Previous PageTable Of ContentsNext Page

Annexe 2 - Les leçons tirées de la phase pilote de la « mise en œuvre conjointe »

Afin d'acquérir une expérience de ces instruments de flexibilité, une phase pilote a été mise en place en 1995, suite à la première Conférence des Parties (CdP1, décision 5) à Berlin, et désignée sous le terme « Phase pilote de mise en oeuvre conjointe » (AIJ). Cette phase devait « apporter des bénéfices environnementaux réels, mesurables, et à long terme, concernant la réduction du changement climatique, qui n'auraient pas eu lieu en l'absence de telles activités ». A l'heure actuelle, environ 200 projets ont été mis en œuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, dont une trentaine de projets forestiers.

Le développement de tous ces projets a fait intervenir différents acteurs. La Convention Cadre n'ayant pas défini le type d'acteur susceptible de réaliser ces projets, des organismes de toutes sortes se sont lancés dans la MOC : gouvernements, organismes publics, organisations non gouvernementales, compagnies privées, associations locales, etc. La phase pilote AIJ devait notamment servir de test pour apprécier la participation des organismes privés au financement des projets. Malheureusement la phase pilote n'a pas vraiment été satisfaisante de ce point de vue (Dixon, 1999). Ceci a été en grande partie dû au fait que la phase pilote ne devait pas permettre aux investisseurs d'obtenir des crédits carbone (crédits d'émission certifiés). Toutefois, le Costa Rica a mis en place un système de crédits d'émission certifiés, attirant de ce fait un grand nombre de projets.

Les projets

Les projets d'utilisation des terres (LULUCF) visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), et en particulier les projets forestiers, représentent aujourd'hui une quarantaine de projets. Parmi ces projets, 18 sont officiellement reconnus comme projets AIJ (Tableau 1) et donc inscrits au secrétariat de la CCNUCC. Les autres (Tableau 2) n'ont pas été retenus car certains ont été entrepris avant 1995, date officielle d'initiation de la phase pilote AIJ ; certains sont des projets domestiques internes à un pays particulier, certains sont encadrés par des organismes en dehors des structures de la phase pilote (les projets encadrés par le FEM, par exemple), d'autres enfin n'ont pas reçu l'accord du pays hôte pour l'implantation du projet. Mêmes si ces projets n'ont pas été reconnus officiellement dans la phase pilote, ils restent intéressants à étudier puisque des scénarios de référence et les risques de pertes associées ont dû être définis en vue de leur réalisation.

Il convient de noter que parmi tous ces projets trente environ sont en cours à l'heure actuelle, dont neuf projets AIJ et une vingtaine de projets non AIJ. Ce faible nombre de projets est dû le plus souvent à un manque de financements.

Dans la phase pilote, les projets LUCF (Changement d'utilisation des terres et foresterie) visant à réduire les changements climatiques se répartissent en quatre catégories :

• Conservation (réduction des émissions liées à la déforestation) : protection par achat de terre et/ou lutte contre les catastrophes naturelles et les ravageurs.

• Réduction des émissions par amélioration de la gestion : exploitation à faible impact (EFI).

• Accroissement des stocks de carbone : boisement, reboisement, agroforesterie.

• Substitution : remplacement des énergies fossiles et matériaux par des produits renouvelables.

Les projets de conservation en cours représentent à eux seuls près de 80% des surfaces concernées par les projets forestiers de lutte contre les changements climatiques, soit près de 7 Mha s'ils arrivent à terme (GIEC, 2000). Les projets d'accroissement des stocks de carbone ne représentent que 5% environ. Il n'y pas eu de projets de substitution à proprement parler. Cette activité fait partie de projets « multi-activités » (15% des surfaces couvertes par les projets) dans le but de diminuer la pression sur les forêts pour pallier les besoins en bois de feu dans les projets de conservation par exemple (projet américain RUSAFOR). On retrouve aussi cette activité associée au secteur énergétique dans le projet « Gestion durable de l'énergie - Burkina Faso » afin de compenser la diminution de l'utilisation des combustibles fossiles.

La large représentation des projets de conservation de la MOC est due à l'idée répandue que ces projets sont relativement simples à mettre en place (simple achat de parcelles), peu coûteux car sans réel transfert de technologie, et rapportant de nombreux « crédits d'émission » vu les surfaces concernées. De plus l'additionnalité environnementale de ceux-ci semble évidente. Toutefois cette idée générale tend à être de moins en moins claire, que ce soit au niveau des coûts ou au niveau de l'additionnalité des projets. En effet, on se rend compte aujourd'hui que l'additionnalité de ces projets n'est plus aussi évidente lorsque l'on considère les risques de pertes associées élevés de ces projets. De plus, en considérant la durée de vie des projets (44 ans en moyenne d'après le GIEC), il semble que les coûts nécessaires à la réalisation et à la pérennité de ceux-ci soient bien plus importants qu'il n'y paraisse.

