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Des saules pour l’énergie et la phytoremédiation en Suède

I. Dimitriou et P. Aronsson

Ioannis Dimitriou et Pär Aronsson travaillent auprès du Department of Short-Rotation Forestry, Université suédoise des sciences agricoles, Uppsala (Suède).

Le taillis à courte révolution du saule est pratiqué non seulement pour produire de la biomasse à des fins énergétiques, mais aussi pour traiter les déchets par l’absorption des polluants du sol et de l’eau.

Le taillis à courte révolution du saule est pratiqué en Suède pour produire de la biomasse à des fins énergétiques. Les essences font l’objet d’une production commerciale, principalement sur des terres agricoles, et la biomasse qui en est tirée alimente les installations locales de chauffage pour la production combinée de chaleur et d’électricité.

Ces dernières années, des déchets riches en éléments nutritifs – notamment les eaux usées urbaines, les lixiviats des sites de décharge, les eaux usées industrielles (les ruissellements des dépôts de grumes, par exemple), les boues d’épuration et les cendres de bois – ont été appliqués avec succès aux taillis de saules pour réduire, grâce à leur absorption par les plantes, la teneur en polluants et/ou l’excès d’éléments nutritifs des eaux et des sols, et pour faciliter la dégradation microbienne des polluants organiques. Ce procédé est connu sous le nom de phytoremédiation.

Les avantages de telles pratiques sont d’ordre à la fois environnemental et économique: cette méthode de traitement des déchets (qui peuvent être considérés ici davantage comme des ressources que comme des rebuts) est plus rentable que les traitements traditionnels, et les éléments nutritifs contenus dans les déchets servent d’engrais à faible coût pour accroître la production de biomasse. Le présent article offre un aperçu et des exemples de l’utilisation du taillis à courte révolution du saule dans les systèmes de phytoremédiation pour le traitement de différents types de déchets en Suède.


LA CULTURE DU SAULE POUR LA PRODUCTION DE BIOMASSE

La culture du saule en régime de taillis à courte révolution a été introduite en Suède après la crise du pétrole dans les années 70, en vue de remplacer les combustibles fossiles par de nouvelles sources d’énergie. D’après une recherche approfondie visant à identifier les essences à croissance rapide pouvant être cultivées intensivement pour la production d’énergie, les saules établis en régime de taillis étaient les plus adaptés (Sirén, Sennerby-Forsse et Ledin, 1987). On estimait que l’utilisation des éléments nutritifs et la gestion des peuplements étaient plus rentables avec le saule qu’avec d’autres espèces ligneuses, et le taillis à courte révolution du saule s’est avéré un moyen rationnel de produire des combustibles exempts d’anhydride carbonique, puisque le brûlage de la biomasse aurait dégagé dans l’atmosphère l’anhydride carbonique que les plantes avaient absorbé dans l’air.

A l’heure actuelle, environ 16 000 ha de saules sont plantés en Suède dans des systèmes de taillis à courte révolution, consistant principalement en clones et hybrides de Salix viminalis, S. dasyclados et S. schwerinii.

La culture du saule est entièrement mécanisée, depuis la plantation jusqu’à la récolte. Initialement, quelque 15 000 boutures par hectare sont plantées en doubles rangées pour faciliter le sarclage, l’application d’engrais et la récolte. On a appliqué normalement des engrais inorganiques traditionnels au cours des années suivant la plantation. Les saules sont exploités tous les trois à cinq ans, pendant l’hiver lorsque le sol est gelé, à l’aide de machines conçues expressément. La biomasse aérienne est mise en copeaux sur place, puis emmagasinée ou brûlée directement dans des installations de chauffage et d’électricité.

Après la récolte, les plantes rejettent vigoureusement de souche et il n’est donc pas nécessaire de replanter. La durée de vie économique estimée d’un peuplement de saules en régime de taillis à courte révolution va de 20 à 25 ans.

Aujourd’hui, la production de biomasse des saules établis à des fins commerciales en Suède est comprise entre 6 et 12 tonnes par hectare et par an; elle dépend fortement des conditions du site.

Les taillis à courte révolution du saule sont exploités tous les trois à cinq ans, pendant l’hiver quand le sol est gelé, à l’aide de machines conçues expressément
P. ARONSSON

EXEMPLES DE SYSTÈMES DE PHYTOREMÉDIATION À GRANDE ÉCHELLE EN SUÈDE


Eaux usées urbaines

Les eaux usées urbaines contiennent de l’azote et du phosphore et, dans la plupart des cas, représentent une solution nutritive bien équilibrée, qui peut être utilisée dans les usines d’engrais. Toutefois, pour des raisons d’hygiène, elles ne conviennent que pour des cultures non alimentaires et non fourragères, comme les saules en régime de taillis à courte révolution.

