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LA TRANSFORMATION ET LA COMMERCIALISATION DU POISSON DANS LA REGION DES LACS MOBUTU, EDOUARD ET GEORGE

d'après

F. René et P. Daniel
CEA/JEFAD

1. INTRODUCTION

A part quelques particularités locales, les caractéristiques du secteur aval des pêcheurs des lacs Edouard et Mobutu sont globalement les mêmes. Ces caractéristiques peuvent être résumées ainsi:

la commercialisation souffre cependant de l'enclavement des lacs et en particulier de l'insuffisance des voies de communication.

2. LE TRAITEMENT DU POISSON

2.1. Vente de poissons frais

La vente de poissons frais est le meilleur moyen pour obtenir la plus forte valeur marchande, tout en évitant les coûts et le travail de transformation. De plus, le poisson frais a une plus grande valeur nutritive que le poisson transformé.

Cependant, ce créneau est fortement limité par l'état de délabrement des infrastructures routières. Par conséquent, dans de nombreux endroits la majorité du poisson pêché est traitée par les femmes du village qui utilisent les méthodes traditionnelles de salage et de fumage.

2.2. Salage-séchage (“Heavy-salting” en Ouganda)

C'est la méthode de traitement la plus utilisée sur les deux lacs, le poisson est saupoudré à la main, de sel, puis étalé au soleil, soit directement sur la terre, soit le plus souvent sur des nattes ou sur une dalle en béton. Parfois, il est disposé sommairement sur des séchoirs, mais ceux-ci sont assez rares dans la région. Le poisson doit être régulièrement retourné pour obtenir un séchage uniforme.

Le temps nécessaire pour le séchage est variable. En saison sèche, les tilapias sont séchés pendant 2 à 3 jours, le taux de sel varie entre 14 et 20 %, et le rendement de ce traitement varie de 40 à 60 % (ex: 44% avec 18 % de sel, selon Vakily 1. A la suite du traitement, les poissons sont regroupés en tas et entreposés dans des locaux humides, mal aérés.

2.3. Saumurage (“light-salting” en Ouganda)

Ce traitement de type semi-industriel consiste à immerger le poisson préalablement éviscéré dans des cuves de saumure, pendant 24 à 72 heures. La plupart du temps, il est également suivi d'un séchage au soleil.

2.4. Séchage

Il arrive que le poisson frais soit séché directement, sans salage préalable. Dans ce cas, la chair est étalée en très fines lamelles, sans toutefois être entièrement découpée, donnant ainsi ce que les ougandais appellent le “sheet-fish”. Le séchage au soleil dure en moyenne 2–3 jours.

2.5. Fumage

Ce traitement se fait à chaud dans des fours traditionnels enterrés, ou le plus souvent à feu ouvert. Les poissons sont fumés soit entiers ou fendus en deux selon leur taille. Selon le type de produit désiré, la durée de fumage peut varier de 2 heures à 2 jours.

Le fumage court donne un poisson “fumé une seule fois” (moto-moko) de durée de conservation courte (2–3 jours). Les Clarias sp. et les protoptères sont le plus souvent préparés de cette manière, les Clarias sp. en particulier sont presque toujours vendus fumés étant donné la présence de nombreux parasites qui rend leur aspect peu appétissant. Parfois également, à Vitshumbi, les tilapias ne subissent un fumage que de 30 minutes. Avec un fumage long on peut envisager une conservation du poisson pouvant aller jusqu'à 3 mois, la perte de poids variant de 40 à 60 %.

Après le salage-séchage, le fumage était auparavant la deuxième méthode de conservation la plus employée. Mais l'approvisionnement en bois étant de plus en plus difficile et coûteux, cette production devient très limitée.

1 Vakily, J.M.. Etude du potentiel halieutique du lac Mobutu, 1989.

3. LA COMMERCIALISATION AU LAC EDOUARD/IDI AMIN

La commercialisation au lac Edouard est fortement conditionnée par sa situation au sein des parcs nationaux. Le nombre de points de débarquement y est en principe sévèrement réglementé et limité, tant en Ouganda qu'au Zaïre.

