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Vers une nouvelle compréhension des arbres et des forêts

I. Calder, T. Hofer, S. Vermont et P. Warren

Ian Calder est Professeur au Centre for Land Use and Water Resources Research, Université de Newcastle, Royaume-Uni.
Thomas Hofer est Forestier (Conservation et hydrologie), Département des forêts de la FAO, Rome.
Sibylle Vermont est responsable scientifique, Bureau fédéral pour l’environnement, Berne, Suisse.
Patrizio Warren est Consultant en sciences sociales, Département des forêts de la FAO, Rome.

Synthèse des connaissances actuelles sur les interactions entre les forêts et l’eau et principaux problèmes des politiques relatives aux eaux et forêts.

Dans de nombreuses régions du monde, les disponibilités d’eau et leur qualité sont de plus en plus menacées par la surexploitation, la mauvaise utilisation et la pollution, et l’on est de plus en plus conscient du fait que ces deux aspects sont fortement influencés par les forêts. En outre, le changement climatique altère le rôle des forêts dans la régulation des écoulements d’eau ainsi que leur influence sur les disponibilités hydriques (Bergkamp, Orlando et Burton, 2003). La relation entre les forêts et l’eau est donc un aspect critique qui mérite une attention prioritaire.

Les bassins versants boisés fournissent une proportion élevée de l’eau utilisée à des fins domestiques, agricoles, industrielles, et écologiques, dans les zones d’amont et d’aval. Ceux qui gèrent des terres, des forêts et des ressources en eau ont une lourde tâche qui est de maximiser le large éventail d’avantages multisectoriels que procurent les forêts, sans porter atteinte aux ressources hydriques et aux fonctions de l’écosystème. Pour relever ce défi, il est urgent d’améliorer la compréhension des interactions entre les forêts ou les arbres et l’eau, de sensibiliser et de renforcer les capacités dans le domaine de l’hydrologie forestière, ainsi que d’intégrer ces connaissances et les conclusions des recherches dans les politiques. Il faut aussi mettre en place des mécanismes institutionnels pour renforcer les synergies afin de résoudre les problèmes liés aux forêts et à l’eau, et mettre en œuvre et faire appliquer des programmes d’action aux niveaux national et régional.

Dans le passé, les politiques relatives aux eaux et forêts se fondaient souvent sur l’hypothèse que, quelles que soient les conditions hydrologiques et écologiques, la forêt était le meilleur couvert végétal pour maximiser le rendement en eau, régulariser les flux saisonniers et garantir une bonne qualité de l’eau. La conservation (ou l’expansion) du couvert forestier dans les bassins versants d’amont était donc considérée comme la mesure la plus efficace pour accroître les ressources en eau disponibles pour les utilisations agricoles, industrielles et domestiques, mais aussi pour prévenir les inondations dans les zones d’aval.

Les recherches en hydrologie forestière conduites durant les années 80 et 90 (résumées par Bruijnzeel, 2004; Calder, 2005, 2007; Van Dijk et Keenan, 2007) font apparaître une situation très différente. Bien que le rôle majeur du couvert forestier d’amont dans l’approvisionnement en eau pure ait été confirmé, les généralisations antérieures sur l’action bénéfique qu’aurait le couvert forestier d’amont sur les flux annuels et saisonniers d’aval se sont généralement révélées erronées. Des études ont en revanche montré que, en particulier dans les écosystèmes arides ou semi-arides, les forêts n’étaient pas le couvert végétal idéal pour accroître la production d’eau en aval. En outre, il est scientifiquement démontré que, dans les écosystèmes tropicaux, le rôle de protection du couvert forestier d’amont contre les crues saisonnières en aval a souvent été surestimé. Cela est particulièrement vrai dans le cas de phénomènes majeurs intéressant de grands bassins versants ou hydrographiques (FAO et CIFOR, 2005).

