Page précédente Table des matières Page suivante


ANNEXE 1 Relation entre les subventions et leurs effets


Examinons en premier lieu la façon de déterminer l’incidence d’une subvention aux pêches sur l’importance du stock de poissons. Le problème consiste à déterminer l’ampleur de la pression (la subvention) exercée sur le système (la pêcherie) et à suivre les effets de cette pression dans tout le système, jusqu’au moment où elle affecte la population de poissons. Le processus décisionnel se déroulerait selon le schéma suivant:

A. Spécification du programme
B. Mise en oeuvre du programme
C. Impulsion reçue par l’entreprise
D. Réaction de l’entreprise à cette incitation
E. Effet sur les stocks de poissons de la réaction de l’entreprise à l’impulsion reçue

Considérons le cas du Fonds de construction de biens d’équipement des Etats-Unis (CCF, Capital Construction Fund) précédemment décrit. L’étape A du processus décisionnel implique la spécification des conditions que doit remplir une entreprise pour bénéficier du programme CCF et l’étape B implique la connaissance du niveau d’utilisation du programme. L’impulsion, à l’étape C est double et intervient à deux moments distincts. Au moment de la signature du contrat entre le pêcheur et les pouvoirs publics, le fonds est constitué. Le pêcheur sait qu’une fois placée dans le fonds CCF, une fraction quelconque de son revenu de la pêche peut être exempté d’impôt sur le revenu: décide-t-il alors de développer ses biens d’équipement (c’est-à-dire de développer ses activités de pêche)? Si tel est le cas, les profits susceptibles d’en résulter peuvent être exemptés d’impôts s’ils sont placés dans le fond. Si, à l’étape D nous supposons que le pêcheur développe ses activités à la suite de l’impulsion ainsi reçue, la prochaine question s’énonce comme suit: le pêcheur répond-il aux conditions du contrat conclu avec les pouvoirs publics et quand fait-il l’acquisition du nouveau navire? L’entreprise réagit par conséquent à une double impulsion: premièrement, elle développe sa flottille en réponse à l’impulsion, anticipant ainsi un accroissement des profits qui lui permettraient de déposer de nouvelles sommes dans le fonds d’équipement CCF; et deuxièmement, la firme utilise par la suite les montant déposés dans le fonds d’équipement pour acheter un nouveau navire ou moderniser l’ancien. Il se pose alors la question importante de savoir dans quelle proportion la flottille (ou plus précisément sa capacité de capture) augmente en réponse à chaque impulsion financière du fonds d’équipement. Une autre question encore plus essentielle est de savoir dans quelle proportion l’effort de pêche augmente, puisque les captures dépendent directement non de la capacité des navires, mais de l’effort de pêche[165]. Une fois réalisé l’accroissement de la flottille de pêche, la question suivante qui se pose à l’étape E est: «quel est l’effet de l’accroissement de la flottille sur la population de poissons»?

Chacune des subventions identifiées doit faire l’objet de ce type d’analyse en plusieurs étapes, allant de A à E. Cette analyse générique est applicable à n’importe quel type de subvention, indépendamment de la définition qui en est donnée. Si l’on adopte une définition assez générale, alors par exemple un programme général de crédit d’impôt à l’investissement (applicable à tous les secteurs) équivaudrait à une subvention, mais sortirait clairement du domaine de compétence de l’OMC. Il n’y a pas de différence essentielle dans la nature de l’analyse des effets de la subvention, qu’il s’agisse d’un crédit d’impôt à l’investissement, ou du fonds d’équipement CCF, d’une réglementation de limitation de la pêche ou de toute autre forme d’intervention. Bien que nous nous soyons intéressés principalement aux effets des subventions sur la durabilité des pêches, des arguments analogues pourraient être avancés quant aux effets des subventions sur le commerce international.

Parmi les méthodes de détermination de l’effet des subventions sur la durabilité, telles qu’elles ont été proposées par la Consultation d’experts de la FAO à la fin de 2000, il y avait des modèles qualitatifs simples et des estimations économétriques. Les consultants n’en ont pas donné une description détaillée.

