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La débâcle financière et l’avenir de l’industrie des produits forestiers

T. Presas

Les réductions dans le secteur des produits forestiers sont évidentes dans le monde entier; le moment est donc venu pour l’industrie de viser l’efficience, afin de se trouver dans une meilleure position quand la crise s’achèvera (ouvriers de l’industrie du bois, Égypte, Bolivie, Gabon)
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Quelques observations sur les enjeux et les opportunités que présente la crise financière– le point de vue d’une industrie.

Teresa Presas est directrice générale de la Confédération des industries papetières européennes (CEPI), Bruxelles (Belgique) et présidente du Conseil international des associations forestières et du papier (ICFPA).

Tiré d’une présentation faite lors de l’événement spécial «Impacts de la turbulence économique mondiale sur le secteur forestier» organisé le 20 mars 2009 à Rome pendant la dix-neuvième session du Comité des forêts de la FAO.

L’orage parfait semble s’être abattu sur la planète. Les industries forestières ne sont pas épargnées et elles n’en sont que trop conscientes. Cependant, la récession actuelle présente des opportunités aussi bien que des risques pour les industries des produits forestiers.

En 2008, la Banque mondiale avait prévu que, d’ici à 2030, le produit intérieur brut (PIB) mondial aurait plus que doublé pour atteindre 73 billions de dollars EU, chiffre imputable, dans une large mesure, à la croissance économique dans les pays en développement. L’augmentation se serait traduite par une demande accrue de produits forestiers. Mais, vu la situation actuelle, il est plus que probable que cette croissance sera retardée.

Les effets de la crise sont déjà évidents. Entre octobre 2008 et mars 2009, la demande de produits à base de bois et de papier a considérablement baissé. Les nouvelles mises en chantier de logements et les réparations des habitations ont diminué. Les marchés du papier souffrent de la publicité réduite et de la production limitée de nombreux journaux et magazines. Avec le ralentissement du commerce, les besoins d’emballage diminuent.

Les réductions dans le secteur des produits forestiers sont évidentes dans le monde entier, notamment dans les zones rurales, où le secteur est souvent l’un des seuls employeurs.

La fabrication réduite de toutes sortes de produits dans tous les secteurs pourrait signifier le retour des travailleurs vers les zones rurales. Dans certaines parties du monde, cette situation devrait attirer davantage l’attention, en particulier des petits propriétaires forestiers, sur la gestion durable des forêts. Cependant, ailleurs dans le monde, l’inversion de migration risque d’augmenter l’empiètement des petites exploitations agricoles sur les terres forestières.

Le moment de changer est venu
Aussi dramatique que la situation actuelle puisse paraître, c’est aussi le moment pour l’industrie de se restructurer, en insistant sur l’efficience dans tous les aspects des opérations, depuis la récolte de matière première jusqu’à la conception et la production du produit, et en fournissant aux marchés les produits appropriés. La crise prendra fin un jour, et quand ce jour viendra, les joueurs les plus habiles feront encore partie du jeu.

Le chômage temporaire est une occasion pour les gouvernements de collaborer avec l’industrie, afin d’investir dans la formation et l’éducation, et de préparer la main-d’œuvre de demain. L’industrie a besoin de personnel spécialisé et d’employés compétents.

Une prédiction qui ne s’avérera probablement pas erronée est l’augmentation de la population mondiale de 1 milliard d’habitants tous les 15 ans. La croissance démographique a toujours été l’un des principaux moteurs de la demande de produits forestiers. Bien que ce lien soit moins linéaire aujourd’hui que par le passé, avec la relance économique on peut s’attendre à une expansion rapide de la demande de ces produits à l’avenir, notamment pour ce qui est du papier ménager, des emballages et du bois massif.

Enjeux de la concurrence pour la terre
À mesure que la demande alimentaire augmente, davantage de terres sont converties à l’agriculture. Cette tendance est intensifiée par la demande croissante de terres agricoles pour la production de cultures énergétiques (comme le maïs ou la canne à sucre pour la fabrication de l’éthanol, ou le soja pour le biodiésel), souvent impulsée par les politiques gouvernementales visant à augmenter l’approvisionnement en énergie renouvelable, afin d’atténuer le changement climatique et d’assurer des disponibilités énergétiques.

La concurrence entre la demande d’aliments et la demande d’énergie exerce une pression croissante sur l’utilisation des terres. Dans de nombreuses zones, les terres boisées conviennent aussi à l’agriculture ou aux plantations énergétiques. En Nouvelle-Zélande, par exemple, l’expansion de l’agriculture a déterminé une réduction nette du couvert forestier au cours des trois dernières années, inversant la tendance à la croissance régulière des forêts établie précédemment.

La concurrence pour la terre pourrait créer de fortes incitations à accroître la productivité des terres existantes. L’avantage comparatif de la production de bois retourne déjà aux régions où les terres sont abondantes ou relativement inadaptées à d’autres utilisations, comme les grands pays d’Amérique du Sud (par exemple le Chili) et les zones forestières boréales du Nord.