L’année internationale de l’eau douce 2003 et le troisième Forum mondial de l’eau (Kyoto, Japon, 2003) ont servi de guide pour intégrer dans les politiques cette compréhension des interactions biophysiques entre les forêts et l’eau. La Réunion internationale d’experts sur les forêts et l’eau, tenue à Shiga, Japon, en novembre 2002 en préparation de ces évènements, a mis en lumière la nécessité d’adopter une approche plus holistique en prenant en considération les interactions entre l’eau, les forêts, les autres utilisations des terres et les facteurs socioéconomiques dans des écosystèmes de bassins versants complexes. Au cours des cinq dernières années, la Déclaration de Shiga est devenue une référence clé pour l’élaboration d’une nouvelle génération de politiques des eaux et forêts (voir l’article de Zingari et Achouri, dans ce numéro).

Le présent article fait le point sur l’état des connaissances actuelles sur les interactions entre les forêts et l’eau dans les écosystèmes de bassins versants. Il résume quelques questions clés mises en relief par des discussions entre des hydrologistes forestiers, d’autres experts et responsables des politiques dans le secteur hydrique dans les années qui ont suivi la Déclaration de Shiga, le troisième Forum mondial de l’eau et l’Année internationale de l’eau douce.

Termes clés

Débit (de l’eau): volume d’eau passant par un point donné à un moment donné
Réalimentation: reconstitution d’une nappe d’eau souterraine
Bassin hydrographique (ou fluvial): le système complexe de bassins versants et de sous-bassins versants traversé par un cours d’eau important et ses affluents entre la source et l’embouchure
Liaisons amont/aval: les interactions environnementales, socioéconomiques et culturelles, les échanges synergétiques et les conflits entre les zones supérieures et inférieures d’un bassin versant
Bassin versant: la zone géographique drainée par un cours d’eau – concept s’appliquant à toute une gamme d’unités, de la ferme traversée par un ruisseau (micro bassin-versant) aux grands bassins fluviaux ou lacustres
Gestion des bassins versants: toute intervention humaine visant à garantir une utilisation durable des ressources des bassins versants


En amont et en aval, une approche plus holistique s’impose pour étudier les interactions entre l’eau, les forêts, les autres utilisations des terres et les facteurs socioéconomiques (bassin versant boisé en Inde, irrigation dans la République arabe syrienne)
FAO/FO-5535/T. Hofer
FAO/19044/R. Faidutti

ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LES FORÊTS ET L’EAU

Récemment, l’hydrologie forestière s’est focalisée sur trois thèmes présentant un intérêt particulier pour la formulation des politiques, à savoir: avantages et inconvénients comparatifs du couvert forestier pour maximiser la production d’eau en aval; rôle des forêts d’amont dans le maintien des flux d’eau durant la saison sèche; et préservation de la qualité de l’eau. Cette section résume les conclusions tirées dans ces trois domaines (d’après Hamilton, 2005).

Jadis, ceux qui formulaient les politiques partaient souvent du principe que plus il y avait d’arbres, plus il y avait d’eau, mais cette hypothèse est remise en cause par les recherches actuelles en hydrologie forestière. L’écosystème forestier consomme en réalité de grosses quantités d’eau. Les cimes des arbres réduisent les flux souterrains et le débit des cours d’eau par interception des précipitations et par évaporation et transpiration à partir des feuilles; comme les forêts naturelles et les forêts établies par l’homme consomment plus d’eau que la plupart des autres types de végétation (notamment les cultures agricoles et fourragères), il est indiscutable que la suppression (même partielle) des forêts accroît la production d’eau en aval.

On a donc parfois suggéré de supprimer le couvert forestier qui consomme beaucoup d’eau, en particulier dans les zones semi-arides, pour prévenir ou atténuer la sécheresse. Toutefois, les avantages de cette approche devraient être mis en balance avec les inconvénients qui en découleraient, à savoir la perte de nombreux autres biens et services forestiers (lutte contre l’érosion, amélioration de la qualité de l’eau, fixation du carbone, récréation et attrait esthétique, bois d’œuvre, bois de feu, autres produits forestiers et biodiversité). La déforestation est à proscrire dans les zones exposées à la salinité, où elle ferait remonter les sels à la surface du sol, ainsi que dans les forêts montagneuses de brouillard où le feuillage des arbres, les superficies de végétation épiphyte, les brindilles, branches, tiges et buissons font office de «filets» en captant les «précipitations horizontales» provenant du brouillard ou des nuages.

