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Chapitre III
ESTIMATION DE LA DEMANDE ET DES BÉNÉFICES ATTENDUS


L'identification de la demande et des bénéfices attendus doit être le point de départ de l'évaluation de tout projet. Cette analyse est essentielle car elle permet de déterminer si un investissement aura de la valeur, soit parce que les gens voudront acheter le produit, dans le cas de projets générant des revenus, soit parce que l'investissement contribuera à améliorer leur qualité de vie, dans le cas de projets sociaux, environnementaux et de support à la production. En particulier, le niveau de la demande détermine la dimension de l'investissement (et, par suite, le volume de la production et des coûts de fonctionnement), ainsi que beaucoup d'autres caractéristiques (par exemple, la technologie, les intrants nécessaires et la saisonnalité), qui seront discutées en détail plus loin.

La méthode d'estimation de la demande variera en fonction des produits ou du service offert. Le cas le plus simple est celui de produits non périssables pour lesquels il existe une large demande (tels que le riz, le blé et le maïs), mais nous nous attacherons aussi à déterminer la demande pour des produits périssables, spécialisés et innovants, ainsi que pour des services. Nous aborderons aussi la question des coûts engendrés par la commercialisation des biens ou des services.

Les projets qui ne produisent ni biens ni services pouvant être vendus dépendent eux aussi de la demande. A quoi sert la construction d'une école s'il n'y a pas d'élèves pour la remplir? La demande peut ne pas être exprimée en termes monétaires comme ce serait le cas pour un kilo de fromage ou pour une chemise mais elle doit, de toutes façons, exister. Dans de tels cas, il s'agit d'identifier les utilisateurs ou les bénéficiaires et de rechercher quelles sont éventuellement les solutions alternatives. Il peut parfois même être nécessaire d'estimer la valeur des bénéfices que les utilisateurs recevront.

A. Estimation de la demande pour un service ou un produit destiné à être commercialisé

L'analyse du marché est essentielle à tout investissement effectué dans l'intention de générer des revenus. Le nombre de personnes qui achèteront un produit ou un service mesure la demande pour ce produit. Aucun projet générateur de revenus ne peut être durable s'il ne répond pas à la demande du marché. Cela veut dire qu'un bien ou un service produit et mis à disposition d'un acheteur par un projet doit répondre aux caractéristiques recherchées par cet acheteur en termes de quantité, de prix, de conditionnement, de qualité et d'approvisionnement saisonnier, entre autres. Si cela est bien le cas, le produit ou le service sera vendu et générera des recettes monétaires permettant de continuer les activités et de couvrir le coût de l'investissement.

L'évaluation de la demande (existante ou potentielle) pour un produit ou un service proposé doit être la première étape de l'analyse de la faisabilité d'un investissement.

L'évaluation de la demande détermine non seulement la faisabilité générale d'un investissement et souvent le volume de la production, mais elle peut aussi avoir un impact important sur les caractéristiques des produits et de la technologie à utiliser, sur les intrants à employer (certains types de produits phytosanitaires par exemple) et sur la programmation des activités. Ainsi, toute proposition d'investissement qui n'est pas accompagnée d'une étude de marché suffisamment claire est, par définition, inappropriée.

Les étapes nécessaires à l'évaluation de marché varient selon le type de produit ou de marché considéré. On peut identifier quatre principales catégories de biens et de services, chacune d'entre elles ayant ses propres caractéristiques et nécessitant une approche différente. Ces catégories sont:

a) les produits de base non périssables;
b) les produits de base périssables;
c) les produits spécialisés ou innovants;
d) les services.

Chacune de ces catégories sera discutée en détail.

