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2.1 Types de subventions aux pêches et raisons de leur mise en place


Il y a quarante ans, les subventions étaient généralement jugées bénéfiques, en tant que mécanismes permettant de mettre en œuvre l’action des pouvoirs publics. Quarante ans après, eu égard aux interrogations quant à leur efficacité et à leur maîtrise, quant au rôle du gouvernement dans la société et au sein de l’économie, et enfin, quant aux rapports entre la protection de l’environnement et le développement économique, dans maints domaines de l’activité économique les subventions sont généralement considérées comme préjudiciables, surtout dans le secteur des pêches.

Or, il ne faut pas perdre de vue que chaque subvention a été introduite pour une raison bien précise, dans un certain contexte, indépendamment de son caractère approprié ou non, au profit d’un sous-groupe d’individus ou de la société dans son ensemble.[26]

On peut classer les subventions de multiples façons; nous en suggérons ci-après[27] une autre classification, proposée dans le cadre d’une Consultation d’experts de la FAO est également brièvement examinée dans le présent document. La taxonomie présentée est applicable à toute industrie et la plupart des grandes catégories de subventions ont été mentionnées plus haut. Les exemples fournis ci-après se rapportent toutefois aux pêches.

A. Paiements directs des pouvoirs publics à l’industrie

Cette catégorie inclut un très vaste éventail de subventions allant des aides à l’acquisition des nouveaux bateaux de pêche, au paiement d’indemnités de déclassement des navires (programmes de rachat), au régime d’assurance chômage des pêcheurs, à l’indemnisation des périodes de fermeture, aux apports de capitaux propres et aux programmes de soutien des prix.

Les aides à l’acquisition de nouveaux bateaux de pêche peuvent être instaurées pour faciliter le développement d’une industrie nationale de la pêche. Quant aux indemnités de déclassement des navires, elles visent parfois à favoriser un processus de réduction de la capacité excédentaire. Par ailleurs, les programmes d’assurance-chômage à destination des pêcheurs peuvent être mis en place pour les aider à commencer ou à continuer à travailler dans ce secteur. L’indemnisation des périodes de fermeture est conçue pour permettre aux pêcheurs de rester en activité lorsque leurs revenus sont réduits de façon inattendue en raison de mesures adoptées par les pouvoirs publics pour protéger des stocks de poissons en voie de diminution. Les apports de capitaux propres peuvent éviter la faillite de certaines entreprises de pêches lorsque celle-ci aurait des effets catastrophiques sur l’emploi dans une région, notamment lorsque cette faillite est imputable à un phénomène économique temporaire tel que la chute des marchés entraînée par une grave récession économique. Quant aux programmes de soutien des prix, en vertu desquels les gouvernements paient aux producteurs la différence entre les prix du marché et un prix cible fixé par l’administration, ils peuvent être adoptés afin de soutenir les revenus des pêcheurs.

B. Exonérations fiscales et reports d’impôts

Dans cette catégorie figurent des programmes tels que les exonérations de la taxe sur le carburant utilisé par les navires de pêche, les exonérations de taxe de vente, les allègements spéciaux d’impôt sur le revenu et les programmes de report d’impôt.

Le produit de la taxation des carburants peut être affecté à l’entretien des routes. Etant donné que les navires de pêche n’en font aucun usage, ils peuvent être exemptés de cette forme particulière de taxation. Les exonérations de taxe de vente et les allègements spéciaux d’impôt sur le revenu, seraient «justifiés» si la pêche était considérée comme une activité d’une importance telle, et en butte néanmoins à une telle précarité financière, que ces aménagements fiscaux étaient jugés indispensables à son existence même. L’exonération de la taxe de vente sur les intrants utilisés par l’industrie de la pêche est une mesure de soutien dont elle bénéficie dans son ensemble. Des dispositions de ce type sont répandues dans les pays insulaires des Caraïbes[28]. Les programmes de report d’impôt contribuent à faciliter la situation économique des participants, tout en ayant par ailleurs un rôle en matière de sécurité lorsqu’ils sont associés à des programmes spéciaux, notamment de remplacement des navires. Grâce aux sommes recueillies dans le cadre du programme, des moyens financiers peuvent être affectés à l’acquisition de nouveaux navires, ce qui a pour effet de limiter l’incitation économique à différer le renouvellement de la flotte en utilisant des navires vétustes et peu sûrs.