Il est également démontré que la suppression totale ou partielle du couvert forestier peut accélérer le débit de l’eau et accroître le risque d’inondation durant la saison des pluies, réduire le débit des cours d’eau, ou même entraîner leur assèchement en saison sèche. Toutefois, on a généralement surestimé le rôle que joue le couvert forestier dans la régulation des flux hydrologiques. Les effets de la suppression du couvert forestier ne sont évidents qu’au niveau micro-économique avec des précipitations de courte durée et de faible intensité (qui sont ordinairement les plus fréquentes). Plus la durée ou l’intensité des pluies, ou la distance de la zone des précipitations par rapport au bassin versant, augmente, moins le couvert arboré influe sur la régulation des écoulements.

À l’échelle macro-économique, ce sont moins les pratiques de gestion des terres que les processus naturels intéressant le bassin versant supérieur qui favorisent les fortes inondations. Par exemple, des preuves scientifiques solides démentissent l’hypothèse selon laquelle la déforestation dans l’Himalaya provoquerait de fortes inondations dans les plaines du Gange et du Brahmapoutre; les grandes inondations résultent plutôt d’une combinaison de facteurs, notamment des débits de pointe simultanés des gros fleuves, des ruissellements importants provenant des collines adjacentes aux plaines inondables, de forte pluies, des niveaux élevés des nappes phréatiques et des vives eaux, de l’endiguement latéral des fleuves et de la disparition de zones de stockage dans les basses terres (Hofer et Messerli, 2006). Il y a donc de nombreuses bonnes raisons de reboiser les bassins versants (limiter les pertes en sols, prévenir la sédimentation des cours d’eau, maintenir la production agricole, conserver les habitats de la faune sauvage, etc.), mais la réduction ou l’élimination du risque d’inondation n’en est pas une. Les reboisements pratiqués à cette fin ne sont efficaces qu’au niveau local, sur quelques centaines d’hectares. Les relations complexes entre les forêts et l’eau dans les gros bassins hydrographiques restent un sujet de discussion (voir CIFOR, 2007) et il est clair que les travaux doivent être poursuivis pour mieux comprendre ces interactions.

C’est en préservant la qualité de l’eau que les forêts contribuent de la manière la plus significative à améliorer les caractéristiques hydrologiques des écosystèmes de bassins versants. Elles y parviennent en minimisant l’érosion du sol in situ, en réduisant la sédimentation des plans d’eau (terres humides, étangs, lacs, cours d’eau, rivières) et en piégeant ou en filtrant les autres polluants de l’eau dans la litière forestière, en particulier grâce aux processus suivants:

Bien que les forêts puissent atténuer de petites inondations localisées, il semble qu’elles n’aient pas d’impact sur des crues causées par des pluies torrentielles, comme l’inondation due à un cyclone dans la Vallée de Paznaun (Autriche), en août 2005
Institut für Wasserwirtschaft, Hydrologie und konstruktiven Wasserbau

Les forêts permettent de garder une eau pure en minimisant l’érosion du sol et en retenant les sédiments; la déforestation accroît généralement l’érosion qui augmente la concentration de sédiments dans les eaux de ruissellement et l’ensablement des cours d’eau (Pakistan)
FAO/ FO-6389/M. Kashio

PROBLÈMES DES POLITIQUES ACTUELLES DES EAUX ET FORÊTS

Après l’Année internationale de l’eau douce en 2003, la discussion entre les spécialistes de l’hydrologie forestière, les autres experts du secteur de l’eau et les décideurs, s’est focalisée sur les trois grands thèmes suivants: intégration des connaissances en hydrologie forestière dans les politiques hydriques; inclusion des contributions du secteur forestier dans des politiques intégrées de gestion des ressources hydriques; et paiement des services environnementaux liés aux forêts et à l’eau.

Intégration des connaissances en hydrologie forestière dans les politiques hydriques

Bien que la compréhension scientifique des interactions entre les forêts et l’eau se soit sensiblement améliorée, le rôle des forêts dans la gestion durable des ressources en eau reste controversé, comme on l’a vu dans la section précédente. L’incertitude et, dans certains cas, la confusion demeurent, car il est difficile de transposer les résultats des recherches à d’autres pays et régions, bassins versants, types de forêts et essences et régimes de gestion forestière.

