Il y a quarante ans, les subventions étaient généralement jugées bénéfiques, en tant que mécanismes permettant de mettre en uvre laction des pouvoirs publics. Quarante ans après, eu égard aux interrogations quant à leur efficacité et à leur maîtrise, quant au rôle du gouvernement dans la société et au sein de léconomie, et enfin, quant aux rapports entre la protection de lenvironnement et le développement économique, dans maints domaines de lactivité économique les subventions sont généralement considérées comme préjudiciables, surtout dans le secteur des pêches.
Or, il ne faut pas perdre de vue que chaque subvention a été introduite pour une raison bien précise, dans un certain contexte, indépendamment de son caractère approprié ou non, au profit dun sous-groupe dindividus ou de la société dans son ensemble.[26]
On peut classer les subventions de multiples façons; nous en suggérons ci-après[27] une autre classification, proposée dans le cadre dune Consultation dexperts de la FAO est également brièvement examinée dans le présent document. La taxonomie présentée est applicable à toute industrie et la plupart des grandes catégories de subventions ont été mentionnées plus haut. Les exemples fournis ci-après se rapportent toutefois aux pêches.
A. Paiements directs des pouvoirs publics à lindustrie
Cette catégorie inclut un très vaste éventail de subventions allant des aides à lacquisition des nouveaux bateaux de pêche, au paiement dindemnités de déclassement des navires (programmes de rachat), au régime dassurance chômage des pêcheurs, à lindemnisation des périodes de fermeture, aux apports de capitaux propres et aux programmes de soutien des prix.
Les aides à lacquisition de nouveaux bateaux de pêche peuvent être instaurées pour faciliter le développement dune industrie nationale de la pêche. Quant aux indemnités de déclassement des navires, elles visent parfois à favoriser un processus de réduction de la capacité excédentaire. Par ailleurs, les programmes dassurance-chômage à destination des pêcheurs peuvent être mis en place pour les aider à commencer ou à continuer à travailler dans ce secteur. Lindemnisation des périodes de fermeture est conçue pour permettre aux pêcheurs de rester en activité lorsque leurs revenus sont réduits de façon inattendue en raison de mesures adoptées par les pouvoirs publics pour protéger des stocks de poissons en voie de diminution. Les apports de capitaux propres peuvent éviter la faillite de certaines entreprises de pêches lorsque celle-ci aurait des effets catastrophiques sur lemploi dans une région, notamment lorsque cette faillite est imputable à un phénomène économique temporaire tel que la chute des marchés entraînée par une grave récession économique. Quant aux programmes de soutien des prix, en vertu desquels les gouvernements paient aux producteurs la différence entre les prix du marché et un prix cible fixé par ladministration, ils peuvent être adoptés afin de soutenir les revenus des pêcheurs.
B. Exonérations fiscales et reports dimpôts
Dans cette catégorie figurent des programmes tels que les exonérations de la taxe sur le carburant utilisé par les navires de pêche, les exonérations de taxe de vente, les allègements spéciaux dimpôt sur le revenu et les programmes de report dimpôt.
Le produit de la taxation des carburants peut être affecté à lentretien des routes. Etant donné que les navires de pêche nen font aucun usage, ils peuvent être exemptés de cette forme particulière de taxation. Les exonérations de taxe de vente et les allègements spéciaux dimpôt sur le revenu, seraient «justifiés» si la pêche était considérée comme une activité dune importance telle, et en butte néanmoins à une telle précarité financière, que ces aménagements fiscaux étaient jugés indispensables à son existence même. Lexonération de la taxe de vente sur les intrants utilisés par lindustrie de la pêche est une mesure de soutien dont elle bénéficie dans son ensemble. Des dispositions de ce type sont répandues dans les pays insulaires des Caraïbes[28]. Les programmes de report dimpôt contribuent à faciliter la situation économique des participants, tout en ayant par ailleurs un rôle en matière de sécurité lorsquils sont associés à des programmes spéciaux, notamment de remplacement des navires. Grâce aux sommes recueillies dans le cadre du programme, des moyens financiers peuvent être affectés à lacquisition de nouveaux navires, ce qui a pour effet de limiter lincitation économique à différer le renouvellement de la flotte en utilisant des navires vétustes et peu sûrs.
