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Octroi aux pays en développement d'un traitement spécial et différencié dans le domaine du commerce de produits agricoles [86]


1. Introduction

Dans le domaine de l'agriculture, les principaux résultats du Cycle d'Uruguay ont été de lancer le processus consistant à soumettre le commerce de produits agricoles aux mêmes règles que celui des autres produits. L'accent a été mis sur la réforme de l'agriculture dans les pays développés, et non sur les mesures à prendre pour accroître la production et les exportations de denrées agricoles dans les pays en développement. Mais si la forme de protection dans les pays en développement a changé, il ne s'est guère avéré possible de la réduire en fait: les pays développés ont réduit leurs subventions à l'exportation, mais celles-ci demeurent à des niveaux qui entravent la production et les exportations des pays en développement[87].

Aux termes de l'Accord sur l'agriculture, les pays en développement sont, sous réserve de certaines exceptions, censés appliquer les mêmes règles que les autres pays. Par exemple, ils ont dû consolider tous les droits de douane sur les produits agricoles, ce qu'ils n'ont pas eu à faire pour les articles manufacturés. Un aspect plus fondamental est cependant que la raison d'être du cycle de négociations était la préoccupation légitime causée par la protection et le soutien de l'agriculture dans les pays développés. Ainsi, il a été mis au point des règles pour réduire le nombre de mesures de soutien, les rendre plus transparentes et faire en sorte qu'elles faussent moins le commerce international.

Dans un certain nombre de pays en développement, cependant, les politiques de l'État pénalisaient l'agriculture plutôt qu'elles ne l'appuyaient[88]. Et, dans les pays où l'agriculture était effectivement soutenue, la capacité des pouvoirs publics de fournir cet appui au moyen de transferts budgétaires était et reste encore très limitée. Pour ces pays, toute la raison d'être du Cycle des négociations d'Uruguay s'est trouvée renversée. Bien qu'il y ait eu des exceptions et que des dispositions avaient été convenues pour accorder à ces pays un traitement spécial et différencié, toutes sont marquées par cette façon de voir inversée. En fait, nombreux sont les pays en développement qui ont soutenu que l'Accord sur l'agriculture a maintenu, bien qu'à une échelle réduite, le traitement spécial et plus favorable dont bénéficient les pays développés dans le contexte du système commercial international.

Le but de cette étude est modeste et se borne à passer en revue et à évaluer les dispositions, essentiellement celles de l'Accord sur l'agriculture, concernant l'octroi d'un traitement spécial et différencié dans le secteur de l'agriculture pour déterminer si elles répondent effectivement aux intérêts des pays en développement. L'étude n'aborde pas les dispositions découlant de la Décision ministérielle de Marrakech concernant les effets négatifs possibles du programme de réformes sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires (PDINA), ni les propositions qui ont été formulées en vue de créer une sauvegarde spéciale pour l'éventualité de poussées soudaines des importations dans les pays en développement, questions qui sont discutées en détail dans d'autres études du présent volume. L'étude parvient à un certain nombre de conclusions et de recommandations qui pourraient être prises en considération dans le contexte des négociations sur l'agriculture actuellement en cours sous l'égide de l'OMC pour que les dispositions relatives au TSD soient mieux adaptées aux besoins des pays en développement. Cependant, l'étude n'aborde pas toutes les questions qui affectent les intérêts des divers pays en développement et groupes qui participent à l'actuelle série de négociations sur l'agriculture.

2. Les dispositions prévoyant l'octroi d'un traitement spécial et différencié

Résumé des dispositions

L'Accord sur l'agriculture comporte diverses dispositions qui prévoient l'application de règles différentes à l'agriculture et au commerce extérieur des pays en développement. Certaines de ces dispositions ont simplement un caractère de recommandation et, dans le meilleur des cas, ne créent qu'une obligation de moyens, comme celles qui figurent dans le préambule de l'Accord, aux termes desquelles les pays en développement s'engagent à tenir "pleinement compte des besoins et de la situation particuliers des pays en développement Membres en prévoyant une amélioration plus marquée des possibilités et modalités d'accès pour les produits agricoles présentant un intérêt particulier pour ces Membres". D'autres établissent une différenciation expresse entre les règles qui s'appliquent aux pays en développement et aux pays les moins avancés, d'une part, et aux pays développés, de l'autre. Les principales dispositions concernant l'octroi d'un traitement spécial et différencié sont les suivantes:

