans, par exemple) pour les économies nationales et pour ce qui concerne la culture de chacun. Il s'ensuit que l'enseignement de type classique, ainsi que la formation avancée pour les entreprises forestières et l'administration des forêts, ont toujours été une matière importante dans les universités chefs de file.

L'enseignement forestier, qui d'ordinaire était entièrement géré et financé par les autorités gouvernementales, a également été inclus dans le processus d'innovation. Le système traditionnel appliqué dans tous les instituts d'enseignement supérieur et les écoles techniques a été amélioré grâce à l'introduction de nouveaux cours.

En mettant en lumière les principales contraintes et perspectives liées à l'élaboration des programmes d`enseignement, la première partie du présent document se penche sur le besoin urgent d`une réforme radicale des systèmes éducatifs auparavant centralisés dans les PECO et sur l'importance de mettre rapidement à leur disposition des moyens pour recycler les chercheurs et les enseignants déjà en place; ces aspects exigent une stratégie d'intervention globale de longue haleine, qui devra être soutenue techniquement et financièrement par la communauté internationale.

La deuxième partie illustre les principales raisons et les méthodes qui ont été mises en œuvre pour réviser les programmes d'enseignement en Ukraine -une des premières ex-Républiques socialistes soviétiques à proclamer son indépendance (août 1991) - décision prise après la confrontation entre les systèmes d'enseignement avancé et les systèmes généralement appliqués dans les PECO.

Quant à la troisième partie, elle est centrée sur la mise sur orbite d'un cours multidisciplinaire novateur à l'Université publique ukrainienne des forêts et des technologies du bois (USUFWT), à L'viv; visant à soutenir la réforme des programmes d'enseignement forestier traditionnels et introduisant de nouvelles méthodes d'enseignement, le projet TEMPUS-TACIS «ENARECO» de l'Union européenne a été lancé en 1997, fondé sur le partenariat des universités de Fribourg (Allemagne), Gent (Belgique) et Padoue (Italie).

Le document conclut en soulignant l'importance de la coopération internationale pour effectuer au mieux la révision des programmes d'études et mettre en œuvre de nouveaux cours dans les PECO, en particulier en vue de leur inclusion dans le cadre de l'élargissement prochain de l'UE.

PREMIÈRE PARTIE

LA MÉTHODE D'ÉLABORATION DES PROGRAMMES D'ENSEIGNEMENT DANS LES PECO: CONTRAINTES ET PERSPECTIVES

La période qui a suivi l'indépendance de l'ex-URSS a été marquée par un déclin spectaculaire de tous les grands secteurs de production dans les nouvelles républiques indépendantes et les pays satellites.

L'effondrement du système soviétique, qui était fondé sur une économie fortement centralisée et une activité industrielle entièrement planifiée, a d'abord entraîné un manque de soutien de la part de l'État aux activités de transformation et commerciales existantes; le système productif désuet et peu compétitif a entraîné un taux de chômage élevé et, dans son sillage, une multitude de problèmes et de tensions d'ordre social.

«Ce changement économique et politique a été plus rapide et plus pertubateur dans cette région que dans d'autres, en partie parce que le socialisme était tentaculaire, pénétrant la vie politique, économique et sociale de la région; si le socialisme assurait la sécurité, il décourageait également les initiatives et limitait les possibilités d'innover», peut-on lire dans un rapport de la Banque mondiale (2000).

1.1. Le Système D'enseignement Dans Les Pays À Économie Planifiée

Dans les PECO, le système d'enseignement était habituellement structuré en lien étroit avec les structures de production correspondantes, le programme d'enseignement étant strictement planifié en conformité avec les besoins du marché du travail prévus. Les autorités gouvernementales centrales avaient coutume de contrôler entièrement tout le processus et il n'y avait pas d'espoir que d'autres parties prenantes puissent participer. Les établissements d'enseignement supérieur (EES) dépendaient toujours politiquement et financièrement des autorités gouvernementales et n'avaient pas la possibilité de se lier, indépendamment, à d'autres acteurs sociaux.