La majorité du poisson, et en particulier la plupart des tilapias est vendue et consommée fraîche généralement, seuls les excédents sont transformés. Au Zaïre, ces tilapias sont vendus frais aux commerçants venus tôt le matin de Goma, Lubero ou Butembo, avec des camionnettes (louées à Kyavinyonge ou Vitshumbi), et des barres de glace. Nyakakoma est évitée à cause de l'état de délabrement des routes. Ils chargent en moyenne 2.500 tilapias par camionnette, qu'ils vendent ensuite aux détaillantes des marchés locaux. Les Clarias sp. et les protoptères sont souvent transportés vivants jusqu'aux marchés ou fumés selon la méthode “moto-moko” (2 h) et vendus ainsi aux populations des alentours.

A Kyavinyonge, la COPEVI (coopérative des pêcheurs de Vitshumbi) vend généralement sa production de poissons saumurés (24 h) puis séchés (2 jours) à un commerçant de Goma.

Si la majorité du poisson est vendue en frais dans les grands centres de débarquement, l'isolement de certains camps de pêcheurs, surtout sur les rives latérales du lac, oblige ceux-ci à transformer la quasi-totalité de leur production afin de lui assurer une durée de conservation suffisante pour pouvoir être transportée jusqu'aux marchés.

Les pêcheurs ougandais vendent une grande partie de leurs captures au Zaïre, où la forte demande crée un appel important. En effet, au Zaïre, les populations riveraines du lac sont relativement aisées. Une partie du poisson du lac Mobutu est également expédiée sur les marchés de Kisangani et de Kinshasa.

4. LA COMMERCIALISATION AU LAC MOBUTU

Le nombre de points de débarquement sur le lac Mobutu est beaucoup plus important que sur le lac Edouard.

La principale caractéristique de ces villages de pêcheurs est leur extrême isolement qui est beaucoup plus marqué lorsequ'ils sont basés sur le lac Edouard. Cette situation est conditionnée par les caractéristiques géographiques du lac, enclavé entre deux chaînes du Rift qui le coupent presque totalement des voies de communication avec les principales villes, tant du côté ougandais que zaïrois. Dans la partie centrale du lac, ces escarpements se resserrent fortement, interdisant tout accès routier aux rives.

La difficulté d'acheminer du poisson frais jusqu'aux marchés fait que, contrairement à ce qui se passe sur le lac Edouard, presque toute la production est transformée. La majeure partie (environ 80 %) est salée, le reste étant congelé, saumuré ou fumé.

La quantité de poissons congelés est devenue très faible, à cause de la vétusté des installations: 10 %, selon Corsi 1. Une petite partie du poisson est également vendue en frais sur les débarcadères à des petits commerçants à vélo (“soupes rouges”), qui achètent par exemple du poisson le matin à Kasenyi pour le revendre à Bunia. Le poisson salé est souvent de mauvaise qualité, voire fermenté, mais il semble correspondre au goût des consommateurs zaïrois.

A Kasenyi, il existe 3 comptoirs d'achat et 10 grossistes réguliers, qui achètent le poisson salé-séché pour le revendre aux détaillants des marchés de Bukavu, Goma, Béni, Kisangani et Isoro. A Mahagi-part, 5 commerçants sont permanents et 4 d'entre-eux sont propriétaires de camions.

Du côté ougandais, le traitement et la commercialisation du poisson sont fortement conditionnés, là aussi, par le goût et la demande des consommateurs zaïrois car la majeure partie des captures transite par le lac pour être vendue au Zaïre. Ainsi, 60 % à 70 % de la production ougandaise du lac Mobutu est salée malgré la faible demande du consommateur ougandais pour ce type de produit.

L'isolement encore plus marqué des campements de pêcheurs sur la rive ougandaise favorise ce flux, et des barques se sont spécialisées dans cette activité de transport lacustre.

1 Corsi, F., 1990. Evaluation des pêcheries zaïroises des lacs Idi Amin et Mobutu Sese Seko. Projet régional PNUD/FAO pour la Planification des pêches continentales (PPEC). RAF/87/099-TD/08/90 (Fr): 64p.

5. LES CONTRAINTES AU DEVELOPPEMENT

5.1. Les voies de communication

L'état déplorable des rares voies de communication existantes est unanimement reconnu comme étant la cause la plus importante de ralentissement au développement pour la commercialisation, et pour les pêcheries dans leur ensemble.

