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Annexe 5. Instruments économiques pour une approche écosystémique de la pêche[19]


L’utilisation d’instruments économiques pour atteindre des objectifs de développement durable suscite un intérêt croissant, en partie parce que la réglementation par la contrainte donne souvent des résultats décevants. Les mesures de ce type consistent à fixer des critères et des normes interdisant ou autorisant certaines actions ou certains résultats. Elles visent généralement à bloquer les incitations créées par différents types de failles des marchés et qui poussent les opérateurs privés à surexploiter des ressources naturelles (par exemple dans la pêche) et à dégrader les fonctions et les services de l’écosystème.

Les normes de réglementation par la contrainte sont généralement conçues spécifiquement pour régir la manière de conduire une activité ou une classe d’activités spécifique. Le contrôle du respect de la réglementation et la sanction éventuelle des infractions sont normalement des caractéristiques indissociables de ces mesures pour garantir leur efficacité. Leurs inconvénients majeurs sont qu’elles sont jugées excessivement contraignantes, non adaptables aux cas d’espèce, qu’elles ne laissent aucune marge de flexibilité et tendent à retarder les changements technologiques (probablement pour des raisons valables dans un stock déjà surexploité). Bien qu’elles soient souvent critiquées pour ces raisons, les mesures de réglementation par la contrainte sont largement utilisées par les organes officiels et parfois même réclamées par la branche d’activité. Les règles sont élaborées par les administrations publiques en faisant souvent peu de cas des moyens de coercition, mais elles présentent un attrait politique considérable en donnant l’impression d’une action concrète. Le même critère ou la même norme s’applique à tous, ce qui donne un sentiment de justice.

Les mesures d’incitation représentent une tout autre approche. La première étape consiste à définir et à appliquer des droits d’utilisation. Ces droits devraient être garantis de telle manière que les avantages pour les titulaires des droits soient liés à la productivité et à la valeur de la ressource. Dans le droit de participer à une pêche, l’incitation réside dans la maximisation des avantages économiques en réduisant le coût d’utilisation du droit ou en augmentant sa valeur, par exemple en remettant en état et en maintenant les fonctions essentielles des écosystèmes qui ont des répercussions sur la productivité des ressources halieutiques. Théoriquement, les droits qui sont garantis à long terme facilitent l’acceptation de sacrifices à court terme dans la perspective de gains plus éloignés.

Les régimes d’administration qui attribuent des parts dans une pêche spécifient la nature de la pêche, le type d’entité détentrice de droits et les conditions de cession et d’exécution des droits. Les parts peuvent consister en un volume de prises, en unités d’effort (exprimées par exemple en jours de pêche) ou en permis de pêcher dans une aire géographique et une période exclusives. Pour que le système soit efficace, il ne faut pas que la somme des parts attribuées entraîne une surexploitation ou la dégradation des habitats vitaux. Les parts qui sont exprimées en unités d’effort de pêche ou les permis de pêche valables pour des lieux et des durées spécifiés peuvent être plus pratiques que les parts exprimées en volume de capture tout en étant plus acceptables pour les pêcheurs, plus faciles à appliquer et moins tributaires des avis scientifiques. Il peut être nécessaire de les compléter par d’autres règles telles que la taille minimale des prises, qui s’appliquent à tous les titulaires de droits de la pêcherie.

Le titulaire de droits peut être une personne physique, une personne morale, une communauté, le représentant désigné ou collectif d’un groupe. Dans de nombreuses parties du monde, il est indiqué de conférer ces droits à une communauté locale comptant des pêcheurs en activité et d’autres personnes employées à des activités liées à la pêche. La communauté se charge alors de répartir et de contrôler l’utilisation des ressources. Dans les pêcheries de ce type, la surveillance par des pairs peut être un élément important du contrôle de la pêche. Le fait se vérifie particulièrement dans de nombreux pays en développement où vivent et travaillent la plupart des personnes qui vivent de la pêche dans le monde (voir Governance for a sustainable future, World Humanities Action Trust (WHAT) Commission Report, Londres, 2000[20]).