L'absence totale d'un secteur privé a interdit tout processus d'innovation réelle dans les domaines tant de la production que de l'éducation. La recherche faiblement financée par l'État n'était pas suffisante pour soutenir des activités d'enseignement appropriées et le manque de contacts internationaux pertinents a empêché la plupart des PECO de bénéficier des récents progrès scientifiques.

Les problèmes et les contraintes, comme les points forts et les perspectives, des principales composantes d'un EES typique dans un pays en transition figurent au tableau 1, où la structure et le fonctionnement actuels de l'USUFWT ont été analysés durant la phase préliminaire du projet ENARECO.

Tableau 1. Problèmes et contraintes dans la réforme du système d'enseignement universitaire: le cas de l'Ukraine

Principales composantes

Points forts et perspectives

Problèmes et contraintes

Infrastructure universitaire

Bien développée (bâtiments, laboratoires, forêts expérimentales, etc.).

Faible investissement dans remise en état, renouvellement, nouvelles acquisitions (matériel de recherche, livres et revues, ordinateurs personnels, etc.)

Chercheurs et enseignants

Longue tradition en enseignement forestier; chercheurs érudits.

Salaires bas et irréguliers. Besoin de sources de revenus (extra-universitaires). Motivation réduite pour travailler à l'université. Besoin de recycler les chercheurs dans certains domaines (principalement axés sur le marché). Nécessité de réduire le nombre des enseignants dans les matières forestières traditionnelles.

Organisation interne- aspects généraux

Système de planification et de contrôle bien structuré.

Structures très hiérarchiques (décentralisation très limitée). Interdisciplinarité, coopération inter-départements et inter-facultés peu développée. Activités de recherche et de publication très réduites (contraintes budgétaires). Besoin d'améliorer les critères de sélection du personnel universitaire.

Organisation interne - activités d'enseignement

Activités d'enseignement intensives et bien structurées (leçons, séminaires, groupes de travail, tests, examens, etc.). Bon taux d'encadrement.

Fondée sur le vieux critère de la «chaîne du bois» (de la pépinière forestière à la fabrication de meubles). Nécessité de réduire les heures d'enseignement, d'améliorer la participation active des étudiants aux activités d'enseignement, d'augmenter le nombre de matières facultatives. Besoin de réduire le nombre des étudiants en foresterie.

Liens avec la société/économie

Bons contacts avec entreprises forestières d'État, avec administration forestière publique et avec industries de transformation du bois privatisées.

Contacts réduits avec les nouveaux «utilisateurs» des ressources forestières: ONG s'occupant d'environnement, professionnels des loisirs, agriculteurs, etc. Pas d'attention à la question des relations publiques.

Contacts internationaux

Très bons contacts avec anciens pays socialistes. Forte motivation pour nouveaux contacts avec pays occidentaux (UE en particulier).

Peu de contacts avec le monde extérieur (contraintes budgétaires).

Source: Andrian et al., 2000 (modifié)

1.2. Le secteur Forestier en Ukraine: enseignement, vulgarisation et recherche

Contrairement à ce que l'on observe dans la plupart des autres PECO, le secteur forestier ne pèse pas lourd dans l'économie de l'Ukraine, tant comme source de recettes publiques que comme source de matières premières. Les problèmes sociaux et environnementaux des ressources forestières sont officiellement reconnus par les autorités publiques, mais ils ne sont guère pris en compte lors de l'élaboration des politiques d'investissement dans le secteur forestier et de protection des forêts.

Selon la législation en vigueur, la quasi-totalité de la superficie boisée du pays appartient à l'État et constitue le Fonds forestier (qui représente 99% d'un total de 458 millions d'hectares de terres forestières).

1.2.1. Brève description du secteur forestier et des changements récents concernant sa gestion

Durant la période soviétique, tout le secteur forestier était soumis à une gestion centralisée, l'accent étant mis sur la productivité des ressources. En conséquence, le volume sur pied et la qualité des parcelles ont diminué. La production de bois est toujours la principale source de revenus dans le secteur forestier, et il n'y a pas de marché établi ou de mesures d'incitation publiques pour améliorer la production de produits forestiers non ligneux ou pour fournir des services publics (par exemple activités récréatives ou protection de l'environnement).