1. Produits de base non périssables

Cette catégorie de produits est, en matière d'évaluation, la plus simple. Les principales caractéristiques des produits de base non périssables sont:

a) L'existence d'un marché bien établi et bien développé et de points de vente et d'achat nombreux. Ceci veut dire qu'il est facile de trouver des acheteurs et des vendeurs pour ces produits et que des prix standard, souvent à la disposition du public, existent.

b) Leur qualité ne se détériore pas rapidement après leur récolte ou leur production; ainsi un produit qui n'a pas été vendu aujourd'hui peut être vendu demain sans altération (ou avec peu d'altération) de sa qualité. Aussi le stockage est-il relativement facile et le prix ne change-t-il que lentement d'un mois à l'autre.

c) Les variations de prix sur un marché donné sont largement fonction des caractéristiques reconnues de ces produits (dimension, couleur, variété, qualité, etc.) et il est peu ou pas tenu compte de leur origine. Il existe très souvent des catégories spécifiques, parfois établies légalement, facilitant la détermination de la qualité et aussi d'autres caractéristiques qui affectent les prix (par exemple, pas plus de 5 pour cent de grains brisés).

Bien que le concept de «produit non périssable» dépende de la durée considérée, ce groupe peut inclure des grains, des racines, des légumineuses; beaucoup de produits traditionnels d'exportation (café, cacao, sucre, coton, etc.); et quelques produits manufacturés pour lesquels il n'y a pas de différence selon les origines, tels que les outils simples, les intrants agricoles ou les matériaux de construction (parpaings, tuiles, etc.). Les animaux vivants peuvent aussi faire partie de cette catégorie, car il existe généralement des marchés bien développés pour la volaille, les porcs et les bovins vivants, et qu'ils ne sont pas périssables dans la mesure où ils ne perdent pas en qualité d'un jour à l'autre.

Cette catégorie a trois caractéristiques: (i) le marché peut absorber toute la production d'un projet de petite taille ou de taille moyenne; il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir en ce qui concerne la taille d'un investissement du point de vue du marché; (ii) le prix des produits est facile à déterminer et ne sera pas influencé par les activités du projet; et (iii) les spécifications des produits sont généralement bien établies (par exemple, le pourcentage d'humidité du grain ou la taille des parpaings).

La seule exception concernant cette dernière règle serait la décision du projet d'offrir au niveau international un produit de base présentant de nouvelles spécifications (par exemple un parpaing d'une nouvelle dimension). Ce produit n'entrerait plus alors dans cette catégorie, mais devrait être analysé comme une innovation ou un produit spécial (voir section ci-dessous).

Les évaluations de marché pour les produits de base non périssables sont parmi les plus simples à réaliser. Les problèmes concernant le marché traiteront probablement de l'évolution des prix au cours des prochaines années, liée à l'évolution des volumes de production nationale ou même internationale, des tarifs douaniers et des technologies, qui peuvent entraîner des changements de prix importants dans l'avenir. Toutefois, il est souvent possible de trouver des prévisions de prix dans les publications, bulletins ou bases de données des institutions publiques nationales ou des institutions internationales.

Bien que l'évaluation du marché soit généralement très simple, il est nécessaire d'avoir à l'esprit un certain nombre de points essentiels, particulièrement lorsqu'il s'agit d'aliments transformés:

2. Produits de base périssables

Même si les produits de base périssables correspondent aussi à des marchés bien établis, avec de nombreux vendeurs et de nombreux acheteurs, ils diffèrent de la catégorie précédente sur un point essentiel: la qualité des produits se détériore rapidement au cours du temps. Cet aspect influe largement sur l'évaluation de la demande. L'évaluation des marchés des produits périssables doit faire face à des problèmes très différents de ceux des produits non périssables. Le marché des produits périssables (bien que généralement important et actif) est souvent caractérisé par un approvisionnement variable et par de fortes fluctuations de prix, en raison de la courte durée de vie de ces produits. Dans de telles conditions, il est très facile de surestimer les recettes de la vente.

La plupart des produits entrant dans cette catégorie sont des produits frais tels que les légumes et les fruits, les fruits de mer frais, les fleurs coupées et quelques produits alimentaires transformés ou semi-transformés tels que la boulangerie pâtisserie, les jus de fruits frais, le lait, etc.

