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DEUXIÈME PARTIE: APPROCHE STRUCTURALE


Analyse de l'état du stock de pageot (Pagellus bellottii) au Sénégal par l'approche structurale

Mariama D. Barry[12], Djiga Thiao[13] et Didier Gascuel[14]

Introduction

Depuis les années 70, le Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye (CRODT) collecte des informations sur les prises, les efforts déployés par les unités artisanales et industrielles et les fréquences de taille des principales espèces capturées.

Si de nombreux travaux ont porté sur les captures et l'effort de pêche, les données de fréquences de taille ont été peu analysées et les études menées n'ont pas été actualisées depuis 1991.

Le pageot Pagellus bellotti est une espèce qui a une importance économique certaine, car elle est non seulement consommée localement, mais également exportée vers les pays de l'Union européenne. La connaissance de son état d'exploitation est donc indispensable pour une gestion durable de cette ressource.

Dans le cadre du projet Système d'information et d'analyse des pêches (SIAP) une première évaluation de l'état du stock de pageot par une approche globale a été faite et elle a conclu à une surexploitation de l'espèce (Laurans et al., 2001). Le but de la présente étude est de compléter cette analyse par une approche structurale afin de confirmer ou d'infirmer ce diagnostic. En outre, l'approche structurale comprend une étape d'analyse des cohortes, qui constitue un modèle explicatif extrêmement puissant pour étudier l'histoire du stock et de son exploitation.

Les premières analyses de fréquences de taille du pageot ont été faites par Franqueville (1983) qui a déterminé, entre autres, les principaux paramètres biologiques de l'espèce. Maury (1994) a appliqué le modèle structural au stock de pageot en prenant en compte les années 1982 à 1991. Les données aujourd'hui disponibles permettent d'étendre cette analyse jusqu'en 1998.

Après une brève description des systèmes de collecte et de traitement des données de fréquences de taille, le présent document a donc pour objet de faire un diagnostic de l'état du stock de pageot exploité par les flottilles artisanales et industrielles en utilisant une approche structurale.

1. La pêcherie

Le pageot est une espèce intertropicale appartenant à la communauté des Sparidés qui est capturée par les flottilles artisanales et industrielles sénégalaises. Les débarquements totaux annuels ont été croissants jusqu'en 1985 où ils ont culminés à 16 000 tonnes. Depuis 1986, ils baissent régulièrement, avec des mises à terre inférieures à 10 000 tonnes à partir de 1988 et en 1998, ces débarquements passent sous la barre des 5 000 tonnes (figure 1 et tableau 1, en annexe). La pêche artisanale débarque environ 60 pour cent de la production totale. Plus précisément, le pageot est pêché principalement par les unités artisanales utilisant des lignes appâtées et par des unités industrielles équipées de chalut de fond.

Un seul stock de pageot a été identifié au Sénégal (Franqueville, 1983); il s'étend de l'embouchure du fleuve Sénégal au sud de la Gambie. Les fortes concentrations de l'espèce se trouvent du sud du Cap-Vert à la Gambie, dans des eaux relativement froides et sa distribution bathymétrique s'étend de 10 à 90 m.

Figure 1: Evolution des débarquements de pageot au Sénégal, de 1981 à 1998 (Source: Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye).

2. Estimation de la structure démographique des captures

L'analyse structurale repose sur une estimation de la structure démographique des captures, c'est à dire sur une estimation du nombre total de pageot de chaque âge capturé chaque année. Cette estimation est conduite par étape, à partir des échantillons de fréquences de taille.

2.1 Stratégies de collecte des fréquences de taille

Les fréquences de taille sont collectées suivant des stratégies qui dépendent des types d'exploitation. L'échantillonnage des fréquences de taille des espèces débarquées par la pêche artisanale se fait, depuis 1974, en même temps que celui des captures. Le plan d'échantillonnage consiste à diviser la côte en régions géographiques relativement homogènes et à effectuer, dans chacune d'elle, des enquêtes dans les centres de débarquement les plus importants (Barry-Gérard, 1990).