C. Prêts et garanties de prêts du gouvernement; programmes dassurance
Le gouvernement peut accorder des prêts aux pêcheurs ou à des entreprises de pêche, à des conditions favorables, par exemple des prêts à des taux inférieurs à ceux du marché, ou comportant des durées de remboursement exceptionnellement longues. Par ailleurs, le gouvernement peut également garantir le remboursement de prêts du secteur privé lorsque les institutions financières exigent des garanties supplémentaires que lindustrie ne saurait offrir par elle-même. Le gouvernement peut enfin proposer des contrats dassurance lorsque les assureurs privés refusent dassurer les pêcheurs, en raison du niveau de risque élevé apparent lié aux incertitudes affectant cette industrie.
Chacune de ces subventions est censée permettre à lindustrie dopérer à des coûts inférieurs à ceux qui prévaudraient autrement. Lorsque les revenus sont suffisamment faibles, ces subventions permettent de déterminer si la vigueur de lindustrie est suffisante pour assurer sa survie.
D. Paiements implicites ou charges imputées à lindustrie
Ces programmes nont pas pour effet de réaliser des transferts financiers au profit de lindustrie, ni de faire bénéficier celle-ci dune exonération ou dun report des montants dont elle serait normalement redevable au gouvernement. Il peut sagir de programmes qui réduisent les prix payés par lindustrie au gouvernement pour certains biens, à un niveau inférieur aux prix du marché ou de programmes ne comportant pas nécessairement de paiements provenant des pouvoirs publics. Il y a lieu également de citer les programmes de subventions négatives, qui visent à limiter la rentabilité des entreprises de pêche.
Dans certains programmes, les pouvoirs publics effectuent des paiements ou prennent à leur charge des coûts pour le compte de lindustrie, sans effectuer de paiements directs à son profit: paiement de droits de pêche à des pays étrangers, gestion des pêches, amélioration des pêches et mise au point dengins.
Certains pays peuvent faire payer aux étrangers un droit daccès à leur zone économique exclusive. En particulier lorsque les pêcheurs étrangers ont opéré traditionnellement dans ces eaux, le gouvernement des pêcheurs étrangers est parfois disposé à payer le droit en question, sans le récupérer auprès de lindustrie[29], justifiant cette mesure en faisant état de sa responsabilité partielle pour la situation née de sa participation à la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Les gouvernements assument généralement les frais de gestion des pêches, bien que ces dernières années une tendance ait été observée en faveur de systèmes de paiement par lutilisateur et de récupération de droits payés. Lamélioration des pêches peut impliquer la création par les pouvoirs publics de récifs artificiels, le cas échéant en échouant par le fond des navires vétustes, dans une perspective de développement de la pêcherie et éventuellement de lécotourisme. De manière analogue, les pouvoirs publics peuvent concevoir et expérimenter des engins de pêche améliorés (soit de productivité accrue, soit de nature à limiter les prises accessoires) et transférer ensuite la technologie à lindustrie de la pêche à coût réduit, ou gratuitement.
Les gouvernements sont dautre part susceptibles de fournir des produits à lindustrie de la pêche à des prix inférieurs à ceux du marché. A lépoque où Terre-Neuve était une colonie de la Couronne, par exemple, le gouvernement a géré un programme de fourniture dappâts permettant dapprovisionner les pêcheurs à des prix réduits. Aux termes de lAccord du Traité dunion de Terre-Neuve et du Canada de 1949, le programme sest poursuivi, prévoyant lachat dappâts par le gouvernement et leur vente aux pêcheurs à des prix inférieurs au prix coûtant.[30]
Droits de douane, interdictions de débarquement à lencontre des navires étrangers, quotas dimportation, et interdictions dinvestissements étrangers directs, sont autant dexemples de programmes ou de mesures au moyen desquels les pouvoirs publics soutiennent (subventionnent) la pêche, sans engager de dépenses à cet effet - sinon les frais de gestion des programmes en question.
Lexpression programmes de subventions négatives désigne des programmes qui, du moins à court terme, réduisent les profits des entreprises de pêche. Les règlements des pêches ayant pour effet de limiter les captures, dexiger lutilisation dun dispositif dexclusion des prises accessoires, et différents règlements concernant lenvironnement et la sécurité, en sont des exemples.
