Le document intitulé «Dix ans de mutations» attribuait la crise des pêches dans une large mesure à lexistence même des subventions. Depuis la publication du rapport un certain nombre détudes importantes ont été consacrées à cette question. Nous avons déjà évoqué «Dix ans de mutations» et mentionné létude de Milazzo intitulée Subsidies in World Fisheries.
Dans son rapport de juillet 1999, au Congrès des Etats-Unis[116], le Groupe de travail spécial du Gouvernement fédéral sur les investissements dans le secteur des pêches contenait un chapitre relatif aux subventions aux pêches, passant en revue différents aspects avant de proposer la définition générale citée au début du document. Après avoir présenté des exemples des différentes catégories de subventions aux pêches et de la façon dont elles pouvaient affecter les investissements consacrés aux équipements de ce secteur, le chapitre en question faisait valoir lidée selon laquelle les subventions nont pas de valeur en elles-mêmes: elles ne sont pas nécessairement «bonnes» ou «mauvaises» en termes de répercussions sur les pêches. Chaque situation doit être examinée au cas par cas. Les subventions peuvent être «positives» si elles ont tendance à augmenter les profits, ou négatives, si, comme dans le cas des réglementations restrictives, elles entraînent une diminution des profits. Elles peuvent peser sur les finances publiques en constituant une dépense (par exemple dans le cas dun don) ou un manque à gagner (par exemple, les différentes mesures dincitation fiscale, sous forme dexonérations); sinon, elles peuvent ne rien coûter aux pouvoirs publics (comme dans le cas des contingents dimportation). Le chapitre accorde une grande importance à la nécessité de ne pas charger le terme de subvention de connotations affectives. Le fait dassimiler une absence dintervention à une subvention, doit dépendre de certains critères objectifs, raison pour laquelle le principe des effets potentiels sur les profits a été introduit dans la définition. Une intervention des pouvoirs publics, par exemple, une prime à lacquisition dun navire, jugée favorablement à une époque où le Gouvernement semployait à constituer une industrie de la pêche jusqualors peu développée, sapparente autant à une subvention quun programme du même type poursuivi au-delà dun développement de la pêche mené jusquà son terme et dune surexploitation du stock. Pour la plupart la subvention serait dans ce dernier cas une mesure fâcheuse, alors que pour nombre de personnes elle était initialement bénéfique «si seulement elle avait cessé en temps opportun». Indépendamment de son caractère bénéfique ou non, lintervention proprement dite est la même et il ny a pas lieu de la considérer pour ce quelle est dans un cas et pas dans lautre. Le chapitre de ce document présente une classification des types de subventions. Il omet cependant de présenter une tentative quelconque de mesure quantitative des subventions ou de détermination empirique de leurs effets.
LOrganisation de coopération et de développement économiques (OECD) sest intéressée explicitement à la question des subventions aux pêches, au moins depuis 1987, date à laquelle son Comité des pêcheries sest fixé pour objectif dinstaurer «la transparence sur les mesures daide économique, tant directes quindirectes, et de mettre au point un cadre analytique pour mieux comprendre lincidence de ces mesure sur lindustrie.»[117]. En 1992, lannée de la parution du document intitulé «Dix ans de mutations», lOCDE a publié un inventaire des programmes daide publique[118], puis une importante étude consacrée aux transferts financiers publics à destination des pêches, dont le titre exprimait clairement la préoccupation de lOCDE: La transition vers une pêche responsable.[119]
Le recensement en question était simplement un recensement et rien dautre. Il dressait la liste des programmes et indiquait parfois les règles de fonctionnement, mais dans la plupart des cas ne cherchait pas à quantifier les programmes, que ce soit en termes de coûts pour les pouvoirs publics ou davantages pour lindustrie.
Le document intitulé La transition vers une pêche responsable était plus ambitieux et semployait à quantifier le coût de chaque programme pour les pouvoirs publics. Le choix de lexpression «transfert financier public» visait clairement à éviter les connotations affectives associées actuellement au mot subvention et à permettre détendre les études à des notions telles que les coûts daménagement des pêches que la plupart des gouvernements nassimilent pas à des subventions. Cette approche est néanmoins limitative dans la mesure où elle laisse de côté des programmes qui ne coûtent rien aux pouvoirs publics, mais qui sont néanmoins susceptibles de constituer des subventions.