La méthode utilisée pour collecter les fréquences de taille dépend de l'importance de la prise. Lorsque la prise est peu importante et facile à dénombrer, l'enquêteur compte le nombre de poissons et en mesure quelques uns tirés au hasard. Lorsque la prise est importante et les poissons trop nombreux pour être dénombrés rapidement, l'enquêteur estime à vue le poids de la prise et mesure quelques individus.

Pour la pêche industrielle, des mensurations sont effectuées, depuis 1973, dans les usines de traitement des produits de la pêche industrielle sur des individus provenant des chalutiers glaciers (Samb et al., 1993).

La stratégie d'échantillonnage adoptée pour la pêche chalutière est relativement simplifiée par rapport à celle de la pêche artisanale, car tous les bateaux débarquent au port de Dakar où les mensurations sont faites.

2.2 Méthode d'extrapolation des fréquences de taille

Le principe d'extrapolation des fréquences échantillonnées à la capture totale, aussi bien pour la pêche artisanale que pour la pêche industrielle, est le suivant:

Pour chaque classe de taille de la distribution de fréquences, le poids moyen d'un individu est calculé par la relation taille-poids;

Pour la pêche artisanale, la structure de taille des poissons débarqués variant en fonction des types de pêche pratiqués, l'extrapolation décrite ci-dessus est d'abord faite par type de pêche avant d'agréger les fréquences de l'ensemble des différents types de pêche pour obtenir les fréquences totales de la pêche artisanale.

Pour la pêche industrielle, l'extrapolation est faite directement car un seul type de pêche (chalutier glacier) capture cette espèce. Des mensurations ne sont effectuées que sur les prises des chalutiers glaciers sénégalais, bien que le pageot soit également capturé par la pêche industrielle étrangère côtière. Dans le traitement, une hypothèse d'homogénéité des structures de taille des deux pêcheries est faite; l'extrapolation est donc faite à la capture totale des deux flottilles.

2.3 Calcul du nombre d'individus débarqués par groupe d'âge

Le nombre d'individus capturés par groupe d'âge est estimé par une méthode de décomposition poly modale sous contrainte (Gascuel, 1994 et com. pers.). L'histogramme des captures par classe de taille de chacune des années est ainsi décomposé en différentes lois normales correspondant aux groupes d'âge. L'ajustement sous contrainte consiste à imposer des tailles moyennes par groupe d'âge calculées à partir des paramètres de croissance de Von Bertalanffy (Franqueville, 1983; figure 2). En d'autres termes, le modèle est contraint à trouver une solution conforme à la loi de croissance. En outre, les écarts types de taille à chaque âge sont également contraints, en recherchant empiriquement des valeurs qui donnent des résultats cohérents (évolution monotone des écarts types avec l'âge, cohérence entre distributions observée et ajustée). L'ajustement est mené à l'aide du logiciel Normsep (Tomlinson, 1970).

Figure 2: Courbe de croissance du pageot, selon le modèle de Von Bertalanffy et les paramètres de Franqueville (1983).

Les fréquences de taille de l'année 1989 sont utilisées pour trouver les écarts type de taille à chaque âge. C'est ainsi que six groupes d'âge sont identifiés, correspondants aux âges 2 à 7 (figure 3).

L'utilisation du programme Normsep avec l'application des écarts type trouvés en 1989 à toute la série de données de fréquences de taille permet de déterminer le nombre d'individus débarqué par groupe d'âge et par année (tableau 2, en annexe).

Figure 3: Structure de taille des captures de pageot en 1989 et décomposition en groupes d'âge.

2.4 Estimation des rejets

Les débarquements précédemment estimés n'incluent pas les rejets. Or ceux-ci sont généralement considérés comme importants pour la pêche industrielle (Franqueville, 1983) et leur prise en compte peut modifier considérablement le diagnostic (Maury, 1994). Faute d'estimation précise et notamment d'échantillons de taille, ces rejets sont ici estimés très sommairement à partir des éléments suivants:

Les captures totales sont évidemment constituées par la somme des débarquements et des rejets. C'est sur cette matrice des captures totales par âge (1 à 7) et par année (89 à 98) qu'est appliquée l'analyse des cohortes.