Depuis 1991, tout le système de l'administration publique a été remanié de manière à stimuler les investissements et à améliorer les conditions économiques. Le secteur forestier traditionnel, qui englobait autrefois tous les domaines connexes - depuis les pépinières jusqu'à la commercialisation des meubles - a été subdivisé en deux grandes branches (Weber et Lavny, 1998): le secteur forestier lui-même qui est encore sous le contrôle de l'État et l'industrie de transformation du bois, qui commence à être privatisée.

De nouvelles approches ont été adoptées en politique forestière, mais leur mise en œuvre est encore en cours. Actuellement, «la politique forestière de l'État ukrainien est un amalgame de mesures juridiques, économiques, administratives et de gestion forestière visant la préservation et le reboisement, l'utilisation rationnelle et le renforcement du rôle multifonctionnel des forêts en tant que facteur écologique mondial dans l'intérêt de la nation» (Pelkonen et al., 1999).

Le Comité d'État pour les forêts (SFC) dirige la planification et la mise en œuvre de la politique par le biais de ses bureaux administratifs régionaux et locaux, et une unité indépendante procède régulièrement à un inventaire forestier.

Le secteur de la transformation du bois, par contre, relève du Ministère de la politique industrielle; il est en cours de privatisation par le Comité d'État de la privatisation.

Récemment, des partis politiques (en particulier le Parti Vert) et des organisations non gouvernementales (ONG) s'occupant de l'environnement jouent un rôle croissant en encourageant les organes décisionnels à mettre en œuvre une politique forestière plus respectueuse de l'environnement.

1.2.2. Contexte institutionnel de l'enseignement et de la formation en foresterie dans le pays

Historiquement, la recherche et l'enseignement forestiers systématiques en Ukraine remontent au début du dix-neuvième siècle lorsque les premiers instituts ont été fondés à Kyiv et à L'viv.

Lorsque l'Ukraine est devenue partie de l'Union soviétique, la recherche et l'enseignement forestiers étaient entièrement gérés et financés par l'État.

Le système d'enseignement forestier en place dérive principalement de l'action conjointe de deux institutions: le Ministère de la science et de l'éducation (MSE), qui a formulé les directives en matière d'éducation; et le SFC, qui a établi le nombre et les caractéristiques de chaque école et les programmes d'enseignement fondés sur les besoins prévus du secteur.

Après l'indépendance de l'Ukraine, le MSE réformé a commencé à réorganiser tout le système éducatif, fondé sur l'adoption d'une structure multi-niveaux. Le MSE fournit les directives générales pour l'enseignement supérieur, tandis que la définition des questions forestières est confiée au SFC sous la supervision du cabinet du Premier ministre (voir Tableau 2).

Tableau 2. Principales institutions participant à l'élaboration et à la révision
des programmes d'enseignement en Ukraine

L'enseignement et la formation en foresterie sont encore complètement tributaires du budget et de la gestion de l'État. La structure des institutions reflète le système de la «chaîne du bois». Chaque unité d'enseignement correspond à un secteur de l'économie.

D'autre part, les industries de transformation du bois ne peuvent pas encore financer directement les programmes de recherche ou de formation et dépendent donc des investissements publics pour couvrir leurs besoins en personnel qualifié.

Tout le système d'enseignement public est encore à ses débuts et n'a donc pas fait jusqu'ici participer activement les parties prenantes, à l'exception des secteurs universitaire et politique traditionnels.

1.2.3. Le système d'enseignement et de formation en foresterie

L'enseignement forestier est entièrement financé et géré par le budget de l'État et se compose des niveaux suivants:

Les programmes pour la licence et la spécialisation sont offerts par une grande majorité de collèges forestiers dans tout le pays, tandis que les maîtrises, le doctorat en philosophie et les autres doctorats ne sont disponibles que dans les trois grandes institutions (Kyiv, L'viv et Kharkiv) (voir tableau 3). Les programmes d'études dans les écoles et collèges techniques répondent directement aux besoins du marché du travail local et dispensent aux étudiants une formation pratique. L'enseignement supérieur est destiné à ceux qui entendent approfondir leurs connaissances théoriques et se préparent à assumer des fonctions de haut niveau.