Le recours aux euphémismes est parfois très pratique. La contribution canadienne à létude susmentionnée de lOCDE (La transition vers une pêche responsable) contient un article intitulé «Fishers Unemployment Insurance» (le régime dassurance chômage des pêcheurs) question éminemment importante, définie comme une «aide spéciale au revenu, offerte aux pêcheurs indépendants et salariés». En répondant spontanément au questionnaire, le Canada aurait sans doute hésité à mentionner cette question si le terme subvention avait été utilisé. Lorsque le système dassurance chômage des pêcheurs a été instauré dans les années 1950, il avait pour objectif de compléter le revenu des pêcheurs et ce, de manière à éviter de sexposer à des droits compensatoires imposés aux exportations canadiennes imposés par les Etats-Unis, principal marché des produits canadiens dérivés de la pêche[120]. En 1985, une pétition émanant de lindustrie de la pêche de la Nouvelle-Angleterre demandait au Gouvernement des Etats-Unis dinvoquer lapplication de droits compensatoires à lencontre de certaines importations de poissons de fond frais provenant de lEst du Canada. Dans une très large mesure le succès de la pétition dépendait de la possibilité de convaincre le Gouvernement des Etats-Unis dinterpréter le système dassurance chômage des pêcheurs comme une subvention. En loccurrence, il a été décidé que le système dassurance chômage des pêcheurs faisait partie dun système général dassurance chômage et, en tant que tel, nétait pas «propre aux pêches». Il a par conséquent été exempté de lapplication des droits compensatoires prévus aux termes du GATT. Cet aspect de la pétition a donc échoué.[121]
Quel que soit le terme employé - subvention, mesure daide ou transfert financier public, on distingue au moins deux grands mécanismes de transmission qui permettent à laction des pouvoirs publics davoir une incidence sur les pêches. Le premier est lintervention susceptible davoir un impact sur le marché, de façon à conférer un avantage à lindustrie de la pêche vis-à-vis du commerce international. Les accords internationaux visant à limiter certaines de ces pratiques, par exemple les subventions directes à lexportation, ont constitué un sujet de préoccupation dinstances telles que le GATT et plus récemment, lOMC.
Le deuxième mécanisme de transmission désigne une intervention des pouvoirs publics capable dinciter lindustrie à modifier sa production, indépendamment de lincidence de ses interventions sur le commerce international. En stimulant la production dans une pêcherie pleinement exploitée ou surexploitée, laction des pouvoirs publics risque en définitive de menacer le stock de poissons. Or, limportance de cette préoccupation na été reconnue que depuis peu, en particulier depuis la publication Dix ans de mutations.
Notre préoccupation à légard des subventions tient au fait que leur existence même affecte dune façon ou daune autre le comportement de lindividu, de lentreprise ou de lindustrie. Que le terme soit employé au sens étroit ou au sens large, limportant tient à limpact de la subvention sur le comportement. Au sens large, on entend par subvention toute mesure des pouvoirs publics ayant une incidence sur les profits des entreprises. Limportant est donc limpact sur les profits et la réaction de lentreprise à la modification de ses profits. Dans le contexte des pêches, laccroissement des profits entraînera généralement un développement de lactivité du secteur et, si cet impact est suffisamment important, conduira en définitive à décimer les populations de poissons. Parmi les nombreuses justifications proposées de lextension du régime dassurance chômage aux pêcheurs dans le cas canadien cité plus haut, figurait notamment le risque de déclin de la population de pêcheurs en labsence dun tel régime dassurance chômage[122]. Au niveau des individus la mise en place du régime dassurance chômage des pêcheurs a suscité un regain dintérêt pour le métier grâce à une augmentation substantielle du revenu correspondant. Les individus se sont vraisemblablement comportés exactement comme on devait sy attendre compte tenu de lencouragement financier proposé. Du point de vue des entreprises de pêche, lassurance chômage a augmenté le revenu des pêcheurs sans entraîner pour elles de coûts notables.
Les pêches canadiennes de lAtlantique se seraient structurées très vraisemblablement de façon différente au début des années 1990 si le régime dassurance chômage navait pas incité les pêcheurs à rester dans cette branche dactivité en dépit de la diminution des captures tout au long des années 1980. Dans le contexte du commerce international, lassurance chômage des pêcheurs na pas été considérée comme une subvention; toutefois cela tient davantage au mode de rédaction des traités et des règlements et non aux effets potentiels du programme sur les pêches.