3. Analyse des cohortes et diagnostic par l'approche structurale

3.1 Calcul du nombre de survivants

Pour faire le diagnostic, il faut disposer, en plus des captures par âge, de la mortalité naturelle et de la mortalité par pêche. La mortalité naturelle utilisée dans cette étude est de 0,3, calculée par Franqueville (1983); elle est donc supposée constante quelque soit l'âge.

La série de mortalités par pêche utilisée pour la suite des traitements est obtenue par analyse des cohortes. La mortalité par pêche est donnée par la relation: Ft = Ln (Nt/Nt+1) - Mt où l'effectif d'une classe d'âge Nt est donné par l'équation de Pope: Nt = Nt+1 eMt + Ct eMt/2. L'effectif de la dernière classe d'âge NT = CT (MT + FT)/FT (1 - e-(FT+MT)); dans le cas d'un groupe d'âge plus, e-(FT+MT) = 0 et donc NT = (CT * ZT)/FT.

La difficulté essentielle de l'analyse des cohortes réside dans le choix d'un vecteur de mortalité par pêche Ft, pour la dernière année. Ce vecteur est ici estimé par des techniques de stabilisation, sous l'hypothèse qu'il est égal à la moyenne des deux années antérieures multipliée par un coefficient d'évolution de l'effort de pêche noté a. Une étude de sensibilité des résultats de l'analyse est conduite pour des valeurs de «a» variant de 0.6 (forte diminution de la pression de pêche en 1998) à 1.2 (accroissement de 20 pour cent, comparativement à 1996-1997).

Compte tenu de la propriété de convergence de l'analyse des cohortes, les résultats obtenus apparaissent indépendants de la valeur du paramètre a, jusqu'en 1996 (figure 4). Les mortalités par pêche moyennes (figure 4a) restent élevées sur toute la période, avec cependant des fluctuations importantes au cours des dernières années. Un pic de mortalité est observé en 1997. En revanche, la diminution de capture observée en 1998 traduirait une réelle baisse de la pression de pêche avec un retour à des valeurs de mortalité F proches de celles des années antérieure à 1997. Il semble ainsi logique d'admettre une valeur du coefficient «a» inférieure à 1.

Les estimations de recrutement constituent un résultat remarquable de l'analyse des cohortes (figure 4b). Une diminution très sensible du recrutement est ainsi mise en évidence entre 1989 et 1994; en cinq ans, le nombre de recrue est presque divisé par deux. Dans les années plus récentes, l'évolution est plus incertaine. Si une très forte baisse de l'effort (a=0,6) est admise, le recrutement semble alors globalement stabilisé (c'est la baisse de l'effort et non celle du stock qui expliquerait la chute de capture en 1998). En revanche, rien ne permet d'exclure une nouvelle dégradation du recrutement; elle est compatible avec un scénario de baisse modérée (a=0,8) ou de stabilisation de l'effort.

Compte tenu de cette incertitude, la suite du diagnostic est conduite pour une valeur de référence du coefficient a=0,8. Les matrices des mortalités par pêche F et des effectifs du stock N, obtenues pour cette valeur, sont données dans les tableaux 4 et 5, en annexe. La sensibilité du diagnostic est étudiée, pour des valeurs de «a» variant de 0,7 à 1.

Figure 4: Résultats de l'analyse des cohortes et sensibilité au paramètre d'évolution de la pression de pêche a. 4a: évolution de la mortalité par pêche moyenne (âges 3 à 7);

Figure 4: Résultats de l'analyse des cohortes et sensibilité au paramètre d'évolution de la pression de pêche a. 4b: évolution du recrutement.

