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2.5 Le thème des subventions aux pêches


Le document intitulé «Dix ans de mutations» attribuait la crise des pêches dans une large mesure à l’existence même des subventions. Depuis la publication du rapport un certain nombre d’études importantes ont été consacrées à cette question. Nous avons déjà évoqué «Dix ans de mutations» et mentionné l’étude de Milazzo intitulée Subsidies in World Fisheries.

Dans son rapport de juillet 1999, au Congrès des Etats-Unis[116], le Groupe de travail spécial du Gouvernement fédéral sur les investissements dans le secteur des pêches contenait un chapitre relatif aux subventions aux pêches, passant en revue différents aspects avant de proposer la définition générale citée au début du document. Après avoir présenté des exemples des différentes catégories de subventions aux pêches et de la façon dont elles pouvaient affecter les investissements consacrés aux équipements de ce secteur, le chapitre en question faisait valoir l’idée selon laquelle les subventions n’ont pas de valeur en elles-mêmes: elles ne sont pas nécessairement «bonnes» ou «mauvaises» en termes de répercussions sur les pêches. Chaque situation doit être examinée au cas par cas. Les subventions peuvent être «positives» si elles ont tendance à augmenter les profits, ou négatives, si, comme dans le cas des réglementations restrictives, elles entraînent une diminution des profits. Elles peuvent peser sur les finances publiques en constituant une dépense (par exemple dans le cas d’un don) ou un manque à gagner (par exemple, les différentes mesures d’incitation fiscale, sous forme d’exonérations); sinon, elles peuvent ne rien coûter aux pouvoirs publics (comme dans le cas des contingents d’importation). Le chapitre accorde une grande importance à la nécessité de ne pas charger le terme de subvention de connotations affectives. Le fait d’assimiler une absence d’intervention à une subvention, doit dépendre de certains critères objectifs, raison pour laquelle le principe des effets potentiels sur les profits a été introduit dans la définition. Une intervention des pouvoirs publics, par exemple, une prime à l’acquisition d’un navire, jugée favorablement à une époque où le Gouvernement s’employait à constituer une industrie de la pêche jusqu’alors peu développée, s’apparente autant à une subvention qu’un programme du même type poursuivi au-delà d’un développement de la pêche mené jusqu’à son terme et d’une surexploitation du stock. Pour la plupart la subvention serait dans ce dernier cas une mesure fâcheuse, alors que pour nombre de personnes elle était initialement bénéfique «si seulement elle avait cessé en temps opportun». Indépendamment de son caractère bénéfique ou non, l’intervention proprement dite est la même et il n’y a pas lieu de la considérer pour ce qu’elle est dans un cas et pas dans l’autre. Le chapitre de ce document présente une classification des types de subventions. Il omet cependant de présenter une tentative quelconque de mesure quantitative des subventions ou de détermination empirique de leurs effets.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OECD) s’est intéressée explicitement à la question des subventions aux pêches, au moins depuis 1987, date à laquelle son Comité des pêcheries s’est fixé pour objectif d’instaurer «la transparence sur les mesures d’aide économique, tant directes qu’indirectes, et de mettre au point un cadre analytique pour mieux comprendre l’incidence de ces mesure sur l’industrie.»[117]. En 1992, l’année de la parution du document intitulé «Dix ans de mutations», l’OCDE a publié un inventaire des programmes d’aide publique[118], puis une importante étude consacrée aux transferts financiers publics à destination des pêches, dont le titre exprimait clairement la préoccupation de l’OCDE: La transition vers une pêche responsable.[119]

Le recensement en question était simplement un recensement et rien d’autre. Il dressait la liste des programmes et indiquait parfois les règles de fonctionnement, mais dans la plupart des cas ne cherchait pas à quantifier les programmes, que ce soit en termes de coûts pour les pouvoirs publics ou d’avantages pour l’industrie.

Le document intitulé La transition vers une pêche responsable était plus ambitieux et s’employait à quantifier le coût de chaque programme pour les pouvoirs publics. Le choix de l’expression «transfert financier public» visait clairement à éviter les connotations affectives associées actuellement au mot subvention et à permettre d’étendre les études à des notions telles que les coûts d’aménagement des pêches que la plupart des gouvernements n’assimilent pas à des subventions. Cette approche est néanmoins limitative dans la mesure où elle laisse de côté des programmes qui ne coûtent rien aux pouvoirs publics, mais qui sont néanmoins susceptibles de constituer des subventions.

