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MODERNISATION

Association d'usagers de l'eau dans le nord de l'Ouzbékistan: opportunités ou obstacles pour le développement ?

L'article présente les résultats partiels de recherches en cours effectuées dans le nord de l'Ouzbékistan dans le cadre du projet ZEF/UNESCO, un projet pilote de recherche sur le développement portant sur la restructuration économique et écologique de l'utilisation des terres et des eaux dans la région de Khorezm (Ouzbékistan) et financé par le Ministère allemand de l'éducation et de la recherche (BMBF) et par l'UNESCO.

Cadre général du projet

Les objectifs du projet principal sont: 1) de développer des hypothèses de restructuration des paysages dans le Khorezm, une région agricole exploitée intensivement dans le bassin de la Mer d'Aral; 2) d'élaborer des propositions de mesures de restructuration légales-administratives et écologiques fondées sur les principes de gestion durable des ressources naturelles; et 3) d'activer et d'encourager la collaboration scientifique entre l'Allemagne et l'Ouzbékistan dans le domaine de la recherche sur le développement.

Le projet devrait avoir pour résultat d'améliorer la gestion de l'utilisation des terres et des eaux dans la région de Khorezm et plus généralement dans le bassin de la Mer d'Aral par l'adoption d'une perspective écosystémique permettant d'augmenter l'efficience de l'utilisation (durable) des ressources et orientée vers les aspects socio-économiques et institutionnels-administratifs. Le choix du site s'explique par le peu d'attention qu'a reçu cette zone, bien que la province joue un rôle important dans le régime hydrique du delta de l'Amou Daria. C'est également une zone typique des systèmes agricoles de l'Ouzbékistan, caractérisés par la production cotonnière irriguée.

Parcelle irriguée à Khorezm (Forkutsa, 2002).

L'irrigation en Ouzbékistan

La République d'Ouzbékistan, comme d'autres pays d'Asie centrale, dépend de l'irrigation pour la productivité de son agriculture. L'Ouzbékistan est un pays enclavé dont la superficie totale est de 447 400 km2. Les terres cultivées et irriguées représentent 4,24 millions d'hectares, dont 87 pour cent en cultures annuelles et 13 pour cent en cultures permanentes. Dans la région de Khorezm, les terres irriguées occupent 262 000 hectares. L'irrigation est apparue en Ouzbékistan il y a plusieurs siècles. Autrefois, la gestion de l'irrigation relevait dans la plupart des cas de la responsabilité des collectivités; elle était confiée à des personnes sélectionnées et bénéficiant de l'estime publique. Du temps de l'Union soviétique, la gestion des ressources en eau était étroitement contrôlée par l'Etat. Ce n'est donc que récemment, après l'indépendance de l'Ouzbékistan en 1990, qu'il a été possible d'instaurer une forme de gestion centrée sur les agriculteurs.

Les associations d'usagers de l'eau prises comme sujet de recherche

Les recherches présentées dans cet article ont pour objectif: i) de déterminer les facteurs qui pèsent sur le succès ou l'échec des organisations locales récentes de gestion des eaux (Associations d'usagers de l'eau, AUE); et ii) d'étudier le rôle que peuvent jouer les AUE pilotes.

L'instauration d'AUE est un élément constitutif, et aussi la mesure la plus importante, des réformes lancées en application du programme de transfert de la gestion de l'irrigation qui sont en cours dans le pays.

Les recherches s'intéressent essentiellement aux institutions informelles et à leurs répercussions sur le fonctionnement des organisations semi-privées de gestion de l'eau, appelées associations d'usagers de l'eau. Il s'agit d'organisations non gouvernementales à but non lucratif dont les membres sont les agriculteurs eux-mêmes. Le principe de l'administration des AUE se fonde sur des élections libres, mais durant toute la période de transition entre gestion gouvernementale et privée, les agriculteurs élisent le président de leur AUE en tenant compte des recommandations des experts de l'eau.

La région de Khorezm est novatrice dans la formation complexe de nouveaux modèles de gestion de l'eau. Il existe deux sortes d'AUE: administratives-territoriales et hydrographiques. Les premières associations d'usagers de l'eau ont été organisées en 1999 à partir des anciens shirkats (fermes collectives) non rentables, qui ont été liquidés. La mise en place d'associations d'usagers de l'eau en partant des shirkats abrogés a donné naissance à la forme administrative-territoriale des AUE. Les AUE hydrographiques font référence à celles créées par les agriculteurs qui se sont rassemblés en fonction de la situation géographique des zones irriguées et des aryks (canaux), et qui utilisent l'eau d'un même canal.

Le principe même de personnes regroupées en association pour l'utilisation de l'eau n'est pas étrangère aux Ouzbeks. Dans l'histoire ancienne, à l'époque des khans, il existait des poste liés à des fonctions spécifiques dans ce domaine, tels que aryk (canal), aksakal (sage à barbe blanche), mirob (ingénieur) et tuganchi (construction et exploitation, entretien). Tous ces postes s'obtenaient à partir d'élections publiques.

Méthodes de recherche

L'étude s'est effectuée dans les vastes systèmes irrigués où sont installées des exploitations familiales. Quatre AUE installées dans la région de Khorezm et quatre projets pilotes lancés dans deux autres régions (Syr Darya et Fergana Valley) ont été choisis. Dans les AUE de Khorezm, les superficies irriguées atteignaient en moyenne 2 400 hectares, avec un nombre moyen d'irrigants de 143 personnes. Des AUE des deux sortes, dans la région de Khorezm, ont été sélectionnées pour l'étude, ce qui a permis de recueillir un éventail varié d'opinions et d'impressions sur le fonctionnement des AUE et sur les avantages et inconvénients des divers principes d'installation.