3.2 Calcul des biomasses par recrue

Les diagnostics concernant la situation dite «actuelle» sont calculés pour un vecteur F de référence correspondant à la moyenne des trois dernières années connues (soit F96-98). Partant d'un effectif théorique de 1 au recrutement, ces valeurs sont utilisées pour calculer le nombre de survivants par classe d'âge en fonction d'un multiplicateur d'effort mf: Nt+1 = Nt e-(mf Ft+M) (équation de survie).

Pour calculer la biomasse moyenne par recrue, il faut déterminer le poids moyen du pageot par âge. Pour cela, pour chaque âge, la longueur correspondante est calculée par l'équation de Von Bertalanffy et le poids moyen par la relation taille-poids suivante:

P = 1,214 10-2 × L3,166; les résultats sont donnés dans le tableau 3, en annexe.

A partir des poids moyens par âge, la biomasse moyenne par recrue, c'est-à-dire la contribution d'un individu à la biomasse totale durant toute sa vie, est calculée en cumulant les biomasses moyennes à chaque âge qui s'expriment par l'équation suivante:

Bi = Wi. Ni / (mf.Fi+Mi). (1 - e - (mfFi+Mi))

La biomasse féconde par recrue est obtenue en faisant le produit de la matrice de la biomasse moyenne par un vecteur de fécondité par âge. La fécondité est donnée par Ft = 0,592 10-8 * Lt 4,079 (Lt déterminée à partir de l'équation de Von Bertalanffy).

Le tableau 6 donne les résultats obtenus et la figure 5, l'évolution (en pourcentage) des biomasses et des biomasses fécondes par recrue, par rapport à leur niveau à l'état vierge, en fonction d'un multiplicateur d'effort.

Tableau 6: Impact du multiplicateur d'effort sur les biomasses et biomasses féconde par recrue (en pourcentage des biomasses à l'état vierge).

Multiplicateur d'effort mF

0

0.2

0.4

0.5

0.6

0.8

1

1.2

1.4

1.6

1.8

2

Biomasse par recrue (%)

100

53.3

33.6

28.1

24.1

19.0

15.8

13.6

12.1

10.9

10.0

9.2

Biomasse féconde par recrue (%)

100

40.3

18.6

13.3

9.9

6.0

4.1

3.0

2.3

1.9

1.6

1.4

Figure 5: Evolution des biomasses et biomasses fécondes par recrue en fonction d'un multiplicateur d'effort appliqué à la situation actuelle (référence F96-98).

Ces modèles de biomasse mettent en évidence un impact extrêmement fort de la pêche sur l'état actuel du stock. L'abondance totale du stock de pageot n'est plus que de 15,8 pour cent de ce qu'elle serait à l'état vierge. La biomasse féconde est elle réduite à 4,1 pour cent, comparativement à la situation sans exploitation. Par ailleurs, ces valeurs sont peu sensibles au paramètre d'ajustement de la VPA (dans l'hypothèse la plus favorable, pour a=0,6, la biomasse féconde relative est estimée à 5,4 pour cent). Ces valeurs sont en deçà des seuils de précaution généralement admis; ce qui semble correspondre à une situation de surexploitation du recrutement où il y a donc risque d'effondrement du recrutement par sur pêche.

3.3 Calcul du rendement par recrue

Le rendement par recrue est obtenu en cumulant sur toute la durée de vie d'une cohorte les captures à chaque âge, lesquelles s'expriment en fonction des biomasses moyennes, comme suit:

Yi = Bi. mF. Fi

Au sein de ces captures, une partie est réellement débarquée (le reste correspond aux rejets). Ces débarquements sont estimés à partir des mortalités par débarquement, soit:

Ydi = Bi. mF. Fdi avec Fdi = Fi. Cdi / Ci

Ci et Cdi correspondent respectivement aux nombres de pageots capturés et débarqués, estimés au cours de la période de référence (1996-1998) et pour chaque âge i.

Le diagnostic de rendement par recrue, exprimé en captures totales ou en débarquement (figure 6) est complété par un ensemble d'indicateurs exprimés pour la valeur «a» de référence, mais également pour des valeurs inférieure et supérieur (tableau 7).