Cette situation est particulièrement épineuse en ce qui concerne le lac Mobutu. Du côté zaïrois, les seuls accès au lac sont les pistes reliant Bunia à Kisenyi et Tchomia au sud (55 km/3 h de route) et Mahagi à Mahagi-port au Nord (155 km). Pour le côté ougandais, on trouve les pistes de Fort-Portal à Ntoroko au sud, de Masindi à Butiaba et/ou Wanseko au nord.

L'impraticabilité de ces routes et les 3 à 5 heures de trajet minimum nécessaires pour parcourir les 50 à 70 km qui séparent les villages de pêcheurs des villes les plus proches ont plongé ceux-ci dans un état de quasi-autarcie. Et cette situation est apparemment encore plus marquée du côté ougandais que du côté zaïrois. Par ailleurs, les pistes sont presque toutes des culs-de-sac ne desservant qu'un ou quelques villages en bordure du lac, rendant difficile un quelconque investissement des pouvoirs publics pour leur entretien. De plus, pour accéder au lac, il faut descendre un escarpement d'environ 600 m, rendant très difficile l'entretien et la réparation des routes et augmentant considérablement les temps de trajet.

Toutes ces conditions structurelles ont fait que seules se sont développées en bordure du lac les activités liées à la pêche, les villages de pêcheurs étant isolés du reste de la région par une sorte de no-man's-land de 30 à 50 km. La seule voie de communication réellement praticable est le lac, donnant ainsi lieu à un commerce important, et pas toujours très légal, en particulier trans-national, de l'Ouganda vers le Zaïre.

5.2. Le manque à gagner dans la transformation

L'enclavement des lacs a également pour effet la détérioration de la qualité des produits transportés et la présence de perte post-capture pouvant aller dans certains cas jusqu'à 30 % de la production.

La région des lacs Edouard et Mobutu se caractérise par une préférence des consommateurs pour les produits frais, mais les pêcheurs isolés sont dans l'obligation de traiter leurs produits pour leurs assurer une durée de conservation suffisante. Cela entraîne un manque à gagner important (temps de travail, bois, sel) que ne rattrape pas toujours la valeur ajoutée de ces produits transformés.

Tableau 1: Prix de différents produits en shillings ougandais par kg (d'après le Département des pêches à Masindi (1988)

EspècesFraisSêchéFumé
Hydrocynus sp.57140110
Lates sp.54120120
Oreochromis sp.50125105
Bagrus sp.64140  90
Auchenoglanis sp.45100100
Alestes sp.117  140-
Labeo sp.42120120

Si l'on applique aux poissons séchés un coefficient moyen de 4 pour avoir leur équivalent poids frais, ceux-ci se vendent en moyenne 1,5 fois plus chers qu'à l'état non-transformé.

5.3. Les infrastructures de transformation

L'infrastructure des points de débarquement sur les rives ougandaises des deux lacs est quasiment inexistante. Le village le mieux équipé est sans aucun doute Katwe basé sur le lac Idi Amin, en effet, il dispose d'une aire cimentée et couverte pour le débarquement, la pesée et le conditionnement du poisson. On y trouve également quelques installations de transformation construites en dur: fumoirs, bacs de salage, etc… ces dernières étant cependant, pour la plupart, abandonnées.

Sur le lac George, une usine de transformation appartenant à la TUFMAC (The Uganda Fish Marketing Corporation) avait été construite par les anglais en 1953. L'usine récoltait le poisson dans les différents points de débarquement du lac. Sa principale activité était le filetage; les filets étaient vendus soit frais, soit congelés. Cette usine permettait à l'Ouganda d'exporter une partie de sa production vers le kenya, la Zambie, le Moyen-Orient et même l'Europe, par voie routière ou aérienne. Suite au changement de climat politique dans les années 70 et à sa nationalisation en 1973, sa situation financière n'a cessé de se dégrader jusqu'à sa fermeture en 1977. Elle est actuellement totalement abandonnée.