Des projets prévus sur un terme aussi long doivent en effet limiter les risques de réversibilité (entretien, surveillance). De même, cette durée de vie élevée implique des scénarios de référence solides et donc une approche sérieuse générant des coûts supplémentaires.

L'élaboration des scénarios de référence a été faite le plus souvent par les promoteurs des projets (Moura-Costa et al., 2000). Dans ce cas, deux problèmes ont été soulevés : la crédibilité des résultats et la transparence. En effet, l'intérêt des promoteurs est d'établir un scénario de référence le plus élevé possible en terme d'émissions de CO2 afin que l'additionnalité du projet soit importante, leur objectif étant d'obtenir le plus de crédits d'émission possible (Tipper et de Jong, 1998). Dans ce cas-là, la diffusion des informations concernant la méthodologie adoptée par les promoteurs a été très limitée, voire nulle. On peut d'ailleurs noter que les méthodologies élaborées dans cette situation n'ont pas été vérifiées (GIEC, 2000).

Ce manque de transparence entraîne par ailleurs un autre problème. Dans la mesure où des informations sur le développement d'un projet ne sont pas disponibles, il devient très difficile de réaliser des projets similaires, ce qui va à l'encontre d'un des objectifs de la Convention.

Lorsque les projets ont été réalisés par des gouvernements, comme le projet Olafo au Guatemala ou le projet du Burkina Faso, les scénarios de référence ont été définis par des agences affiliées aux gouvernements, des instituts de recherche ou des universités. Cependant, ceci n'a pas empêché le manque de transparence de la méthodologie appliquée pour la définition des scénarios de référence (Dixon, 1999).

Pour pallier le manque de transparence et à la crédibilité douteuse des scénarios de référence, des méthodologies ont été établies par des organismes indépendants, ou tierce partie. Les bureaux nationaux AIJ comme celui du Costa Rica ont établi des scénarios de référence, notamment pour le projet PAP (Protected Area Project) regroupant les anciens projets CARFIX et BIODIVERSIFIX.

D'autres organismes indépendants, tels les cabinets d'audit (SGS Forestry, par exemple) ou des organismes de contrôle (Winrock International, par exemple) qui évaluent les crédits d'émission à allouer, ont élaboré ou réévalué des scénarios de référence. De cette manière, la crédibilité des scénarios de référence se voit renforcée même si la transparence n'est pas toujours de mise, excepté dans le cas des bureaux nationaux AIJ. C'est d'ailleurs à ce niveau que le secteur privé s'est le plus manifesté au cours de la phase pilote, les cabinets d'évaluation « poussant comme des champignons » (Dixon, 1999).

Tableau 1. Types de projets forestiers rencontrés au cours de la phase pilote (AIJ)

Types de projets

Objectifs

Réalisation

Conservation des stocks de carbone :

   

| Protection par achat de terres et/ou reconversion des acteurs de la déforestation, lutte contre les catastrophes naturelles (feu, ravageurs).

• Limiter la déforestation

    • Réduction des émissions de GES23 à moindre coût

• Préserver la biodiversité

    • Participation des communautés locales

    • Inventaires

    • Contrats, avec les propriétaires, de non déforestation dans un autre lieu

    • Zones tampon (réponse à la demande locale en bois)

    • Développement de l'écotourisme (reconversion des propriétaires et participation des communautés locales)

    • Surveillance (feu, ravageurs, exploitation illégale) par visites de terrain, enquêtes, photos aériennes

| Exploitation à faible impact (EFI)

• Gestion durable des forêts

    • Réduction les émissions de GES

    • Préservation de la biodiversité, des sols et des rivières

• Transfert de compétences

    • Inventaires

    • Uilisation d'un SIG24

    • Planification des réseaux routiers et de stockage

    • Planification des opérations de coupe

Accroissement des stocks de carbone :

   

| Boisement (plantations industrielles pour bois d'œuvre et pâte à papier)

    • Stockage du CO2 de l'atmosphère dans la biomasse terrestre.

    • Développement économique régional (nouveaux marchés)

• Achat des terres

• Préparation des terrains (irrigation)

    • Plantation (Eucalyptus, Acacia mangium)

• Entretien

• Exploitation éventuelle

• Replantation ou reconduite en taillis

| Reboisement (sur terrains dégradés ou surfaces déboisées, régénération et enrichissement)

    • Stockage du CO2 de l'atmosphère dans la biomasse terrestre.

