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ARTICLE DE FOND

Transformation des déserts en terres agricoles

Contexte

Au cours du siècle dernier, plusieurs gouvernements péruviens se sont préoccupés du déficit hydrique dont souffraient de nombreuses vallées de la région côtière du pays. En fait, le déficit hydrique a été et continue d'être le principal facteur entravant le développement général. En général, la plupart des rivières qui descendent du flanc occidental des chaînes andines n'apportent des volumes suffisants d'eaux de surface que de janvier à mars. Le reste de l'année, d'avril à décembre, l'eau manque pour alimenter l'agriculture, l'industrie, les manufactures et les services domestiques.

A environ 450 km au nord de Lima, dans la région côtière du Pérou, la rivière Santa, qui délimite les régions de Ancash et de La Libertad, se jette dans l'océan Pacifique. C'est l'une des rares rivières pérennes ruisselant des montagnes. En amont, un ouvrage de captage dérive une partie de son débit vers le nord, vers la région de La Libertad. Le débit dérivé est utilisé par le projet de Chavimochic qui dessert plusieurs vallées, étroites en amont et plus larges en aval, et toutes traversées par une rivière saisonnière qui dessert les terres à irriguer mais parfois les inonde.

Vue récente des nouvelles terres
dans le projet de Chavimochic

Le projet polyvalent de Chavimochic

L'acronyme du projet de Chavimochic a été formé à partir des premières lettres des noms des vallées qui utilisent l'eau dérivée, soit Chao, Viru, Moche et Chicama, toutes situées à droite de la rivière Santa. Des milliers d'hectares restaient incultes entre toutes ces vallées successives à cause du manque d'eau. Ce sont ce qu'on appelle les zones inter-vallées, qui sont à une altitude topographique plus élevée que les vallées et par conséquent difficiles, pour ne pas dire impossibles, à irriguer par gravité à partir des rivières saisonnières qui les traversent. Ces terres étaient de vrais déserts, composés de sables éoliens ou de sols sans structure, avec des taux d'infiltration très élevés et des températures très chaudes durant l'été. C'était donc une entreprise de développement ardue, exigeant une forte volonté de repousser la limite des zones cultivées. La figure montre une vue récente des nouvelles terres.

La finalité du projet polyvalent de Chavimochic est la mise en irrigation de 70 000 nouveaux hectares de terres désertiques (inter-vallées) et l'amélioration de l'irrigation sur plus de 74 000 hectares de terres déjà exploitées situées dans les vallées. L'eau de la rivière Santa a été dérivée vers le nord par un canal principal d'environ 83,4 kilomètres. Elle générera aussi 68 MW d'électricité grâce à trois centrales hydroélectriques et fournira 1 000 l/s d'eau potable à la ville de Trujillo. Les travaux préliminaires du projet de Chavimochic ont commencé en 1960 et la construction de l'infrastructure hydraulique, amorcée en 1986, s'est achevée en 1990. Le processus d'occupation des terres n'a réellement commencé qu'en 1994.

Le projet utilise des technologies traditionnelles pour conquérir les déserts dans les zones inter-vallées, adopte des méthodes innovantes et crée des synergies pour produire des cultures à fort rapport économique. Tout cela fait de Chavimochic un projet exceptionnel, qui répond déjà aux exigences des experts de l'eau sur divers plans: efficacité de l'utilisation des eaux, cultures à fort rapport économique, expansion de la limite des zones cultivées, lutte intégrale et biologique contre les ravageurs, fertilisation organique, entreprises génératrices d'emplois et tarifs acceptables de l'eau pour les agriculteurs.

Aménagement des terres

La zone inter-vallées appartenait au domaine public péruvien, et le gouvernement a vendu les terres par le biais d'un processus international d'appel d'offres sui generis. Fondée sur le principe de la propriété foncière - des titres fonciers - la vente des terres s'est déroulée en conformité avec les institutions judiciaires péruviennes et dans leur plein respect. Les terres ont été transférées au secteur privé en parcelles de superficies variables (de 50 à plus de 1 000 hectares). Le plus important facteur pour le choix des personnes sélectionnées a été l'engagement d'un investissement maximum dans l'aménagement des terres dans les délais les plus courts possibles, ainsi que la capacité à payer les prix les plus élevés le plus rapidement possible. Ces engagements ont été cautionnés par des garanties financières permettant au gouvernement de reprendre possession des terres si les conditions convenues n'étaient pas été remplies.