Pendant les années 90, de grandes plantations de saules dotées de systèmes d’irrigation au goutte à goutte ou par aspersion ont été établies à proximité d’usines de traitement des eaux usées pour améliorer l’efficacité du traitement de l’azote, tout en produisant de la biomasse irriguée à l’aide de ces eaux. On estimait que si la production de biomasse atteignait 10 tonnes de matière sèche par hectare, et que la concentration d’azote dans les pousses de saule était de 0,5 pour cent, on aurait éliminé des champs 50 kg d’azote par hectare chaque année au moment de la récolte. Toutefois, les résultats de la recherche ont montré que la rétention d’azote dans les taillis à courte révolution des saules peut dépasser 200 kg d’azote par hectare et par an, en raison de la dénitrification (c'est-a-dire la transformation microbienne du nitrate en azote gazeux) et de l’accumulation à long terme de l’azote dans le sol (Aronsson et Perttu, 2001).

A Enköping, une ville d’environ 20 000 habitants dans le centre de la Suède, un système novateur a été introduit. Les eaux usées riches en azote provenant de la déshydratation des boues, qui jadis étaient traitées dans l’usine, sont maintenant répandues sur une plantation adjacente de saules de 75 ha pendant la saison de végétation. Ces eaux contiennent environ 800 mg d’azote par litre et représentent quelque 25 pour cent de l’azote total entrant dans l’usine de traitement des eaux usées. Les eaux sont pompées dans des bassins de stockage revêtus pendant l’hiver, et utilisées pour irriguer les saules pendant l’été (de mai à septembre). Le système a été conçu de manière à pouvoir appliquer les eaux traitées selon les méthodes traditionnelles pour stimuler la croissance des plantes. Les saules sont irrigués pendant environ 120 jours chaque année.

Le système permet de traiter quelque 11 tonnes d’azote et 0,2 tonne de phosphore par an dans un volume d’eaux usées d’irrigation de 200 000 m3, dont 20 000 proviennent de la déshydratation des boues après décantation et centrifugation. L’irrigation cesse automatiquement pendant les journées pluvieuses. Les taux d’irrigation atteignent une moyenne journalière de 2,5 mm environ pendant la saison de végétation.

Les dangers écologiques éventuels pouvant découler de ces applications, comme le lessivage de l’azote et les émissions d’oxyde nitreux (N2O) dans l’atmosphère, sont surveillés; les résultats ont indiqué jusqu’ici que les risques liés à l’application des eaux usées sont minimaux.


Les lixiviats des sites de décharge

Les lixiviats des sites de décharge (l’eau qui a filtré à travers les sites de décharge) sont normalement traités en même temps que les eaux usées urbaines dans les usines de traitement des eaux usées. Cette opération est généralement coûteuse et comporte une forte consommation d’énergie, car les lixiviats doivent être acheminés vers l’usine de traitement. C’est pourquoi les opérateurs des décharges sont de plus en plus attirés par des solutions de rechange, prévoyant le traitement sur place des lixiviats. Une méthode consisterait à aérer les eaux et à les utiliser ensuite pour irriguer les saules, soit sur des parties restaurées des sites de décharge soit sur des champs agricoles adjacents. L’objectif est de favoriser la croissance des plantes et de réduire au minimum les effets potentiellement négatifs de la force ionique normalement élevée des lixiviats des décharges, qui ont souvent des teneurs en chlorures de l’ordre de 1 000 mm par litre. Le principal avantage de cette technique réside dans la faiblesse des coûts d’établissement par rapport aux systèmes traditionnels appliqués sur place.

Une plantation de saules établie pour la remise en état d’une décharge diminue la formation de lixiviats grâce à l’évapotranspiration élevée. Une libération nette proche de zéro des lixiviats des décharges peut être obtenue en recyclant ces eaux usées dans une plantation de saules en régime de taillis à courte révolution, même dans les conditions d’humidité qui règnent en Europe du Nord. Simultanément, les composés dangereux des lixiviats (ammonium et une panoplie de substances organiques persistantes et potentiellement toxiques) sont absorbés par les saules ou retenus dans le système sol-végétaux. Une forte concentration d’ions d’ammonium dans l’eau est un danger environnemental mais, attentivement surveillé, l’ammonium peut également être considéré comme une source d’azote pour les saules.