Il est parfois difficile de déterminer les effets dune subvention, et par la suite de prendre la décision subjective de les qualifier de favorables, ou de défavorables, compte tenu du climat social du moment. Le fait de limiter lanalyse aux subventions ayant une incidence sur le commerce international perd de vue la préoccupation majeure concernant les pêches. Autrement dit, la subvention a-t-elle un effet positif ou négatif sur la durabilité des pêches? En outre, linterprétation des subventions dans le contexte international comporte une certaine dose darbitraire. Si lon considère à nouveau la décision de ladministration du commerce international (ITA, International Trade Administration) concernant la pêche des poissons de fond, lITA a réexaminé le régime dassurance des navires de pêche canadiens (FVIP), régime mentionné plus haut géré par le Gouvernement fédéral, qui garantit les pêcheurs contre les pertes exceptionnelles dues aux dangers en mer, les accidents survenus lors de la manutention du chargement et les négligences du commandement, de léquipage, ou des pilotes. Daprès la décision de lITA, le régime dassurance FVIP noffrait pas de garantie à des tarifs de faveur et ne pouvait donc pas faire lobjet de mesures compensatoires. Lobjectif du programme FVIP a été interprété comme étant la fourniture dun service dassurance, lorsque les assureurs privés renonçaient à proposer leurs propres services, en raison de prix de revient excessifs. Le Gouvernement avait une infrastructure en place et navait donc pas à assumer un accroissement de dépenses. Le régime FVIP a été déclaré comme non sujet à des mesures compensatoires parce-que les tarifs appliqués par le Gouvernement étaient comparables (ou même supérieurs) aux tarifs appliqués par le secteur privé dans les cas où les assureurs privés offraient leurs services. Or, cet argument ne tient pas compte de la question essentielle, à savoir que les tarifs dassurance devraient être encore plus élevés à moins dune décision à caractère social prise par le Gouvernement de proposer un régime dassurance permettant la continuation des activités de pêche. Même si le régime dassurance assurait intégralement son autofinancement, la seule présence du Gouvernement fédéral implique une diminution du nombre de navires participant aux activités de pêche, sans une intervention des pouvoirs publics[123]. Sinon, des navires pourraient sêtre livrés à la pêche sans assurance, mais cela pourrait avoir été évité grâce à linstitution par les pouvoirs publics dun régime dassurance approprié, comme ils lont fait dans nombre de cas, pour les véhicules automobiles. Lassurance obligatoire constituerait alors une subvention négative, autrement dit, impliquerait pour lentreprise des coûts supplémentaires et pourrait avoir pour effet une diminution du nombre de navires de pêche.
De manière analogue, les garanties de prêt ne comportent pas nécessairement un coût pour les pouvoirs publics et les prêts pourraient être consentis aux taux dintérêt classiques. Ils auraient alors une incidence sur lactivité du secteur. En labsence de garantie des prêts, la pêche serait un peu moins intense, ce qui aurait des répercussions sur le niveau dexploitation du stock.
Létude de lOCDE comporte un autre inconvénient; une fois les définitions établies et les questionnaires distribués aux pays participants, ces derniers ont eu toute latitude pour déterminer les éléments qui devaient y figurer. Il est donc peu vraisemblable que les réponses ainsi obtenues soient homogènes dun pays à lautre.
Le champ de létude est suffisamment étendu pour couvrir les «services généraux», la fourniture de services de gestion, par exemple dévaluation des stocks, la fixation de contingents ou de volumes admissibles des captures, outre les activités de surveillance ou de mise en application. La plupart des pays ne considèrent pas ces activités comme une forme de subvention. Evidemment, ces dépenses ne correspondent pas non plus précisément à des transferts. Dans certaines conditions, elles pourraient néanmoins sapparenter clairement à des subventions. Si par exemple, un partenaire commercial récupérait ses coûts dévaluation du stock auprès de lindustrie de la pêche, contrairement à un deuxième partenaire commercial, le premier aurait lavantage dune réduction de ses coûts par rapport au second, tenu quant à lui de payer les coûts dévaluation encourus.