Pour le lac Mobutu, la situation est pratiquement la même. Une expérience a été menée à Wanseko au nord du lac: des infrastructures ont été construites et financées par le gouvernement pour améliorer les procédures de transformation et de traitement du poisson (alimentation en eau pour le lavage, fours pour le fumage, bacs de salage, etc…). Aujourd'hui, plus aucune de ces installations n'est utilisée. Le poisson est directement débarqué sur le sable et fileté sur place sans être lavé; le fumage est pratiqué dans les fours traditionnels, creusés juste à côté des installations en ciment; le salage est fait au sol et souvent, le séchage également. Plus rarement, celui-ci est réalisé sur des claies en bois.

Au Zaïre, le niveau d'équipement est meilleur, notamment du fait des investissements importants qui avaient été réalisés par les pêcheries semi-industrielles privées. Il reste ainsi un certain nombre d'aires de débarquement, d'entrepôts et de chambres froides. Cependant, suite au manque total d'entretien depuis la faillite, la plupart de ces infrastructures est maintenant hors d'usage.

Une grande partie du poisson salé-séché est mal préparé: salage hétérogène, opérations effectuées à terre, poissons mal retournés… Mais surtout, le stockage est effectué dans des conditions préjudiciables: les poissons sont souvent entassés dans des locaux humides, mal aérés. Ils ne sont pas suffisamment séchés et se détériorent rapidement.

5.4. La pression fiscale

Cette pression fiscale, non négligeable, encourage les commerçants à utiliser des filières de commercialisation informelles, mais bien organisées, qui comportent un nombre très limité d'intermédiaires et assurent la plus grande partie de la commercialisation. En bout de chaîne, les petits négociants sont très nombreux. Pour les petits acheteurs à vélo, les marges sont assez faibles au vu des coefficients estimés par la mission (1,2).

La mise en place de coopératives de commercialisation est une idée assez bien acceptée dans le milieu professionnel, à condition que celles-ci puissent s'insérer dans le circuit sur des bases non monopolistiques, et que l'état laisse le secteur privé se développer sans entrave.

Enfin, un autre trait caractéristique de la commercialisation du poisson dans la région est l'existence d'une économie de troc bien développée et bien organisée où les pêcheurs négocient leurs produits contre des intrants de pêche (filets, hameçons,…).

Le lac Idi Amin situé au sein des parcs nationaux subit en conséquence des contraintes. Premièrement, l'implantation des lieux de débarquement est strictement régulée. Par ailleurs, l'exploitation du bois dans les parcs est en principe interdite, ce qui pose de sérieux problèmes d'approvisionnement pour les fumoirs. En plus, au Zaïre, les pêcheurs doivent payer au parc, une taxe supplémentaire qui alourdit encore la pression fiscale initiale déjà importante. Enfin, la nécessité de surveillance et de protection des parcs nationaux amène certains responsables à penser que la commercialisation du poisson sur le lac doit être le monopole d'une société, et on sait tous les dangers potentiels que recèle ce caractère monopolistique.

5.5. Le différentiel de prix entre l'Ouganda et le Zaïre

Les flux de distribution sont très déséquilibrés: la quasi-totalité de la production des deux lacs partagés est dirigée vers le Zaïre, qui se caractérise avant tout par un marché très demandeur en poisson, contrairement à l'Ouganda. Ceci est lié à la forte pression démographique des populations zaïroises dans la région des lacs et aux habitudes alimentaires très marquées, contrairement à l'Ouganda, qui n'a réellement introduit de manière conséquente le poisson dans le régime alimentaire de sa population qu'à partir des années 20.

Trois autres facteurs influencent également l'orientation des flux de commercialisation: (i) le niveau économique plus élevé au Zaïre, qui se traduit par des termes d'échanges commerciaux nettement plus avantageux pour les vendeurs, (ii) la possibilité pour ces derniers de trouver une grande variété de biens de consommation divers (radios, …), et (iii) enfin un enclavement des villages de pêcheurs plus prononcé côté ougandais. Ce dernier point est bien illustré avec l'exemple suivant pris sur le lac George: à Kahendero, un village situé à l'ouest, et se trouvant relativement bien raccordé à Kasindi, près de la frontière zaïroise, vend le poisson en moyenne à un prix deux fois plus élevé qu'à Kashanka, village enclavé, situé sur la rive orientale du lac George.