En outre, comme indiqué plus haut, la Décision ministérielle concernant les PMA et les PDINA contient un certain nombre de dispositions supplémentaires concernant ces produits qui sont analysées dans d'autres études du présent volume. Enfin, l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires contient lui aussi des dispositions prévoyant l'octroi d'un TSD aux pays en développement et aux PMA. Ces mesures peuvent être classées en trois catégories: dispositions de caractère général prévoyant qu'il doit être tenu compte des intérêts des pays en développement dans la fixation des normes; dispositions prévoyant une période d'application plus longue des engagements pris par les pays en développement et les PMA; et offres d'assistance technique en vue de la mise en œuvre des dispositions de l'Accord.

Évaluation des dispositions

Comme le montre l'énumération ci-dessus, les dispositions de l'Accord sur l'agriculture concernant l'octroi d'un TSD relèvent, d'une façon générale, des mêmes catégories et souffrent des mêmes problèmes de caractère général que les dispositions semblables d'autres accords de l'OMC. Les dispositions en question ne prévoient habituellement qu'une obligation de moyens ou des offres d'assistance technique ou autre, mais aucune n'est contraignante. Il y a également des dispositions prévoyant des périodes de transition plus longues et une souplesse accrue, notamment des seuils plus faibles ou plus élevés, pour la mise en œuvre de différents engagements par les pays en développement. Dans certains cas, la souplesse est encore plus grande et les engagements moindres pour les PMA (Michalopoulos, 2000). Regrettablement, rien ne permet de penser que ces seuils moins exigeants ou ces périodes de transition plus longues ont été définis en ayant à l'esprit la réalité de la situation dans les pays en développement intéressés. Ils semblent tous être l'issue d'un processus de négociation dans lequel il n'a guère été tenu compte des contraintes institutionnelles qui affectent l'agriculture dans les pays en développement.

Un effort a été fait pour appliquer les dispositions de manière un peu différenciée au niveau des bénéficiaires: il a été admis, par exemple, que les PDINA ont des besoins différents, encore que les engagements les concernant ne soient pour la plupart pas contraignants et ne prévoient qu'une obligation de moyens, outre que cette catégorie elle-même ne reflète pas comme il convient les groupes de pays qui sont les plus exposés à l'insécurité alimentaire (Diaz-Bonilla et al, 2000). Dans le contexte des restrictions aux exportations, il a également été retenu que quelques pays en développement sont d'importants exportateurs, mais la plupart des dispositions pertinentes ont regroupé les pays en développement (sauf les PMA) dans un seul groupe, ce qui ne correspond manifestement pas à la réalité.

L'on peut identifier au moins quatre groupes de pays en développement, comme le montre le soutien que différents pays apportent aux diverses propositions lors des négociations: il y a tout d'abord le groupe des gros exportateurs de produits agricoles, qui sont membres du Groupe de Cairns; il y a deuxièmement un groupe nombreux composé des PDINA et d'autres pays, comme l'Inde, qui ont de vastes secteurs agricoles, qui exportent différentes denrées mais qui importent également des produits alimentaires; il y a troisièmement les pays dotés d'un secteur agricole réduit et peu diversifié et qui, par suite du climat ou d'un manque de terre (par exemple les petits pays insulaires), ont grand-peine à soutenir la concurrence sur les marchés des produits agricoles; et il y a enfin un petit groupe de pays en développement généralement plus aisés qui, comme nombre de pays développés, attachent une plus haute priorité aux rôles multiples que l'agriculture joue dans leur société, quelle que soit son efficience ou sa productivité.

Les résultats donnés par différentes dispositions ont été mitigés: certaines semblent avoir été utiles et pourraient être conservées et renforcées dans un futur accord. D'autres ne l'ont probablement pas été et pourraient être modifiées ou abandonnées, ou bien les objectifs qu'elles tendent à réaliser pourraient être poursuivis différemment. Il se peut que d'autres encore doivent être introduites pour tenir compte des besoins de différents pays en développement.