Le recours aux euphémismes est parfois très pratique. La contribution canadienne à l’étude susmentionnée de l’OCDE (La transition vers une pêche responsable) contient un article intitulé «Fishers Unemployment Insurance» (le régime d’assurance chômage des pêcheurs) question éminemment importante, définie comme une «aide spéciale au revenu, offerte aux pêcheurs indépendants et salariés». En répondant spontanément au questionnaire, le Canada aurait sans doute hésité à mentionner cette question si le terme subvention avait été utilisé. Lorsque le système d’assurance chômage des pêcheurs a été instauré dans les années 1950, il avait pour objectif de compléter le revenu des pêcheurs et ce, de manière à éviter de s’exposer à des droits compensatoires imposés aux exportations canadiennes imposés par les Etats-Unis, principal marché des produits canadiens dérivés de la pêche[120]. En 1985, une pétition émanant de l’industrie de la pêche de la Nouvelle-Angleterre demandait au Gouvernement des Etats-Unis d’invoquer l’application de droits compensatoires à l’encontre de certaines importations de poissons de fond frais provenant de l’Est du Canada. Dans une très large mesure le succès de la pétition dépendait de la possibilité de convaincre le Gouvernement des Etats-Unis d’interpréter le système d’assurance chômage des pêcheurs comme une subvention. En l’occurrence, il a été décidé que le système d’assurance chômage des pêcheurs faisait partie d’un système général d’assurance chômage et, en tant que tel, n’était pas «propre aux pêches». Il a par conséquent été exempté de l’application des droits compensatoires prévus aux termes du GATT. Cet aspect de la pétition a donc échoué.[121]

Quel que soit le terme employé - subvention, mesure d’aide ou transfert financier public, on distingue au moins deux grands mécanismes de transmission qui permettent à l’action des pouvoirs publics d’avoir une incidence sur les pêches. Le premier est l’intervention susceptible d’avoir un impact sur le marché, de façon à conférer un avantage à l’industrie de la pêche vis-à-vis du commerce international. Les accords internationaux visant à limiter certaines de ces pratiques, par exemple les subventions directes à l’exportation, ont constitué un sujet de préoccupation d’instances telles que le GATT et plus récemment, l’OMC.

Le deuxième mécanisme de transmission désigne une intervention des pouvoirs publics capable d’inciter l’industrie à modifier sa production, indépendamment de l’incidence de ses interventions sur le commerce international. En stimulant la production dans une pêcherie pleinement exploitée ou surexploitée, l’action des pouvoirs publics risque en définitive de menacer le stock de poissons. Or, l’importance de cette préoccupation n’a été reconnue que depuis peu, en particulier depuis la publication Dix ans de mutations.

Notre préoccupation à l’égard des subventions tient au fait que leur existence même affecte d’une façon ou d’aune autre le comportement de l’individu, de l’entreprise ou de l’industrie. Que le terme soit employé au sens étroit ou au sens large, l’important tient à l’impact de la subvention sur le comportement. Au sens large, on entend par subvention toute mesure des pouvoirs publics ayant une incidence sur les profits des entreprises. L’important est donc l’impact sur les profits et la réaction de l’entreprise à la modification de ses profits. Dans le contexte des pêches, l’accroissement des profits entraînera généralement un développement de l’activité du secteur et, si cet impact est suffisamment important, conduira en définitive à décimer les populations de poissons. Parmi les nombreuses justifications proposées de l’extension du régime d’assurance chômage aux pêcheurs dans le cas canadien cité plus haut, figurait notamment le risque de déclin de la population de pêcheurs en l’absence d’un tel régime d’assurance chômage[122]. Au niveau des individus la mise en place du régime d’assurance chômage des pêcheurs a suscité un regain d’intérêt pour le métier grâce à une augmentation substantielle du revenu correspondant. Les individus se sont vraisemblablement comportés exactement comme on devait s’y attendre compte tenu de l’encouragement financier proposé. Du point de vue des entreprises de pêche, l’assurance chômage a augmenté le revenu des pêcheurs sans entraîner pour elles de coûts notables.

Les pêches canadiennes de l’Atlantique se seraient structurées très vraisemblablement de façon différente au début des années 1990 si le régime d’assurance chômage n’avait pas incité les pêcheurs à rester dans cette branche d’activité en dépit de la diminution des captures tout au long des années 1980. Dans le contexte du commerce international, l’assurance chômage des pêcheurs n’a pas été considérée comme une subvention; toutefois cela tient davantage au mode de rédaction des traités et des règlements et non aux effets potentiels du programme sur les pêches.