Possibilités de développement de la bioénergie
Le changement climatique et la promotion de la sécurité énergétique continueront d’orienter les innovations dans le secteur des produits forestiers, à mesure que les industries cherchent à augmenter l’utilisation de la bioénergie dans les processus de production et s’efforcent de trouver de nouveaux moyens de réduire la consommation énergétique et les émissions de CO2. Partout dans le monde, les gouvernements préparent des incitations pour accroître la production de bioénergie, encourager une utilisation plus efficace des résidus forestiers, récolter plus de bois de manière durable et, dans certains cas, fabriquer des produits tirés de la forêt à utiliser directement comme biocombustible (qu’il s’agisse de plantations énergétiques et de biomasse, ou de la construction de bioraffineries pour fabriquer de l’éthanol à partir de la cellulose). La promesse de l’éthanol cellulosique avec sa haute efficience énergétique doit encore devenir une réalité commerciale, mais les gouvernements et l’industrie continueront d’investir dans la mise au point des technologies nécessaires.

Ce moment particulier représente une énorme occasion pour le secteur des produits forestiers, à condition qu’il y ait suffisamment de matière première disponible pour différents usages – et que le secteur puisse diriger le processus sans le confier aux compagnies de distribution d’énergie ou aux laboratoires chimiques. Le secteur est à même de donner l’exemple, grâce à sa connaissance du matériel, à ses infrastructures permettant de déplacer de grands volumes de bois, à sa tradition de savoir tirer parti d’une multitude de petits producteurs, et à l’utilisation existante d’énergie basée sur la biomasse, avantages propres au secteur.

Inquiétudes au sujet du changement climatique
Les actions visant à minimiser les effets du changement climatique sont mises en œuvre de façon inégale à travers le monde. Les entreprises opérant dans des pays dotés de politiques fermement établies de lutte contre le changement climatique (par exemple l’Union européenne) sont frappées d’un surcroît d’impôts et, dès lors, désavantagées du point de vue des coûts. Il se pourrait aussi que quelques pays ou régions tentent de contrecarrer ce désavantage par des mesures commerciales protectionnistes.

Il est impératif que le successeur du Protocole de Kyoto soit transparent et équitable au niveau mondial, afin d’assurer que les entreprises opérant dans chacun des principaux secteurs commerciaux obéissent aux mêmes règles.

On ne peut nier que la situation économique actuelle pourrait ralentir le rythme des efforts déployés pour contrôler le changement climatique. Les priorités publiques portent maintenant sur l’économie, et les menaces à court terme concernant le bien-être économique et l’emploi pourraient ne plus être tolérées. Un accord mondial sur le changement climatique dépend du financement, de même que l’inversion des processus de déforestation et de dégradation des forêts. Dans les conditions actuelles, les milliards de dollars nécessaires pour ce faire concurrencent les plans nationaux de relance économique.

La sensibilisation croissante du public au changement climatique pourrait avoir un effet positif sur la demande de produits forestiers, à mesure que la courte durée de la présence de carbone dans ces produits par rapport à des matériaux de substitution est de plus en plus reconnue. Il faut que le public se rende compte que l’exploitation des forêts n’augmente pas les émissions de CO2 – que le carbone reste stocké dans les produits ligneux récoltés. La certification de la gestion durable des forêts est considérée de façon croissante par les acheteurs comme une exigence minimale pour garantir que les produits ont été obtenus par des opérations de gestion durable. Les forêts pourraient acquérir plus de valeur grâce à leurs services environnementaux, comme la biodiversité et le piégeage du carbone, et comme source de combustible renouvelable.

Nouvelle impulsion pour la durabilité
La récession mondiale pourrait être l’occasion de renforcer le concept de durabilité dans l’économie. Les leaders du monde font face aujourd’hui à des enjeux stimulants. Il leur faut élaborer des politiques qui non seulement créent des emplois et encouragent la croissance économique, mais encore réduisent les émissions de carbone et réalisent l’indépendance énergétique. Dans de nombreux pays, les plans ambitieux annoncés pour affronter la situation économique fourniront au secteur forestier de grandes opportunités. La République de Corée a annoncé un New Deal vert pour investir 38 milliards de dollars EU au cours des quatre prochaines années, afin de créer près de 1 million d’emplois. Le Japon envisage de développer son secteur commercial vert en lui consacrant 1 billion de dollars EU d’ici à 2020, créant 800 000 nouveaux emplois. La Chine a affecté le tiers environ de ses 580 milliards de dollars EU destinés au plan de relance à des mesures écologiques. Le Gouvernement canadien investit 170 millions de dollars EU dans des innovations vertes et des produits verts. Hormis l’exemple canadien, tous ces investissements ne sont pas destinés aux forêts, mais beaucoup pourraient l’être.

Les investissements, les valeurs environnementales, le comportement du grand public et les nouveaux débouchés commerciaux contribuent tous à aider la société à surmonter l’orage parfait d’aujourd’hui. Les industries forestières sont mieux placées que d’autres. Le secteur met déjà l’accent sur le principe de durabilité et sur l’atténuation du changement climatique. L’économie de la durabilité comme bien clé du secteur doit être prouvée sur une grande échelle, à mesure que s’accroît la dépendance vis-à-vis de l’énergie renouvelable et que la neutralisation des émissions de carbone devient un impératif de plus en plus urgent.

Il est probable que la récession mondiale altérera la structure de l’industrie mondiale des produits forestiers et donnera lieu à des modèles commerciaux différents. Le moment est venu de se préparer à ces changements et d’entreprendre les réformes nécessaires, tant au niveau du commerce qu’à celui des politiques.


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