Accès aux marchés

Rien ne permet de conclure que les dispositions, en général purement déclaratives, touchant la libéralisation de l'accès aux marchés des produits présentant un intérêt particulier pour les pays en développement se soient traduites par une réduction plus marquée de la protection dont bénéficient ces produits sur les marchés des pays développés. Si, en moyenne, les droits de douane que doivent acquitter les pays en développement sur les marchés des pays développés pour certains de leurs produits agricoles sont moindres que le niveau global des droits, cela semble avoir été le résultat de la libéralisation intervenue antérieurement pour les produits tropicaux. La protection qui subsiste contre des importations de pays en développement comme le riz (au Japon), le tabac et les arachides (aux États-Unis) et le jus de raisin (dans l'UE) est redoutable (Youssef, 1999; Michalopoulos, 2001). Cependant, il est peu probable que ce problème capital puisse être résolu par de nouvelles déclarations et des engagements non contraignants d'octroi d'un traitement différencié. Le meilleur moyen de régler le problème des crêtes tarifaires serait d'adopter une approche fondée sur une formule qui déboucherait sur des réductions plus que proportionnelles des crêtes tarifaires qui prévalent dans les pays développés.

Flexibilité des règles et disciplines

Il s'agit là d'un domaine clé sur lequel devraient être axés les efforts futurs concernant le traitement spécial et différencié étant donné que certains des problèmes qui affectent l'agriculture des pays en développement, dont la capacité institutionnelle est insuffisante, sont fondamentalement différents de ceux auxquels sont confrontés les pays développés.

Les dispositions de l'Accord sur l'agriculture sur ce point prévoient une flexibilité en ce qui concerne la mesure globale du soutien, les subventions et autres formes d'appui aux agriculteurs pauvres en ressources et les subventions à l'exportation. Il existe également un certain nombre de dispositions liées à la sécurité alimentaire concernant les stocks constitués par les pouvoirs publics et la fixation des prix des produits alimentaires vendus aux pauvres. Les résultats donnés par l'application de ces dispositions ont été mitigés. Un assez grand nombre de pays en développement, dans leurs notifications, ont invoqué ces dispositions pour justifier leur soutien de l'agriculture (OMC, 2002; Youssef, 1999). Le nombre de pays qui ont effectivement usé de ces dispositions est probablement encore plus grand que celui qui ressort des notifications étant donné que ces dernières ont habituellement été passablement incomplètes dans le cas des pays en développement (FAO, 2000).

Il se pose néanmoins un certain nombre de problèmes qui découlent de l'ensemble de la conception qui sous-tend l'Accord sur l'agriculture. En particulier, les très importantes dispositions qui permettent de fournir un appui sous forme de subventions des investissements et des intrants pour les agriculteurs pauvres conformément à l'Article 6.2 relèvent non pas de la catégorie "verte" des subventions qui sont autorisées en permanence car elles ne faussent pas le commerce, mais des mesures de soutien qui faussent les échanges et qui ne sont autorisées que temporairement et qui doivent être revues pour pouvoir être maintenues, comme si les problèmes qui affligent les agriculteurs pauvres et justifient une intervention des pouvoirs publics pourraient être résolus en quelques années.

En fait, les subventions mentionnées à l'Article 6.2 peuvent donner lieu à l'imposition de droits compensateurs en application de l'Article 13 b si elles dépassent la limite budgétaire des subventions fixée en 1992. Cela signifie que, si un pays en développement a fourni à ses agriculteurs pauvres des crédits subventionnés dépassant ceux accordés en 1992 et a réussi à stimuler une augmentation de sa production de sorte que cela a déplacé une partie des importations, les pays qui approvisionnaient précédemment ses marchés pourraient invoquer un "grave préjudice" en vertu de l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires ou avoir recours à une action fondée sur "l'annulation" ou la "réduction" conformément à l'Article XXIII du GATT (voir Michalopoulos, 2001 et Diaz-Bonilla et al, 2002). Un pays développé qui verrait ses exportations diminuer en pareilles circonstances pourrait fort bien ne pas déposer plainte devant l'OMC, mais ce n'est pas cela qui importe, mais plutôt le fait que la conception et les fondements juridiques qui sont à la base de l'Accord sur l'agriculture ne sont pas orientés vers le développement.