Un autre problème vient du décalage persistant entre les recherches et les politiques, dû au moins en partie à l’incapacité à communiquer les résultats des recherches hydrologiques aux décideurs, et à remettre en cause les hypothèses classiques avec des preuves scientifiques. Pour remédier à ce problème, l’Union internationale des instituts de recherches forestières (IUFRO) a constitué en 2006 une Équipe spéciale sur les interactions entre les forêts et l’eau qui a pour tâche de promouvoir un consensus parmi les spécialistes de l’hydrologie forestière sur les principales interactions entre les forêts et l’eau, et d’identifier des domaines d’incertitude scientifique sur lesquels axer les recherches. Dans le souci de produire et de diffuser des informations qui puissent être utilisées facilement et sans danger par des profanes, l’équipe spéciale a établi une fiche d’information d’une page pour faire connaître aux décideurs les concepts clés de l’hydrologie forestière (récapitulés dans l’encadré à droite). De la même manière, la FAO a produit la brochure Why invest in watershed management pour attirer l’attention des responsables des politiques et des décideurs sur les implications et les avantages de la gestion des bassins versants (voir encadré page suivante).

L’éducation a un rôle à jouer pour resserrer les liens entre la recherche et les politiques dans le domaine de l’hydrologie forestière. L’éducation scientifique et technique est généralement très sectorielle. Un enseignement interdisciplinaire est nécessaire pour améliorer la connaissance des interactions forêts-eau, par exemple pour améliorer les capacités d’évaluation des effets des programmes de boisement et de reboisement sur la qualité et la quantité d’eau, la maîtrise des inondations et la protection des sols.

Inclusion de la foresterie dans la gestion intégrée des ressources hydriques

L’un des objectifs du Sommet mondial du développement durable de 2002 était de promouvoir les plans de gestion intégrée des ressources hydriques, au niveau du bassin versant ou hydrographique. Ces plans multisectoriels devraient viser à garantir l’approvisionnement en «eau pour les populations, l’alimentation, la nature, les industries et les autres utilisations» (Global Water Partnership, TAC, 2000).

La nécessité de réserver une place dans ces plans au concept de «la nature au service de l’eau» qui prend en compte le rôle des écosystèmes terrestres dans l’amélioration de la production et de la qualité de l’eau, est de plus en plus reconnue. Par exemple, la forêt de Lange Erlen, en Suisse, est inondée d’eau du Rhin une douzaine de jours par mois pour permettre au sol forestier de filtrer l’eau et de l’épurer, et pour réalimenter la nappe phréatique de la ville voisine de Bâle.

Comme les forestiers sont de plus en plus déterminés à élaborer des programmes forestiers nationaux (PFN) pour mettre en œuvre la gestion durable des forêts, ils peuvent s’allier à des experts en hydrologie pour élaborer des plans de gestion intégrée des ressources en eau et des programmes forestiers dans le cadre d’un processus de planification plus global du bassin versant/hydrographique. De même, les responsables de la gestion des bassins versants et hydrographiques transfrontières devraient prêter plus d’attention à la relation entre le couvert forestier d’amont et les écoulements d’eau en aval. Par exemple, Le Programme pour le développement durable du Rhin (CIPR, 2001), une initiative transfrontière, a recours à des boisements et à des mesures de conservation des forêts pour faciliter la rétention de l’eau et prévenir les inondations dans les zones voisines situées en contrebas. La superficie de forêt protégée dans le bassin, de 1 200 km2 en 2005, devrait atteindre 3 500 km2 d’ici à 2020.

De nombreux pays ont commencé à élaborer des plans de gestion intégrée des ressources en eau, à l’échelle nationale ou du bassin versant. L’existence d’un grand nombre de parties prenantes diverses aux intérêts différents et parfois opposés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du bassin versant, et le chevauchement des responsabilités administratives des différentes autorités régionales dans de nombreux pays rendent la mise en œuvre de ces plans difficile. Un processus de planification par étapes est conseillé pour s’assurer l’adhésion des intéressés et l’application effective du plan. Par exemple, la Directive-cadre sur l’eau (DCE) de l’Union européenne prévoit l’élaboration de plans de gestion des bassins hydrographiques à partir d’un processus consultatif qui aura lieu en 2008 et sera finalisé en 2009. Cela laisse aux forestiers européens le temps de coopérer avec leurs collègues experts en hydrologie.