Les modèles qualitatifs simples sont ceux dont les exigences sont les plus réduites en termes d’analyse et de quantité de données précises. C’est la raison pour laquelle, en dépit du caractère inévitablement assez approximatif des résultats obtenus, cette approche sera généralement suivie en l’absence de projets à long terme dotés d’un financement adéquat. Comme en témoigne le rapport de Milazzo, l’étude CEAP (PricewaterhouseCoopers) et l’analyse par l’OCDE des transferts financiers publics, le bon déroulement des deux premières étapes sur les cinq du processus décisionnel exige au moins qu’il s’agisse d’un projet important. Et puisque pour ces deux premières étapes les données brutes sont au moins théoriquement disponibles, leur bon déroulement est la partie la plus facile du projet. Cela ne signifie nullement qu’il ne faille pas à cet effet une diligence extrême, une énergie considérable, beaucoup de temps et un financement adéquat.

Considérons à nouveau l’exemple du fonds d’équipement CCF. Nous connaissons ou devrions être en mesure de déterminer la justification d’un programme, les montants déposés chaque année dans le fonds en question, et les montants retirés en cas de conclusion d’un contrat de construction ou de modification d’un navire. Cela correspond aux deux premières étapes.

La troisième étape est simple et formelle: la construction des navires constitue une impulsion. Il existe cependant des impulsions contraires, dans la mesure où l’accès à certaines pêcheries est interdit aux nouveaux navires, ce qui signifie à toutes fins utiles que l’utilisation du fonds d’équipement ne permet pas à l’entreprise de gagner de l’argent. Cette contrainte devrait être prise en compte dans toute évaluation du programme CCF.

Les étapes restantes posent trois questions essentielles: quelle capacité supplémentaire le programme CCF ajoute-t-il chaque année aux flottilles de pêche américaines; quelle est l’augmentation de l’effort de pêche et quel est l’impact de cet accroissement sur les stocks de poisson.

Les dossiers des pouvoirs publics devraient permettre de répondre à la première question. Vraisemblablement, lorsqu’une entreprise souhaite retirer des fonds du CCF pour acheter ou rénover un navire de pêche, les pouvoirs publics en sont informés. En cas de modification du navire, ils doivent connaître la nature des modifications réalisées, ne serait-ce que pour établir si elles sont conformes aux conditions du contrat initial. En cas de remplacement d’un navire, il faut déterminer l’accroissement net de la capacité de pêche et il doit être possible de l’évaluer.

L’étude des livres de bord du navire doit permettre de répondre à la deuxième question. Dans quelle proportion l’effort de pêche a-t-il été modifié? En l’absence d’une modélisation économétrique appropriée, il faudrait formuler un certain nombre de grandes hypothèses générales pour déterminer a priori la modification prévue de l’effort de pêche.

La dernière question, qui correspond à l’étape E dépend de l’état du stock de poissons qui doit être exploité au moyen du nouveau navire ou du navire modifié. Puisque les navires peuvent se déplacer d’une pêcherie à une autre, il faut faire des hypothèses quant au choix de la pêcherie où le navire doit opérer. Une loi d’évolution dynamique de la population peut ensuite indiquer quelle part du stock de poisson sera capturée. Le croisement de ces données avec d’autres informations devrait permettre d’apprécier l’effet de la subvention sur la durabilité du stock.

Arnason[166] a mis au point un modèle théorique générique susceptible d’être adapté en vue de son application à l’approche ci-dessus. Son analyse porte sur les profits: les changements introduits dans les profits résultant du programme des pouvoirs publics et la réaction de l’entreprise à la modification des profits. Les profits sont définis en termes économiques, de sorte que les coûts, non seulement les débours explicites, mais aussi les coûts de substitution (au-delà des débours explicites) pour l’entreprise qui récolte le poisson[167]. Les profits escomptés représentent l’impulsion dans le sens d’une modification de l’effort de pêche[168]. Il existe des interactions entre les modifications de l’effort de pêche et celles des populations de poissons. Nous avons en fait décrit les cinq étapes de notre processus décisionnel.

Les relations utilisées par Arnason sont les suivantes:

A. Détermination des captures en fonction de l’effort de pêche appliqué à un stock de poissons.

B. Détermination des «débours», d’après l’effort de pêche.

C. Détermination des revenus en fonction des captures.

D. Détermination des profits escomptés en fonction de l’effort de pêche.

E. Détermination des populations de poissons d’après leur taux d’accroissement naturel, déduction faite des captures.

F. Détermination des profits sur la base des revenus, déduction faite des débours et des coûts de substitution qui sont tous liés au niveau des subventions.