    • Restoration des terres dégradées.

    • Protection des bassins versants.

• Choix des terres à reboiser parmi les

20 à 40% restorables à coût raisonnable

    • Evaluation des causes de dégradation

    • Reboisement en fonction des causes de dégradation et des objectis des propriétaires

    • Enrichissement progressif

Multi-activités :

   

| Efficacité énergétique/gestion forestière

    • Réduction des émissions de GES (efficacité énergétique)

    • Stockage du CO2 dans la biomasse terrestre et réponse à la demande locale en bois (gestion forestière)

    • Transfert de compétences et de technologie

• Participation des communautés

locales

• Utilisation de systèmes

photovoltaiques

    • Utilisation de nouvelles technologies pour réduire la demande en bois (poêles à pétrole, amélioration de la carbonisation)

    • Gestion forestière (inventaires,

    prévention des incendies)

L'élaboration de scénarios de référence ayant été réalisée par des organismes aussi divers ne rend pas étonnante la diversité des scénarios et des méthodologies appliquées pour les définir lors de la phase pilote AIJ. D'ailleurs la phase pilote a justement été mise en place pour faire émerger différentes méthodologies afin de les confronter les unes aux autres dans le but de se donner les moyens, à l'avenir, d'établir des scénarios de référence les plus solides possible, et de ce fait prouver de manière la plus correcte l'additionnalité environnementale des projets proposés.

Différents types de scénarios de référence ont été établis, que ce soit suivant les différentes activités du secteur forestier ou au sein d'une même activité suivant les projets.

Les scénarios des projets forestiers de la MOC

Méthodologie

Bien que divers scénarios de référence aient été rencontrés au cours de la phase pilote AIJ, deux étapes fondamentales ont été suivies dans tous les projets pour établir ces scénarios et calculer l'additionnalité environnementale des projets (GIEC, 2000). La première a été de prévoir l'évolution probable des écosystèmes terrestres à l'intérieur des frontières de la zone considérée par le projet proposé. La deuxième étape à consisté à estimer les variations des stocks de carbone de cette zone dans le cadre des hypothèses posées lors de la première étape.

La formulation des hypothèses

Afin de prévoir le devenir des écosystèmes concernés par les limites d'un projet, deux lignes de conduite différentes ont été suivies, la première reposant sur des hypothèses posées à partir d'arguments simples, qualitatifs ; la deuxième utilisant des modèles de simulation de prévision d'activité.

Dans une grande majorité de projets, la première ligne de conduite a été adoptée. Les scénarios de référence ont été élaborés sur la base d'arguments simples et qualitatifs (Tableau 3), variant suivant le type d'activité des projets envisagés. En effet les hypothèses qui ont été posées sont en général similaires, voire identiques, suivant le type d'activité proposée par le projet envisagé. Ceci montre l'aspect qualitatif des hypothèses posées par le promoteur.

Pour les projets de boisement (RUSAFOR) et les projets de plantations (Green Fleet Initiative) sur des terres dégradées, les hypothèses ont conduit à supposer simplement que les stocks de carbone resteraient à un niveau nul. Concernant la plupart des projets de conservation (protection ou exploitation à faible impact), l'hypothèse avancée a été fondée en général sur les pratiques locales passées et une extrapolation des taux de déforestation. Cela a été le cas, par exemple, pour les projets Noel Kempff en Bolivie, AES Mbaracayu Initiative au Paraguay ou encore Protected Areas Project au Costa Rica. D'autres projets de conservation ont émis l'hypothèse d'un changement d'utilisation des terres, en supposant que les forêts seraient converties en terres cultivables ou en pâturages, comme le projet Rio Bravo au Belize.

D'un point de vue plus général, diverses hypothèses ont aussi été posées tout aussi qualitatives comme un hypothétique développement local par exemple (projets financés par le FEM). Dans quasiment tous les scénarios de référence la quantité de carbone contenue dans le sol n'a pas été prise en compte. Seuls trois projets (les projets Scolel Te, RUSAFOR, et ECOLAND) ont émis l'hypothèse d'une variation du carbone du sol et l'ont incluse dans leur scénario de référence.

Dans les rapports de la plupart des projets, on constate que pour poser ces différentes hypothèses les promoteurs ont réalisé des extrapolations à partir des pratiques locales passées le plus souvent bien que d'autres facteurs aient été pris en compte (Tableau 3). Cependant, des variables importantes telle que l'évolution démographique (croissance et mouvements de population) ou la politique forestière d'une région ou d'un pays ont été très peu évoquées dans les scénarios de référence.

