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4. Le contexte structurel des approches de développement


Ce chapitre commence par retracer brièvement l’évolution des approches de développement des années 1950 à nos jours. Puis sont évoquées quelques questions structurelles au centre des problématiques de développement rural, telles que la mondialisation et le développement durable.

La section 4.1 aborde le contexte culturel, régional et linguistique des approches de développement en examinant ce que l’on peut tire des approches propres à un contexte culturel précis, et des approches qui ont été adaptées à ces contextes.

La section 4.2 présente quelques histoires brèves et informelles concernant le développement racontées par des membres de la FAO interrogés dans le cadre de l’étude.

Enfin, la section 4.3 aborde l’approche "sans nom", mise en oeuvre par le personnel FAO dans son travail quotidien pour le développement rural, et étudie le contexte de l’apparition d’une telle approche.

Il existe un lien presque inséparable entre le contexte et les enjeux structurels du développement rural et les paradigmes, les récits et les approches grâce auxquels ils sont étudiés. L’évolution des approches de développement a été un processus extrêmement dynamique, sujet à un débat et un examen permanents. Un examen récent de ce processus[11] permet de noter que «les idées qui apparaissent au cours d’une décennie ne prennent souvent vigueur qu’au cours de la décennie suivante et ne se répandent dans les pratiques de développement rural que dix ou quinze ans après leur apparition». Le processus est fondé à la fois sur des théories complexes et sur des théories plus banales ou transitoires; sur des discours majoritaires et minoritaires; sur des thèmes classiques du développement ou sur des cris de ralliement tels que la «lutte contre la pauvreté», qu’Ellis appelle «spin» (que l’on pourrait traduire par tournoiement), puisqu’ils servent à mobiliser les groupes de pression (lobbies) dans le domaine du développement dans les pays riches. Le tableau ci-dessous est adapté de Ellis et Biggs[12]. Il contient des théories importantes, des discours de minorités et des approches de développement.

Tableau 1. Evolution des théories sur le développement rural


Idées, Thèmes, Paradigmes, Approches et Objectifs du Développement rural

1950-1960

Modernisation, modèle d’économie duale, agriculture primaire, développement en communauté. Paysans paresseux

1960-1970

Approche de transformation, transferts de technologie, mécanisation, vulgarisation agricole. Rôle de l’agriculture dans la croissance, révolution verte, paysans rationnels, recherche sur les systèmes d’exploitation agricole

1970-1980

Redistribution de la croissance, besoins essentiels, développement rural intégré, politiques d’état dans le domaine agricole, emprunts d’Etat, politique de la ville favorable, incitation à l’innovation, révolution verte, développement de liens ruraux, recherche accrue sur les systèmes d’exploitation agricole

1980-1990

Ajustement structurel, libéralisation des marchés, obtenir le prix correct, retrait de l’état, rôle accru des ONG, évaluation rurale rapide, sécurité alimentaire et analyse de la famine, développement rural comme processus et non comme produit, femmes en développement (WID), lutte contre la pauvreté, gestion de terroirs

1990-2000

Micro-crédit, Évaluation rurale participative (PRA), développement rural centré autour des acteurs locaux, analyse centrée sur les parties prenantes, dispositifs de protection sociale en milieu rural, parité hommes femmes et développement (GAD), environnement et développement durable, réduction de la pauvreté, développement rural et territorial, responsabilisation de la population rurale pauvre.

2000

Buts du millénaire, approches relatives aux moyens d’existence durable, bonne gouvernance, décentralisation, critique de la participation, approches sectorielles, protection sociale et élimination de la pauvreté.

Depuis les années 1950, le développement communautaire, le développement de l’agriculture intensive, le développement rural intégré et divers paradigmes fondés sur la participation ont rivalisé pour obtenir un espace politique, aussi bien comme objectifs que comme approches. En termes d’objectifs de développement, la préoccupation croissante a été de s’assurer de la durabilité du processus du développement, de gérer les dilemmes entre développement agricole et ressources naturelles, d’identifier les couches les plus pauvres de la population rurale et de protéger et soutenir les droits de l’homme. Les approches de développement sont devenues de plus en plus sensibles au besoin de considérer les perspectives de la population pauvre et de travailler au-delà des secteurs et des disciplines. En particulier, un des objectifs depuis quelques temps est de trouver des méthodes qui permettent de combler le fossé entre les aspects sociaux et techniques du développement. Le rôle central que jouent les institutions à tous les niveaux en déterminant les grandes options relatives aux approches de développement a conduit à se concentrer principalement sur les actifs, les allocations de ressources et les droits dans leurs approches du développement.²