Les facteurs suivants, bien que très importants, sont souvent négligés dans l'évaluation des marchés des produits périssables:

a) Les pertes de produits en cours de récolte, de conditionnement, de transport et de commercialisation peuvent être importantes. Dans certains cas, il est possible que l'on vende moins de 50 pour cent du volume produit, et des pertes de 25 à 30 pour cent sont courantes.

b) Il est aussi courant de s'apercevoir que le prix une semaine donnée peut être le double (ou la moitié) de celui de la semaine précédente. Il est aussi possible, dans le cas de produits périssables, d'assister à des changements de prix en cours de journée. Ces fluctuations peuvent être le résultat de changements dans la demande, mais elles seront le plus souvent le résultat de changements dans l'offre. Lorsqu'un produit est mis sur le marché à un moment où l'offre est faible les prix peuvent être très élevés. En revanche, la mise sur le marché d'un produit au moment où celui-ci est abondant peut entraîner des prix très bas.

c) A l'inverse des grains ou des tuiles pour les toits, il est souvent très difficile de conserver les produits périssables d'un jour à l'autre; dans les cas extrêmes, un produit qui n'a pas été vendu à la fin de la journée ou de la semaine peut avoir perdu toute valeur et, de plus, entraîner des coûts supplémentaires de ramassage des ordures.

Il n'est donc pas surprenant que les fluctuations dans l'offre et dans les prix aient une forte influence sur le succès ou l'échec de projets qui génèrent des produits périssables. Il est nécessaire de porter une attention particulière à l'estimation du prix moyen de vente des produits périssables en raison de l'extrême variabilité affectant ces prix (voir l'exemple présenté dans l'Encadré ci-contre).

Nous recommandons que les facteurs suivants soient sérieusement pris en considération lors de l'évaluation du marché des produits périssables:

L'alléchante tomate


On ne compte plus les exemples de projets de projets de production de tomates qui ont échoué. Pourquoi? Parce que chaque fois que l'on calcule sa profitabilité, la tomate brille par son fabuleux profit. Des bénéfices énormes attendent ceux qui voudront bien investir dans la mise en place de quelques hectares de ce fruit doré.

Regardez, disent les investisseurs, le Ministère de l'agriculture nous assure que l'on peut facilement obtenir des rendements de 6,5 tonnes de tomates à l'hectare, pour un coût de production ne dépassant pas 2 750 dollars EU/ha. L'année dernière, le prix des tomates sur le marché local a souvent dépassé 1,50 dollar EU/kg et a parfois atteint 2,50 dollar EU. En retenant le chiffre modeste de 1,50 dollar EU, les recettes moyennes seraient de 9 750 dollars EU/ha, soit 7 000 dollars EU à l'hectare, déduction faite des coûts de production. Nous pouvons donc investir 50 000 dollars EU dans un système d'irrigation, un petit bâtiment pour le tri et l'emballage et l'équipement nécessaire à la culture de cinq hectares de terres. Nous ferons des marges brutes 35 000 dollars EU la première année et nous pourrons rembourser les prêts en moins de deux ans. Quelle aubaine !

Toutefois, la réalité est un peu différente. Heureusement, au cours de la première année, la tomate n'est pas sévèrement affectée par les maladies et les ravageurs, et les investisseurs arrivent à récolter 6,25 tonnes/ha, ce qui est très proche du rendement promis. Mais ils perdent 8 pour cent de la production au cours du tri et de l'emballage et 15 pour cent au cours du transport des tomates jusqu'au marché le plus proche. Avec 24 tonnes récoltées sur une période de quelques semaines, le marché local est inondé de tomates. Après s'être rendu compte que le prix initial est tombé de 1,80 à 0,50 dollar EU/kg et qu'ils ont encore des tomates invendues en fin de journée, les investisseurs décident de faire transporter le reste des tomates jusqu'au marché régional, à un coût de transport de 0,40 dollar EU/kg. Le prix sur ce marché est un peu supérieur, mais ils ne peuvent pas obtenir plus de 1,20 dollar EU par kilo et ils ont encore des pertes supplémentaires de 10 pour cent dues au mauvais état de la route.

En fin de compte, les investisseurs ne réussissent à vendre que 4 tonnes par ha à un prix moyen de 0,60 dollar EU/kg (déduction faite des frais de transport). Leurs recettes sont tombées à 2 400 dollars EU. Ils perdent 350 dollars EU pour chaque hectare planté. Quel désastre !