Il est parfois difficile de déterminer les effets d’une subvention, et par la suite de prendre la décision subjective de les qualifier de favorables, ou de défavorables, compte tenu du climat social du moment. Le fait de limiter l’analyse aux subventions ayant une incidence sur le commerce international perd de vue la préoccupation majeure concernant les pêches. Autrement dit, la subvention a-t-elle un effet positif ou négatif sur la durabilité des pêches? En outre, l’interprétation des subventions dans le contexte international comporte une certaine dose d’arbitraire. Si l’on considère à nouveau la décision de l’administration du commerce international (ITA, International Trade Administration) concernant la pêche des poissons de fond, l’ITA a réexaminé le régime d’assurance des navires de pêche canadiens (FVIP), régime mentionné plus haut géré par le Gouvernement fédéral, qui garantit les pêcheurs contre les pertes exceptionnelles dues aux dangers en mer, les accidents survenus lors de la manutention du chargement et les négligences du commandement, de l’équipage, ou des pilotes. D’après la décision de l’ITA, le régime d’assurance FVIP n’offrait pas de garantie à des tarifs de faveur et ne pouvait donc pas faire l’objet de mesures compensatoires. L’objectif du programme FVIP a été interprété comme étant la fourniture d’un service d’assurance, lorsque les assureurs privés renonçaient à proposer leurs propres services, en raison de prix de revient excessifs. Le Gouvernement avait une infrastructure en place et n’avait donc pas à assumer un accroissement de dépenses. Le régime FVIP a été déclaré comme non sujet à des mesures compensatoires parce-que les tarifs appliqués par le Gouvernement étaient comparables (ou même supérieurs) aux tarifs appliqués par le secteur privé dans les cas où les assureurs privés offraient leurs services. Or, cet argument ne tient pas compte de la question essentielle, à savoir que les tarifs d’assurance devraient être encore plus élevés à moins d’une décision à caractère social prise par le Gouvernement de proposer un régime d’assurance permettant la continuation des activités de pêche. Même si le régime d’assurance assurait intégralement son autofinancement, la seule présence du Gouvernement fédéral implique une diminution du nombre de navires participant aux activités de pêche, sans une intervention des pouvoirs publics[123]. Sinon, des navires pourraient s’être livrés à la pêche sans assurance, mais cela pourrait avoir été évité grâce à l’institution par les pouvoirs publics d’un régime d’assurance approprié, comme ils l’ont fait dans nombre de cas, pour les véhicules automobiles. L’assurance obligatoire constituerait alors une subvention négative, autrement dit, impliquerait pour l’entreprise des coûts supplémentaires et pourrait avoir pour effet une diminution du nombre de navires de pêche.

De manière analogue, les garanties de prêt ne comportent pas nécessairement un coût pour les pouvoirs publics et les prêts pourraient être consentis aux taux d’intérêt classiques. Ils auraient alors une incidence sur l’activité du secteur. En l’absence de garantie des prêts, la pêche serait un peu moins intense, ce qui aurait des répercussions sur le niveau d’exploitation du stock.

L’étude de l’OCDE comporte un autre inconvénient; une fois les définitions établies et les questionnaires distribués aux pays participants, ces derniers ont eu toute latitude pour déterminer les éléments qui devaient y figurer. Il est donc peu vraisemblable que les réponses ainsi obtenues soient homogènes d’un pays à l’autre.

Le champ de l’étude est suffisamment étendu pour couvrir les «services généraux», la fourniture de services de gestion, par exemple d’évaluation des stocks, la fixation de contingents ou de volumes admissibles des captures, outre les activités de surveillance ou de mise en application. La plupart des pays ne considèrent pas ces activités comme une forme de subvention. Evidemment, ces dépenses ne correspondent pas non plus précisément à des transferts. Dans certaines conditions, elles pourraient néanmoins s’apparenter clairement à des subventions. Si par exemple, un partenaire commercial récupérait ses coûts d’évaluation du stock auprès de l’industrie de la pêche, contrairement à un deuxième partenaire commercial, le premier aurait l’avantage d’une réduction de ses coûts par rapport au second, tenu quant à lui de payer les coûts d’évaluation encourus.