Outre lOCDE, la FAO sest intéressée depuis longtemps à la question des subventions aux pêches, au moins depuis la publication de Dix ans de mutations. En novembre 2000, la FAO a organisé une Consultation dexperts sur les incitations économiques et la pêche responsable dont le titre est encore un euphémisme désignant les subventions, thème véritable de la Consultation. Aux termes des conclusions de cette rencontre, une définition unique des subventions, si large ou si étroite soit-elle, ne pourrait que dissimuler certaines des questions pertinentes; la Consultation a donc opté pour la définition dune série de quatre «groupes» de subventions.[124]
Le premier groupe se compose des «transferts financiers des pouvoirs publics qui permettent de réduire les coûts et/ou daugmenter les revenus des producteurs à court terme». Ces transferts incluraient donc par exemple les aides à lacquisition ou à la modernisation des navires de pêche, les prestations de maintien du revenu, (garantie de ressources) et différents postes de dépenses effectives.
Le deuxième groupe de subventions correspond à «toute intervention des pouvoirs publics, quelle entraîne ou non des transferts financiers, qui réduit le coût et/ou augmente les revenus des producteurs à court terme». Ainsi, le groupe deux comprend toutes les subventions qui seraient classées dans le groupe un, auxquelles sajoutent des mesures ne comportant pas nécessairement de transferts monétaires explicites tels que des exonérations et des reports dimpôt, des régimes dassurance, des prêts, des garanties de prêts, et la fourniture de biens et de services par les pouvoirs publics à des prix inférieurs à ceux du marché. Les subventions du groupe deux sont celles dont on estime généralement quelles affectent les échanges mondiaux et relèvent des dispositions prises dans le cadre de lOMC.
Le groupe trois comprend «les subventions du groupe deux en ajoutant les profits à court terme pour les producteurs résultant de labsence dintervention ou de lintervention limitée des pouvoirs publics pour corriger les distorsions (imperfections) de la production et des marchés qui pourraient avoir une incidence sur les ressources et le commerce halieutiques». Ce groupe comprend donc les éléments du groupe deux, outre les subventions implicites, telle que la non- facturation à lindustrie par les pouvoirs publics des externalités négatives imposées à dautres: notamment, le coût que comporte la destruction des tortues lors des opérations de chalutage, ou le coût lié à la surpêche.
La non-récupération du coût de la gestion des pêches pourrait être incluse dans le groupe trois; toutefois, il ny a pas eu daccord parmi les participants à la Consultation dexperts sur le point de savoir sil sagissait bien de subventions. Il a été convenu que le raisonnement économique conduisait sur ce point à des conclusions ambiguës.[125]
Le groupe quatre ajoute une dimension temporelle et englobe le groupe trois avec la définition générale suivante: «les subventions du groupe quatre correspondent aux interventions des pouvoirs publics - y compris labsence dintervention corrective - qui ont une incidence sur les coûts/ou les revenus de la production et de la commercialisation du poisson et des produits de la pêche, à court, moyen ou long termes». Une mesure telle que la fermeture dune pêche pour permettre aux stocks de poissons de saccroître, dans la perspective de captures futures plus importantes et plus rentables, est un exemple de subvention du groupe quatre, mais ne figurant pas dans le groupe trois. Daprès la définition générale des subventions indiquées au début du présent document, la mesure adoptée par les pouvoirs publics dans cet exemple constituerait conjointement une subvention négative à court terme (puisque les profits diminuent), mais une subvention positive à long terme (puisque les profits augmentent).
Le rapport de la Consultation de la FAO a présenté un certain nombre de problèmes et de méthodes liés à la mesure de limpact des subventions sur les stocks de poisson, mettant en évidence le fait que les effets des subventions dépendent dans une large mesure des possibilités de contrôle de leffort de pêche. Ce nest pas la subvention proprement dite qui contribue à exercer la pression exercée sur les stocks de poissons, mais plutôt la modification concrète de leffort de pêche qui résulte de la subvention. Celle-ci augmente lincitation économique dans le sens du changement; une gestion judicieuse des pêches peut, du moins en théorie, limiter les initiatives prises en réponse à cette incitation. Il est possible, quoique difficile, de mettre en place un programme de subvention positive qui stimule les profits des entreprises de pêche, sans donner lieu à une intensification de leffort. Pour citer à nouveau le cas dune aide publique permettant de réduire le coût pour lentreprise de lacquisition dun navire de pêche, dans labsolu la subvention entraînerait effectivement une intensification de cet effort. Toutefois, si un système parfaitement restrictif de gestion des pêches était effectivement en place, les règles de remplacement des navires pourraient empêcher que lacquisition des nouveaux navires augmente leffort net exercé, ainsi que la pression sur le stock de poissons. Par conséquent, «les effets des subventions dépendront du contrôle plus ou moins effectif de leffort de pêche»[126]. Le rapport présente également les problèmes et les méthodes de mesure de limpact des subventions sur le commerce. Dans un cas comme dans lautre - leffet des subventions sur la durabilité des pêches dune part et sur le commerce dautre part - la Consultation a convenu de la limitation des connaissances actuelles quant à lampleur des effets en question et par ailleurs, de la nécessité dapprofondir les recherches dans ce sens.