Tableau 3. Répartition géographique des écoles forestières en Ukraine

Le MSE formule des directives spécifiques pour organiser des programmes d'études supérieures, tandis que le SFC s'occupe principalement des programmes des écoles et collèges techniques. Si la majorité des diplômés sont employés par des services administratifs forestiers publics (aux niveaux national et régional), un petit nombre d'entre eux seulement trouvent un emploi dans le nouveau secteur privé de la transformation du bois.

Le chômage touche également le secteur forestier, surtout du fait qu'il y a trop d'écoles dans le pays. En fait, c'est ce qui explique pourquoi le nombre des étudiants qui obtiennent chaque année un diplôme dépasse celui des emplois offerts. Il est clair que le nombre d'écoles offrant des programmes forestiers est disproportionné par rapport au rôle actuel du secteur forestier dans l'économie ukrainienne.

1.2.4. Vulgarisation forestière

En Ukraine, la privatisation des propriétés de l'État ne fait que commencer. En particulier, la tenure et les droits de propriété sont restés pratiquement inchangés depuis l'indépendance de l'URSS. Le manque total d'investissements privés dans la foresterie explique la faible demande de services de vulgarisation, et les entreprises privées ne peuvent pas compter sur un service d'assistance technique efficace.

Les nouveaux problèmes qui ont surgi avec les premières entreprises forestières privées (par exemple les petits exploitants forestiers et agricoles qui investissent dans le secteur forestier) ne peuvent être résolus, les services de vulgarisation faisant cruellement défaut. Par ailleurs, ni le SFC ni les systèmes d'enseignement ne sont préparés à offrir des services de conseils appropriés.

1.2.5. Recherche forestière

En Ukraine, les institutions financées exclusivement par l'État se consacrent à la recherche forestière. Les universités et les instituts d'enseignement supérieur se concentrent sur la recherche fondamentale, tandis que les instituts de recherche extra- universitaires travaillent principalement sur le terrain.

Le système de recherche actuel se compose de deux instituts et de huit stations, entièrement soumis aux directives du SFC. A ce jour, un réseau expérimental de 16 parcelles, régulièrement suivi par le centre de direction de Kharkiv, couvre toutes les zones de recherche climatiques et naturelles.

Le réseau a été financé par le SFC, qui englobait autrefois la plus grosse part du budget (75-80%), tandis que les contrats de recherche spécifiques ne représentaient qu'une petite part.

Ces dernières années, tout le secteur de la recherche forestière a pâti de la crise économique, avec pour conséquences la réduction du personnel scientifique et technique, la dégradation de l'équipement, ni entretenu ni modernisé, et une baisse de la participation aux réunions scientifiques internationales et aux activités de publication.

DEUXIÈME PARTIE

LA RÉVISION DES PROGRAMMES D'ENSEIGNEMENT: RAISONS ET MÉTHODES

La profession forestière «traditionnelle» subit de profonds changements; prenant conscience que l'enseignement forestier ne répond plus aux nouveaux besoins sociaux, elle s'est lancée dans un processus de révision.

Des modifications radicales dans les systèmes d'enseignement, ainsi que dans les activités professionnelles, se produisent dans tous les pays dans lesquels les ressources forestières ont été gérées en vue de répondre aux besoins de la société et de l'environnement.

A cet égard, les pays membres de l'Union européenne ont décidé d'adopter un système d'enseignement supérieur standard multi-niveaux, afin que les étudiants voient leurs connaissances reconnues partout dans l'Union sur la base d'un Système européen d'unités capitalisables transférables dans toute la Communauté (ETCS). L'adoption du nouveau système commun a exigé une révision complète des programmes d'études déjà en place, y compris pour la foresterie, soutenant l'adoption de nouvelles méthodes d'enseignement et améliorant les expériences sur le terrain dans le cadre des programmes d'études. En particulier, sur la base de l'accord conclu avec la Sorbonne et de la Déclaration de Bologne, on a souligné l'importance de la mise en place de programmes d'études communs dans les matières touchant l'économie socio-économique et environnementale dans le cadre traditionnel de l'enseignement forestier.