Le mode de recherche choisi s'appuyait sur des méthodes sociales modernes, inhabituelles et nouvelles en Ouzbékistan, qui orientent les usagers vers la résolution de leurs problèmes par la participation et grâce à leurs propres ressources. Les agriculteurs décrivent et présentent les problèmes et les solutions sont trouvées au fil des discussions. La formation vise aussi à instaurer des éléments de démocratie, un aspect très important et significatif, surtout pendant la période de transition au régime de marché. Les séminaires et la formation permettent également de repérer et de former les animateurs sociaux - ces personnalité fédératrices capables de mobiliser en expliquant le rôle et la fonction des AUE. Ce sont en général des dirigeants, reconnus ou non, qui comprennent mieux les processus de réforme en cours et s'intéressent à la poursuite du développement.

Les résultats attendus sont orientés et concentrés sur trois thèmes essentiels pour le fonctionnement des AUE en Ouzbékistan: l'encadrement, les mécanismes de résolution des conflits et le paiement des droits imposés aux usagers.

Constatations et conclusions

Pour ce qui est de l'encadrement, l'importance du président est évidente. Le rôle est essentiel pour l'exécution et la direction des travaux à effectuer, les activités liées à la distribution de l'eau par rotation et la résolution des conflits. Les usagers voient aussi dans le responsable de l'eau un dirigeant, surtout, comme on peut s'y attendre, pour ce qui touche à la rotation de l'eau.

En ce qui concerne la résolution des conflits, les personnes interrogées considèrent aussi le président de l'AUE comme un médiateur important en cas de conflit. Cette opinion s'est confirmée dans les trois régions de l'Ouzbékistan. Les responsables de l'eau participent aussi à la résolution des conflits et jouent un rôle essentiel. Selon les personnes interrogées, les conseils d'AUE et les réunions générales ont moins d'influence sur la médiation en cas de conflit.

Les personnes interrogées estiment que les principales causes de conflits entre les usagers sont les pénuries d'eau pour l'irrigation et le nettoyage du canal [ou le fait qu'il n'est pas nettoyé]. Les volumes d'eau fournis, l'état du système d'irrigation et les conditions générales de l'approvisionnement en eau sont les principaux sujets de dispute entre l'administration des AUE et le conseil de gestion des systèmes d'irrigation. Toujours selon les personnes interrogées, le non-respect des contrats de distribution d'eau et des calendriers d'irrigation sont les principales causes de conflit entre les agriculteurs et les AUE. Enfin, les usagers de l'eau ont aussi remarqué que le non-paiement des droits imposés aux utilisateurs constitue également un sujet possible de discorde.

Concernant les mécanismes de résolution des conflits, les personnes interrogées préfèrent la méthode dite pacifique de résolution des conflits, ce qui signifie qu'ils préfèrent discuter avec le contrevenant et pardonner l'infraction. Ils ne signaleront le cas au président que si cette méthode ne donne pas de résultats.

Le troisième thème mentionné, le paiement des droits imposés aux usagers, est dominé par les problèmes financiers des membres des AUE. Le premier obstacle au paiement des droits par les agriculteurs est le système de crédit actuel. A partir de 2005, un nouveau système de crédits «ciblés» a remplacé l'ancien système transh (intrants agricoles tels que des semences, du combustible et des engrais fournis par le gouvernement). Selon les experts toutefois, le nouveau système n'est pas populaire en raison des forts taux d'intérêts que doivent payer les agriculteurs. Aucun des deux systèmes ne prend réellement en considération les droits imposés aux usagers, ce qui laisse ceux-ci insatisfaits dans les deux cas.

Le second obstacle au paiement de ces droits est lié au caractère inopportun des paiements que les filatures de coton font aux agriculteurs pour leur production. Tous les agriculteurs, qu'ils travaillent avec les AUE de Khorezm ou avec les projets pilotes des régions de Fergana et de Syr Darya, souffrent de ce problème. Enfin, l'utilisation arbitraire, par les responsables locaux, de l'argent des comptes bancaires des agriculteurs constitue la troisième entrave au paiement des usagers de l'eau. En effet les responsables, qui sont proches des entreprises agricoles, utilisent leur pouvoir pour faire transférer de l'argent des comptes des agriculteurs vers d'autres projets stratégiques en cours sans leur demander leur avis.

Il est possible, à partir des constatations résumées ci-dessus, d'élaborer quelques recommandations à différents niveaux. La gestion de l'irrigation, à l'échelle de la nation, des provinces, des districts et des collectivités devrait faire l'objet d'une collaboration entre ces niveaux, que ce soit verticalement (entre échelons subordonnés) ou horizontalement (entre les diverses organisations apparentées).

A l'échelle locale, il faudrait accorder davantage de pouvoir au président des AUE. L'influence des responsables locaux sur les pouvoirs décisionnels des AUE devrait être réduite. A l'échelle nationale, puisque l'essentiel du réseau d'irrigation est sous le contrôle de l'Etat, celui-ci devrait investir dans la construction et l'entretien du système. Le rôle de l'Etat devrait être révisé et allégé.

Enfin, au niveau des AUE, il serait judicieux d'augmenter la participation des membres aux activités quotidiennes. Il n'est pas possible que les agriculteurs s'adaptent aux AUE s'ils ne disposent pas du droit de déterminer leurs programmes de production ou de vendre librement leurs produits agricoles sur les marchés.

Pour obtenir de plus amples renseignements, contacter Darya Zavgorodnyaya: [email protected]


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