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1. CONFLITS ENTRE SARDINIERS ET PECHE ARTISANALE

- Destruction d'engins

Les captures de la pêche sardinière sont constituées à 95% de sardinelles (1).

Aussi bien les sardiniers basés au port d'Abidjan que les pêcheurs piroguiers du littoral ivoirien se partagent cette ressource, puisque les éspèces poursuivies, se déplaçant en bancs se rapprochent parfois de la côte. Aussi dans les endroits où la concentration de pirogues et de sardiniers est élevée, les conflits virtuels en sont augmentés d'autant.

Dans 90% des cas les sardiniers pêchent sur des fonds de 6 à 45 mètres; En deçà de l'isobathe 25, l'occurrence est de plus de 50%. D'une manière générale les sardiniers opèrent sur des fonds de 30 mètres, à savoir, à une distance de la côte entre 2 et 5 milles marins (2).

Les fonds de 10 mètres se rencontrent à 1/2 mille de la côte en moyenne. De l'est de Fresco jusqu'à Assinie, les fonds présentent peu d'affleurements rocheux ce qui autorise les sardiniers à pêcher très près de la côte quitte parfois à s'échouer. La majorité des fonds de pêche se situent entre 6 et 35 mètres de profondeur, ce qui correspond à une bande côtière de 7 milles de large. Cette bande est fréquentée par la pêche industrielle aussi bien que la pêche artisanale bien qu'habituellement cette dernière pour éviter des frais d'essence trop élevés préfère opérer près des côtes s'il y a des chances d'y trouver du poisson. Lors de la saison froide marine (juillet-aôut-septembre), les sardiniers suivent les bancs de sardines rondes jusqu'à l'intérieur du premier demi mille (3). L'arrêté ministériel no 31/MPA/DPML du 16 sept. 83 interdit l'accès du premier mille marin aux chalutiers, cependant cet arrêté ne concerne pas les bateaux sardiniers. En effet; les résultats des travaux des chercheurs du CRO ont démontré qu'il était impossible d'interdire la pêche sardinière dans le premier mille marin puisque les migrations des éspèces pélagiques peuvent s'effectuer près des côtes selon la saison. (3). Toute la bande côtière peut être en conséquence fréquentée par les deux pêches sauf évidemment la proximité immédiate de la barre où seuls les pêcheurs piroguiers, pour des raisons évidentes, peuvent jeter leurs sennes tournantes.

Aux dires des armateurs les sardiniers ont réduit leur rayon d'action ces dernières années à cause de l'augmentation du prix du gasoil. Ils se concentrent volontier aujourd'hui au large d'Abidjan, entre Grand Bassam et Jacqueville. C'est dans cette même zone que la concentration des pêcheurs artisanaux maritimes est la plus forte, et la concurrence est d'autant plus féroce que leur concentration est grande.

(1) et (2) BOUBERI AMON KOTIAS. l'occurrence des fonds de pêche ivoirieus.
(3) Rapport annuel du service de la pêche industrielle *ç_”

Les descriptions qui suivent sont le fruit des témoignages de pêcheurs piroguiers, de ceux des armateurs sardiniers et des informations transmises par la Direction des pêches.

Les pêcheurs piroguiers peuvent entrer en conflit avec la flotte industrielle de différentes manières.

-1. Le sardinier manoeuvre de nuit autour d'un banc de poissons pour prendre une position idéale. Il jette son filet à l'eau. Une pirogue intéressée par les mêmes poissons vient également jeter son filet sur le banc et se trouve en conséquence encerclée par la senne tournante du sardinier. La pirogue n'a pas allumé ses feux et tente de sortir du filet qui l'entoure après avoir tenté de pêcher une partie des poissons. Elle peut sortir indemne avec sa capture, il arrive aussi qu'elle déchire le filet du sardinier avec son moteur ou, lors d'altercations qu'elle endommage sa pirogue ou son moteur en heurtant le sardinier (1).

(1) Rapport de mer du Sardinier “Lahou” No AN 598. 19/08/83 Abidjan

Certains pêcheurs de Jacqueville nous ont raconté avoir pénétré à l'intérieur de la senne du sardinier après quoi ils ont emballé leur moteur de façon à effrayer les poissons. Si les poissons s'enfuient par le bas, les pêcheurs piroguiers tenteront de les récupérer plus loin. La pirogue doit alors sortir du piège où elle s'est mise. Si deux pêcheurs plongent de façon à maintenir le cordon de la senne du sardinier sous l'eau la sortie peut s'effectuer sans dommage. Si la pirogue est lancée à pleine force, son carénage et son moteur ont toutes les chances de déchirer le filet du sardinier.