Par contre, le secteur de l'enseignement forestier dans la plupart des pays d'Europe centrale et orientale reflète encore les vocations productives traditionnelles, et est loin de percevoir les changements fondamentaux se produisant dans ce secteur dans de nombreux autres pays. Leurs institutions se concentrent encore beaucoup sur l'établissement de listes des matières les plus appropriées à insérer dans le programme d'enseignement «idéal», et non sur l'importance du processus éducatif lui-même.

Dans le Tableau 3, on a mis en évidence les principaux problèmes posés par l'évolution du processus éducatif en foresterie et pour chacun d'eux les systèmes d'enseignement traditionnels - qui sont principalement le fait des PECO - ont été comparés avec les plus avancés.

Le besoin fortement ressenti par les établissements d'enseignement de «réaliser leur potentiel pour s'informer sur les rapports entre la société et la nature et les transformer» est encore loin d'être compris dans les PECO en transition.

Dans la mesure où la foresterie dépend entièrement des activités humaines collectives, l'instauration de la confiance dans des institutions plus sensibilisées aux besoins est un problème de fond. En ce moment même, les économies en transition doivent sans délai activer le processus de mise en place d'institutions appropriées, en faisant participer les populations à l'établissement d'un nouveau modèle de gestion.

L'adoption d'une approche globale pour réviser les programmes d'enseignement, doit être rattachée à la mise en oeuvre du processus d'élaboration participative des programmes d'enseignement, c'est-à-dire que toutes les principales parties prenantes doivent y prendre part, à commencer par celles qui sont déjà opérationnelles au sein des institutions elles-mêmes.

La conception des programmes de recherche et d'enseignement devrait être souple et non pas préétablie, du fait que la signification est déterminée dans une grande mesure par le contexte; en effet, l'existence de multiples réalités rend difficile le développement d`une conception fondée seulement sur une construction (celle de l'investigateur); car ce qui sera appris d'un côté dépend toujours de l'interaction entre l'investigateur et le contexte, et l'interaction n'est pas toujours prévisible; par ailleurs, la nature de la mise en place commune ne peut être connue tant qu'elle n`est pas vue (Lincoln et Guba, 1985).

Jusqu'ici, les EES sont censés stimuler des interactions tant verticales qu'horizontales entre les organisations à divers niveaux, se transformant ainsi en promoteurs d'innovations.

Tableau 3. Principaux problèmes posés par l'évolution du processus éducatif en foresterie

Problèmes

Systèmes d'enseignement traditionnels

Systèmes d'enseignement avancés

Changements dans profession forestiers

La vision traditionnelle domine encore: pas de changements importants.

Des changements fondamentaux se produisent: forte prise de conscience de l'importance de la profession des forestiers dans le société et de l'inadéquation des programmes d`études actuels.

Recrutement des forestiers (mécanismes)

Systèmes de recrutement public traditionnel (contrôlé par l'État); manque d'initiatives du secteur privé et des ONG et souplesse insuffisante.

Nouvelles expériences professionnelles requises; rôle clé du secteur privé; importance croissante des ONG; flexibilité et mobilité améliorées.

Demande de révision des programmes d'études

Faible demande; manque de prise de conscience du vieillissement rapide des programmes d'études traditionnels; capacité d'innover à l'intérieur insuffisante.

Forte demande; prise de conscience de l'inadéquation des programmes d'études actuels; tendances dynamiques à innover à l'intérieur.

Développement de l'apprentissage cognitif

Dispense uniquement le contenu traditionnel des programmes d'enseignement actuels.

Investissement dans la mise en œuvre de mécanismes appropriés pour développer les capacités d'apprentissage des étudiants.

Apprentissage sur le terrain

Incorporé dans le cadre de l'éducation formelle.

Incorporé dans le cadre de l'éducation formelle.

Programmes de recherche et d'enseignement

Subordonnés aux décisions de principe.

Prise de conscience croissante du rôle déterminant de la recherche et de l'enseignement pour encourager les décisions sociales (et politiques).

Potentiel des EES pour la transformation de la société

Manque de sensibilisation au rôle des établissements d'enseignement dans la transformation de la société.