Outre l’OCDE, la FAO s’est intéressée depuis longtemps à la question des subventions aux pêches, au moins depuis la publication de Dix ans de mutations. En novembre 2000, la FAO a organisé une Consultation d’experts sur les incitations économiques et la pêche responsable dont le titre est encore un euphémisme désignant les subventions, thème véritable de la Consultation. Aux termes des conclusions de cette rencontre, une définition unique des subventions, si large ou si étroite soit-elle, ne pourrait que dissimuler certaines des questions pertinentes; la Consultation a donc opté pour la définition d’une série de quatre «groupes» de subventions.[124]

Le premier groupe se compose des «transferts financiers des pouvoirs publics qui permettent de réduire les coûts et/ou d’augmenter les revenus des producteurs à court terme». Ces transferts incluraient donc par exemple les aides à l’acquisition ou à la modernisation des navires de pêche, les prestations de maintien du revenu, (garantie de ressources) et différents postes de dépenses effectives.

Le deuxième groupe de subventions correspond à «toute intervention des pouvoirs publics, qu’elle entraîne ou non des transferts financiers, qui réduit le coût et/ou augmente les revenus des producteurs à court terme». Ainsi, le groupe deux comprend toutes les subventions qui seraient classées dans le groupe un, auxquelles s’ajoutent des mesures ne comportant pas nécessairement de transferts monétaires explicites tels que des exonérations et des reports d’impôt, des régimes d’assurance, des prêts, des garanties de prêts, et la fourniture de biens et de services par les pouvoirs publics à des prix inférieurs à ceux du marché. Les subventions du groupe deux sont celles dont on estime généralement qu’elles affectent les échanges mondiaux et relèvent des dispositions prises dans le cadre de l’OMC.

Le groupe trois comprend «les subventions du groupe deux en ajoutant les profits à court terme pour les producteurs résultant de l’absence d’intervention ou de l’intervention limitée des pouvoirs publics pour corriger les distorsions (imperfections) de la production et des marchés qui pourraient avoir une incidence sur les ressources et le commerce halieutiques». Ce groupe comprend donc les éléments du groupe deux, outre les subventions implicites, telle que la non- facturation à l’industrie par les pouvoirs publics des externalités négatives imposées à d’autres: notamment, le coût que comporte la destruction des tortues lors des opérations de chalutage, ou le coût lié à la surpêche.

La non-récupération du coût de la gestion des pêches pourrait être incluse dans le groupe trois; toutefois, il n’y a pas eu d’accord parmi les participants à la Consultation d’experts sur le point de savoir s’il s’agissait bien de subventions. Il a été convenu que le raisonnement économique conduisait sur ce point à des conclusions ambiguës.[125]

Le groupe quatre ajoute une dimension temporelle et englobe le groupe trois avec la définition générale suivante: «les subventions du groupe quatre correspondent aux interventions des pouvoirs publics - y compris l’absence d’intervention corrective - qui ont une incidence sur les coûts/ou les revenus de la production et de la commercialisation du poisson et des produits de la pêche, à court, moyen ou long termes». Une mesure telle que la fermeture d’une pêche pour permettre aux stocks de poissons de s’accroître, dans la perspective de captures futures plus importantes et plus rentables, est un exemple de subvention du groupe quatre, mais ne figurant pas dans le groupe trois. D’après la définition générale des subventions indiquées au début du présent document, la mesure adoptée par les pouvoirs publics dans cet exemple constituerait conjointement une subvention négative à court terme (puisque les profits diminuent), mais une subvention positive à long terme (puisque les profits augmentent).

Le rapport de la Consultation de la FAO a présenté un certain nombre de problèmes et de méthodes liés à la mesure de l’impact des subventions sur les stocks de poisson, mettant en évidence le fait que les effets des subventions dépendent dans une large mesure des possibilités de contrôle de l’effort de pêche. Ce n’est pas la subvention proprement dite qui contribue à exercer la pression exercée sur les stocks de poissons, mais plutôt la modification concrète de l’effort de pêche qui résulte de la subvention. Celle-ci augmente l’incitation économique dans le sens du changement; une gestion judicieuse des pêches peut, du moins en théorie, limiter les initiatives prises en réponse à cette incitation. Il est possible, quoique difficile, de mettre en place un programme de subvention positive qui stimule les profits des entreprises de pêche, sans donner lieu à une intensification de l’effort. Pour citer à nouveau le cas d’une aide publique permettant de réduire le coût pour l’entreprise de l’acquisition d’un navire de pêche, dans l’absolu la subvention entraînerait effectivement une intensification de cet effort. Toutefois, si un système parfaitement restrictif de gestion des pêches était effectivement en place, les règles de remplacement des navires pourraient empêcher que l’acquisition des nouveaux navires augmente l’effort net exercé, ainsi que la pression sur le stock de poissons. Par conséquent, «les effets des subventions dépendront du contrôle plus ou moins effectif de l’effort de pêche»[126]. Le rapport présente également les problèmes et les méthodes de mesure de l’impact des subventions sur le commerce. Dans un cas comme dans l’autre - l’effet des subventions sur la durabilité des pêches d’une part et sur le commerce d’autre part - la Consultation a convenu de la limitation des connaissances actuelles quant à l’ampleur des effets en question et par ailleurs, de la nécessité d’approfondir les recherches dans ce sens.