-2. Une pirogue poursuit un banc de poisson, elle lance son filet. Un sardinier étant en chasse de ce même banc, il a tôt fait de l'entourer ayant un moteur plus puissant. Ici le scénario décrit sous le point l peut se répéter, ou bien la pirogue fait rapidement demi tour avant que la senne du sardinier l'ait totalement encerclée. Elle traîne son filet derrière elle ou le ramène à bord en catastrophe. Elle peut s'en tirer sans dommages avec ou sans/poisson. Elle peut aussi déchirer son filet dans la manoeuvre.

-3. Un sardinier a délibérément opté de jeter son filet dans le voisinage immédiat d'une pirogue qui a déjà mouillé le sien. L'opéràtion peut se passer sans dommages, elle peut aussi porter tort aux deux acteurs séparément ou réunis si, par exemple la senne de la pirogue se prend dans l'hélice du sardinier.

-4. Un sardinier pêche à proximité du littoral et emporte une senne de plage en la déchirant (2).

(2) PV de la réunion de réglement à l'amiable entre M Kwaku Kwadzo et l'armement Ivoirpêche. 9/8/83. DPML Abidjan.

-5. Un sardinièr détruit un filet maillant ne l'ayant pas vu s'il est mal balisé ou s'il ne l'est pas du tout. Il peut selon les pêcheurs l'emporter délibérément s'il juge impérieux de capturer un banc de poissons qu'il poursuit. Le cas semble néanmoins très rare.

-6. Il arrive que les pêcheurs artisanaux volent les balises des sennes tournantes des sardiniers selon la Direction des pêches qui a été contactée par les armateurs.

Si les conflits sont ouverts et les conséquences visibles immédiatement, il arrive aussi que les destructions subies passent d'abord inaperçues. Il est facile par exemple qu'un sardinier ne se rende pas compte que son filet a été déchiré avant qu'il ne l'ait hissé à bord ou même parfois ramené au port.

En ce qui concerne le dédommagement des dégats, on peut préciser que les armement industriels sont assurés tandis que les compagnies piroguières ne le sont pas.

D'après nos contacts les lieux où les litiges semblent les plus vifs sont situés entre Grand Bassam et Jacqueville, particulièrement au large de Vridi. Les pêcheurs Ghanéens de Sassandra assurent n'avoir jamais eu de filets endommagés par les sardiniers. Selon la Direction des pêches, les conflits entre sardiniers et piroguiers sont nombreux dans la région de Grand Bassam et d'Azuretti.

Les pêcheurs de Vridi enregistrent le plus grand nombre d'accidents pendant le mois d'août et pendant la saison de l'Harmattan où, selon eux la diminution de la visibilité augmente les chances de collisions aussi bien entre pirogues et sardiniers qu'entre les pirogues elles même.

Concurrence au niveau de l'exploitation de la ressource.

L'ordinateur du CRO qui est en panne ne nous a pas permis de consulter les statistiques de la production artisanale de Vridi. On sait néanmoins qu'elle est importante. Le nombre actuel des compagnies de pêche artisanales de Vridi se monte à peu près à 85 (comm. pers. André Bert CRO), sans compter les pirogues de Port Bouët, ile de Boulay etc.…

Les conflits qui sont exaspérés en lagune Ebrié et qui ont conduit les autochtones à interdire l'utilisation des sennes tournantes ont contraint la flotte piroguière étrangère à accentuer son effort en mer (elle pêchait auparavant aussi bien en mer qu'en lagune) où elle entre en concurrence avec les sardiniers

Les statistiques des débarquements au port d'Abidjan des navires sardiniers industriels sont les suivantes: Pour 1982, 20 963 tonnes et une augmentation du prix de 6% alors que la perte en poids était de 6% également comparée à l'année précédente. En 1983 le tonnage augmente de 11,5% et atteint 23392 tonnes, le prix lui diminue de 7,3%. Au premier trimestre 1984 la comparaison avec l'année précédente montre que les débarquements ont baissé de 20% en poids mais ont gagné 41% en valeur. Pour de deuxième trimestre 84, la production a chuté de 48% comparativement à l'année précédente et les prix ont augmenté de 66%. Le nombre des sardiniers opérant dans les eaux ivoiriennes est resté stable pendant ces années (1).

(1) Bilan des activités du port de pêche Abj. 81.82.83.84

La production artisanale piroguière est mal connue, étant débarquée sur tout le littoral ivoirien. Elle peut être fiablement repérée par endroits, comme Vridi ou San Pedro par exemple, mais ces statistiques n'autorisent pas à donner des conclusions sérieuses puisqu'il faudrait disposer de statistiques industrielles par lieu de pêche de façon à comparer les résultats. On peut toutefois retenir des statistiques industrielles que la production est extrêmement variable et que, par déduction logique, les deux deux pêches artisanales et industrielles en sont pareillement affectées. (Toutefois il faut user des statistiques avec grande circonspection pour des comparaisons à long terme étant donné la variabilité annuelle des stocks de sardinelles).