Envisagez la possibilité de négocier des contrats fixes avec des consommateurs (agro-industries, restaurants, hôpitaux, etc.) qui offrent un marché garanti, même si il sera nécessaire d'accepter des prix inférieurs.

3. Produits innovants ou spécialisés

Nous avons, dans les deux sections précédentes, considéré les différences entre produits périssables et non périssables. Mais il s'agissait, dans les deux cas, de produits standards pour lesquels, du point de vue du consommateur, il y avait peu de différences entre les productions de la ferme ou de l'usine «X» et celles de la ferme ou de l'usine «Y». Toutefois, lorsqu'il s'agit de produits innovants ou spécialisés, la situation change radicalement.

Les produits innovants n'ont, par définition, pas de prix sur le marché, car ils sont nouveaux; il est toutefois possible de déterminer un prix approximatif en observant le prix des produits concurrents ou en étudiant les prix sur des marchés où ces produits existent déjà. Un fruit exotique, par exemple, peut être inconnu sur votre marché, mais être vendu à un prix légèrement supérieur à celui de la pomme sur le marché de la capitale. Soyez prudents: si le produit est connu ailleurs, mais n'est pas vendu sur le marché local, demandez-vous pourquoi. Vous pouvez avoir identifié un marché inexploité riche d'opportunités, mais peut-être pas. Il se peut, au contraire, que les acheteurs de la région ciblée n'aient simplement pas les moyens de payer un tel produit, ou qu'il ne convienne pas aux habitudes alimentaires locales.

Les produits spécialisés peuvent être des produits commercialisés en quantité limitée (pour lesquels il y a peu de concurrents en raison de la taille réduite du marché), ou des produits correspondant à des marchés assez importants, mais pour lesquels, par opposition aux produits de base, les acheteurs trouvent des différences importantes dans le goût, la qualité ou la durabilité avec les produits concurrents. Les produits spécialisés peuvent prendre la forme de confitures, de chemises ou même de voitures.

Si le projet produit une voiture, vous ne pouvez simplement pas supposer qu'il sera possible de la vendre au même prix qu'une Toyota et d'en vendre autant que voulu. De fait, il se pourrait qu'il ne soit pas possible d'en vendre beaucoup même à moitié prix d'une Toyota, parce que, pour le consommateur, cette voiture est différente d'une Toyota.

Cette caractéristique signifie que l'évaluation du marché ne détermine pas uniquement le niveau de la demande, le prix et les variations saisonnières de la production (comme dans le cas des produits de base), mais aussi la nature du produit demandé. Le marché définit le produit.

Une chemise peut avoir des manches longues ou courtes, elle peut être blanche, bleu ou jaune et peut avoir quatre ou six boutons. En d'autres termes, chaque chemise est spécifique et un acheteur cherchant une chemise habillée peut ne pas vouloir acheter une chemise sportive.

Les produits qui feront probablement partie de la catégorie des produits spécialisés sont: l'artisanat (articles en bois, tissu, céramique, etc.), les vêtements, beaucoup d'aliments transformés (mais pas tous: peu de consommateurs font la différence entre des marques de lait), de nombreux fruits, légumes et produits exotiques, et tous les produits innovants (par exemple, les matériaux de construction, meubles, etc.).

A moins que vous n'ayez la chance de trouver une personne qui connaisse particulièrement bien le marché du produit en question, il peut être nécessaire de mener une petite étude de marché:

On retiendra que:

4. Services

L'évaluation de la demande et des caractéristiques du marché des services est assez différente de celle des produits. La caractéristique principale des services est leur nature éphémère. Un hôtel qui ne remplit que 60 de ses 100 chambres une nuit donnée ne peut récupérer le manque à gagner en offrant 140 chambres la nuit suivante.

Chaque fois qu'un service est offert et qu'il n'y a pas d'acheteur, les recettes correspondantes sont à jamais perdues. Toutefois, il n'en va pas de même des dépenses. Normalement, une société de service supportera des coûts qu'elle ait des clients ou non (bien que les dépenses puissent être plus importantes lorsqu'elle a du travail).

L'histoire des deux conditionnements


Les deux histoires suivantes sont véridiques. Elles montrent que le conditionnement peut grandement influer sur le succès d'un produit alimentaire.