L'un des changements fondamentaux que les pays en développement devraient chercher à obtenir lors des nouvelles négociations est qu'ils devraient, ou au moins certains groupes d'entre eux, pouvoir avoir recours dans tous les cas à certaines politiques qui peuvent être justifiées du point de vue du développement. Autrement dit, il devrait être créé une catégorie "développement" dans laquelle seraient rangées toutes ces politiques (OMC, 2000a).

La question de savoir quelles sont les politiques qui devraient être rangées dans cette catégorie devra être discutée et négociée. À tout le moins, les discussions actuelles du TSD prévoyant une plus grande souplesse dans l'application des règles devraient y être incluses, c'est-à-dire les dispositions concernant le soutien des agriculteurs pauvres, la sécurité alimentaire (stocks) et les prix. Étant donné les problèmes qui affectent l'agriculture et les pauvres dans la plupart des pays en développement à faible revenu, une intervention de l'État sera nécessaire pour renforcer les institutions, améliorer le fonctionnement des marchés et fournir un appui aux citadins et aux ruraux pauvres de différentes façons, notamment en fournissant un appui pour accroître la production de certaines denrées.

De même, les programmes tendant à appuyer la diversification de la production dans les pays qui sont tributaires de l'exportation d'un ou deux produits devraient être spécifiquement exemptés des engagements de réduction de la MGS. À l'heure actuelle, cette exemption des règles concernant l'appui à la diversification de la production dont il est question à l'Article 6.2 est limitée au soutien "destiné à encourager le remplacement des cultures de plantes narcotiques illicites", ce qui est essentiellement une priorité de pays développés. D'un autre côté, les petits pays en développement à faible revenu qui ont manifestement besoin de diversifier leur production et la structure de leurs exportations pour réduire leur vulnérabilité aux chocs extérieurs ne jouissent d'aucune exemption de la MGS pour de tels programmes.

Il est clair que la gestion de stocks de produits alimentaires d'urgence devrait être incluse d'une façon ou d'une autre dans la catégorie "développement". Il se peut que l'on puisse envisager d'éclaircir sur certains points les dispositions pertinentes existantes (pour plus amples détails, voir Diaz-Bonilla et al, 2002). En outre, il serait bon, aux fins de ce calcul et d'autres encore, que les accords commencent par utiliser des prix de référence plus récents.

Les pays en développement devraient être considérés comme ayant le droit de mener tous ces types de programmes, lesquels devraient être inclus dans une catégorie "développement" et ne pas être considérés comme des aberrations ou des exemptions. Comme des programmes ciblés d'aide aux pauvres peuvent être importants pour les pays en développement, quels que soient leurs niveaux de revenu ou leurs dimensions, tous devraient être autorisés à réaliser de tels programmes. Toutefois, l'exception "diversification" devrait être limitée aux petits pays à faible revenu qui sont tributaires d'un ou deux produits pour la majeure partie de leurs recettes d'exportation.

Le concept de "producteurs qui ont de faibles revenus ou sont dotés de ressources limitées" auquel s'appliqueraient ces mesures est difficile à définir dans la pratique. Une approche plus réaliste consisterait peut-être à exempter de la MGS les programmes axés sur tous les ménages qui se trouvent au-dessous d'un certain seuil de pauvreté (ce qui inclurait les ménages qui ne "produisent" peut-être rien mais qui travaillent dans l'agriculture et qui sont tout aussi nécessiteux, voire plus encore, que les producteurs "dotés de ressources limitées").

Enfin, la catégorie "développement"·devrait exclure les mesures à la frontière. Les droits de douane et mesures semblables ont pour effet d'accroître les prix pour les consommateurs et touchent surtout les consommateurs pauvres (qui consacrent une proportion plus grande de leurs revenus à l'alimentation) tout en bénéficiant surtout aux gros producteurs de produits agricoles (et alimentaires), qui ont de plus grandes quantités à vendre[90].