Les EES sont considérés comme un milieu favorable au développement approprié et novateur de la société.

Relations officielles

Très limitées dans le sens tant vertical qu'horizontal.

On considère que les EES peuvent faciliter les relations extérieures tant verticales qu'horizontales.

Partenariats

Ne sont pas considérés très importants.

Sont considérés comme stratégiques dans les nouveaux processus.

Si l'on donne la vedette au partenariat, tout le processus sera facilité; les acteurs extérieurs contribuent à améliorer la capacité des EES à servir d'instrument pour stimuler et faciliter la révision du système d'enseignement fondamental, qui devrait incorporer l'apprentissage sur le terrain dans le système d'enseignement régulier.

Dans le système soviétique centralisé, les politiques en matière d'éducation étaient incluses dans des stratégies de planification à long terme. Les programmes d'études étaient élaborés en fonction des besoins sociaux et économiques du pays.

Une fois indépendante, l'Ukraine a senti le besoin de réformer tous les grands secteurs de la vie sociale et économique. La nouvelle constitution du pays souligne l'importance stratégique d'un accès approprié à l'éducation, associé à des normes de qualité élevées.

Une réforme radicale du secteur de l'enseignement a été lancée en 1998 (Ministère ukrainien de la science et de l'éducation, 1998), dont le point fort était l'introduction d'un système d'éducation multi-niveaux, élaboré en harmonie avec les normes internationales.

Par conséquent, le processus de définition et de révision des programmes d'études a été légèrement modifié dans le cadre de cette réforme. En fait, les organes administratifs de l'État (MSE, SFC) jouent encore un rôle de premier plan, et la plupart des parties prenantes sont soit des personnels des ministères soit des personnels des universités. Toute la stratégie d'élaboration des programmes d'études est encore sous le contrôle de l'État et comporte une participation mineure des autorités non gouvernementales (secteur privé, ONG, représentants des étudiants). Les méthodes changent lentement, mais les objectifs et les méthodes didactiques concernant la réforme des programmes d'enseignement n'ont pas encore été adoptés.

Néanmoins, la pression de la communauté internationale et le nombre croissant de projets financés par des institutions étrangères encouragent l'Ukraine à introduire des changements plus radicaux dans le système d'enseignement et à adopter des programmes d'études entièrement nouveaux.

TROISIÈME PARTIE

LE DÉFI DE L'INTERDISCIPLINARITÉ: LE PROGRAMME D'ÉTUDES «ENARECO»

Depuis 1991, l'UE soutient la transition des Nouveaux États Indépendants (NEI) moyennant le programme TACIS. « Le programme TACIS est l'un des instruments mis au point par l'UE pour établir des liens économiques et politiques plus étroits avec les NEIi Il opère dans le contexte plus large de rapports de plus en plus étroits et évolutifs entre l'UE et les NEI, concrétisés dans des accords de partenariat et de coopération qui engagent les deux parties à un nouveau niveau de dialogue politique, économique et culturel» (TACIS, 2000)ii

Une bonne part du budget du TACIS est consacrée aux projets culturels et éducatifs; en fait, les partenariats entre universités et instituts d'enseignement supérieur deviennent un élément important dans la politique étrangère de l'Union européenne. On a compris que la coopération future dépend en grande partie des liens culturels qui doivent être établis et renforcés à partir d'aujourd'hui.

Dans ce contexte, le 1er janvier 1997 a vu le démarrage du projet européen commun TEMPUS TACIS «ENARECO» (Environment and Natural Resource Economics), qui vise principalement à établir un programme d'enseignement de deuxième cycle de trois semestres (au niveau de la maîtrise, de la maîtrise ès sciences, selon le système nouvellement établi) débouchant sur un diplôme d'économiste de l'environnement à l'université USUFWT de Lviv. Le projet ENARECO a eu un précurseur couronné de succès dans l'avant-projet d'un an NARECO (Natural Resource Economics) en 1996iii Pour ce projet, la USUFWT est un partenaire des universités de Fribourg (Allemagne, siège du coordonnateur), de Gent (Belgique) et de Padoue (Italie), chacun fournissant des compétences dans les principaux domaines scientifiques couverts par le projet.