C. Prêts et garanties de prêts du gouvernement; programmes d’assurance

Le gouvernement peut accorder des prêts aux pêcheurs ou à des entreprises de pêche, à des conditions favorables, par exemple des prêts à des taux inférieurs à ceux du marché, ou comportant des durées de remboursement exceptionnellement longues. Par ailleurs, le gouvernement peut également garantir le remboursement de prêts du secteur privé lorsque les institutions financières exigent des garanties supplémentaires que l’industrie ne saurait offrir par elle-même. Le gouvernement peut enfin proposer des contrats d’assurance lorsque les assureurs privés refusent d’assurer les pêcheurs, en raison du niveau de risque élevé apparent lié aux incertitudes affectant cette industrie.

Chacune de ces subventions est censée permettre à l’industrie d’opérer à des coûts inférieurs à ceux qui prévaudraient autrement. Lorsque les revenus sont suffisamment faibles, ces subventions permettent de déterminer si la vigueur de l’industrie est suffisante pour assurer sa survie.

D. Paiements implicites ou charges imputées à l’industrie

Ces programmes n’ont pas pour effet de réaliser des transferts financiers au profit de l’industrie, ni de faire bénéficier celle-ci d’une exonération ou d’un report des montants dont elle serait normalement redevable au gouvernement. Il peut s’agir de programmes qui réduisent les prix payés par l’industrie au gouvernement pour certains biens, à un niveau inférieur aux prix du marché ou de programmes ne comportant pas nécessairement de paiements provenant des pouvoirs publics. Il y a lieu également de citer les programmes de subventions négatives, qui visent à limiter la rentabilité des entreprises de pêche.

Dans certains programmes, les pouvoirs publics effectuent des paiements ou prennent à leur charge des coûts pour le compte de l’industrie, sans effectuer de paiements directs à son profit: paiement de droits de pêche à des pays étrangers, gestion des pêches, amélioration des pêches et mise au point d’engins.

Certains pays peuvent faire payer aux étrangers un droit d’accès à leur zone économique exclusive. En particulier lorsque les pêcheurs étrangers ont opéré traditionnellement dans ces eaux, le gouvernement des pêcheurs étrangers est parfois disposé à payer le droit en question, sans le récupérer auprès de l’industrie[29], justifiant cette mesure en faisant état de sa responsabilité partielle pour la situation née de sa participation à la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Les gouvernements assument généralement les frais de gestion des pêches, bien que ces dernières années une tendance ait été observée en faveur de systèmes de paiement par l’utilisateur et de récupération de droits payés. L’amélioration des pêches peut impliquer la création par les pouvoirs publics de récifs artificiels, le cas échéant en échouant par le fond des navires vétustes, dans une perspective de développement de la pêcherie et éventuellement de l’écotourisme. De manière analogue, les pouvoirs publics peuvent concevoir et expérimenter des engins de pêche améliorés (soit de productivité accrue, soit de nature à limiter les prises accessoires) et transférer ensuite la technologie à l’industrie de la pêche à coût réduit, ou gratuitement.

Les gouvernements sont d’autre part susceptibles de fournir des produits à l’industrie de la pêche à des prix inférieurs à ceux du marché. A l’époque où Terre-Neuve était une colonie de la Couronne, par exemple, le gouvernement a géré un programme de fourniture d’appâts permettant d’approvisionner les pêcheurs à des prix réduits. Aux termes de l’Accord du Traité d’union de Terre-Neuve et du Canada de 1949, le programme s’est poursuivi, prévoyant l’achat d’appâts par le gouvernement et leur vente aux pêcheurs à des prix inférieurs au prix coûtant.[30]

Droits de douane, interdictions de débarquement à l’encontre des navires étrangers, quotas d’importation, et interdictions d’investissements étrangers directs, sont autant d’exemples de programmes ou de mesures au moyen desquels les pouvoirs publics soutiennent (subventionnent) la pêche, sans engager de dépenses à cet effet - sinon les frais de gestion des programmes en question.

L’expression programmes de subventions négatives désigne des programmes qui, du moins à court terme, réduisent les profits des entreprises de pêche. Les règlements des pêches ayant pour effet de limiter les captures, d’exiger l’utilisation d’un dispositif d’exclusion des prises accessoires, et différents règlements concernant l’environnement et la sécurité, en sont des exemples.