Malgré les changements en perspective et l’évolution des approches depuis les années 1950, on peut soutenir qu’un thème commun sous-tend les théories sur le développement rural, à savoir la foi dans le fait que l’agriculture est le moteur principal du développement rural et la persistance d’un modèle de petite exploitation comme stratégie de développement rural. Depuis la fin des années 1990, on assiste à des changements importants des enjeux structurels du développement et avec ceux-ci à une évolution des approches de développement. Un aspect important de cette évolution a trait au fait que la foi dans agriculture comme pierre angulaire du développement rural et dans la petite agriculture a été fortement remise en cause. La raison en est l’émergence de preuves empiriques sur la nature de la pauvreté rurale et sur les stratégies de vie des populations rurales, et en particulier les couches les plus pauvres. Les questions structurelles suivantes sont au centre des préoccupations actuelles dans le domaine du développement rural:

Le rôle de l’agriculture - Il est généralement admis que l’agriculture par elle-même n’a pas la capacité d’être le moteur de la croissance rurale et il n’y a pas jusqu’ici de stratégie alternative convaincante pour la croissance rurale. Avec le déclin des financements au secteur rural, la recherche d’une nouvelle direction à ce sujet est un problème structurel fondamental.

Diversification - Les populations rurales sont devenues plus flexibles dans le travail, plus mobiles dans l’espace et de plus en plus dépendantes des revenus non agricoles. Cela est souvent devenu la norme plus que l’exception. On observe ainsi un soutien politique croissant à la diversification, considérée comme une façon de réduire risques et vulnérabilité des populations les plus pauvres.

Durabilité - Le développement durable est toujours une préoccupation majeure. Cependant, il existe des preuves empiriques de plus en plus nombreuses qu’il y a des arbitrages à réaliser entre développement et respect de l’environnement.

Mondialisation - Les stratégies liées aux moyens d’existence des populations pauvres sont fortement exposées aux changements planétaires, sur lesquels la population pauvre a peu de prise. Les accords commerciaux internationaux, les flux de capitaux mondiaux et la révolution technologique sont des facteurs qui ont modifié les superstructures du développement. Les conséquences sur la pauvreté sont complexes et sujettes à débat. Cependant, la mondialisation est indiscutable et constitue un enjeu central du développement et de ses approches

Communautés - La communauté, qui a été pendant longtemps l’objet central du développement, est de plus en plus informe et difficile à définir. Depuis longtemps, l’argument avancé est que, quoique les communautés soient hétérogènes et fondées sur des relations de pouvoir inégales, elles demeurent des unités identifiables. Ces suppositions sont maintenant remises en question, la communauté basée sur un territoire géographique n’étant plus considérée comme nécessairement le meilleur point d’entrée dans la planification des actions de développement.

Décentralisation - Il existe un large consensus sur du fait que la décentralisation est une composante essentielle du développement. Il existe plusieurs raisons expliquant un tel consensus, entre autres l’échec de la planification centralisée; le sentiment que se gouverner soi-même est un droit de l’homme; et que la décentralisation sera à la fois plus efficace et plus équitable.

Liens institutionnels et partenariats - Les liens institutionnels et partenariats entre le secteur public, le secteur privé, les organisations humanitaires et les communautés locales, en raison des synergies qu’ils permettent, sont aujourd’hui des éléments centraux des actions de développement. Ceci représente un changement par rapport aux précédentes théories de l’aide au développement, selon lesquelles une démarcation claire des fonctions de chaque secteur était préférable.

Bonne gouvernance publique[13] et Pouvoir[14] - Il existe un large accord sur le fait que la faiblesse de la gouvernance locale est due et se traduit par une combinaison de facteurs qui perturbent la prestation de services à la population rurale, et spécialement aux pauvres. De même, il est largement admis que les processus participatifs qui ne prennent pas en considération les questions relatives au pouvoir des parties prenantes locales s’achèvent rarement par des accords durables entre les intéressés. Cela souligne le besoin de «capital politique» pour permettre un développement durable.