Le modèle peut être réduit à trois fonctions: profits, modification de l’effort de pêche et modification de la population de poissons. Arnason n’établit aucune estimation statistique, mais suppose pour les paramètres des valeurs dites «raisonnables» (notamment les prix et les coûts unitaires) et dégage des conclusions concernant les effets des subventions.

Il est possible de préciser l’approche suivie par Arnason et de la transformer en un modèle économétrique impliquant la définition d’une série de relations qui rendent compte de chaque aspect de la pêche. La problématique d’un économiste est généralement axée sur les élasticités et la sensibilité des réactions aux impulsions. En principe, il est parfois évident qu’une réaction particulière se produit lorsque le système économique est soumis à une certaine pression. Il reste toutefois à savoir si la réponse est relativement forte, substantielle, importante, ou si elle est faible, négligeable et insignifiante. Il est possible de faire l’hypothèse de valeurs plausibles, bien que les choses plausibles d’une part, et exactes d’autre part, puissent être radicalement différentes. Réalisée correctement sur la base de données adéquates, l’estimation économétrique permet d’évaluer la nature de la réaction. Un modèle de ce type serait certes plus important que celui d’Arnason et il faudrait recourir à des estimations statistiques pour déterminer la plupart des paramètres. Si l’estimation statistique s’avère impossible, des valeurs pourraient être attribuées d’après les historiques de données. Bien qu’il exige beaucoup de données, le modèle pourrait fournir des descriptions satisfaisantes de la pêcherie étudiée et servir à simuler les effets sur la pêcherie de différentes impulsions ou programmes de subventions[169].

Un modèle économétrique intégré des pêches devrait inclure la représentation d’un secteur de commercialisation (essentiellement un modèle de demande pour les produits de cette pêcherie), un secteur de la transformation (indiquant la répartition des parts entre les différents facteurs et la rentabilité compte tenu de la structure de coûts et de revenus de l’industrie) et un secteur de la capture (indiquant les relations entre effort de pêche et captures, comme niveau de capture et population de poissons[170]. Certaines subventions ont simplement pour effet d’augmenter ou de diminuer les revenus ou les coûts et leur intégration aux fonctions de coûts et de revenus ne pose pas de difficulté. D’autres subventions, comme les droits de douane, les quotas d’importation, les programmes de rachat de navires et les réglementations de limitation de la pêche pour citer simplement quelques-unes, sont plus difficilement intégrables au modèle, ce qui est néanmoins possible avec un peu d’astuce. Puisque l’effet net d’une subvention en termes de durabilité correspond à l’effet de la subvention déduction faite de l’effet limitatif d’une gestion efficace des pêches, le modèle devrait également intégrer les effets et les coûts de la gestion des pêches.

Des travaux similaires de modélisation peuvent servir à évaluer les effets des subventions aux pêches sur le commerce international et la croissance économique.


[165] Il importe de distinguer capacité des navires et effort de pêche. Il existe une capacité inutilisée ou latente. Un des arguments exprimés à l’encontre des programmes de rachats de navires tient au fait qu’ils tendent à retirer l’effort latent de la pêcherie. Puisque ces navires ne sont pas utilisés à l’intérieur de ladite pêcherie, ou ne sont utilisée que marginalement, le fait de les retirer de la pêcherie n’introduit aucune amélioration de la situation du stock de poisson.
[166] Arnason, «Fisheries Subsidies, Overcapitalization...», op. cit.
[167] Le coût de substitution par exemple dans une pêcherie comportant des contingents individuels transférables (CIT) serait le prix du marché d’une unité de quota (Arnason, 29).
[168] Le modèle d’Arnason est défini en termes mathématiques dans un temps continu. Dans cette description littérale du modèle nous l’adaptons à nos besoins.
[169] Porter, Fisheries Subsidies and Overfishing... op. cit., 24. Cet auteur déclare sans en donner la raison que ce type de technique serait inadéquate dans le cas de pêcheries surexploitées dont l’étude exigerait l’élaboration d’autres moyens non précisés. L’auteur n’explique pas la raison de cette impossibilité.
[170] Un exemple de modèle intégré dans lequel ne figurent cependant pas les subventions est indiqué dans W.E. Schrank, N. Roy et E. Tsoa, «Employment Prospects in a Commercially Viable Newfoundland Fishery: An Application of ‘An Econometric Model of the Newfoundland Groundfishery’,» Marine Resource Economics, III, (1986), 237-263.

Page précédente Début de page Page suivante