En ce qui concerne le commerce et la durabilité, la Consultation a conclu que «au sens large... les subventions ont une incidence sur le commerce, lorsquelles ont un impact sur le volume des produits de la pêche exportés à travers les frontières internationales...» mais que «plus concrètement... les experts ont supposé que le Comité des pêches de la FAO sintéressait avant tout à létat des connaissances concernant [le rôle des subventions], que ce soit par le biais dune augmentation des exportations, ou dune modification du volume des importations»[127].
Les pouvoirs de coercition des commissions internationales des pêches sont limités. Cest précisément cette limitation qui fut à lorigine de lextension, il y a un quart de siècle, à 200 milles du littoral, de la limite de la zone exclusive des pêches des états côtiers. De manière analogue, lefficacité décevante des accords existants visant à protéger les stocks chevauchants et les espèces de poissons grands migrateurs, a conduit à ladoption de la Convention de 1995 dans ce domaine. Le fait dassocier les subventions à la durabilité, représente par conséquent une tentative intéressante, qui si elle est menée correctement à bien, devrait indiquer aux pays les mesures à prendre pour protéger les stocks et, accompagnée dune publicité adéquate, peut inciter les pays à adopter par amour propre des politiques et des mesures pertinentes. Néanmoins, sauf modification de la législation internationale de façon à permettre des mesures internationales de mise en uvre effective des principes de durabilité, la seule connaissance du lien entre subvention et durabilité naura aucun impact sur la réalité, à moins que les états concernés ne conviennent de leur propre initiative de retirer les subventions ayant une incidence négative sur les populations de poissons. Puisque selon toute vraisemblance les subventions ont été introduites pour une raison précise, il est sans doute politiquement délicat de les supprimer, bien que certains pays, en particulier la Nouvelle- Zélande, lAustralie et la Norvège, se soient engagés dans ce sens.
Par ailleurs, le lien entre subventions et commerce est différent du lien entre subventions et durabilité. LOrganisation mondiale du commerce détient des pouvoirs coercitifs et ses dispositions réglementaires sont exécutoires. Cest la raison pour laquelle les effets des subventions sur le commerce ont suscité un intérêt privilégié, plutôt que leurs effets en termes de durabilité. Cet intérêt privilégié remonte loin en arrière, comme en témoigne par exemple la série détudes réalisées par ladministration du commerce international des Etats-Unis et la Commission du commerce international sur les droits compensatoires relatifs aux pêches, appliqués en vertu du GATT. Ces instances ont élaboré des méthodes de détermination de leffet des subventions sur les prix et du degré de préjudice matériel pour lindustrie nationale.
Pour en savoir davantage sur lincidence potentielle des subventions aux pêches sur le commerce international, le Groupe de travail sur les pêches des pays de la CEAP ont chargé PricewaterhouseCoopers International Limited détudier les subventions aux pêches dans leur région. Létude ainsi réalisée[128] contient un catalogue de ce type daide qui compte parmi les meilleurs de tous ceux disponibles à ce jour pour son niveau délaboration, de quantification et de classification. En dépit de lintérêt privilégié pour les questions commerciales, les auteurs présentent une interprétation générale des subventions. Les coûts de gestion des pêches, comme nous lavons vu, ne sont pas en général considérés en tant que subvention. Ils figurent néanmoins au titre des «subventions» recensées dans le catalogue de létude Pricewaterhouse.