La question des subventions à l'exportation devrait être examinée séparément. Il est évident qu'elles ont un effet de distorsion du commerce, peut-être encore plus que nombre de formes de soutien interne, et qu'elles sont au-delà des moyens de la plupart des pays en développement. Le problème, en l'occurrence, est plus politique qu'économique. Du point de vue économique, il n'est sans doute guère logique, pour un pays quel qu'il soit, de subventionner les exportations. Mais comme les pays développés ont longtemps subventionné leurs exportations, à la différence de la plupart des pays en développement, il subsiste pour les pays développés, même après réduction, des possibilités beaucoup plus grandes de subventionner les exportations et par conséquent d'obtenir un avantage commercial sur les pays en développement. L'on a, par le passé, essayé de corriger cette asymétrie en permettant aux pays en développement de réduire plus lentement leurs subventions à l'exportation. Une plus grande différenciation des engagements futurs s'impose probablement dans ce domaine, non pas parce qu'il faille recommander aux pays en développement d'utiliser des subventions à l'exportation, mais pour créer un marché sur lequel la concurrence soit plus égale[91].

L'éventualité d'un relèvement de la limite de minimis est un peu semblable. Rien ne permet de dire que le plafond de 10 pour cent ait empêché les pays en développement de fournir le soutien dont l'agriculture a besoin. S'il existe une catégorie "développement" bien définie, il n'est pas certain qu'il faille porter la disposition de minimis de 10 pour cent à, disons, 15 pour cent. De même, une autre proposition tendrait à permettre aux pays en développement, où certains produits sont caractérisés par un soutien négatif du fait du subventionnement des produits alimentaires de grande consommation, de déduire ce soutien du soutien positif aux fins du calcul de la MGS. Toutefois, une telle disposition pourrait ne pas être nécessaire si le niveau de minimis était porté au-dessus de 10 pour cent. Il se pose également la question de savoir quels sont les pays en développement qui devraient bénéficier de la limite de minimis plus élevée. Les pays en développement qui sont de gros exportateurs, comme les membres du Groupe de Cairns, devraient-ils jouir de cet "avantage", alors même qu'ils n'en ont pas besoin?

Les propositions faites par les pays en développement pour obtenir un relèvement de la limite de minimis ou l'établissement d'un plafond total pour la mesure globale du soutien (qui comprend les mesures de la catégorie "verte") sont jusqu'à un certain point motivées par leur désir d'égaliser la concurrence de façon à pouvoir apporter un soutien à l'agriculture comme les pays développés l'ont fait par le passé, pas nécessairement parce qu'ils pourraient aujourd'hui financer de telles dépenses ou parce que cela pourrait promouvoir le développement. D'aucuns ont fait valoir que les pays en développement n'ont pas besoin d'une flexibilité accrue mais devraient exploiter les règles internationales pour introduire plus de disciplines dans leurs politiques nationales. Cet argument serait convaincant si les pays développés l'avaient constamment suivi plutôt que de fréquemment créer pour les produits agricoles et alimentaires un régime commercial international conforme à leurs propres politiques intérieures.

Questions liées aux mesures sanitaires et phytosanitaires

La mise en œuvre du nouvel Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires suscite des problèmes majeurs pour les pays en développement. Certains de ces problèmes tiennent au fait que ces pays n'ont pas la capacité de mettre en place les arrangements institutionnels nécessaires pour honorer leurs engagements en vertu de l'Accord. Même si ces capacités existent, l'application des engagements est coûteuse. L'établissement de normes, les essais et l'homologation représentent de 2 à 10 pour cent du prix de revient total. Ainsi, ces normes imposent un fardeau aux exportations des pays en développement, même lorsqu'elles sont utilisées pour des raisons légitimes et que les pays peuvent les respecter.

Il se peut néanmoins que le coût le plus lourd de l'Accord réside ailleurs. L'Accord peut en effet être exploité pour légitimer les mesures adoptées par les pays développés qui créent des contraintes substantielles pour les exportations des pays en développement, même si les mesures en question paraissent justifiées, par exemple pour des raisons de santé publique. Une étude récente a estimé qu'un règlement promulgué par la CE en 1998, qui a porté les normes concernant la teneur maximum en certains types d'aflatoxine, substance toxique que l'on trouve dans les denrées alimentaires et l'alimentation pour les animaux, à des niveaux plus élevés que ceux prévus par le Codex Alimentarius, a représenté pour les exportateurs africains d'arachides un manque à gagner de près de 700 millions de dollars EU (Otsuki et al., 2000).