Toutefois, des hypothèses fondées sur des arguments simples ne rendent pas moins rigoureuse l'élaboration d'un scénario de référence si toutes les variables faisant évoluer la zone d'implantation d'un projet sont considérées. Si l'on prend par exemple le cas de projets où des plantations commerciales doivent être réalisées, utiliser des arguments simples pour dire que des terres vont restées dégradées est aussi valable qu'une autre méthode.

Cependant, ces arguments restent qualitatifs ou avancent des chiffres approximatifs tels que : « la forêt va disparaître dans x années » ou « les stocks de carbone vont continuer de décroître de x% chaque année » par exemple (Pinard et Putz, 1997 ; Tipper et al., 1998 ; Brown et al., 2000). Ceci empêche donc d'obtenir un scénario de référence précis quant au calcul des émissions de GES. De plus ces hypothèses proposées, du fait qu'elles sont tirées d'arguments simples, montrent une évolution linéaire des écosystèmes concernés par les projets (taux de déforestation constant, invariabilité dans le rythme de la transformation des forêts en terres cultivables). Or, il est peu probable que ce soit le cas. Il est par exemple possible qu'une tendance à la déforestation s'inverse d'elle-même comme cela a été le cas dans beaucoup de pays développés au cours du siècle dernier (Chomitz, 1999). L'évolution de la démographie n'est pas linéaire non plus et ce facteur joue un rôle important sur le destin des écosystèmes.

La deuxième ligne de conduite des promoteurs dans l'élaboration des scénarios de référence a été d'utiliser des modèles25. Ces modèles ont été construits pour savoir quelle activité alternative serait en place dans la situation où le projet proposé ne serait pas réalisé. Cette approche n'a été que très peu appliquée au cours de la phase pilote. On a pu la rencontrer dans les projets Scolel Te au Mexique, Guaraqueçaba au Brésil, et les projets entrepris par la Fondation FACE .

Ces modèles, comme le modèle LUCS développé par le WRI et utilisé dans le projet Guaraqueçaba, prennent tous en compte des variables précises et quantitatives afin de prévoir le devenir des écosystèmes concernés par les projets. Les modèles proposés intègrent des facteurs spatiaux, sociaux et économiques.

Tableau 3. Variables générales utilisées dans les modèles d'élaboration des baselines

Facteurs sociaux

Facteurs économiques

Facteurs spatiaux

Croissance de la population

Demande en énergie

Proximité des villes

Utilisation du bois

Demande en nourriture

Proximité des routes

Changement de technologie

Productivité de l'agriculture locale

 

Pratiques de récolte

Économie locale

 

Dans les quelques projets concernés, les modèles qui ont utilisé des variables comme celles citées dans le tableau ci-dessus ont fait preuve de plus de précision par rapport aux hypothèses fondées sur des arguments simples. Cependant, les modèles étant plus complexes, ils ont nécessité un nombre important de données. Or, ces données ne sont accessibles qu'au niveau régional. Les modèles ont donc simulé des activités d'utilisation des terres au niveau régional. On constate ici la limite inférieure de ces modèles. En effet, ils n'ont pas pu tenir compte des changements au niveau local. Ceci empêche donc la précision requise quant aux prévisions à un niveau local. L'utilité de ces modèles devient donc discutable lorsqu'il s'agit d'établir les scénarios de référence de projets à petite échelle, beaucoup de données à propos des communautés locales n'étant pas disponibles.

Toutefois, le projet Scolel Te au Mexique a établi un scénario de référence à partir d'un modèle en y ajoutant des ajustements en fonction des besoins des communautés locales. Les coûts de cette démarche ont été évalués à 20 000 dollars E.-U. (rapport CCNUCC).

L'estimation des stocks de carbone

Après la première étape consistant à construire le scénario de référence, les promoteurs ont dû calculer les variations des stocks de carbone dans le cadre des suppositions avancées lors de cette première étape. Le GIEC a proposé une méthode de calcul (GIEC, 1997) mais les promoteurs ont eu la possibilité d'en utiliser d'autres. Diverses méthodes ont donc vu le jour.

Une des méthodes a été d'utiliser les données issues de la littérature disponible. Cette approche, la plus répandue, a été notamment celle des projets reposant sur des hypothèses fondées sur des arguments simples (Bilsa Biological Reserve, Rio Bravo, CARFIX, par exemple). Les renseignements utilisés ont été tirés de différentes sources : statistiques de la FAO, de la FAO/CEE, statistiques régionales ou nationales. Ces statistiques concernent les données relatives à l'utilisation des terres, aux productions agricoles, aux dynamiques forestières, et à différents facteurs sociaux (besoins en bois, en nourriture).