Paiement des services environnementaux

Dans beaucoup de pays, les politiques, plans et programmes relatifs aux eaux et forêts convergent grâce à la popularité croissante des programmes de rétribution des services environnementaux (également appelés accords de coopération fondés sur des mesures d’encouragement, rétribution de la bonne gestion, programmes d’indemnisation, ou rétribution des performances) pour financer la gestion des bassins versants, la gestion durable des forêts et d’autres processus de développement durable (voir encadré concernant le Mexique). Les paiements ne se font pas nécessairement en argent, mais souvent en services qui font défaut dans une communauté (tels que réfection des routes, bus scolaire ou transport hebdomadaire des produits agricoles).

Les populations d’amont qui gèrent les forêts peuvent, par exemple, recevoir un dédommagement des populations d’aval qui utilisent l’eau, sous la forme d’une rétribution directe de services d’hydrologie forestière, tels que la régulation du débit ou la protection de la qualité de l’eau. Dans les pays en développement, cela génère une «hydrosolidarité» entre les populations d’amont et d’aval, dont les intérêts sont souvent défendus par des organismes publics. Par exemple, depuis 1996, le gouvernement du Costa Rica a parrainé des programmes visant à promouvoir la conservation des forêts par des incitations économiques et à indemniser ceux qui possèdent ou exploitent des terres qui fournissent des services environnementaux. Des mécanismes plus sophistiqués, dont des subventions financées par l’impôt sur le revenu et par d’autres sources du secteur public, sont mis en place dans les pays industrialisés (voir encadré concernant la Suisse). La Convention de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (2007) a récemment approuvé le concept de la rétribution des services rendus par les écosystèmes, tels que la conservation et l’expansion du couvert forestier.

Les zones tampons de forêt riparienne peuvent réduire considérablement, voire éliminer, la pollution de source non ponctuelle d’origine domestique, industrielle et agricole (Suriname)
FAO/FO-0788/Noebauer

Les forêts et l’eau: messages clés à l’intention des décideurs

Utilisation de l’eau par les forêts

Les facteurs qui ont une incidence sur la manière dont les forêts utilisent l’eau sont le climat, le type de forêt et le type de sol. En général, les forêts utilisent plus d’eau que des types de végétation moins hauts car l’évaporation est plus forte; les ruissellements de surface, la réalimentation des nappes d’eau souterraines et la production d’eau y sont aussi moindres. Les pratiques de gestion des forêts peuvent avoir un impact considérable sur leur utilisation de l’eau, en modifiant le mélange d’espèces et d’âges des arbres, la structure de la forêt et la dimension de la zone exploitée et librement accessible.

Les flux d’eau en saison sèche

Les forêts réduisent les écoulements de la saison sèche au moins autant que la production annuelle d’eau. En théorie, dans des bassins versants agricoles dégradés, l’infiltration supplémentaire associée aux terres boisées pourrait être supérieure à la perte supplémentaire par évaporation dans les forêts, ce qui se traduirait par une augmentation (et non une diminution) des flux en saison sèche – mais cela s’est rarement vu.

Débits de crues

Si les forêts peuvent atténuer les petites crues localisées, elles ne semblent pas avoir d’impact sur les graves inondations ou sur celles qui intéressent un gros bassin versant. Une forêt de plaine inondable peut toutefois faire exception et réduire les inondations en aval, si la rugosité hydraulique (ensemble de tous les éléments susceptibles de freiner l’écoulement, tels que la litière forestière, le bois mort, les brindilles et les troncs d’arbre) ralentit et désynchronise les flux des crues.