E. Programmes généraux affectant les pêches
Il existe enfin des exemptions dimpôt applicables à toutes les industries, des programmes de subventions axés sur des industries autres que les pêches et pouvant avoir une incidence positive ou négative sur ces dernières et enfin, des programmes sociaux généraux concernant lensemble de la société.
Les crédits dimpôt à linvestissement et les programmes damortissement accéléré, sont des exemples de programmes généraux pouvant être classés dans la catégorie des exemptions fiscales. Ces programmes concernant limpôt sur le revenu permettent à ceux qui investissent dans les biens déquipement de majorer leurs coûts comptables pris en compte dans le calcul de leur impôt sur le revenu, réduisant ainsi leur bénéfice comptable et donc, leur impôt sur le revenu. Un système fiscal de ce type constituerait une mesure dincitation des entreprises à acheter des biens déquipement supplémentaires, et dans le cas des pêches, une incitation des pêcheurs individuels et des entreprises de pêche à acheter de nouveaux navires. Un programme de subventions agricoles pourrait impliquer une utilisation accrue des pesticides alors que les eaux de ruissellement ont un impact préjudiciable sur les stocks de poissons. De manière analogue, les subventions à lindustrie de la construction navale et en faveur de la production alimentaire en général, sont susceptibles daffecter les pêches. Parmi les programmes généraux pouvant affecter les pêches, figurent les programmes dinfrastructure non spécifiques aux pêches, les prêts aux petites entreprises, les secours en cas de catastrophes, la législation du travail, ainsi que les programmes nationaux de santé. Dans ce dernier cas, par exemple, les Etats-Unis ont pu soutenir que le Canada subventionnait de façon injuste ses pêches en assurant un service national de santé financé par lensemble des recettes fiscales, alors que les pêcheurs des Etats-Unis devaient payer leur régime privé dassurance-santé. En loccurrence, les Canadiens peuvent répondre en faisant observer quils paient des impôts et des taxes de vente notablement plus élevées permettant de financer le système de santé.
Dans chaque cas, les programmes ont des justifications, tandis que certains individus et certains groupes en bénéficient et dautres non. Lobjectif du programme peut correspondre à une volonté de favoriser le développement des pêches ou de les moderniser et daméliorer leur productivité, ou encore de faciliter la vente des produits de la pêche, de protéger lenvironnement ou encore, daméliorer la sécurité des pêcheurs proprement dits. Il ne sagit pas là dune justification de lune quelconque des subventions dont il est question ou de chacune dentre elles. Leur justification est une décision subjective susceptible dêtre discutée à linfini. Ces derniers temps, et assurément au cours de la décennie écoulée, période de sensibilité accrue aux problèmes de défense de lenvironnement, à létat des stocks de poissons et à labsence dobstacles à la liberté des marchés privés, les subventions ont diminué au niveau mondial[31]; par ailleurs, on a enregistré un fléchissement de la justification de nombre des subventions demeurant en place. Ainsi, le lien entre gestion des pêches, surpêche et subventions, a suscité un intérêt croissant.
[26] En réalité
évidemment, certaines subventions ont été introduites pour
un motif détourné dune sorte ou dune autre, et
nont jamais eu dautre objectif social que le profit de certains.
Tout en admettant la possibilité de ce type de situation, nous nen
tenons pas compte dans ce qui suit. [27] Cette liste comprend seulement quelques exemples tirés de la liste beaucoup plus détaillée qui figure dans Schrank «Subsidies for Fisheries...» op. cit. 31-33. Toutefois, ni cette liste ni les explications présentées ne sauraient avoir un caractère exhaustif [28] Voir Tietze, op. cit., 10, 12, 13, 94, 104-5, 133-4. [29] Milazzo, op. cit., 36. [30] R.W. Crowley, B.McEachern et R. Jasperse, «A Review of Federal Assistance to the Canadian Fishing Industry, 1945-1990» dans L.S. Parsons et W.H. Lear (dir. publ.), Perpectives on Canadian Marine Fisheries Management, Ottawa, Conseil national de recherches du Canada. [31] Ulf Wijkström, «Global Overview of Fisheries and the Subsidies Issue», dans Report of Proceedings: on the Impact of Government Financial Transfers on Fisheries Management, Resource Sustainability and International Trade Manilla, 17-19 août 1998, n.p. Conseil de coopération économique Asie-Pacifique. |