Une autre méthode a consisté à construire des modèles. Seulement quelques projets ont utilisé cette méthode ; quatre parmi les projets officiellement inscrits au secrétariat du CCNUCC : Forest Rehabilitation Krkonose and Sumava National Parks en République Tchèque, Rio Condor au Chili, Reforestation and Forest Conservation au Costa Rica, et Scolel Te au Mexique ; ainsi que dans quelques autres projets officiellement non AIJ. Ces modèles, comme le modèle CO2FIX de la Fondation FACE, ont permis de calculer la quantité de biomasse supposée présente dans les scénarios de référence en tenant compte d'un nombre important de paramètres concernant la dynamique des végétaux et les pratiques sylvicoles et agricoles. Ceci dit, une fois le calcul établi, la quantité de carbone calculée a été supposée constante ou en évolution constante durant toute la durée du projet, notamment dans les projets de conservation. Or, la dynamique d'une forêt n'est pas constante au cours de son évolution, en particulier au niveau de sa capacité de séquestration. Ceci rend les valeurs obtenues par le modèle CO2FIX a priori relativement artificielles. Cette approche peut donc être une méthode utilisable à condition qu'elle soit actualisée tout au long de la durée de vie du projet.

Une troisième méthode fondée sur des mesures de quantités de carbone dans des parcelles témoins ou des zones proches des projets envisagés a été utilisée par quelques projets : RUSAFOR dans la Fédération de Russie, Noel Kempff Mercado Climate Action en Bolivie, Community Silviculture in Oaxaca au Mexique, AES CARE au Guatemala. L'avantage d'une telle méthode est qu'elle permet de faire un suivi au cours du projet et de pouvoir réévaluer le scénario de référence. Cette caractéristique n'a été envisagée que dans un seul projet (Noel Kempff Mercado Climate Action). Il faut noter que ces parcelles témoins ou des zones bordant les projets ont servi de « zone tampon » pour évaluer les effets de pertes associées et tenter de les limiter.

Quelques projets comme celui du Burkina Faso ou le projet PROFAFOR en Équateur, ont combiné des données de la littérature à des mesures dans des parcelles témoin. Enfin, les promoteurs de deux projets n'ont fait aucun calcul d'émissions dans leur scénario de référence. Ce sont les projets KLINKI au Costa Rica et Commercial Reforestation in the Chiriqui Province au Panama. Les promoteurs ont en fait estimé une quantité de carbone nulle et constante, dans les scénarios de référence, durant toute la durée de vie des projets, ces projets de reboisement étant envisagés sur des terres dégradées et présumées sans évolution.

Les différents types de scénarios

Bien que les méthodologies pour évaluer les scénarios de référence aient été diverses, quatre types de scénarios ont été recensés au cours de la phase pilote AIJ (projets officiellement AIJ et non AIJ confondus) : les scénarios spécifiques aux projets, les scénarios « génériques », les scénarios statiques, et les scénarios dynamiques (Tableau 4).

Les scénarios « spécifiques au projet » représentent 90 pour cent des scénarios établis au cours de la phase pilote. Cette large représentation tient du fait que l'élaboration de ces scénarios permet d'approfondir les connaissances des zones locales concernées par les projets envisagés et donc de prédire, a priori, les émissions de manière précise. Malheureusement cette méthode permet aussi aux promoteurs d'élaborer discrètement des scénarios de référence « favorables » (forte déforestation), maximisant ainsi l'additionnalité des projets et donc les crédits d'émissions potentiels (Tipper et de Jong, 1998). D'autre part la spécificité de ces scénarios rend difficile la réplication de ceux-ci lors de projets similaires. D'ailleurs, seul le projet d'exploitation à faible impact de New England Electric System en Malaisie a proposé un scénario en fonction d'un autre projet similaire existant, le projet ICSB-NEP 1 en Malaisie (GIEC, 2000).

Cela dit, le problème majeur de tels scénarios concerne les coûts de leur élaboration. Ces coûts ont atteint 300 000 dollars E.-U. dans le projet AES CARE au Guatemala26. C'est pour réduire ces coûts qu'un autre type de méthode a été développé, celui des scénarios « génériques ».

L'élaboration de « scénarios génériques » n'a été utilisée que dans très peu de projets : Scolel Te (Mexique), PROFAFOR (Equateur), CARFIX et BIODIVERSIFIX (Costa Rica). Dans ces deux derniers cas, les scénarios de référence ont été fondés sur des taux de déforestation au niveau régional et appliqués aux projets. Ce système a été mis en place par le bureau national AIJ du Costa Rica.