Qualité de l’eau

Les forêts naturelles et les plantations bien gérées peuvent préserver les approvisionnements en eau potable. Les forêts gérées consomment généralement moins d’intrants (éléments nutritifs, pesticides et autres produits chimiques) que des utilisations plus intensives des terres, comme l’agriculture. Les forêts plantées dans des zones agricoles et urbaines peuvent réduire les polluants, surtout si elles se trouvent sur des «couloirs de ruissellement» ou dans des zones ripariennes. Toutefois, les arbres exposés à une forte pollution atmosphérique absorbent du soufre et de l’azote et peuvent accroître l’acidification de l’eau.

Érosion

Les forêts protègent les sols et réduisent les taux d’érosion et la sédimentation des cours d’eau. Certaines opérations sylvicoles, comme les soins culturaux, le drainage, la construction de routes et la coupe du bois, peuvent accroître les pertes de sédiments, mais l’adoption de pratiques de gestion améliorées peut limiter ce risque. La plantation de forêts sur des sols exposés à l’érosion et sur des «couloirs de ruissellement» peut réduire et intercepter les sédiments.

Changement climatique

Les modèles climatiques mondiaux annoncent d’importants changements des chutes de neige saisonnières, des précipitations et de l’évaporation dans de nombreuses régions du monde. Dans le contexte de ces changements, les forêts peuvent avoir une influence positive ou négative sur la quantité et la qualité de l’eau. Si l’on envisage des boisements à grande échelle pour atténuer les changements climatiques, il faut absolument veiller à ce que cela n’aggrave pas les pénuries d’eau. En fournissant de l’ombre, les forêts ripariennes peuvent contribuer à réduire le stress thermique auquel seront soumis les organismes aquatiques quand le réchauffement climatique s’intensifiera.

Les forêts-énergie

Les espèces forestières cultivées à croissance rapide peuvent avoir besoin de beaucoup d’eau et réduire la production hydrique. Au niveau local, il peut être essentiel de faire des choix en mettant en balance les possibilités de production énergétique et les effets sur l’eau dans les régions où les ressources hydriques sont menacées par le changement climatique.

Source: IUFRO, 2007.


Pourquoi investir dans la gestion des bassins versants?

Les zones de bassins versants, qui fournissent de l’eau douce de bonne qualité, régularisent le débit des cours d’eau et les ruissellements de surface, abritent des terres arables fertiles et d’immenses ressources forestières, jouent un rôle pivot dans l’écologie de la planète et contribuent de façon significative à la richesse et au bien-être des sociétés humaines. Après son examen interrégional de la gestion des bassins versants conduit en 2002-2003 (voir encadré p. 22), la FAO a récemment publié la brochure Why invest in watershed management pour attirer l’attention des responsables des politiques et des décideurs sur les fonctions environnementales des bassins versants, les risques et les menaces qui pèsent actuellement sur eux, ainsi que sur les aspects économiques, les politiques de gestion, les institutions de gouvernance et les programmes relatifs aux bassins versants. Concise et bien illustrée, la publication s’adresse principalement aux décideurs qui doivent trouver un équilibre entre le développement socioéconomique et la conservation de l’environnement. Une recherche récente confirme que l’atteinte de ces objectifs souvent divergents pourrait être considérablement facilitée en investissant dans la gestion des bassins versants.

La brochure Why invest in watershed management peut être obtenue gratuitement en envoyant un message électronique à: [email protected], ou téléchargée en ligne à l’adresse: www.fao.org/forestry/site/37205



Rétribution des services éco-hydrologiques au Mexique

Pour enrayer la déforestation et la pénurie d’eau, le Mexique a mis sur pied un programme de rétribution des services éco-hydrologiques en 2003. Ce programme propose des incitations économiques pour éviter la déforestation dans les zones où le manque d’eau se fait cruellement sentir mais où, à court ou moyen terme, il pourrait devenir moins intéressant de pratiquer la foresterie commerciale que de convertir les terres à l’agriculture ou à l’élevage de bétail. Le programme prévoit des versements directs aux propriétaires de terres qui ont des forêts en excellent état; il rémunère la conservation des bassins versants ainsi que la gestion et la remise en état des forêts tempérées et tropicales qui contribuent à l’approvisionnement en eau des communautés. Ce programme est financé par une partie des redevances sur l’eau perçues au titre de la Ley federal de derechos. Les montants versés sont de 400 pesos (36,9 dollars EU) par hectare pour les forêts de brouillard et de 300 pesos (27,7 dollars EU) pour les autres types de forêts, la surface maximale par bénéficiaire étant de 200 hectares. En 2007, environ 480 000 hectares ont été couverts par le programme, avec 879 contrats (Martínez, 2007).