Il est difficile de critiquer les mesures adoptées par les pays développés pour protéger la santé des consommateurs, mais lorsque ces mesures représentent un coût substantiel pour les pays en développement exportateurs, il ne semblerait que juste que le pays qui applique de telles mesures soit juridiquement tenu de faire le nécessaire pour aider les pays en développement affectés à résoudre le problème créé par la nouvelle réglementation. À cette fin, il faudrait incorporer à l'Accord une nouvelle disposition selon laquelle un pays développé, s'il constate que tel ou tel produit exporté par un pays en développement ne répond pas à une norme sanitaire ou phytosanitaire spécifique et est par conséquent exclu de ses marchés, serait tenu de fournir au pays en développement intéressé l'assistance nécessaire pour mettre la qualité du produit au niveau requis par la norme. L'UE a effectivement fourni une telle assistance à quelques pays en développement pour les aider à répondre à ses normes en matière de produits de la pêche. Idéalement, cette obligation devrait être juridiquement consolidée dans le cadre de l'OMC, mais même une référence de caractère général établissant cette corrélation pourrait être un premier pas utile.

3. Conclusions et recommandations

Pour être véritablement axée sur le développement, une série de négociations concernant le commerce de produits agricoles doit tenir compte des préoccupations légitimes des pays en développement, et spécialement des pays à faible revenu et des pays les moins avancés ainsi que des pays qui sont les plus exposés à l'insécurité alimentaire pour qu'ils puissent développer leurs secteurs de l'alimentation et de l'agriculture. Des dispositions à cette fin ne devraient pas revêtir le caractère d'exceptions ou d'un traitement spécial mais devraient refléter les objectifs légitimes du processus normatif en général. En outre, il faudrait introduire une plus grande cohérence entre les politiques relatives au commerce agricole et l'aide à l'agriculture fournie par les pays développés.

À cette fin, les négociations concernant l'agriculture devraient déboucher sur la création d'une catégorie "développement" où seraient rangées les mesures tendant à promouvoir la production vivrière et la production agricole des ruraux pauvres dans les pays en développement, et ce sur une base permanente. Il y aurait dans cette catégorie les principaux éléments du TSD visés par le paragraphe 2 de l'Article 6 de l'Accord sur l'agriculture. Ces mesures ne devraient pas être formulées sous forme d'"exceptions" aux réductions de la MGS, mais plutôt comme reflétant le droit des pays en développement:

Outre ces "droits" fondamentaux, l'on devrait envisager de relever le niveau de minimis - par exemple pour le porter à 15 pour cent - pour les pays à faible revenu, les pays exposés à l'insécurité alimentaire et les autres petits pays vulnérables.

Il importe d'élargir l'accès des pays en développement aux marchés des pays développés ainsi que de réduire progressivement, pour qu'elles soient éliminées à terme, les subventions à l'exportations accordées par ces derniers à un rythme plus rapide que les pays en développement. En outre, il faut résoudre d'urgence le problème posé par les crêtes tarifaires, par exemple en adoptant une approche fondée sur une formule selon laquelle les droits élevés seraient réduits dans des proportions plus fortes par les pays développés.

Enfin, il est extrêmement nécessaire d'introduire une cohérence accrue entre les politiques du commerce agricole et l'aide à l'alimentation et à l'agriculture dans les pays en développement. Il faut pour cela éviter une incohérence flagrante, par exemple lorsque les donateurs, d'une part, fournissent une assistance pour accroître la production vivrière ou agricole dans les pays en développement et, de l'autre, sapent leurs propres efforts et ceux des pays en développement en écoulant leurs excédents de produits agricoles ou alimentaires à des prix subventionnés sur les marchés des pays en développement. Des mesures positives devront être adoptées aussi pour améliorer la cohérence entre les politiques du commerce extérieur et les politiques d'assistance: notamment, les pays développés devraient s'engager à aider les pays en développement à répondre aux normes sanitaires et phytosanitaires qu'ils imposent aux importations sur leurs marchés lorsque ces normes affectent les exportations des pays en développement.

Références

Binswanger, H. et Lutz, E. 1999. "Agricultural Trade Barriers, Trade Negotiations and the Interests of Developing Countries". Document préparé en vue de la Table ronde de haut niveau sur le commerce et le développement: Décisions pour le XXIe siècle tenue lors de la dixième session de la CNUCED (TD(X)/RT.1/8), Genève.

Das, B.L. 1998. The WTO Agreements: Deficiencies, imbalances and required changes (Penang: Third World Network).