Ashley et Maxwell[15] remarquent que ces changements structurels correspondent à une perte de confiance dans le «projet» de développement rural, lequel a été longtemps au centre des efforts de développement. En termes politiques, le développement rural manque d’un discours convaincant, offrant des solutions praticables et reconnues par la communauté internationale à des problèmes clairs et bien identifiés. Les approches relatives aux moyens d’existence durable sont donc apparues dans les années 90 dans le contexte d’une réalité rurale de plus en plus complexe, et ont évolué avec l’objectif de donner un sens à cette complexité et de créer un système pragmatique à travers lequel on puisse identifier les interventions d’aide au développement. Viser les plus pauvres des pauvres (tels que les sans terre et sans autres ressources) est devenu une préoccupation majeure depuis que l’on s’est rendu compte que ceux-ci passent souvent au travers des initiatives appuyées par les donateurs. Jusqu’ici, ces groupes n’ont pu être suffisamment atteints par ces actions. Les approches relatives aux moyens d’existence durable pourraient être un moyen de surmonter ce problème, car elles peuvent être appliquées à n’importe quel groupe social, aussi bien riches que pauvres. Reste la question de savoir si les approches relatives aux moyens d’existence durable peuvent être interprétées comme une façon nouvelle ou différente de parvenir au développement rural. La réponse est un "oui" timide, car ces approches permettent potentiellement de prendre en compte et de placer au centre des efforts pour réduire la pauvreté la diversité des secteurs et des métiers dans les stratégies de vie des populations les plus démunies dans les pays à bas revenus.

Il est clair que l’évolution des enjeux liés au développement est beaucoup plus complexe et ne peut être parfaitement comprise dans le cadre décrit ci-dessus. Bien que cette étude ne puisse pas entrer dans le détail de telles considérations, il est important d’avoir en tête le contexte dans lequel les approches de développement évoluent, et les questions qu’elles cherchent à résoudre. Dans le contexte spécifique de notre étude à la FAO, plusieurs questions se sont posées, que nous avons abordées au cours des entretiens et séminaires.

Ces questions sont de trois types:

1. Qu’est-ce que le nouveau type d’approches relatives aux moyens d’existence peut apprendre d’autres approches telles que l’évolution des systèmes d’exploitation agricoles, du développement rural intégré, de la gestion de terroirs, des approches mises en œuvre en Amérique Latine et des nombreuses approches participatives qui les ont précédées?

2. Quelles leçons pouvons-nous tirer de l’analyse de l’évolution des approches de développement dans des contextes culturels, linguistiques et régionaux différents?

3. Quels sont les expériences que les membres de la FAO ont de ces approches ainsi que de la situation du développement rural aujourd’hui? Quelles critiques et propositions font-ils?

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles il est utile d’approfondir ces questions en vue de comparer les approches de développement et en vue de l’objectif final qui est de trouver des approches de développement pertinentes, pragmatiques et attentives à des paramètres tels que les contraintes temporelles et institutionnelles. Ces raisons peuvent être résumées par deux expressions utiles: ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain et ne pas chercher à inventer la roue.

Les approches relatives aux moyens d’existence, apparues dans les années 90, sont actuellement dans une phase de test sur le terrain et d’adaptation. Elles pourraient ainsi avoir beaucoup à apprendre de la longue histoire de la mise en œuvre des systèmes d’exploitation agricoles et du Développement rural intégré (DRI). Le DRI est généralement considéré comme un échec, mais, dans ces ambitions et objectifs il a beaucoup de points communs avec les approches relatives aux moyens d’existence. En outre, le DRI a subi un processus d’adaptation à différents contextes internationaux qui, potentiellement, permet de tirer d’importantes leçons pour les approches relatives aux moyens d’existence. De même, l’approche "gestion de terroirs", mise en œuvre dans l’Afrique de l’Ouest francophone, a une importante histoire sur le terrain et a évolué significativement pour s’adapter et surmonter les limites imposées par l’adoption d’un cadre spatial qui n’allait pas au-delà du territoire du village. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les approches centrées sur les gens ont tenu compte des expériences du passé. Même si, jusqu’à présent, n’émergent pas un cadre structuré nouveau ni des principes bien définis, certaines idées nouvelles apparaissent; qui ont beaucoup de similarités avec celles décrites dans les AMED.