Les principaux objectifs de ce projet sont de fournir au système d'enseignement supérieur ukrainien un nouveau cadre d'enseignement afin de répondre au besoin urgent de préparer des spécialistes de haut niveau qui puissent associer écologie et économie et qui soient capables de répondre aux demandes venant des processus de transition en cours en Ukraine car «de nouveaux défis écologiques, économiques et sociaux doivent être relevés. Par conséquent, le développement durable devrait être induit comme un instrument pour comparer les diverses demandes de la société et évaluer la tolérance de la nature face aux interventions de l'homme» (ENARECO, 1998).

Le programme ENARECO présente quelques caractéristiques particulières (Essmann, 1999):

Indépendamment du grand nombre de matières, le thème de base commun à tous les cours est la question de savoir comment assurer la compatibilité entre les demandes économiques et sociales et les exigences de la conservation de l'environnement et de l'utilisation rationnelle des ressources naturelles.

Le contenu de l'enseignement du projet ENARECO n'est pas limité seulement à la théorie de l'économie respectueuse de l'environnement et protégeant les ressources, mais tente d'illustrer dans la pratique les principes des divers secteurs d'une économie politique. Ainsi, l'étude de agriculture et foresterie, tourisme et loisirs, et utilisation des terres, est incluse, et complétée par des matières telles que politique environnementale et droit de l'environnement. Le programme prévoit que, grâce à cette variété des matières, les étudiants auront la formation nécessaire pour devenir des experts, capables de mettre en oeuvre le principe de développement durable dans pratiquement tous les secteurs pertinents de l'économie et de la société.

L'intérêt central du programme est un enseignement à vocation pratique. Outre la base théorique, la présentation d'expériences pratiques est un objectif essentiel. Par conséquent, lesdites études de projet ainsi que les stages dans des services administratifs ou des entreprises font partie intégrante du programme ENARECO.

Du fait que les matières sont très nombreuses, le programme ENARECO n'a pas été rattaché à une faculté existant déjà, par exemple la faculté d'économie. Le risque aurait été trop grand pour la faculté mère de dominer le nouveau programme d'études et d'influencer son orientation et son développement futur. ENARECO a donc été conçu comme une unité indépendante au sein de l'université, avec sa propre administration et responsable directement devant le recteur.

Le nouveau programme d'études a été ouvert aux diplômés des collèges provenant de domaines très divers, non limité aux économistes, mais ouvert aussi aux géographes, aux étudiants en droit, aux spécialistes des sciences forestières, aux écologistes, etc.

La révision des programmes d'études se heurte à différentes contraintes qui ont été identifiées durant la réorganisation des cours et le recyclage des enseignants.

On a encouragé une nouvelle mentalité pour favoriser une approche multidisciplinaire et coopérative dans l'enseignement, et la participation active des étudiants. Il a été plus facile d'introduire ces changements au niveau institutionnel plus bas et l'on a envisagé une approche ascendante.

En fait, la procédure bureaucratique existante pour introduire un nouveau programme d'études est complexe: pour le programme ENARECO, il a fallu engager un long processus afin d'obtenir une accréditation officielle par le MSE. Une fois que le programme d'études a été lancé (octobre 1998), il a été entièrment évalué par une équipe spéciale de l'UE composée d'experts et par un fonctionnaire de l'Institut de la Banque mondiale. Dans les deux cas, les experts ont souligné la nécessité d'une participation accrue des enseignants et des chercheurs provenant de différents horizons à la gestion du programme de maîtrise, et le besoin de nouvelles parties prenantes qui pourraient participer à la révision des programmes d`études et au processus de diffusion.

QUATRIÈME PARTIE

CONCLUSION: LES LEÇONS RETENUES

En particulier, on ne s'attend pas à ce qu'il y ait un changement réel dans le système d'enseignement supérieur urkrainien sans une réforme radicale du secteur forestier et des organes décisionnels, pour inclure les parties prenantes venant du secteur privé et doter le système d'une plus grande souplesse et d'un appui financier plus important.