En ce qui concerne le commerce et la durabilité, la Consultation a conclu que «au sens large... les subventions ont une incidence sur le commerce, lorsqu’elles ont un impact sur le volume des produits de la pêche exportés à travers les frontières internationales...» mais que «plus concrètement... les experts ont supposé que le Comité des pêches de la FAO s’intéressait avant tout à l’état des connaissances concernant [le rôle des subventions], que ce soit par le biais d’une augmentation des exportations, ou d’une modification du volume des importations»[127].

Les pouvoirs de coercition des commissions internationales des pêches sont limités. C’est précisément cette limitation qui fut à l’origine de l’extension, il y a un quart de siècle, à 200 milles du littoral, de la limite de la zone exclusive des pêches des états côtiers. De manière analogue, l’efficacité décevante des accords existants visant à protéger les stocks chevauchants et les espèces de poissons grands migrateurs, a conduit à l’adoption de la Convention de 1995 dans ce domaine. Le fait d’associer les subventions à la durabilité, représente par conséquent une tentative intéressante, qui si elle est menée correctement à bien, devrait indiquer aux pays les mesures à prendre pour protéger les stocks et, accompagnée d’une publicité adéquate, peut inciter les pays à adopter par amour propre des politiques et des mesures pertinentes. Néanmoins, sauf modification de la législation internationale de façon à permettre des mesures internationales de mise en œuvre effective des principes de durabilité, la seule connaissance du lien entre subvention et durabilité n’aura aucun impact sur la réalité, à moins que les états concernés ne conviennent de leur propre initiative de retirer les subventions ayant une incidence négative sur les populations de poissons. Puisque selon toute vraisemblance les subventions ont été introduites pour une raison précise, il est sans doute politiquement délicat de les supprimer, bien que certains pays, en particulier la Nouvelle- Zélande, l’Australie et la Norvège, se soient engagés dans ce sens.

Par ailleurs, le lien entre subventions et commerce est différent du lien entre subventions et durabilité. L’Organisation mondiale du commerce détient des pouvoirs coercitifs et ses dispositions réglementaires sont exécutoires. C’est la raison pour laquelle les effets des subventions sur le commerce ont suscité un intérêt privilégié, plutôt que leurs effets en termes de durabilité. Cet intérêt privilégié remonte loin en arrière, comme en témoigne par exemple la série d’études réalisées par l’administration du commerce international des Etats-Unis et la Commission du commerce international sur les droits compensatoires relatifs aux pêches, appliqués en vertu du GATT. Ces instances ont élaboré des méthodes de détermination de l’effet des subventions sur les prix et du degré de préjudice matériel pour l’industrie nationale.

Pour en savoir davantage sur l’incidence potentielle des subventions aux pêches sur le commerce international, le Groupe de travail sur les pêches des pays de la CEAP ont chargé PricewaterhouseCoopers International Limited d’étudier les subventions aux pêches dans leur région. L’étude ainsi réalisée[128] contient un catalogue de ce type d’aide qui compte parmi les meilleurs de tous ceux disponibles à ce jour pour son niveau d’élaboration, de quantification et de classification. En dépit de l’intérêt privilégié pour les questions commerciales, les auteurs présentent une interprétation générale des subventions. Les coûts de gestion des pêches, comme nous l’avons vu, ne sont pas en général considérés en tant que subvention. Ils figurent néanmoins au titre des «subventions» recensées dans le catalogue de l’étude Pricewaterhouse.