L’attribution de droits d’utilisation ou d’accès n’est cependant pas une panacée qui permet de contrer toutes les incitations (défaillances des marchés) à surxeploiter ou à autrement dégrader et endommager les écosystèmes. Il s’est avéré que les TAC et un contingent individuel cessible, en particulier, créaient une incitation à rejeter plus de poisson que ce qui serait socialement optimal. Cette constatation a été corroborée par des preuves empiriques trouvées dans de nombreuses pêcheries gérées par contingents individuels cessibles[21].

L’étiquetage écologique est une autre mesure qui suscite un engouement croissant. L’utilité potentielle des régimes d’étiquetage biologique pour créer des incitations commerciales à utiliser des produits et des procédés respectueux de l’environnement a acquis une reconnaissance internationale lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) qui s’est tenue en 1992 à Rio de Janeiro, au Brésil. Là, les gouvernements sont convenus “d’encourager la spécification des caractéristiques écologiques et autres programmes d’information sur les produits ayant trait à l’environnement, de manière à aider les consommateurs à choisir en toute connaissance de cause”. Les consommateurs ont la possibilité d’exprimer leurs préoccupations écologiques et environnementales en choisissant leurs produits. Leurs préférences devraient entraîner des différences de prix ou de parts de marchés entre les produits ayant un label écologique et ceux qui ne répondent pas aux conditions du label ou dont les producteurs ne cherchent pas à l’obtenir. Le label s’obtient par une certification sur la base d’un ensemble de critères (c’est-à-dire la norme désirée). Les différences potentielles de prix ou de parts de marchés constituent pour les entreprises une incitation économique à chercher à obtenir la certification de leurs produits.


[19] Cette section a été établie d’après plusieurs sources parmi lesquelles: WHAT Commission Report; D. Bailly et R. Willmann, Promoting sustainable aquaculture through economic and other incentives, in R.P. Subasinghe, U.C. Barg, P. Bueno, C. Hough et S.E. McGladdery (eds.), Aquaculture in the third millennium, Technical Proceedings of the Conference on Aquaculture in the Third Millennium (Bangkok, Thailande, 20-25 février 2000), 2001; et K. Cochrane et R. Willmann, Eco-labelling in fisheries management, in Current Fisheries Issues and the Food and Agriculture Organization of the United Nations, M.H. Nordquist and J.N. Moore (eds.), The Hague/Boston/London, Martinus Nijhoff Publishers, pp. 583-615, 2000.
[20] Voir http://www.earthsummit2002.org/es/issues/Governance/whatgov1.pdf
[21] On a fait valoir que l’attribution de contingents individuels cessibles exprimés en valeur supprimeraient l’effet d’incitation à ne garder que les meilleurs éléments et réduirait le coût de négociation des contingents. De plus, dans le cas des pêches multispécifiques, ces régimes de contingents permettent aux pêcheurs de réagir avec plus de souplesse aux variations d’abondance des espèces que les contingents quantitatifs, et ils présentent une plus grande stabilité économique. Les contingents de valeur auraient cependant l’inconvénient principal de ne pas fixer une limite de capture lorsque les prix constatés s’écartent de ceux qui ont été estimés au moment de la fixation de la valeur totale admissible.des captures. En conséquence, il peut s’avérer nécessaire d’ajuster à plusieurs reprises la valeur totale admissible des captures sur une même période d’un an, ce qui introduirait une insécurité dans le climat économique dans lequel le secteur de la pêche doit opérer. On trouvera une étude plus approfondie de ces instruments et d’autres destinés à remédier au phénomène de sélection et de rejet induit par les contingents dans S. Pascoe, By-catch management and the economics of discarding, FAO Documents techniques sur les pêches, n° 370, Rome, 1997, 137 p.

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