Lorsque les personnes sélectionnées par le processus d'appel d'offres sont entrées en possession de leurs terres, elles les ont clôturées avec des arbres, des piquets ou des arbustes. Des travaux superficiels de profilage des champs ont alors été effectués et la construction des ouvrages de captage pour l'irrigation a commencé simultanément pour permettre la dérivation des eaux du canal principal construit par le gouvernement péruvien. En même temps, les propriétaires ont installé les unités de tête (comptage, filtration, irrigation fertilisante, traitement phytosanitaire par irrigation) pour les systèmes d'irrigation localisés, ainsi que le bassin de décantation destiné à l'évacuation finale des matières solides en suspension extraites des eaux d'irrigation et le système principal de canalisations qui permet la distribution de l'eau. Les agriculteurs de la zone inter-vallées utilisent divers types de systèmes d'irrigation localisés entièrement automatiques (goutteurs, prises, etc.) dotés de goutteurs autonettoyants d'extrémité permettant l'élimination permanente des sédiments fins. De nombreux propriétaires du projet de Chavimochic utilisent aussi des filtres à sable, à tamis et en anneau pour capter et éliminer les matières solides en suspension dans les eaux arrivant du canal.

Des volumes importants de matières organiques (jusqu'à 100 t/ha) ont été ajoutés pour améliorer les caractéristiques physiques et chimiques des sols, ce qui a permis d'augmenter leur capacité de rétention d'eau ainsi que le pourcentage d'éléments nutritifs pour les végétaux. Il faut souligner que l'irrigation fertilisante et le traitement phytosanitaire par irrigation sont des techniques couramment employées dans le développement des terres désertiques.

Possibilités de cultures et facilités d'accès à l'eau

Les principales cultures exploitées sur ces terres sont l'asperge, le poivre de Cayenne ou le paprika, l'avocat, l'artichaut, le poivre bonete, l'oignon, les haricots et bien d'autres encore, dont la canne à sucre. L'un des grands atouts de la région est l'absence de températures basses, la température moyenne annuelle se situant à 19,1°C. Il est donc possible de cultiver toute l'année. L'eau est en outre accessible tout le temps grâce au canal principal qui passe au nord à environ 50 mètres au-dessus des terres et offre une charge permanente d'élévation en eau. L'eau étant déjà sous pression, aucun pompage n'est nécessaire.

Carte du projet de Chavimochic.

Tarif de l'eau

Les agriculteurs paient environ 0,025 dollars EU par mètre cube pour le service d'eau. Les volumes d'eau fournis sont mesurés par des débitmètres semblables à ceux employés dans la distribution des eaux à usage domestique. Il a été entendu, lors de la vente des terres désertiques, que le gouvernement garantissait une allocation annuelle de 10 000 mètres cubes par hectare. L'association des usagers de l'eau (AUE) reçoit une liste détaillée des volumes d'eau utilisés par chaque agriculteur et recouvre les paiements pour le service d'eau. Les agriculteurs disposent de deux mois pour régler leurs dûs à l'AUE. Ensuite, celle-ci reverse à la commission du projet polyvalent de Chavimochic la part du tarif qui correspond: i) au remboursement de l'investissement; et ii) au coût de l'exploitation et de l'entretien des infrastructures hydrauliques, en tenant compte du volume d'eau utilisé.

Pourcentage de terres transférées et exportations

Près de 27 000 hectares ont été vendus jusqu'à présent par le biais du processus concurrentiel international; 5 100 hectares supplémentaires ont été attribués en vente directe et 1 000 hectares ont été transférés à la collectivité agricole de San José: en tout, les terres attribuées couvrent une superficie nette de 32 990 hectares. Selon le représentant des propriétaires des nouvelles terres, plus de 15 000 hectares sont actuellement exploités, et ils prévoient d'exporter environ 180 millions de dollars EU en 2005. Manifestement le potentiel de la zone est phénoménal, puisque des emplois directs pourraient être créés pour plus de 30 000 familles et que les exportations pourraient atteindre approximativement 1 400 millions de dollars EU dans l'avenir proche.