Au-delà de ces exemples, les scénarios établis de manière générique permettent d'élaborer des scénarios de référence au niveau régional (utilisation des terres, pratiques agricoles), technique (techniques agricoles, forestières) ou au niveau sectoriel (conservation, EFI, plantations). La transparence de ce type de scénario a été effective dans le cas des projets au Costa Rica grâce à l'intervention d'un organisme extérieur au développement des projets. L'inconvénient résulte du fait que ces scénarios manquent alors de précision puisqu'ils ne peuvent pas tenir compte des changements au niveau local. Cependant le projet Scolel Te a tenté de remédier à ce problème en incluant des ajustements reflétant les changements à ce niveau.

D'une manière générale, les scénarios génériques permettent de réduire les coûts. Malheureusement trop peu d'exemples ont été disponibles au cours de la phase pilote AIJ. De plus, les différents types de scénarios génériques n'ont pas tous été testés au cours de cette phase pilote dans le secteur forestier. Seuls les scénarios de référence génériques régionaux ont été utilisés. Les divers scénarios génériques ont, à l'heure actuelle, plutôt été évalués dans le secteur énergétique (Baumert, 1999 ; Michaelowa, 1999) dans la mesure où des scénarios génériques adoptant des références technologiques est possible dans ce secteur. Le problème est différent dans le secteur forestier, où l'on parle plus de paquets techniques et de savoir-faire que de technologie proprement dite.

L'autre point sensible concerne l'ajustement des scénarios de référence au cours de la réalisation des projets. On peut dire que dans la quasi-totalité des projets, les scénarios de référence ont été fixés pour toute la durée de vie des projets. Un rapport du CCNUCC (1997) avait indiqué que les scénarios ne devaient pas être révisables afin de limiter les coûts supplémentaires supportés par les projets.

Les « scénarios statiques » évitent les coûts supplémentaires mais ont une moindre crédibilité. En effet, prévoir les émissions de carbone dans les scénarios des projets forestiers représente une gageure, surtout si l'on tient compte de la durée de vie des projets forestiers. Des scénarios statiques promettent donc des résultats relativement artificiels. Cependant ils assurent pour les investisseurs une visibilité et minimisent les risques en ce qui concerne les crédits d'émission distribués.

Les « scénarios dynamiques » fondent leur avantage sur la mise à jour régulière et le calcul réel des émissions de carbone. Cependant, en dehors du risque pour les investisseurs (possibilité d'une situation moins favorable entraînant moins de crédits que prévu), cette méthode peut entraîner des coûts supplémentaires. Il faut en outre pouvoir faire la différence entre les changements intervenus indépendamment du projet et les changements issus de la réalisation du projet.

La prise en compte des risques de pertes de carbone associées

De manière générale, les pertes associées ont été peu considérées durant la phase pilote. Souvent le phénomène n'a été que mentionné et aucun projet n'a présenté de calcul précis d'éventuelles pertes de carbone. Les promoteurs ont tenté d'estimer les pertes associées en définissant une zone d'évaluation, par exemple les limites du projet ou la région proche. Ainsi, dans de nombreux cas, les effets de pertes associées ont pu être négligées lorsque les promoteurs se sont arrêtés aux frontières des projets (projet RUSAFOR, par exemple). Donc pour évaluer les pertes associées, la première méthode a été d'élargir la zone d'étude. Les promoteurs ont ainsi pu évaluer les risques possibles en considérant des facteurs susceptibles de créer des effets de déboisement ailleurs (croissance et mouvements de population - Brown, 1998). L'inconvénient de cette méthode réside dans le fait qu'elle ne permet pas de quantifier réellement les pertes entraînées par la mise en place des projets. Elle permet juste d'évaluer l'origine des risques possibles, et ce de manière qualitative.

L'autre méthode, très peu utilisée, repose sur une approche plus quantitative des risques de pertes de carbone associées. On a pu la rencontrer au cours de la phase pilote dans le projet de conservation Noel Kempff en Bolivie et dans quelques projets d'exploitation à faible impact. Cette méthode est fondée sur l'utilisation de facteurs clés pouvant signaler d'éventuels risques de pertes associées. Par exemple, pour les projets de conservation, le facteur clé est la production de bois. Si elle diminue à cause du projet, des effets de pertes associées sont susceptibles d'intervenir (augmentation de l'effort d'exploitation ailleurs). La méthode consiste donc à comparer le niveau de ces indicateurs entre la situation « avec projet » et la situation « sans projet ». Cette méthode est intéressante en ce sens qu'elle peut s'adapter à différents niveaux : local, régional, national et international, si on considère des facteurs comme les exportations.