La princesse

Un groupe de femmes du Guatemala utilisait une abondante production locale de poires pour préparer du jus conditionné dans des petites boîtes métalliques faciles à ouvrir et d'une contenance adaptée à une personne. Mais le produit était concurrencé par une gamme de jus de fruits d'une fabrique nationale déjà bien établie sur le marché. Les ventes du produit local étaient faibles. Finalement, les femmes décidèrent que leur problème était de ne pas offrir une gamme suffisamment large de saveurs différentes. Avec l'aide d'une ONG, elles achetèrent des fruits d'autres régions pour les transformer et diversifier ainsi la gamme de leurs produits. Mais ce problème s'aggrava encore: elles avaient des boîtes de jus de poire, d'ananas et de mangue qui ne se vendaient pas. Que faire?

Leur vrai problème s'avérait être le coût du conditionnement. Les boîtes fantaisie représentaient jusqu'à 80 pour cent du coût total de production et l'avantage initial du groupe de femmes (accès à des fruits locaux bon marché) était ainsi complètement perdu. Ces femmes étaient tout simplement incapables de concurrencer le conditionnement «tetrapak» en carton bon marché utilisé par la grande entreprise. La solution consistait à utiliser un conditionnement plus adapté au marché local. Des sacs en plastique, comme ceux utilisés pour le lait et les glaces, permirent au groupe de commercialiser de plus grandes quantités à plus bas prix et de répondre ainsi à la demande des acheteurs à bas revenus de la zone.

Cendrillon

Une petite usine de transformation de fruits des Caraïbes avait un problème. Elle fabriquait à la main de la confiture de goyave et la vendait au supermarché dans de simples pots en verre à 0,99 dollar EU l'unité. Malheureusement, l'entreprise Kraft Foods produisait aussi de la confiture de goyave et la distribuait au même prix. Grâce à la renommée de sa marque, Kraft avait réussi à se tailler la part du lion sur ce marché et l'usine locale était incapable de vendre suffisamment de produits pour couvrir ses frais. Que faire?

Un examen plus approfondi de la situation montra que les fruits utilisés par la petite usine de transformation provenaient d'une forêt de goyaviers sauvages située au centre de l'île. Les fruits n'avaient jamais reçu ni produit chimique ni engrais. Là était l'opportunité, encore fallait-il savoir présenter le produit correctement. Les producteurs firent appel à un graphiste; le conditionnement bon marché fut remplacé par un pot en verre octogonal complété d'un ruban de satin et d'une élégante étiquette. Au lieu de «confiture de goyave» l'étiquette indiquait maintenant «Goyave sauvage de la réserve de Sea Island. Confiture faite à la main, cent pour cent fruits tropicaux sauvages». La confiture, sous son nouveau conditionnement, fut commercialisée par une chaîne de magasins de luxe aux États-Unis à 4 dollars EU l'unité et la petite usine reçut un prix suffisamment élevé pour couvrir le coût supplémentaire du conditionnement et pour augmenter sa marge. Son problème fut alors de trouver suffisamment de matière première pour répondre à la demande.


Estimation de l'utilisation annuelle des tracteurs (en heures/mois)

jan.

févr.

mars

avril

mai

juin

juill.

aôut

sept.

oct.

nov.

déc.


Prép. des terres 1er cycle


Récolte 1er cycle

Prép. des terres 2ème cycle



Récolte 2ème cycle

Heures/mois

50

190

190

50

90

90

160

160

50

50

85

85

Prix/heure

10

20

20

10

15

15

20

20

10

10

15

15

Recettes/mois

500

3 800

3 800

500

1 350

1 350

3 200

3 200

500

500

1 275

1 275

TOTAL ANNUEL (heures):

1 250

TOTAL ANNUEL (recettes):

21250

Ainsi, l'élément critique de l'évaluation d'un marché de service consiste à établir le profil de la demande du service sur une durée d'un an (ou sur une autre période plus adaptée). Bien que certains services (creusement de puits ou transport, par exemple) aient une demande plus équilibrée au cours de l'année que d'autres (hôtel, services agricoles, etc.), il n'est pas suffisant de prévoir une demande constante pour tous les services, toutes les semaines ou mois de l'année. On peut voir dans l'exemple suivant que la demande de services en matière de labour (tracteur) varie énormément en fonction du cycle agricole; de 50 heures par mois en janvier, avril, septembre et octobre à 190 heures en février et mars, lorsque la préparation des champs bat son plein.