Déterminante pour le processus sera la révision par les universités et les instituts de recherche des méthodes et programmes d'enseignement et l'abandon progressif du système très centralisé existant. Des innovations récentes introduites par la dernière réforme de l'enseignement supérieur représentent un premier pas vers une réforme proprement dite de la structure antérieure.

Le renforcement des liens avec le secteur de la transformation du bois pourrait aussi encourager les établissements d'enseignement à s'adapter aux besoins en évolution constante du marché du travail, et leur fournir une aide financière pour donner un nouvel élan aux activités de recherche.

Il est prévu également que les étudiants jouent un rôle dans le processus décisionnel et aient la possibilité d'exprimer officiellement leur évaluation des normes d'enseignement et du contenu des cours.

La coopération scientifique et technique est l'une des clés pour améliorer la gestion des ressources naturelles des PECO. Des partenariats limités et «à la carte» ont plus de chances d'assurer le succès de ces initiatives que des programmes de grande envergure. Tout projet et toute intervention conçus pour améliorer les échanges et la coopération interuniversitaire ne peuvent que réussir une fois que les institutions publiques et l'infrastructure seront améliorées; cela est la seule façon d'assurer la durabilité de l'investissement.

Dans un monde en évolution rapide et tellement dépendant de la mondialisation, tant sur le plan social que sur le plan économique, l'enseignement représentera de plus en plus le facteur clé pour le développement d'un pays. Il est indispensable que les PECO entreprennent rapidement des innovations importantes et fassent preuve de souplesse dans l'élaboration et la réforme des programmes d'enseignement. Toutes ces mesures sont indispensables pour que la transition vers une économie de marché soit couronnée desuccès.

SIGLES ET ACRONYMES

EES

=

Établissement d'enseignement supérieur

ENARECO

=

Économie de l'environnement et des ressources naturelles

ETCS

=

Système européen d'unités capitalisables transférables dans toute la communauté

MEPNS

=

Ministère de la protection de l'environnement et de la sécurité nucléaire (Ukraine)

M.Sc.

=

Maîtrise ès sciences

MSE

=

Ministère de la science et de l'éducation

NEI

=

Nouveaux États indépendants

ONG

=

Organisation non gouvernementale

PEC

=

Projet européen commun

PECO

=

Pays d'Europe centrale et orientale

Ph.D.

=

Doctorat

PIB

=

Produit intérieur brut

SFC

=

Comité d'État pour les forêts (d'Ukraine)

TACIS

=

Assistance Technique à la Communauté des États indépendants et à la Mongolie

TEMPUS

=

Programme de mobilité transeuropéenne pour l'enseignement supérieur

UAH

=

Hgryvna ukrainienne (unité monétaire)

UE

=

Union européenne

URSS

=

Union des Républiques socialistes soviétiques

USD

=

Dollar des États-Unis ($)

USUFWT

=

Université d'État ukrainienne des forêts et des technologies du bois

1 UAH

=

5,2 USD (septembre 2001)

NOTE SUR LA TRANSLITTÉRATION

L'auteur utilise le système modifié de la Bibliothèque du Congrès. Les noms et les sites géographiques ukrainiens sont donnés dans leur translittération ukrainienne. Il en est de m

Exemples de translittération ukrainienne: Kyiv (Kiev), L'viv (Lviv), Kharkiv (Kharkov).

BIBLIOGRAPHIE

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i Les NEI comprennent les anciennes républiques de l'Union soviétique, moins les pays baltes et la Mongolie. Le Programme est géré par la DG1A de la Commission européenne (Direction générale des relations extérieures).

ii «Le programme octroie des fonds pour le transfert du savoir-faire dans douze pays de l'ex-Union soviétique et la Mongolie. Ce faisant, il encourage le développement des économies de marché et des démocraties. C'est le programme le plus important du genre dans la région; il a lancé plus de 3 000 projets pour un montant de plus de 3 290 millions d'ECU depuis sa création» (TACIS, 2000).

iii Durant cet avant-projet, des bases importantes ont été jetées qui ont été déterminantes pour la mise en œuvre du PEC et pour le nouveau programme qui a démarré le 1er septembre 1998.

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