Figure 6: Diagnostic de rendement par recrue: captures totales et débarquements en fonction du multiplicateur d'effort.

En terme de débarquement, le rendement par recrue maximal est atteint pour un multiplicateur d'effort (mf MSY) de 0,39. Il y a donc surexploitation de croissance; une diminution très sensible de l'effort permettrait de mieux tirer partie du recrutement disponible, notamment en diminuant les rejets. Entre la situation actuelle et la situation de maximisation des rendements, l'excédent d'effort est estimé à 60 pour cent, entraînant une perte de débarquement d'environ 20 pour cent.

Compte tenu des faibles niveaux de recrutement observés ces dernières années et en admettant que cette situation ne se dégradera pas encore (ce qui est loin d'être certain), le potentiel de capture du stock de pageot est estimé entre 5 600 et 7 000 tonnes, soit des valeurs très inférieures aux captures historiques.

Tableau 7: Indicateurs de l'état actuel du stock de pageot et de l'exploitation; sensibilité au paramètre d'ajustement de l'analyse des cohortes.


a=0,7

a=0,8

a=1,0

Biomasse relative par recrue (%)

16.9

15.8

14.0

Biomasse féconde relative par recrue (%)

4.6

4.1

3.2

Effort de maximisation (mf MSY)

0.42

0.39

0.34

Débarquements par recrue (g/recrue)

69.1

68.5

67.4

Rejets par recrue (g/rec.)

5.9

6.5

7.3

Recrutement moyen 94-98 (106 indiv.)

102.0

93.6

83.7

Captures «à l'équilibre» (tonnes)

7 047

6 410

5 640

Perte de capture (%)

15.8

18.8

24.4

Excédent d'effort (%)

58.0

61.0

66.0

4. Discussion

Les captures de pageot sont constituées par des individus dont la taille varie entre 10 et 41 cm (figure 3). Cette espèce est recrutée à deux ans et les flottilles artisanales et industrielles capturent principalement les jeunes individus âgés de deux et trois ans, ce qui indique une forte pression de pêche qui n'est pas sans conséquence sur le stock de pageot.

Globalement, la situation du stock de pageot au Sénégal apparaît particulièrement préoccupante et ceci pour plusieurs raisons. En premier lieu, les résultats obtenus montrent que le stock est en état de surexploitation de croissance très marquée; l'effort actuellement déployé est presque trois fois supérieur à l'effort de maximisation des débarquements par recrue (figure 6); il engendre une perte de capture d'environ 20 pour cent par rapport au MSY. Toute augmentation de la pression de pêche sur les juvéniles peut certes entraîner une hausse des captures en nombre, mais le poids moyen des individus devient de plus en plus faible. La combinaison de ces deux phénomènes, lorsque le second l'emporte sur le premier, conduit à une chute du rendement. Globalement, ces résultats confirment le diagnostic de surexploitation antérieurement obtenu avec le modèle global (Laurans et al. 2001).

En second lieu, l'abondance du stock apparaît en très nette diminution. Sur la période étudiée, il passe de 25 000 tonnes en 1990 à 10 ou 15 000 tonnes (selon la valeur du coefficient «a») en 1998; là aussi, les résultats sont en accord avec ceux de Laurans et al. (2001). Sur une période plus longue (figure 7), les valeurs disponibles dans la littérature indiquent une abondance croissante durant la décennie 1970 et jusqu'en 1985, où la biomasse atteindrait une valeur maximale de 80 000 tonnes. Il est difficile d'expliquer cette accroissement d'abondance; notons simplement qu'il est concomitant avec une baisse de biomasse d'espèces comme le thiof et la badèche. Depuis 1985, la chute d'abondance du pageot est en revanche spectaculaire et est confirmée par tous les indices disponibles.