Le catalogue de Pricewaterhouse ne retient pas cependant les subventions sans implication budgétaire pour les pouvoirs publics. Il englobe par contre aussi bien les subventions inscrites au budget par exemple, les transferts directs au profit des pêcheurs, la création d’infrastructures, et l’aide aux investissements, ainsi que les mesures de soutien du marché et des prix, de même que des subventions non budgétisées telles que garanties de prêt et les avantages fiscaux. Les limitation d’accès aux pêches sont exclues, bien que le coût pour les pouvoirs publics d’élaboration de la politique et de l’octroi de licences d’accès restreint soit pris en compte. Ils envisagent par ailleurs de façon quantitative de quelle façon les subventions peuvent avoir tendance à affecter positivement ou négativement la durabilité de la pêche.

D’un point de vue au moins, l’étude Pricewaterhouse est restreinte par les règles de l’OMC. Elle considère en effet exclusivement des subventions axées sur le secteur des pêches et fait abstraction de subventions plus générales, lesquelles ne sont pas prises en considération du point de vue des droits compensatoires prévus aux termes de l’Accord de l’OMC sur les subventions et les mesures compensatoires, puisqu’elles ne concernent pas «spécifiquement» les pêches; elle dresse néanmoins un recensement très vaste. Pour le Canada, par exemple, l’étude inclut le programme d’assurance chômage des pêcheurs, programme comme nous l’avons vu, considéré par les Etats-Unis, comme faisant partie d’un programme plus général, et non en tant que subvention propre aux pêches et à ce titre ne pouvant faire l’objet de droits compensatoires. De manière encore plus générale, certains programmes de création d’infrastructures pris en compte dans le catalogue, par exemple la création de ports et d’infrastructures portuaires, affectent d’autres industries aussi bien que la pêche.

En définitive, l’étude Pricewaterhouse a déterminé un coût annuel des subventions de 12,6 milliards de dollars EU pour les gouvernements du groupe CEAP, après avoir établi une classification suivant six «modalités de fonctionnement»: aide directe aux pêcheurs et aux travailleurs de la pêche; programmes de soutien aux prêts; programmes d’avantages fiscaux et d’aide en matière d’assurance; programmes d’aide sous forme de capitaux et de création d’infrastructures; programmes d’aide en matière de commercialisation et de fixation des prix; programmes de gestion et de protection des pêches. Les pays représentés dans cette étude ont à leur actif 85 pour cent de la production mondiale de fruits de mer des pêches côtières et hauturières et de l’aquaculture.

Outre le recensement effectué, l’étude Pricewaterhouse comportait une analyse des répercussions de certaines subventions sur le commerce; les travaux en question concernaient plus particulièrement les effets des programmes de rachat de navires, de droit d’accès et de mise en valeur des pêches, sur les consommateurs, sur les dépenses des pouvoirs publics, sur l’industrie de la pêche et sur les stocks de poissons.


[116] Dunnigan, op. cit.
[117] Economic Assistance to the Fishing Industry: Observations and Findings, Paris: OCDE, (1993).
[118] Inventory of Assistance Instruments in the Fishing Industry and Management Systems, Paris: OCDE, (1992).
[119] La transition vers une pêche responsable - Les implications économiques et politiques: Partie 3, Transferts financiers publics et durabilité des ressources, Paris: OCDE, (2000).
[120] Schrank, «Benefiting Fishermen...», op. cit., 70, 73.
[121] Final Affirmative Countervailing Duty Determination. (24 mars, 1986), op. cit.
[122] Schrank, «Benefiting Fishermen..»”, op. cit., 75.
[123] Suivant une opinion répandue, les banques soutenues par les pouvoirs publics et finançant les pêches aux taux du marché, indépendamment des taux d’amortissement privilégiés et du peu d’empressement général des assureurs à offrir leurs services, ne constituent pas une forme de subvention, voir Tietze, op. cit., 94, 104-5, et 141.
[124] Rapport de la Consultation d’experts sur les incitations économiques et la pêche responsable, Rome 28 novembre -1er décembre 2000, Rome: FAO Rapport sur les pêches no 638, (2000), 2-5.
[125] Cette question est traitée dans W. Schrank, R. Arnason et R. Hanneson (éd.), The Cost of Fisheries Management, Aldershot: Ashgate Publishers, (2003).
[126] Rapport de la Consultation d’experts..., op. cit., 7. Cette question est examinée brièvement dans Porter, Fisheries Subsidies and Overfishing..., op. cit., 15-16.
[127] Ibid., 11.
[128] Study into the Nature and Extent of Subsidies in the Fisheries Sector of APEC Members’ Economies, n.p.: PricewaterhouseCoopers LLP, (2000).

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