Bien que le développement lance des nouveaux défis, il existe une continuité concernant des questions méthodologiques de base. Par exemple, comment gérer le contraste entre les besoins d’information quantitative et qualitative; comment créer des liens entre les niveaux micro et macroéconomique; trouver une voie entre une approche pragmatique et des méthodes; comment traiter des questions de pouvoir? À l’exception du dernier point, toutes ces questions ont été abondamment débattues notamment au sein du «Farming Systems Research» qui a une longue histoire émaillée d’évolutions méthodologiques.

Une autre question importante qui se pose quand on considère le contexte des actions de développement est de savoir dans quelle mesure ce contexte est limitant. Cette question se pose lorsque l’on considère aussi bien les contraintes institutionnelles immédiates, de la FAO par exemple, que les structures et processus de développement au sens large.

Finalement, une question qui sera approfondie ci-dessous est: quelle rôle joue le contexte culturel, linguistique et régional dans la conception des actions de développement et dans leur mise en œuvre?

4.1 Le contexte culturel, régional et linguistique des approches de développement (CRL)

Alors que le lien entre le contexte structurel et les paradigmes du développement soit une question bien étudiée, la question du rôle précis de la culture et de la langue dans la formation des théories du développement l’a moins été. Notre point de départ, comme annoncé précédemment, est la perception que les approches relatives aux moyens d’existence durable (AMED), développées par le Département des Affaires Internationales du Royaume Uni (DfID), ne prennent pas en considération le développement dans d’autres contextes culturels, régionaux et linguistiques. Cependant, notre étude va bien au-delà de cette perception.

Au cours de notre étude, il est apparu qu’il y a peu de communication, de confrontation et d’échange concernant des approches propres à un cadre régional et/ou linguistique. La diffusion est opérée principalement par une poignée de praticiens sur le terrain, qui disposent d’une grande expérience régionale et linguistique. Le personnel qui possède un haut niveau de compétence dans plus d’une ou deux approches est minoritaire. La plupart tend à se créer une approche qui fonctionne, sur base d’éléments de diverses approches théoriques, pour la mettre en œuvre dans différent pays (l’approche «sans nom», discutée plus loin). Si un fonctionnaire maîtrise ou a une expérience de plus d’une approche, cela est dû à un enchaînement séquentiel d’expériences plus qu’à une expérience croisée dans plusieurs contextes régionaux ou linguistiques. Les personnes interrogées nous ont dit comment, au fil des années, elles ont suivi «l’évolution» des approches de développement, du Développement Rural Intégré (DRI) aux Systèmes d’exploitation agricole (SEA) puis aux Moyens d’existence durable (MED) ou, de même, les différentes étapes dans l’évolution de la Gestion de Terroirs (GT) jusqu’au Développement Local en Afrique francophone. Mais la plupart des membres du personnel admettent qu’ils préfèrent rester dans les frontières de leur propre région et de leur propre langue. Ils connaissent parfois les autres approches dans leurs grands principes mais rarement en profondeur. Une autre forme de diffusion du savoir peut être occasionnellement trouvée quand des secteurs techniques se trouvent en relation. Par exemple, si l’évaluation participative rurale donne des bons résultats dans le domaine de la nutrition, elle pourrait être étendue à la sécurité alimentaire ou à la gestion des situations d’urgence. Les non anglophones ont souvent une meilleure connaissance de la gamme des approches et des méthodologies puisqu’ils sont connaissent celles de leur propre groupe linguistique en plus de celles de la culture «dominante» anglophone. La prédominance des approches anglophones est aussi liée à une plus grande abondance des financements. Les approches anglophones sont soutenues par plus de pays donateurs, et par des pays plus riches. Le DRI et les SEA reçoivent un fort soutien américain de USAID avant d’être choisies par des donateurs non anglophones. De même, le cadre MED est maintenant au premier rang puisqu’il a reçu un soutien initial du Département pour le Développement International (DfID) du Royaume-Uni, en termes monétaires et de priorité dans les ordres du jour. La gestion de Terroirs (GT) est confinée à l’Afrique francophone, non parce que cette approche est moins valable, mais parce qu’elle est principalement financée par des donateurs francophones, qui ont des intérêts prioritaires dans certaines régions.