Le catalogue de Pricewaterhouse ne retient pas cependant les subventions sans implication budgétaire pour les pouvoirs publics. Il englobe par contre aussi bien les subventions inscrites au budget par exemple, les transferts directs au profit des pêcheurs, la création dinfrastructures, et laide aux investissements, ainsi que les mesures de soutien du marché et des prix, de même que des subventions non budgétisées telles que garanties de prêt et les avantages fiscaux. Les limitation daccès aux pêches sont exclues, bien que le coût pour les pouvoirs publics délaboration de la politique et de loctroi de licences daccès restreint soit pris en compte. Ils envisagent par ailleurs de façon quantitative de quelle façon les subventions peuvent avoir tendance à affecter positivement ou négativement la durabilité de la pêche.
Dun point de vue au moins, létude Pricewaterhouse est restreinte par les règles de lOMC. Elle considère en effet exclusivement des subventions axées sur le secteur des pêches et fait abstraction de subventions plus générales, lesquelles ne sont pas prises en considération du point de vue des droits compensatoires prévus aux termes de lAccord de lOMC sur les subventions et les mesures compensatoires, puisquelles ne concernent pas «spécifiquement» les pêches; elle dresse néanmoins un recensement très vaste. Pour le Canada, par exemple, létude inclut le programme dassurance chômage des pêcheurs, programme comme nous lavons vu, considéré par les Etats-Unis, comme faisant partie dun programme plus général, et non en tant que subvention propre aux pêches et à ce titre ne pouvant faire lobjet de droits compensatoires. De manière encore plus générale, certains programmes de création dinfrastructures pris en compte dans le catalogue, par exemple la création de ports et dinfrastructures portuaires, affectent dautres industries aussi bien que la pêche.
En définitive, létude Pricewaterhouse a déterminé un coût annuel des subventions de 12,6 milliards de dollars EU pour les gouvernements du groupe CEAP, après avoir établi une classification suivant six «modalités de fonctionnement»: aide directe aux pêcheurs et aux travailleurs de la pêche; programmes de soutien aux prêts; programmes davantages fiscaux et daide en matière dassurance; programmes daide sous forme de capitaux et de création dinfrastructures; programmes daide en matière de commercialisation et de fixation des prix; programmes de gestion et de protection des pêches. Les pays représentés dans cette étude ont à leur actif 85 pour cent de la production mondiale de fruits de mer des pêches côtières et hauturières et de laquaculture.
Outre le recensement effectué, létude Pricewaterhouse comportait une analyse des répercussions de certaines subventions sur le commerce; les travaux en question concernaient plus particulièrement les effets des programmes de rachat de navires, de droit daccès et de mise en valeur des pêches, sur les consommateurs, sur les dépenses des pouvoirs publics, sur lindustrie de la pêche et sur les stocks de poissons.
[116] Dunnigan, op.
cit. [117] Economic Assistance to the Fishing Industry: Observations and Findings, Paris: OCDE, (1993). [118] Inventory of Assistance Instruments in the Fishing Industry and Management Systems, Paris: OCDE, (1992). [119] La transition vers une pêche responsable - Les implications économiques et politiques: Partie 3, Transferts financiers publics et durabilité des ressources, Paris: OCDE, (2000). [120] Schrank, «Benefiting Fishermen...», op. cit., 70, 73. [121] Final Affirmative Countervailing Duty Determination. (24 mars, 1986), op. cit. [122] Schrank, «Benefiting Fishermen..», op. cit., 75. [123] Suivant une opinion répandue, les banques soutenues par les pouvoirs publics et finançant les pêches aux taux du marché, indépendamment des taux damortissement privilégiés et du peu dempressement général des assureurs à offrir leurs services, ne constituent pas une forme de subvention, voir Tietze, op. cit., 94, 104-5, et 141. [124] Rapport de la Consultation dexperts sur les incitations économiques et la pêche responsable, Rome 28 novembre -1er décembre 2000, Rome: FAO Rapport sur les pêches no 638, (2000), 2-5. [125] Cette question est traitée dans W. Schrank, R. Arnason et R. Hanneson (éd.), The Cost of Fisheries Management, Aldershot: Ashgate Publishers, (2003). [126] Rapport de la Consultation dexperts..., op. cit., 7. Cette question est examinée brièvement dans Porter, Fisheries Subsidies and Overfishing..., op. cit., 15-16. [127] Ibid., 11. [128] Study into the Nature and Extent of Subsidies in the Fisheries Sector of APEC Members Economies, n.p.: PricewaterhouseCoopers LLP, (2000). |