Plusieurs options s'offrent à vous si vous pensez que la demande va varier dans de grandes proportions: une d'entre elle consiste à faire varier le tarif des services en fonction de la période, pour promouvoir l'activité en période creuse. Par exemple, les hôtels pourront proposer des tarifs de chambres plus faibles en basse saison qu'en haute saison. Dans l'exemple ci-dessus, l'entrepreneur louant des services de tracteur pourrait avoir trois tarifs: 10 dollars EU de l'heure durant la période creuse; 15 dollars EU de l'heure pendant la récolte, et 20 dollars EU de l'heure pendant la période de préparation des terres, quand la demande est la plus forte. On retiendra que lorsque le jour (ou la nuit) est passé, le service disponible ne vaut plus rien; l'opportunité est perdue.

5. Coûts de commercialisation

Finalement, il est important de garder à l'esprit que l'on doit tenir compte des coûts (frais) de commercialisation dans l'évaluation du marché. Comme le montre l'exemple de la tomate, ces coûts peuvent avoir un impact important sur une opération.

Les divers types de coûts à considérer sont les suivants:

Il est bon de se rappeler que certains vendeurs peuvent insister sur une politique de «vente ou retour» ou de dépôt-vente; auquel cas, ils ne paient le producteur que lorsque le produit a été réellement vendu. Cette méthode de vente est très courante pour l'artisanat, tel que les peintures, la bijouterie ou autre travail d'art. Elle est aussi fréquemment utilisée pour les nouveaux produits, lorsqu'il est difficile aux vendeurs d'évaluer le niveau de la demande. Cet arrangement n'est pas très intéressant pour le producteur, mais il peut être la seule façon de commencer à commercialiser un produit. Toutefois, on se souviendra que les produits livrés sous ce système ne sont pas encore vendus, aussi conviendra-t-il d'être très prudents avant d'entreprendre un nouveau cycle de production en se basant sur les livraisons; en effet, il se peut qu'il y ait des retours importants.

B. Estimation de la demande en absence de marché

Nous avons vu dans la section précédente qu'il peut être difficile de déterminer précisément la demande et les prix de vente correspondant à des produits destinés à être commercialisés. Toutefois, en l'absence de marché, l'estimation de la demande est encore plus complexe. Quand un produit est vendu, on peut dire que les acheteurs de ce produit sont ses clients ou bénéficiaires et que la demande correspond à la quantité qui leur est vendue. Il peut être même plus important de présumer que le marché donnera une indication claire de la valeur du produit, facilitant ainsi l'estimation des recettes[4]. Mais qui sont les bénéficiaires lorsque le produit est la protection d'un écosystème ou une campagne de vaccination pour enfants? Quel est le niveau de la demande? Quelle valeur peut-on attribuer aux produits ou services ainsi créés?

Ce problème est rencontré par tous ceux qui préparent et financent des projets d'investissement qui génèrent des bénéfices qui ne sont pas commercialisés tels que les routes, les dispensaires, les projets de reforestation, etc. De nombreux documents ont été écrits sur ce sujet, proposant des méthodes complexes pour résoudre ces questions.

Bien sûr, on n'entrera pas dans le même niveau de détails pour un projet de 10 000 à 100 000 dollars EU que pour un projet destiné à réhabiliter un système national de santé, avec un budget pouvant dépasser 100 millions de dollars EU. Toutefois, même pour la préparation de petits projets, il est nécessaire au minimum de déterminer et d'estimer le niveau de la demande et des bénéfices attendus de l'investissement.