Globalement le marché zaïrois capte près de 90 % de la production ougandaise. Ce transfert de production s'effectue de deux manières: par cabotage ou par route.

Le cabotage se pratique à partir des villages de pêcheurs ougandais. Les produits transportés peuvent être, soit directement issus d'une pêche récente et d'un regroupement de la production entre plusieurs communautés de pêcheurs, soit déjà transformés et stockés jusqu'à ce qu'une quantité suffisante puisse justifier une vente par cabotage vers le Zaïre. On estime qu'environ 45 % de la production ougandaise est ainsi drainée vers le Zaïre.

Le transport par voie routière via la frontière zaïroise constitue le deuxième mode d'exploitation des produits ougandais vers le Zaïre. Les marchés visés sont situés dans les villages traversés par l'axe routier important qui relie Mombassa (Kenya) à l'intérieur du Zaïre. Cette filière traite environ 45% de la production ougandaise. Les produits sont acheminés sur des marchés ougandais et de là sont ensuite redistribués en quasi-totalité vers le Zaïre, toujours par des circuits informels.

Seuls 10 % de la production ougandaise des deux lacs semblent donc être distribués en Ouganda, dont une grande partie est toutefois auto-consommée par les villages de pêcheurs.

5.6. Le pouvoir d'achat des consommateurs

Il s'agit d'une contrainte très importante concernant le développement des infrastructures et du secteur aval à la pêcherie proprement dite. Tout investissement nouveau ou toute amélioration se traduisant par un surcoût doit nécessairement pouvoir être répercuté sur le prix de vente. Or, encore faut-il que le consommateur soit prêt à supporter cette augmentation de prix du produit.

Mais il peut arriver, dans le cas où le pouvoir d'achat est trop faible que le consommateur refuse de payer un produit d'une qualité améliorée. Un exemple concret de cette situation est donné par l'échec du projet de fabrication de glace installée par la Coopération chinoise à Kampala. Cette installation avait été prévue, à l'origine, pour fournir de la glace aux pêcheurs et commerçants vendant leurs poissons à Kampala afin d'améliorer la qualité du produit. Cependant ces investissements ont été réalisés sans tenir suffisamment compte du pouvoir d'achat du consommateur et de l'élasticité de la demande par rapport au prix. Une fois glacé, le prix du poisson était devenu trop élevé si bien que l'adjonction de glace a dû être abandonné. Actuellement, la glace produite par la fabrique sert à rafraîchir les boissons vendues en ville.

Ainsi, même si l'investissement initial lié à l'implantation de nouvelles infrastructures, notamment dans le secteur de la transformation peut être supporté par un projet de coopération, il est indispensable de s'assurer que le consommateur ou d'une manière générale, le bénéficiaire des améliorations sera en mesure d'en supporter au moins les coûts de fonctionnement par la suite, après la fin du projet.

Nous ne disposons actuellement que de très peu d'informations sur le niveau exact de ce pouvoir d'achat. Il n'y a cependant aucun risque à affirmer que dans les zones rurales et donc aux abords des lacs, celui-ci est très faible. Il est donc impossible ou difficilement envisageable de commercialiser dans ces zones un produit dont l'amélioration en terme de qualité se traduirait par une augmentation du prix de revient, même minime. Il existe en revanche des marchés qui pourraient payer un surcoût important pour obtenir un produit, transformé ou non, de première qualité, et qui devraient être étudiés. Ce sont, outre les marchés à l'exploitation, les marchés des capitales, Kinshasa notamment.

6. RECOMMANDATIONS

6.1. Désenclavement commercial des lacs

Nous l'avons vu, les pêcheries des lacs Idi Amin et Mobutu souffrent de graves problèmes commerciaux tant au niveau de l'approvisionnement que de la vente des produits.

Le premier remède est l'amélioration indispensable de l'état général des routes. Ceci pourrait se faire par des financiers qui feraient appel à une participation importante de main d'oeuvre recrutée localement. Ainsi des microprojets de réhabilitation de pistes pourraient être développés à moindre coût, en particulier autour des villes importantes bordant les lacs.