E. Programmes généraux affectant les pêches

Il existe enfin des exemptions d’impôt applicables à toutes les industries, des programmes de subventions axés sur des industries autres que les pêches et pouvant avoir une incidence positive ou négative sur ces dernières et enfin, des programmes sociaux généraux concernant l’ensemble de la société.

Les crédits d’impôt à l’investissement et les programmes d’amortissement accéléré, sont des exemples de programmes généraux pouvant être classés dans la catégorie des exemptions fiscales. Ces programmes concernant l’impôt sur le revenu permettent à ceux qui investissent dans les biens d’équipement de majorer leurs coûts comptables pris en compte dans le calcul de leur impôt sur le revenu, réduisant ainsi leur bénéfice comptable et donc, leur impôt sur le revenu. Un système fiscal de ce type constituerait une mesure d’incitation des entreprises à acheter des biens d’équipement supplémentaires, et dans le cas des pêches, une incitation des pêcheurs individuels et des entreprises de pêche à acheter de nouveaux navires. Un programme de subventions agricoles pourrait impliquer une utilisation accrue des pesticides alors que les eaux de ruissellement ont un impact préjudiciable sur les stocks de poissons. De manière analogue, les subventions à l’industrie de la construction navale et en faveur de la production alimentaire en général, sont susceptibles d’affecter les pêches. Parmi les programmes généraux pouvant affecter les pêches, figurent les programmes d’infrastructure non spécifiques aux pêches, les prêts aux petites entreprises, les secours en cas de catastrophes, la législation du travail, ainsi que les programmes nationaux de santé. Dans ce dernier cas, par exemple, les Etats-Unis ont pu soutenir que le Canada subventionnait de façon injuste ses pêches en assurant un service national de santé financé par l’ensemble des recettes fiscales, alors que les pêcheurs des Etats-Unis devaient payer leur régime privé d’assurance-santé. En l’occurrence, les Canadiens peuvent répondre en faisant observer qu’ils paient des impôts et des taxes de vente notablement plus élevées permettant de financer le système de santé.

Dans chaque cas, les programmes ont des justifications, tandis que certains individus et certains groupes en bénéficient et d’autres non. L’objectif du programme peut correspondre à une volonté de favoriser le développement des pêches ou de les moderniser et d’améliorer leur productivité, ou encore de faciliter la vente des produits de la pêche, de protéger l’environnement ou encore, d’améliorer la sécurité des pêcheurs proprement dits. Il ne s’agit pas là d’une justification de l’une quelconque des subventions dont il est question ou de chacune d’entre elles. Leur justification est une décision subjective susceptible d’être discutée à l’infini. Ces derniers temps, et assurément au cours de la décennie écoulée, période de sensibilité accrue aux problèmes de défense de l’environnement, à l’état des stocks de poissons et à l’absence d’obstacles à la liberté des marchés privés, les subventions ont diminué au niveau mondial[31]; par ailleurs, on a enregistré un fléchissement de la justification de nombre des subventions demeurant en place. Ainsi, le lien entre gestion des pêches, surpêche et subventions, a suscité un intérêt croissant.


[26] En réalité évidemment, certaines subventions ont été introduites pour un motif détourné d’une sorte ou d’une autre, et n’ont jamais eu d’autre objectif social que le profit de certains. Tout en admettant la possibilité de ce type de situation, nous n’en tenons pas compte dans ce qui suit.
[27] Cette liste comprend seulement quelques exemples tirés de la liste beaucoup plus détaillée qui figure dans Schrank «Subsidies for Fisheries...» op. cit. 31-33. Toutefois, ni cette liste ni les explications présentées ne sauraient avoir un caractère exhaustif
[28] Voir Tietze, op. cit., 10, 12, 13, 94, 104-5, 133-4.
[29] Milazzo, op. cit., 36.
[30] R.W. Crowley, B.McEachern et R. Jasperse, «A Review of Federal Assistance to the Canadian Fishing Industry, 1945-1990» dans L.S. Parsons et W.H. Lear (dir. publ.), Perpectives on Canadian Marine Fisheries Management, Ottawa, Conseil national de recherches du Canada.
[31] Ulf Wijkström, «Global Overview of Fisheries and the Subsidies Issue», dans Report of Proceedings: on the Impact of Government Financial Transfers on Fisheries Management, Resource Sustainability and International Trade Manilla, 17-19 août 1998, n.p. Conseil de coopération économique Asie-Pacifique.

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