1. Qui sont les bénéficiaires et combien sont-ils?

Avant d'évaluer la demande, il est d'abord nécessaire de déterminer qui sont les bénéficiaires. Dans certains cas, la réponse peut être claire; les bénéficiaires d'un dispensaire sont ceux qui s'y rendent pour obtenir des soins médicaux. Doit-on exclure les personnes qui habitent dans ces zones mais qui, une année donnée, n'ont pas besoin de services? Peut-être sont-ils des bénéficiaires, simplement parce qu'ils ont ces équipements à leur disposition, même s'ils n'ont pas eu récemment l'occasion de s'en servir.

L'expérience a montré qu'un des impacts les plus importants résultant de la construction ou de la remise en état des routes d'accès rurales, est une augmentation de la production agricole. En plus du transport des produits vers des marchés extérieurs à la zone, une route permet aussi la livraison d'intrants et l'accès du personnel de vulgarisation. Ainsi, les bénéficiaires ne se limitent pas simplement à ceux qui conduisent les camions et tracteurs sur les routes; les principaux bénéficiaires sont plutôt ceux qui vivent et travaillent dans la zone desservie par la route.

Dans certains cas, on peut dire que le pays tout entier, ou même le monde dans son ensemble, peut être considéré comme bénéficiaire. C'est le cas pour un nouveau type de projets dans lequel les pays riches, qui produisent des quantités importantes d'oxyde de carbone (à partir d'usines et d'autres activités industrielles), financent les pays moins développés pour protéger et augmenter leurs zones forestières, où ces gaz sont convertis en bois et autres matières organiques par les arbres et autres formes de végétation. Dans ce cas, toutes les personnes vivant sur les différents continents font partie des bénéficiaires du projet.

On ne peut pas attendre de tels impacts des petits projets. Toutefois, les projets d'infrastructure et de conservation des ressources naturelles bénéficient souvent à des personnes habitant en dehors de la zone cible. Par exemple, un projet de protection et de conservation des mangroves peut bénéficier aux producteurs de crevettes (car les larves de crevettes vivent dans les mangroves), au secteur du tourisme (les mangroves abritent une flore et une faune considérables) et aux producteurs agricoles de la région (les mangroves protègent les zones agricoles des tempêtes, de l'érosion, etc.).

Afin de surmonter le problème de la quantification des bénéficiaires directs et indirects et, en même temps, de ne pas compliquer la préparation des propositions de projets, la méthodologie RuralInvest a recours à l'estimation de deux chiffres pour les projets qui ne génèrent pas de revenus.

Premièrement, vous devez estimer le nombre de personnes qui bénéficieront directement du projet. Cette estimation inclut les employés (enseignants des écoles, infirmières des dispensaires, gardes des réserves, personnel d'entretien, etc.) ainsi que les clients et autres utilisateurs directs (patients, élèves des écoles, chauffeurs des véhicules).

Ce chiffre peut être difficile à estimer pour un investissement qui n'a pas encore eu lieu. Il est souvent nécessaire d'apprendre des expériences antérieures. Par exemple, il se peut que vous n'ayez aucune idée du nombre de patients qui pourront fréquenter un nouveau dispensaire. Toutefois, vous pouvez vous inspirer d'exemples d'autres dispensaires de même taille (en discutant avec le personnel du Ministère de la santé ou des ONG qui mènent ce type d'activité).

Deuxièmement, vous devez estimer le nombre de personnes qui bénéficieront indirectement de l'investissement. Dans le cas le plus simple, cette tâche consiste à calculer la population dans un rayon déterminé (par exemple cinq kilomètres) à partir du lieu de l'investissement. Cette méthode est probablement la plus appropriée pour les dispensaires, les routes, l'électrification, etc. Mais on se souviendra qu'il n'est pas logique de dire que la population d'une province ou d'un département bénéficie indirectement d'un petit dispensaire à la charge d'une seule infirmière. Dans le cas de travaux tels que la protection d'un bassin fluvial ou d'un versant de montagne, par exemple, vous devez essayer d'estimer le nombre d'habitants qui peut être concerné par l'investissement, en aval ou dans la vallée.