Afin de désenclaver les villages de pêcheurs autour des lacs, il serait nécessaire de développer en parallèle le transport lacustre. Le cabotage, outre son impact positif sur le commerce du poisson, présente l'avantage de favoriser les échanges entre les villages de pêcheurs et d'ouvrir pour certains la voie d'accès à des prestations sociales essentielles telles que la scolarisation et la santé. A l'heure actuelle, il est évident que le problème du désenclavement général des lacs constitue l'un des points majeurs de toute politique d'aménagement rationnel des pêches sur les lacs Idi Amin et Mobutu.

6.2. Etude socio-économique

Le pouvoir d'achat sans doute très limité des consommateurs demande à être précisé.

La demande doit être évaluée en fonction des différents produits (type et qualité) qui sont ou qui pourraient être proposés sur les marchés intérieurs et éventuellement à l'exploitation. Ainsi par exemple, la réhabilitation ou la construction d'usines telle que celle qui fonctionnait sur le lac George jusqu'en 1973 semble désormais peu envisageable, en raison d'une part, de l'accroissement démographique et donc de la demande locale, et d'autre part de la carence de transports et de leur coût trop élevé.

Le marché local reste lui-même largement inconnu. On sait qu'il existe certaines préférences parfois très prononcées (par exemple, à Bukavu au Zaïre, la demande concerne exclusivement les Hydrocynus sp. et les tilapias). Outre le pouvoir d'achat cité auparavant, il conviendrait donc d'évaluer également ces préférences, l'élasticité des prix du poisson, la substitualité des différents produits, comme préalable à des études de techniques et/ou commerciales de la filière.

6.3. Amélioration des techniques de transformation

Etant donné que l'enclavement des lacs ne sera pas vaincu du jour au lendemain, la transformation d'une bonne part des captures reste une nécessité. Il faut donc améliorer les techniques de transformation afin de réduire les consommation intermédiaires et obtenir une meilleure conservation pour réduire le plus possible les pertes post-traitement.

Pour le salage-séchage, un effort de sensibilisation doit être fait pour prouver l'utilité de manipulations bien effectuées. Il faut montrer l'utilité de bien retourner le poisson pour obtenir un séchage uniforme; le poisson devrait être systématiquement séché sur des séchoirs en hauteur et bien aérés.

Pour le fumage, la rareté et la chereté du bois devrait inciter à adopter des méthodes plus économiques et des fumoirs améliorés, de type fours Chorkor ou Altona, mais simplifiés et fabriqués avec des matériaux locaux.

Il serait très important également d'améliorer les conditions de stockage des produits: emballages adaptés, poissons entreposés sans être entassés, entrepôts bien aérés …

6.4. Marchés “sporadiques” locaux

Comme nous l'avons déjà relevé à plusieurs reprises, les voies d'accès autour des lacs sont en très mauvais état. Les prix de transport qui découlent de cette situation structurelle sont relativement élevés. En imposant le regroupement de la production sur des marchés bien aménagés, mais éloignés des centres de production, on augmente ainsi indirectement les prix d'achat pour les populations vivant autour des lacs tout en rendant l'approvisionnement plus difficile.

Ce genre de paradoxe existe par exemple sur le lac Edouard côté Zaïre où un certain nombre de marchés qualifiés de “clandestins” fonctionnent dans le parc. Ils approvisionnent les villages situés à proximité des limites du parc national des Virunga, et où la COPEVI fait pression pour que ces pêcheurs viennent apporter leurs produits à Vitshumbi.

Dans ces conditions, il est préférable de laisser se développer les marchés sporadiques autour du lac, qui sont déjà bien organisés et qui subviennent aux besoins des populations locales en leur offrant des produits à des prix abordables.

7. CONCLUSION

En raison du niveau actuel d'exploitation de ces lacs, il est peu probable que la production totale puisse augmenter de façon sensible.

Parmi les actions à entreprendre pour le développement des pêcheries, un volet prioritaire devrait donc concerner l'amélioration des performances de l'ensemble du secteur aval, tant du point de vue de la transformation des produits (amélioration des techniques, réduction de la consommation de bois, minimisation des pertes) que du désenclavement commercial des villages de pêcheurs, afin de mieux valoriser la production.


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