A l’heure actuelle, il existe en Suède environ 20 sites où les lixiviats des décharges sont utilisés pour irriguer des taillis de saules à courte révolution dans des champs irrigués au goutte à goutte ou par aspersion. C’est ainsi qu’à Högbytorp, dans le centre de la Suède, au titre d’un système géré par la société Ragnsells Avfallsbehandling AB, les lixiviats des décharges sont emmagasinés et aérés dans des bassins et répandus ensuite sur un champ de 5 ha de saules en régime de taillis à courte révolution, qui est irrigué quotidiennement pendant la saison de végétation avec 2 ou 3 mm d’eaux usées.

Dans la conception et la gestion des systèmes de traitement des lixiviats comportant l’irrigation de taillis de saules à courte révolution, il convient de tenir compte des différences dans la composition des lixiviats qui proviennent de diverses décharges aux conditions pédologiques et climatiques variables, ainsi que des niveaux d’absorption des produits chimiques par différents matériels clonaux de saule.

Le système de phytoremédiation de 75 ha formé de saules à Enköping, dans le centre de la Suède: une usine de traitement des eaux usées (au premier plan), des bassins de stockage hivernal des eaux usées (au fond) et des plantations de saules irriguées à l’aide des eaux usées provenant des boues d’épuration
P. ARONSSON

Vue aérienne de la décharge de Högbytorp, dans le centre de la Suède, gérée par Ragnsells Avfallsbehandling AB: les lixiviats de la décharge sont aérés dans des bassins d’aération et utilisés pour irriguer des plantations de saules adjacentes pendant l’été
RAGNSELLS AVFALLSBEHANDLING AB

Un champ de saules en taillis à Heby, dans le centre de la Suède, irrigué par les eaux de ruissellement du dépôt de grumes d’une scierie adjacente
P. ARONSSON

Les ruissellements des dépôts de grumes

Dans les scieries et les usines de pâte en Suède, le bois entreposé est arrosé d’eau en été pour le protéger contre les insectes et les champignons, et contre les fissures qui se forment lorsque le bois se dessèche. L’eau qui ruisselle contient une gamme de composés organiques provenant de l’écorce de l’arbre, ainsi que des quantités considérables de phosphore issues tant de l’écorce que des particules de sol adhérant aux grumes ou aux pneus des grumiers. Une scierie de taille moyenne en Suède consomme environ 100 000 m3 d’eau par an pour arroser le bois entreposé; il s’agit donc d’importantes quantités d’eaux de ruissellement qui exigent un traitement. En outre, les eaux usées coulant des dépôts de grumes après la pluie ou la fonte des neiges peuvent polluer les bassins versants voisins ou les eaux souterraines, si elles ne sont pas recueilles et traitées. Jusqu’à tout récemment, dans la plupart des cas on versait ces eaux dans les rivières ou les lacs.

Le contenu des eaux usées dépend du bois stocké et des conditions d’entreposage. Les principaux problèmes environnementaux sont causés par les acides phénoliques, le carbone organique total, les métaux lourds et des concentrations croissantes de phosphore.

A la scierie de Heby, dans le centre de la Suède, 60 000 m3 environ d’eaux de ruissellement provenant des dépôts sont recyclés chaque année dans un champ de 1 ha de saules en régime de taillis à courte révolution. Le champ, irrigué par aspersion pendant la saison de végétation, reçoit de 4 000 à 4 500 mm par an (de 33 à 38 mm par jour pour 120 jours d’irrigation). Ce volume est très élevé comparé aux quantités d’eaux usées urbaines et aux lixiviats des décharges traités.

Les eaux de ruissellement provenant de la scierie de Heby ont une cote de danger relativement basse, avec de très faibles concentrations d’azote, mais elles contiennent de grandes quantités de composés organiques et de phosphore. Les essais ont montré qu’après l’application de ces eaux aux saules, en régime de taillis à courte rotation, le carbone organique total et les composés phénoliques présents dans l’eau souterraine diminuent (encore que les composés phénoliques ne semblent pas poser de problèmes en raison de la faiblesse des concentrations initiales) (Jonsson, 2004). En outre, ni la croissance des saules ni les bassins d’eau adjacents ne paraissaient avoir souffert des volumes élevés de phosphore et de carbone organique total. Toutefois, les très grandes quantités d’eaux usées saturent le sol, ce qui réduit la croissance des saules. La réduction de 10 à 20 mm par jour du volume d’irrigation total paraissait améliorer tant la vigueur des végétaux que l’efficacité de l’absorption des éléments nutritifs, puisqu’elle impliquait un traitement sur une plus longue période.