Approvisionnement en eau et entretien des forêts urbaines à Lausanne (Suisse)

La ville de Lausanne, située au bord du lac de Genève, en Suisse, compte 136 000 habitants. Elle possède environ 16 km2 de forêts qui lui fournissent à peu près 8 pour cent de ses besoins en eau potable. Les fonds disponibles, provenant à la fois des ventes de bois, des subventions et de l’impôt sur le revenu, ne permettent pas de couvrir la totalité des dépenses de gestion des forêts (environ 15 euros par an et par habitant), en particulier quand la protection des ressources en eau est un objectif prioritaire. Un fonds collectif pour le développement durable a donc été constitué en 2001, avec un apport initial d’environ 3 millions d’euros. D’autres fonds proviennent de la vente d’électricité au prix de 0,009 euro par kilowattheure, de la vente de gaz à 0,0003 euro par kilowattheure et de la vente d’eau à 0,01 euro par mètre cube, d’un prélèvement de 1 pour cent sur les profits annuels des services industriels de la ville, et les dépenses des consommateurs n’ont pas augmenté. Seule une partie du fonds est affectée à la promotion et à la gestion de la forêt, ce qui laisse une certaine souplesse, en particulier pour les projets pluriannuels. En outre, les services forestiers et les services d’approvisionnement en eau travaillent en étroite coopération.

CONCLUSIONS

Durant les cinq ans qui ont suivi la Déclaration de Shiga, le Troisième Forum mondial de l’eau et l’Année internationale de l’eau douce 2003, la compréhension scientifique moderne des interactions entre les forêts et l’eau a peu à peu imprégné les politiques environnementales internationales et nationales. Le problème des «quatre M» (Mythes, Mauvaise compréhension, Mauvaise interprétation et Mauvaise information) (Hamilton, 1985) a ainsi enfin pu être en partie corrigé dans les milieux politiques. Le nouvel éclairage jeté sur les interactions eau-forêts a permis de mieux comprendre ce qu’une forêt peut (ou ne peut pas) faire pour résoudre les problèmes qui ne feront que s’aggraver dans le monde, en termes de disponibilité, qualité et gestion des ressources hydriques.

Cela a engendré une coopération plus étroite et plus fructueuse entre les experts en gestion de l’eau et les forestiers, dont témoignent les travaux effectués au cours des cinq dernières années par des organismes régionaux et mondiaux, tels que la Conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe (CMPFE), le Réseau international des organismes de bassin (RIOB), le Réseau latino-américain de coopération technique pour l’aménagement des bassins versants (REDLACH), la Commission du fleuve Mékong, la Convention sur la diversité biologique (CDB), le Comité des forêts de la FAO (COFO), les Commissions régionales des forêts de la FAO et le Comité du bois de la CEE-ONU.

Cette coopération doit encore être développée et renforcée aux niveaux national et régional, par exemple grâce à des échanges d’expertise technique et d’expériences entre les pays et les régions. Il faut développer la recherche appliquée dans le domaine des eaux et forêts et renforcer les partenariats entre les instituts de recherche et d’enseignement et les institutions financières et politiques. Il convient de faire des évaluations comparatives objectives des services forestiers (hydrologiques ou non), y compris de leur contribution aux moyens d’existence des populations forestières, de la production de biocombustibles, de la conservation de la biodiversité et des valeurs esthétiques et récréatives. Ces besoins sont encore plus pressants avec le changement climatique qui ne fait qu’ajouter à la complexité de l’interaction forêts-eau et influence les politiques forestières et hydriques dans de nombreuses régions du monde. Il faut élaborer et promouvoir auprès des décideurs des solutions techniques innovantes pour utiliser rationnellement les nombreux services fournis par les forêts et nécessaires à la société – notamment ceux en rapport avec l’eau – afin qu’ils puissent prendre des décisions en connaissance de cause sur la gestion intégrée des forêts et de l’eau, en cette période de changements planétaires.

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