Lorsque des risques de pertes associées ont été reconnus, divers moyens de lutte contre ces derniers ont été testés, notamment dans les projets de conservation où ces risques sont les plus élevés. Un des moyens a été d'acquérir des terres dites sécurisées en faisant signer aux propriétaires des « promesses » de ne pas exploiter d'autres parcelles de forêt et en les faisant participer aux activités de conservation (surveillance). Mais ceci ne règle pas le problème des paysans sans terre.

Un autre moyen que l'on retrouve dans plusieurs projets (ECOLAND, Rio Bravo, Noel Kempff, Uganda National Parks) est de promouvoir l'écotourisme afin de développer les régions concernées par les projets. Là encore, il n'est pas sûr que les bénéficiaires des activités d'écotourisme soient les acteurs les plus impliqués dans le déboisement.

Des projets multi-activité (CARFIX, BIODIVERSIFIX, par exemple) regroupant des activités de conservation et de gestion forestière ou de plantation ont été réalisés. Ils ont l'avantage de conserver des parcelles de forêt (la partie conservation) et de répondre aux besoins en bois des communautés locales (la partie gestion forestière). Cette méthode a d'ailleurs été utilisée en associant des activités du secteur énergétique à des activités de gestion forestière dans le projet au Burkina Faso.

De manière plus générale des contrôles périodiques (photos aériennes, surveillance terrestre) ainsi que des moyens financiers (assurances, fonds de prévoyance) ont été mis en place. Certains promoteurs ont aussi calculé l'additionnalité de leur projet en prenant en compte arbitrairement une marge d'erreur due aux effets de pertes associées. Le gouvernement du Costa Rica ne délivre, quant à lui, que la moitié des crédits d'émission susceptibles d'être distribués afin de compenser d'éventuels effets de pertes associées de ses projets nationaux.

Conclusion

Dans l'ensemble, le faible nombre de projets forestiers de la phase pilote n'a permis d'obtenir que peu d'expérience sur les méthodes utilisées dans l'élaboration des scénarios de référence. Les méthodologies utilisées ne permettent généralement que d'obtenir ceux-ci de façon approximative. Cependant les hypothèses avancées, que ce soit à l'aide d'arguments simples reflétant des pratiques antérieures ou à l'aide de modèles de simulation, ont permis de faire de réelles suppositions au niveau du devenir des zones concernées par les projets. De manière générale, les promoteurs ont donc bien établi des scénarios de référence en comparant des situations « sans projet » et des situations « avec projet ».

Le problème majeur a été de pouvoir donner des résultats satisfaisants tout en limitant les coûts de transaction issus de l'élaboration des scénarios de référence. Les différentes approches qui ont été proposées ont toutes leurs avantages et leurs inconvénients.

Tableau 4. Étapes et acteurs des projets de Mise en œuvre Conjointe (MOC)

Les étapes et les acteurs des projets forestiers de mise en œuvre conjointe (les étoiles reflètent l'importance de la participation). Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de cas recensés sur les 39 projets forestiers.

_ Secteur privé _

_ ONG _

_ Communautés locales _

_ Organisme indépendant (suivi du

projet, certification)

VALIDATION

Les résultats obtenus en utilisant des arguments simples fondés sur des pratiques antérieures sont a priori plutôt approximatifs par rapport à ceux obtenus grâce à l'utilisation de modèles. Cependant la simplicité fait baisser les coûts de transaction. Un compromis serait donc nécessaire pour établir une méthode standard. Plutôt qu'aux projets forestiers en général, des méthodes standard par secteur d'activité forestière peuvent avoir plus de chance d'être établies. En effet, établir des scénarios de référence s'avère différent qu'il s'agisse d'un projet de reboisement sur des terres dégradées ou d'un projet de conservation. Un modèle prenant en compte les différents paramètres de ces différentes activités promet d'être très lourd et donc difficile à mettre en place De plus, des arguments simples sont tout aussi valables qu'un modèle pour prévoir un scénario de référence concernant des terres dégradées qui évolueront peu. Par contre dans le cas des projets de conservation, des modèles reflétant les demandes en bois, en terres cultivables, en nourriture, l'évolution de la démographie, et d'autres facteurs semblent nécessaires. Le problème de tels modèles vient du fait qu'ils ne peuvent refléter les changements au niveau local. Cependant, le projet Scolel Te au Mexique a ouvert une voie intéressante en utilisant un modèle et en lui apportant des ajustements concernant des changements locaux.