De ce fait, onze entreprises exportatrices ont jusqu'à présent participé au projet, entre 1995 et 2005. La valeur totale des exportations de la production agricole a atteint plus de 600 millions de dollars EU et elle a augmenté de 18,8 millions de dollars EU en 1995 à 151,1 millions de dollars EU en 2004. On estime pour l'instant la valeur des exportations pour 2005 à 180 millions de dollars EU. Les agriculteurs continuent à chercher de nouveaux débouchés dans les marchés internationaux, en particulier en Europe mais aussi ailleurs. Le marché péruvien pour ce type de produits est limité et montre encore peu d'intérêt, mais ils sont par contre très appréciés dans les pays étrangers pour leur grande qualité.

Autres perspectives de développement pour la région

Pendant ce temps, le développement se poursuit. L'élevage du bétail pour la production laitière et des ovins pour la viande s'étend rapidement. La production des volailles a considérablement augmenté. On voit même certaines fermes élever les fameux chevaux péruviens. Toutes ces activités ont été rendues possibles grâce aux résidus de récolte, et en particulier à l'exploitation du compost et des fumures organiques. Cela créée un circuit fermé favorisant une production animale et végétale durable.

Dans le cadre du processus actuel de mondialisation, ce modèle d'exportation agro-industrielle et de développement compétitif est très attractif et se propage à d'autres projets d'irrigation dans les régions côtières et montagneuses (sierras) du pays. Même les petits exploitants agricoles qui ne disposent que de trois hectares ou moins cherchent à former une association qui leur permette d'appliquer le modèle de développement du projet de Chavimochic.

Sur les anciennes terres des vallées de Chao et de Viru, par exemple, des agriculteurs associés se sont mis à utiliser les eaux souterraines peu profondes et des équipements pour pratiquer l'irrigation au goutte-à-goutte sans aucune aide gouvernementale ou avec une aide réduite. Ils ont en outre acheté de petits moteurs à essence à combustion interne pour alimenter des pompes. A l'heure actuelle, le gouvernement investit dans des infrastructures d'électrification pour encourager l'adoption de systèmes d'irrigation sous pression semblables à ceux utilisés dans les nouvelles terres du projet de Chavimochic.

Les exploitants des anciennes terres essaient, de manière concomitante, d'utiliser plus efficacement les eaux d'irrigation et d'améliorer la distribution et la programmation des eaux d'irrigation. Il s'agit ainsi d'encourager les agriculteurs à demander la quantité d'eau dont leurs cultures ont réellement besoin, afin qu'ils paient pour un service qui corresponde au volume d'eau approprié, et de veiller à ce que l'eau soit fournie au moment voulu et pour la durée requise selon le débit. Le logiciel utilisé pour le projet de Chavimochic est le système IDIS (Irrigation Distribution System) mis au point dans les années 90 dans le cadre d'une entente entre l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le projet de Chavimochic. Ce logiciel est très utile pour les besoins du projet.

L'avenir

Le gouvernement s'est considérablement investi dans la construction des ouvrages hydrauliques. Ce sont eux qui ont permis à l'eau d'arriver jusqu'aux terres désertiques. Parallèlement, les exploitants agricoles relèvent le défi de manière positive en apportant leurs propres investissements et des solutions haute technologie, en se préoccupant de l'environnement et en manifestant un grand sens des responsabilités.

En ce qui concerne le projet de Chavimochic, le programme du gouvernement comme celui des exploitants agricoles est en attente. Pour garantir sa viabilité, les deux partenaires doivent sérieusement envisager la nécessité de construire d'autres infrastructures importantes en prévision des changements possibles, occasionnellement et à long terme, tels que les effets du réchauffement de la planète et de la réduction du débit de la rivière Santa. Le gouvernement, pour sa part, doit prendre la responsabilité: i) de garantir la stabilisation du bassin et de l'adapter aux conditions auxquelles il faut s'attendre par l'effet du changement climatique mondial, et ii) d'achever le projet de Chavimochic qui est actuellement à la seconde étape de sa réalisation. Les agriculteurs doivent prendre l'engagement de participer à l'entretien du projet, de s'adapter de manière créative aux futures conditions climatiques et à l'environnement phytosanitaire et de profiter au maximum des possibilités offertes par le marché agricole international, entre autres. Le projet de Chavimochic représente la réalisation d'un rêve pour de nombreux experts agricoles et beaucoup d'autres spécialistes qui imaginent un avenir meilleur pour l'humanité.

Pour obtenir de plus amples
renseignements, contacter
Fernando Chanduvi:
[email protected]


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