Figure 7: Evolution de l'abondance du pageot au Sénégal, d'après les différents indices disponibles (indices relatifs, en valeur arbitraire pour Gascuel et Thiam, 1994 et pour Caverivière, 1994; Biomasse du stock en tonnes pour Maury, 1994, Laurans et al., 2002 et pour la présente étude; pour Maury, l'indice est recalculé d'après la matrice des effectifs aux âges).

Enfin, l'élément le plus inquiétant concernant l'état du stock est la baisse sensible du recrutement et les faibles niveaux actuels de biomasse féconde. Maury (1994) mettait en évidence une division par deux du recrutement entre 1982 et 1988. Les résultats obtenus ici indiquent une nouvelle division par deux entre 1989 et 1994. Dans la période récente, le recrutement reste très faible, décroît même encore (figure 4), situation qui est à mettre en relation avec un potentiel reproducteur très dégradé. En effet, la biomasse féconde actuelle (figure 5) correspond à 4.1 pour cent de la biomasse féconde vierge. Le mode d'exploitation actuel tend donc à maintenir la fécondité du stock de pageot à un niveau faible car les poissons ont peu de chance d'atteindre une taille compatible avec une bonne reproduction. En fait, comme l'a bien démontré Garcia (1984), un stock surpêché sera constitué d'individus jeunes du fait de la baisse de l'espérance de vie et par conséquent d'une faible fécondité. La pêche modifie défavorablement les capacités de reconstitution du stock de pageot. Un effondrement biologique est alors à craindre. Dans le cas du pageot, ce risque est réel.

Les mesures d'aménagement qui s'imposent pour une gestion durable du stock de pageot sont une réduction de l'effort de pêche actuel sur cette ressource, surtout en période de reproduction et une augmentation de la taille à la première capture. Ces deux mesures peuvent être appliquées séparément. Cependant, leur combinaison permettrait d'atteindre plus rapidement des résultats satisfaisants. En effet, plus le poisson est exploité tardivement, plus l'effort permettant le rendement maximal sera grand. Cependant, l'augmentation de l'âge à la première capture et/ou la diminution de la pression de pêche ne devrait pas dépasser un certain seuil au-delà duquel le résultat inverse (faible rendement) sera observé (Laurec et Le Guen, 1981). Dans le cas du pageot, en maintenant l'âge à la première capture à deux ans, il faudrait réduire l'effort de pêche actuel (celui de 1998) de moitié pour passer au dessus d'un seuil de biomasse féconde relative de 10 pour cent et s'approcher d'un débarquement par recrue maximal.

Bibliographie

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Franqueville C., 1983. Biologie et dynamique de population des daurades (Pagellus Bellottii, Steindachner, 1882) le long des côtes sénégalaises. Thèse de doctorat d'état es sciences -Université d'Aix-Marseille II - Faculté des Sciences de Luminy, 276 p.

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Gascuel, D. et Thiam M., 1994. Evolution de l'abondance des ressources démersales Sénégalaises: estimation par modélisation linéaire des PUE. In: L'évaluation des ressources exploitables par la pêche artisanale sénégalaise. Tome 2 - Barry-Gérard M., Taib D. et Fonteneau A. (éds.) - Colloques et Séminaires, ORSTOM (éds.), Paris, 191-213.

Laurans M., Barry M. D. et Gascuel D., 2001. Diagnostic de cinq stocks sénégalais par l'approche globale (Galeoides decadactylus, Pagellus bellottii, Pseudupeneus prayensis, Sparus caeruleostictus et Epinephelus aeneus). In: Evaluation des stocks par l'approche globale et évolutions d'abondance. Rapport de la réunion du groupe «Analyses mono spécifiques» du projet SIAP - Mindelo, 10-12 octobre 2001.

Laurec A. et Le Guen J. C., 1981. Dynamique des stocks exploités. Tome1: Concepts et modèles Rapp. Sci. Tech. CNEXO, Brest. 45, 118 p.

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Annexe

Tableau 1: Captures totales (en tonnes) de pageot de 1971 à 1998 (Source: CRODT).