Boues d’épuration et cendres de bois

Environ 10 000 ha de plantations de saules en régime de taillis à courte révolution ont été fertilisés à l’aide de boues d’épuration. Ces boues ne constituent pas un engrais équilibré sous l’angle des éléments nutritifs puisqu’elles contiennent un peu d’azote (essentiellement lié par une fonction organique) et des quantités élevées de phosphore, mais très peu de potassium. C’est pourquoi, des mélanges de boues et de cendres sont appliqués aux saules lorsque les cendres de bois sont disponibles. Cet engrais mieux équilibré remplace la fertilisation inorganique traditionnelle.

On part du principe que les effets négatifs des métaux lourds et du phosphore présents dans les mélanges de boues et de cendres devraient être minimisés par l’absorption des végétaux et la rétention dans le système sol-végétaux. Lors de la récolte, les parties des pousses contenant des métaux lourds sont éliminées du système et brûlées, et ce matériel est partiellement recyclé par l’application des cendres aux peuplements de saules en taillis. Seules les cendres qui demeurent au fond de la chaudière sont distribuées, puisqu’elles ont une teneur en métaux lourds plus faible que les cendres volantes (qui tombent dans les filtres de la cheminée).

Les mélanges de boues et de cendres sont appliqués aux peuplements de saules pendant le stade de l’établissement et après chaque récolte – autrement dit, tous les trois à sept ans –, afin de compenser l’élimination des éléments nutritifs par l’exploitation. En pratique, la quantité appliquée est comprise entre 22 et 35 kg de phosphore par hectare et par an (Naturvårdsverket, 1994).

Les métaux lourds présents dans le système sol-végétaux après l’application des mélanges de boues et de cendres sont contenus dans les limites permises, et les concentrations totales de cadmium, qui est considéré comme l’un des métaux les plus dangereux pour la santé humaine, sont réduites (Klang-Westin et Eriksson, 2003). Lorsque la biomasse est brûlée, le cadmium et les autres métaux lourds resteront dans les différentes fractions des cendres et devront faire l’objet d’une attention ultérieure pour éviter qu’ils ne retournent dans les terres agricoles. Il est techniquement assez facile d’éliminer les métaux lourds des cendres, mais comme pour l’instant ce service environnemental n’est pas rétribué, les cendres contaminées par les métaux lourds sont normalement versées dans les décharges.


CONCLUSION

Utilisé pour la phytoremédiation, le taillis à courte révolution du saule offre des avantages, tels que des rendements élevés de biomasse et l’élimination des composés dangereux grâce à des récoltes fréquentes. Le taux élevé d’évapotranspiration et la tolérance des racines des saules aux inondations permettent l’utilisation de taux d’irrigation élevés. En outre, les peuplements en régime de taillis à courte révolution peuvent non seulement nettoyer les sites pollués en absorbant des quantités considérables de métaux lourds comme le cadmium, mais aussi retenir des volumes élevés d’éléments nutritifs dans le système sol-végétaux. Les systèmes de phytoremédiation basés sur le taillis à courte révolution du saule ont permis d’éliminer avec succès des composantes dangereuses contenues dans divers déchets en Suède, et d’utiliser les éléments nutritifs et l’eau pour la production de biomasse. Pratiqués à grande échelle, ils fournissent de nouvelles possibilités de traitement écologiquement rationnelles et à bon marché, tout en augmentant la production de biomasse à des fins énergétiques.

Bibliographie

Aronsson, P. et Perttu, K. 2001. Willow vegetation filters for wastewater treatment and soil remediation combined with biomass production. Forestry Chronicle, 77(2): 293-299.

Jonsson, M. 2004. Wet storage of roundwood – effects on wood properties and treatment of run-off water. Acta Universitatis Agriculturae Suecicae, Silvestria, No. 319. Mémoire de doctorat, Université suédoise des sciences agricoles, Uppsala, Suède.

Klang-Westin, E. et Eriksson, J. 2003. Potential of Salix as phytoextractor for Cd on moderately contaminated soils. Plant and Soil, 249(1): 127-137.

Naturvårdsverket (Swedish Environmental Protection Agency). 1994. Kungörelse med föreskrifter om skydd för miljön, särskilt om marken, när avloppsslam används i jordbruket [Avis public de directives concernant la protection de l’environnement, notamment les effets des boues d’épuration sur les conditions du sol]. NFS 1994:2, MS: 72.

Sirén, G., Sennerby-Forsse, L. et Ledin, S. 1987. Energy plantations – short-rotation forestry in Sweden. In D.O. Hall et R.P. Overend, éds. Biomass: regenerable energy, p. 119-143. Chichester, Royaume-Uni, John Wiley and Sons Ltd.

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