2. Estimation de la valeur des bénéfices attendus

Une fois que l'on aura estimé la population des bénéficiaires directs et indirects, l'étape suivante consistera à quantifier l'impact; c'est-à-dire, à déterminer la valeur des bénéfices qui résulteront de l'activité. Il est important de comprendre que le type et l'ampleur des bénéfice ne seront jamais les mêmes pour tous les utilisateurs. Les personnes vivant près du lieu de l'investissement en bénéficieront probablement plus largement que les autres. Ainsi, l'exemple de la protection des mangroves nous montre clairement que les bénéfices dont jouissent les divers types d'utilisateurs (pêcheurs de crevettes, acteurs du tourisme et agriculteurs) peuvent être très différents.

Ce n'est pas parce qu'il est difficile de calculer de façon précise les bénéfices qu'il faut omettre de le faire. Il est très important de fournir à l'institution de financement une description de la nature et de l'amplitude des bénéfices attendus. En l'absence de cette analyse, il est très probable que l'institution choisira de financer une autre proposition pour laquelle les promoteurs du projet auront mieux explicité les bénéfices attendus.

3. Autres considérations

Tout calcul de bénéfices présuppose que l'investissement continuera à fonctionner suffisamment longtemps pour générer ces bénéfices. A ce niveau, il est important de considérer les besoins en entretien et les coûts correspondants. Ce sujet est discuté en détail dans les Chapitres V.H. et VI.A.

Il est aussi important de se rappeler que certains bénéfices peuvent provenir simplement du fait que l'investissement a été réalisé (emplois créés pour sa construction et sa préparation). Si l'investissement crée un certain nombre d'emplois pendant cette période, il est important d'indiquer clairement ce bénéfice dans le document de proposition de projet.

Petit investissement, bénéfice important


Le nord du Ghana, en Afrique de l'Ouest, est presque complètement séparé du sud du pays par le plus grand lac artificiel du monde. Il y a quelques années, un simple pont était la seule route qui permettait de se rendre dans le sud. Un service de ferry avait fonctionné auparavant, mais l'ensablement avait éloigné les quais de l'eau et, de toutes façons, ce ferry ne pouvait transporter que peu de véhicules. La rampe d'approche du pont était entrain de se détériorer rapidement, et le service de travaux publics de la zone prédisait qu'en l'absence d'investissement pour sa reconstruction, le pont deviendrait impraticable à la fin de la prochaine saison des pluies.

Le coût de l'investissement pour reconstruire l'approche du pont était assez faible, mais comment en mesurer les bénéfices? A partir du volume du trafic et en discutant avec les chauffeurs pour déterminer les variations saisonnières de celui-ci, il fut possible d'estimer le nombre d'utilisateurs directs. En raison de l'absence de tout autre route, on pouvait estimer que la plus grande partie de la population de la région nord du pays représentait les bénéficiaires indirects. Quelle serait la valeur du bénéfice qu'ils recevraient?

Si le pont devenait inutilisable, la plupart des bus et des camions n'auraient d'autre possibilité que de passer par un pays voisin et de rentrer au Ghana dans l'extrême nord du pays (en effet, il n'y n'était pas possible de passer la frontière sur la plus grande partie de la moitié nord du pays). Cette route rallongerait le parcours de plusieurs centaines de kilomètres. Sans prendre en compte le coût engendré par le passage de deux frontières (pour sortir et pour rentrer dans le pays), en ne considérant que le coût kilométrique des véhicules, il était possible d'estimer le coût additionnel de transport sans le pont, et ainsi la valeur des bénéfices. Les bénéfices diminuaient très peu si l'on prenait en compte le fait que quelques véhicules pouvaient utiliser le ferry.

Bien sûr, ce type de calcul peut être entaché de beaucoup d'erreurs. Il ne s'agit que d'une approximation. Ce calcul ne tient pas compte des autres pertes, en l'absence de ponts, telles que la réduction des ventes des produits agricoles ou l'allongement de la durée de voyage des passagers. En réalité, l'approvisionnement du sud aurait pu être partiellement assuré par des produits achetés dans les pays voisins, ce qui aurait accru les pertes pour les habitants du nord. Toutefois, l'objectif principal était de démontrer que les bénéfices, bien que calculés de manière imprécise, seraient bien supérieurs au coût de l'investissement.



[4] En réalité, il existe de nombreux facteurs pouvant fausser le prix payé sur un marché pour un produit, tels que les taxes, les quotas, etc.

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