Année

Pêche industrielle

Pêche artisanale

Total

1971

352

1 853

2 205

1972

278

1 840

2 118

1973

511

1 990

2 501

1974

464

1 730

2 194

1975

593

2 660

3 253

1976

662

2 150

2 812

1977

6 158

1 660

7 818

1078

4 322

1 660

5 982

1979

4 240

960

5 200

1980

4 866

840

5 706

1981

5 934

3 268

9 202

1982

6 137

2 964

9 101

1983

7 352

3 769

11 121

1984

7 958

6 104

14 062

1985

8 602

7 533

16 135

1986

6 756

6 890

13 646

1987

5 973

4 229

10 202

1988

3 358

3 943

7 301

1989

3 113

4 306

7 419

1990

5 247

4 742

9 989

1991

4 320

4 264

8 584

1992

3 059

5 749

8 808

1993

2 356

6 324

8 680

1994

1 543

6 405

7 948

1995

1 368

6 795

8 163

1996

1 733

4 278

6 011

1997

3 341

5 610

8 951

1998

1 474

3 442

4 916

Tableau 2: Nombre de pageots capturés (en milliers) par classe d'âge.


Groupe d'âge

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Rejets

1

16 373

27 594

22 718

16 088

12 392

8 114

7 193

9 115

17 572

7 751

2

12 230

20 610

16 969

12 016

9 256

6 060

5 372

6 808

13 125

5 790

Débarquements

2

2 467

1 894

3 256

433

711

250

184

640

2 430

843

3

39 086

48 320

32 462

28 192

28 812

23 761

24 042

19 503

37 713

26 213

4

5 124

9 616

11 126

13 867

13 183

13 514

15 815

9 708

8 724

2 512

5

312

735

1 539

2 453

1 589

1 584

497

859

1 232

1 179

6

255

278

367

228

551

405

447

308

503

130

7

60

73

110

107

119

214

28

282

489

27

Tableau 3: Taille et poids moyens du pageot en fonction de l'âge.

Âge

Longueur (cm)

Poids moyen (g)

1

8.7

11.4

2

14.8

61.1

3

19.5

148.4

4

23.3

259.1

5

26.3

378.2

6

28.6

494.7

7

30.4

602.1

Tableau 4: Mortalités par pêche du pageot par âge et par année.

Âge

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1

0.12

0.21

0.19

0.15

0.14

0.11

0.08

0.10

0.26

0.14

2

0.14

0.26

0.26

0.17

0.14

0.11

0.11

0.12

0.28

0.16

3

1.20

1.18

0.89

0.80

0.85

0.68

0.93

0.83

2.25

1.23

4

1.29

1.49

1.19

1.74

1.51

1.89

2.12

1.77

1.53

1.32

5

0.42

0.71

1.34

1.14

1.29

0.85

0.32

0.78

1.80

1.03

6

1.21

1.00

1.20

0.84

1.04

2.35

0.71

0.39

2.61

1.20

7+

1.03

1.09

1.16

1.13

1.17

1.44

1.02

0.94

2.05

1.19

Tableau 5: Effectif du stock de pageot par âge et par année.

Âge

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1

171 124

171 819

152 445

135 957

108 625

91 226

109 326

110 776

89 907

66 997

2

126 701

112 679

103 537

93 380

86 873

69 805

60 598

74 800

74 219

51 480

3

64 900

81 213

64 105

59 294

58 462

55 779

46 282

40 110

49 002

41 595

4

8 218

14 438

18 575

19 550

19 661

18 511

20 871

13 593

12 928

3 842

5

1 051

1 677

2 419

4 184

2 547

3 218

2 082

1 849

1 714

2 069

6

421

510

610

468

989

519

1 021

1 115

631

209

7+

77

93

139

136

150

258

37

372

561

34


[12] Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye, BP 2241, Dakar, Sénégal
[13] Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye, BP 2241, Dakar, Sénégal
[14] Département halieutique ENSAR, 65 Rue de Saint-Brieuc, 35042, Rennes Cedex, France

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