Pourtant il faut remarquer que, fussent elles disponibles, les statistiques ne sauraient montrer exactement dans quelle mesure les deux pêches sont concurentielles au niveau de la ressource pour la raison très simple que les sardiniers fixent volontairement un plafond à leur production si les captures sont très importantes et, de ce fait risquent de faire baisser les prix (cette décision est prise par le syndicat des armateurs). Les pêcheurs piroguiers ne sont évidemment pas soumis à cette mesure et se gardent bien de s'autolimiter. En de telles circonstances ils bénéficient d'un stock qui est moins exploité par la flotte industrielle. Les femmes fumeuses ne réussissant pas à fumer la la totalité des captures, les pêcheurs artisanaux vendent le surplus au port de pêche d'Abidjan. Au niveau de la fixation des prix, ce phénomène tend à estomper sensiblement les mesures prises par le syndicat des armateurs (voir plus loin chap. Concurrence et commercialisation). L'effet d'une telle mesure sur la production s'observe par exemple en 1982 où le tonnage du poisson débarqué avait diminué de 6% comparativement à 81. Ce chiffre pourtant ne laisse rien savoir sur l'état des stocks et par conséquent sur la concurrence d'une ressource partagée étant donné que la production aurait pû être largement dépassée si, pendant la période favorable de juillet à la mi-octobre, ces apports n'avaient pas été limités successivement à 300 et 100 caisses par marée. On peut remarquer, en revanche que le chiffre d'affaire correspondant a nettement dépassé celui de 1981; le prix moyen du kilo a augmenté suffisamment pour compenser la perte (1). On remarque de même en 1983 que la production sardinière a augmenté de 11% depuis 1982. Les apports ici aussi auraient pû être plus importants (les débarquements avaier été limités successivement à 500 et 200 caisses par marée et le nombre des navires autorisés à débarquer étaient de 8 par jour). Le bilan du port de pêche tient à préciser que cette limitation va à l'encontre de la politique développement de la pêche industrielle, quant aux armateurs rencontrés, ils jugent qu'un stockage par le froid ne serait pas rentable.

(1) Rapport annuel du service de la pêche industrielle 1983 DPML

Le tableau suivant montre les fluctuations de la pêche sardinière. On peut également observer que le chiffre d'affaire de 1983 est proche de celui de 1982 magré la hausse de production de 11%.

 19821983  VARIATION
PRODUCTION en tonnes
20 964
23 392
  +   11%
VALEUR en millions de frs
2 590
2 676
  +   3%
P/kg.
123
114
  - 7

(2)

(2) Bilan de la pêche industrielle 1982 DPML

La pêche sardinière, rappelons le, outre les mesures de contingentement citées plus haut est sujette à beaucoup de fluctuations dont les deux pêches industrielle et artisanale conjointement subissent les effets.

Une étude complète sur la production et l'économie de la pêche artisanale maritime serait nécessaire pour déterminer sa position dans l'économie ivoirienne. Néanmoins, les témoignages de tous les pêcheurs rencontrés ne signalent jamais des cas de faillit, et les cas de reconversion professionnelle semblent peu courants et rarement dûs à des difficultés économiques résultant d'un appauvrissement dramatique des stocks de poisson. Les retours cycliques des pêcheurs artisanaux dans leur pays d'origine est conditionné par d'autres facteurs. Les seuls cas de faillite dont nous avons été saisis concernaient des pêcheurs dont les engins de pêche avaient été détrutis et qui sont rentrés au Ghana n'ayant plus le capital nécessaire pour recommencer leur industrie;

Les compagnies de pêcheurs étrangères en Côte d'Ivoire travaillent dans un but spéculatif. En effect; elles ont pour projet de rentrer dans leur pays d'origine après quelques années, enrichies d'un montant qui servira soit à créer d'autres unités de pêche soit à construire une habitation “en dur” pour la famille etc … La permanence de ces équipes de pêche en Côte d'Ivoire laisse supposer une exploitation satisfaisante des ressources maritimes d'autant plus que, par endroit leur effectif est en croissance. Il est donc difficile de se prononcer sur les incidences que l'exploitation d'un même stock par la pêche industrielle peut avoir sur la pêche artisanale et inversément. Il est toutefois permis de penser que les conflits qui éclatent entre les deux flottes ne peuvent être résolus - en partie tout au moins - que par un arbitre impartial (rôle imparti à la direction des pêches), puisque, sauf négligence, ces conflits sont issus d'une même attitude faite d'avidité pressée avec pour résultat que le plus fort, en général prend le plus souvent le dessus.


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