Diaz-Bonilla, E. et al. 2000. Food security and trade negotiations in the WTO: a cluster analysis of country groups, Trade and Macroeconomics Paper #59 Washington: IFPRI.

Diaz-Bonilla, E. et al. 2002. WTO, Agriculture and developing countries: a survey of issues, Trade and Macroeconomics Paper #81, Washington: IFPRI.

FAO, 2000. Résultats donnés par l'application de l'Accord sur l'agriculture du Cycle d'Uruguay, CCP 01/11, décembre.

Michalopoulos, C. 2000. Special and differential treatment for developing countries in the GATT and the WTO, Policy Research working paper No. 2388, Banque mondiale.

Michalopoulos, C. 2001. Developing countries in the WTO, Palgrave: New York et Hampshire.

OMC, 2000a-b. Accord sur l'agriculture: traitement spécial et différencié et catégorie "développement". Propositions de Cuba et d'autres pays en développement. G/AG/NG/W/13 et G/AG/NG/W/14, 23 juin.

OMC, 2000c. Traitement spécial et différencié des pays en développement dans le commerce mondial de produits agricoles. Proposition de l'ANASE. G/AG/NG/W/55, 10 novembre.

OMC, 2000d. Négociations de l'OMC sur l'agriculture: propositions des petits États insulaires en développement. G/AG/NG/W/97 et Corr.1, 29 décembre.

OMC, 2001a. Négociations de l'OMC sur l'agriculture: proposition de l'Inde. G/AG/NG/W/102, 15 janvier.

OMC, 2001b. Négociations de l'OMC sur l'agriculture: proposition générale de la République arabe d'Égypte. G/AG/NG/W/107/Rev.1, 21 mars.

OMC, 2002. Informations sur l'utilisation des dispositions relatives au traitement spécial et différencié. WT/COM/TD/W/77/Rev.1/Add.4, 7 février.

Otsuki, T. et al. 2000. What price precaution? European harmonization of aflatoxin regulations and African food exports (miméographié), Banque mondiale.

Youssef, H. 1999. Special and differential treatment for developing Countries in the WTO. Working paper 2, South Centre, Genève.


[86] Une version précédente de cette étude a été présentée par Constantine Michalopoulos à la Table ronde sur le traitement spécial et différencié dans le contexte des négociations de l'OMC sur l'agriculture qui a été organisée par la FAO à Genève le 1er février 2002. L'auteur est consultant de la Banque mondiale, mais les vues exprimées dans ce document sont exclusivement celles de l'auteur et ne doivent aucunement être attribuées à la Banque mondiale.
[87] Il existe de nombreux ouvrages sur ces questions. Voir par exemple Das (1998), Binswanger et Lutz (1999), Michalopoulos (2001) et les différents documents et propositions présentés par les pays en développement dans le contexte des négociations en cours sur l'agriculture.
[88] Cela était indubitablement le cas il y a dix ans, lorsque les négociations du Cycle d'Uruguay se poursuivaient, et peut-être encore plus pendant les années 80, qui sont les années de référence pour l'évaluation des mesures de soutien.
[89] Il y a lieu de noter que cela ne constitue guère une concession étant donné qu'à l'heure actuelle, la différence entre le prix d'achat et le prix externe de référence est censée être prise en compte dans le calcul de la MGS.
[90] Il ne serait pas injustifié, dans le contexte des négociations à venir, de prévoir un rythme plus lent pour les réductions de droits de douane par les pays en développement (voir Diaz-Bonilla et al., 2002); mais il s'agit là d'une question qui ne relève pas de la catégorie "développement"·mais plutôt des principes généraux à suivre lors des négociations.
[91] Il se posera bien entendu plusieurs autres questions importantes lors des négociations, comme le rythme futur des réductions de la MGS par les pays développés, les limitations concernant l'utilisation par ces pays de subventions de la catégorie "verte" et les restrictions concernant l'utilisation des crédits à l'exportation, questions qui ne sont pas examinées ici étant donné qu'elles ne relèvent pas du traitement spécial et différencié. Elles se rapportent plutôt aux propositions qu'ont formulées les pays en développement pour égaliser la différence en demandant aux pays développés d'accélérer le démantèlement de leurs politiques qui faussent le commerce.

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