Le choix entre des scénarios de référence « spécifiques au projet », coûteux mais d'une précision relativement bonne, et des scénarios « génériques » aux coûts de transaction moindres mais plus artificiels au niveau des résultats, est plus discutable. C'est à ce niveau qu'une méthode standard est nécessaire. Un compromis doit être fait entre coûts de transaction et réalité des résultats. Malheureusement, les scénarios de référence « génériques » ont été très peu testés lors de la phase pilote. Le choix entre ces types de scénarios rejoint une préoccupation sur la transparence des résultats. En effet, les scénarios « spécifiques au projet» ont été, dans l'ensemble, établis par les promoteurs des projets. Le risque est que ces derniers ne cherchent à « dégrader » le scénario de référence pour accroître les « bénéfices carbone » supposés du projet. Ce type de scénario « spécifique au projet » ne peut donc être vraiment crédible que si une tierce partie (organisme indépendant) s'en charge.

Ces problèmes peuvent être évités grâce aux scénarios de référence « génériques ». Dans le cas de certains projets au Costa Rica, les scénarios ont été établis de cette manière par le bureau national AIJ. Bien qu'apparemment plus approximatifs, car fondés sur des données de la littérature, ces scénarios sont plus crédibles. L'approximation des résultats peut d'ailleurs être réduite si les scénarios sont établis en utilisant des méthodologies par secteur comme on l'a vu précédemment. En définissant toutes les activités liées à la foresterie (différents types de conservation, différents types de gestion forestière, différents types d'agroforesterie), il pourrait être possible de prévoir, en fonction des conditions socio-économiques et technologiques d'une zone, l'activité qui aurait le plus de chances d'être mise en place. L'additionnalité du projet serait alors plus facilement identifiable du point du vue de l'environnement et du développement.

Le troisième point étudié au cours de la phase pilote concerne l'ajustement des scénarios de référence au cours de la réalisation des projets. La révision des scénarios a été appliquée à très peu de projets. Ceci reflète de manière générale le manque de suivi des projets. En effet, une fois la mise en place des projets réalisée, les promoteurs semblent s'être détachés des projets. Les investisseurs privés, peu nombreux, ont laissé la place aux ONG et aux communautés locales. Les investissements n'ont souvent servi qu'à la mise en place du projet et non à son suivi.

La révision des scénarios de référence a été peu appliquée du fait du risque qu'elle représente pour les investisseurs. En effet la révision des scénarios de référence peut induire une baisse du nombre de crédits d'émission distribuables. De plus, recalculer le scénario de référence d'un projet une fois celui-ci en cours de réalisation s'avère très difficile, bien qu'une révision du scénario rende plus réaliste celui-ci tout au long du projet. Ce point est important à considérer car c'est un facteur qui peut jouer sur la motivation des investisseurs déjà peu nombreux.

En ce qui concerne l'évaluation des pertes de carbone associées aux projets, la phase pilote AIJ n'a pas réellement été satisfaisante. En effet, aucun projet n'a évalué de manière quantitative ces effets. L'approche, peu développée, faisant intervenir des indicateurs susceptibles de signaler des risques de pertes semble cependant être une voie intéressante du fait qu'elle puisse s'appliquer à différents niveaux (local, régional, national et international). Suivant l'activité susceptible de s'implanter dans une zone, l'additionnalité pourrait être identifiable et ajustée en fonction des indicateurs de pertes associées, spécifiques au type d'activité concernée.

Comme l'évaluation des effets de pertes associées a été relativement négligée, les moyens d'y pallier n'ont pas été développés. De manière générale, ils relèvent plus de moyens de prévention (photos aériennes périodiques, surveillance) que de moyens réels d'intervention. Les projets de conservation, pour lesquels les risques de pertes associées sont très élevés, ont cependant proposé des méthodes comme celles des projets CARFIX ou Gestion de l'énergie durable au Burkina Faso. Ces projets « multi-activités » associant conservation et gestion forestières (en plus de l'efficacité énergétique pour le projet au Burkina Faso) permettent de conserver des stocks de carbone tout en répondant aux besoins locaux en bois.

La phase pilote, bien que peu satisfaisante au niveau des méthodologies d'élaboration des scénarios de référence, a ouvert des voies à suivre. La phase pilote montre un besoin évident de règles qui doivent être imposées dans l'élaboration de ces scénarios. Les règles qui doivent être prononcées doivent surtout permettre d'éviter les dérives des promoteurs en imposant une plus grande transparence des méthodologies.

23 Gaz à effet de serre

24 Système d'information géographique (télédétection, cartographie assistée par ordinateur)

25 Les modèles qui ont été utilisés sont disponibles gratuitement sur Internet ou par courrier. Le modèle LUCS peut être téléchargé à partir du site de l'Institut mondial pour les ressources, www.wri.org. Le modèle utilisé par la Fondation FACE est téléchargeable aussi, sur le site de l'Institut européen des forêts, www.efi.fi.

26 Donnée tirée du site www.oecd.org.

Previous PageTable Of ContentsNext Page