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Session 2: La biomanipulation des poissons comme outil de gestion environnementale


Approche

17. En Europe, plusieurs approches sont utilisés en matière de biomanipulation:

a) l'approche traditionnelle, à savoir le renforcement des prédateurs et la réduction des poissons planctophages et benthophages sans la participation des parties prenantes locales;

b) les approches plus évoluées:

i) la biomanipulation prenant en compte la qualité de l'eau et la demande socio-économique émanant de la pêche récréative ou commerciale;

ii) la biomanipulation effectuée principalement au moyen de la pêche.

18. Le réservoir d'alimentation en eau de Saidenbach, en Allemagne, est un exemple de l'approche traditionnelle. La truite de lac (Salmo trutta f. lacustris) de poids inférieur à un kilo (15-20 individus/ha) a été choisie comme principal prédateur de ce réservoir, dont la température estivale dépasse rarement 20°C. Cependant, étant donné que la proportion de poisson dans le régime alimentaire au cours d'un été se limitait à 11 pour cent, la truite n'a consommé que 2 à 3 pour cent de la biomasse de gardons et de perches.

19. Le stock de poissons n'est pas toujours la cause de l'efflorescence algale. Par exemple, durant l'été, les Salford Quays, système d'eau douce hypertrophié situé au nord de l'Angleterre, étaient auparavant anoxiques et le théâtre de fréquentes et importantes mortalités de poissons. Les Quays ont été déstratifiées au moyen d'un système de brassage et repeuplées au moyen d'un éventail d'espèces de poissons. Dans ce cas, la déstratification a représenté un instrument efficace contre l'efflorescence algale, et l'introduction de poissons n'a pas été préjudiciable à la qualité de l'eau.

20. Il existe une approche encore plus récente en matière de biomanipulation: la prise en compte des intérêts socio-économiques découlant de la pêche récréative comme de la pêche commerciale. Cette approche nécessite une analyse des parties prenantes. Des lignes directrices basées sur l'analyse des paramètres retenus par la littérature spécialisée ont été élaborées; elles fournissent une description, étape par étape, du processus de remise en état des lacs par la biomanipulation. Ces lignes directrices décrivent, entre autres, la biomanipulation comme la fixation de plafonds quantitatifs pour la charge externe en phosphore et les teneurs internes en phosphore ainsi que le volume maximal critique de biomasse piscicole nécessaire à une réduction substantielle du phytoplancton. On observe que la biomanipulation a davantage de chances de réussir si l'on s'appuie sur l'expérience et les motivations des pêcheurs de loisir comme des pêcheurs professionnels.

21. Les carpistes peuvent contribuer efficacement à réduire la population de cette espèce. Une enquête par voie postale et sur l'Internet indique que, lorsqu'ils sont expérimentés, les pêcheurs allemands pêchent en moyenne 332 kilos de carpe par an. Il existe une corrélation positive entre le volume des prises et la quantité d'amorce utilisée, ainsi que le temps consacré et l'expérience du pêcheur. La quantité d'amorce utilisée est élevée, soit environ 215 kilos d'appâts préparés, céréales et autres substances, par pêcheur et par an pour l'amorce de fond. Ce chiffre correspond à un intrant brut de 1,018 kilo de phosphore par pêcheur et par an. Un tel intrant brut serait équilibré avec une prise de 212 kilos de carpe par an. Il s'agit là d'un chiffre irréaliste lorsqu'on pratique la capture-rejet, ce qui indique que la pêche spécialisée de la carpe peut contribuer à l'eutrophisation anthrop, en particulier dans les plans d'eau de dimensions réduites, à faible teneur nutritive et forte densité de pêcheurs. D'un côté, la pêche spécialisée de la carpe peut réduire la biomasse de cette espèce et améliorer la qualité de l'eau, mais de l'autre, elle risque de détériorer la qualité de l'eau par un usage excessif des amorces de fond.

22. Au Danemark, il n'existe pas de différence substantielle entre la gestion des poissons de lac en vue de la biomanipulation et celle tournée vers les pêches. Les pêcheries utilisent un ensemble complet d'engins de pêche adaptés à une maîtrise efficace des stocks de poisson, assurant ainsi l'intégration des pêcheurs au processus de biomanipulation. De la sorte, on est en mesure d'éliminer au moins 80 pour cent de la biomasse piscicole planctophage en l'espace d'un an ou deux. De plus, un peuplement intensif au moyen d'alevins de brochet (1 000-1 500 individus/ha) contribuera à réduire le nombre de cyprinidés 0+ et, après une période de trois à cinq ans, peut affecter de façon marquée le potentiel reproductif des cyprinidés.

Evaluation

23. En Europe centrale, l'approche classique au moyen de petite truite de rivière à faible densité de peuplement comme prédateur pour les réservoirs profonds et froids ne semble pas efficace comme méthode de biomanipulation. Il convient en outre d'explorer plus avant l'influence du relèvement de la densité de peuplement et du poids des truites employées.

24. L'exemple des Salford Quays indique que les stocks de poissons ne sont pas toujours la cause des efflorescences d'algues. La planification d'un projet de biomanipulation doit toujours prendre en compte la question de savoir s'il existe ou non des mécanismes de fixation efficace du phosphore dans les sédiments - comme la teneur élevée en fer. Dans de tels cas, le recours à l'aération et à la déstratification pourrait être plus approprié que la manipulation des stocks de poissons.

25. Le projet de ligne directrice avec application étape par étape pour la remise en état des lacs par la biomanipulation représente une tentative louable d'harmonisation de la gestion des pêches et de la qualité de l'eau par intégration des intérêts des parties prenantes. La ligne directrice fournit des conseils pour l'emploi de la biomanipulation comme outil courant de gestion de la qualité de l'eau. Il faudra la tester sur le terrain, et les paramètres techniques devront être complétés. La valeur de cette approche réside dans l'intégration des mesures traditionnelles de gestion des pêches telles que le peuplement de poisson piscivores, avec une gestion basée sur l'écosystème. Pour assurer un succès durable aux programmes de biomanipulation, il est essentiel que les interventions se fassent de manière continue.

26. L'intégration de pêcheurs de carpe expérimentés aux activités de biomanipulation peut être recommandée dans les cas où la densité des stocks de carpe entraînerait une résurgence de l'eutrophisation. Il convient, dans le cadre des projets de biomanipulation, d'éviter la capture-rejet.

27. Les projets ultérieurs devront incorporer des données sur le volume d'amorces utilisé. Il semble que les amorces représentent, dans certains cas, une source substantielle de phosphore; cependant, les pêcheurs expérimentés réussissent à augmenter leurs prises sans augmenter la quantité d'amorces de fond. Il faudra poursuivre les investigations sur les amorces à phosphore réduit, et édicter des lignes directrices spécifiques en matière d'amorçage de fond et de pré-amorçage, étant donné que l'amorçage de fond est généralement répandu parmi les pêcheurs à la ligne peu expérimentés.

28. L'intégration durable des pêcheurs semble nécessaire au succès des activités de biomanipulation, qui sont tributaires de la pression constante exercée par la pêche; cette méthode devrait donc être adoptée en particulier dans les pays où les pêches commerciales sont importantes tels que la Pologne, la partie orientale de l'Allemagne et d'autres pays d'Europe de l'Est.


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