Alors que peut-on apprendre des approches propres à un contexte unique - culturel, régional et linguistique - et des façons dont les approches internationales - telles que les Systèmes d’exploitation agricole, le DRI, la GT - se sont adaptées aux contextes culturels, régionaux et linguistiques? La validité de cette question est étayée par trois faits réels:

L’anglais est certainement la langue dominante - en termes de pouvoir - de la communauté internationale dans le domaine du développement. C’est la principale langue des institutions de Bretton Woods et des Nations Unies;

L’anglais n’est pas la langue principale dans de nombreux pays en développement ni pour beaucoup de populations pauvres;

Les approches relatives aux moyens d’existence sont aussi apparues dans les contextes francophones et d’Amérique latine.

Les approches relatives aux moyens d’existence sont apparues dans différents contextes culturels, mais elles possèdent d’importantes similarités dans leur structure et objectifs. Cette étude vise à comparer les différentes approches au regard de ces similarités, différences, blocages et synergies potentielles au travers des critiques et de l’expérience des fonctionnaires de la FAO interrogés. La présentation ci-dessous n’est donc pas une «recherche» fondée sur des faits et ouverte à discussion mais plutôt un récit à partir des commentaires et de l’analyse des membres actifs de la FAO.

Comme mentionné précédemment, les aspects culturels liés à la mise en oeuvre des approches de développement seront abordés au cours des prochaines étapes du travail du sous-programme intitulé «Approches des moyens d’existence durable dans différents contextes culturels». Au point où nous sommes, nous voudrions mettre en avant quelques considérations concernant le contexte «culturel»[16] propre de la FAO.

Nous commençons par introduire le concept anthropologique de culture et quelques-unes de ses caractéristiques principales. La culture institutionnelle de la FAO est esquissée sur cette base. La structure et le fonctionnement des constructions culturelles connues comme "les approches de développement" sont discutées par la suite. Nous soulignons le rôle que ces institutions jouent dans la formation d’une hégémonie culturelle sur les institutions de développement. Enfin, la façon dont la culture institutionnelle de la FAO s’adapte à la promotion et la dominance des "approches de développement" est décrite. Un certain nombre d’hypothèses de travail sur l’effet réciproque existant entre les antécédents culturels et les approches de développement à la FAO sont ensuite présentées.

4.2 Histoires brèves et informelles du développement selon le personnel de la FAO[17]

«Les approches et expériences qui ne relèvent pas du monde anglophone n’apparaissent pas dans le discours dominant et, par conséquent, sont invisibles»

Pour mieux discuter «où nous en sommes à présent?», il est important de revoir brièvement les principaux points de repères et évolutions de la pensée et des pratiques en matière de développement ces vingt dernières années, telles qu’elles ont été vécues et racontées par les acteurs, dans ce cas par certains fonctionnaires de la FAO. Le récit ci-dessous est une histoire du développement composée par les récits des personnes interrogées. Comme mentionné plus haut, l’évolution et le passage d’une approche à l’autre est plus marqué d’une décennie à l’autre que d’une région ou d’une zone linguistique à l’autre.

Il est important de souligner que la «culture» dominante au sein de la FAO est anglophone et que cela a été toujours été le cas. La domination anglophone n’est pas strictement anglo-saxonne mais est de nature internationale, autour d’une langue de travail commune. Malgré l’ouverture apparente de la culture anglophone, il existe une juxtaposition de minorités qui refusent d’être absorbées. Celles-ci sont principalement constituées des équipes francophones et hispanophones, car ce sont les deux seules cultures à avoir la taille critique pour ne pas être absorbées dans la communauté dominante anglophone. Les autres groupes linguistiques et régionaux sont de facto absorbés par la communauté anglophone à peu d’exceptions près (les lusophones, les pays africains à fortes traditions francophones, les pays arabes). Il est important de faire cette distinction culturelle et linguistique parce qu’un certain nombre d’aspects des changements dans la théorie et la pratique du développement varient en fonction du contexte régional et linguistique.

Le changement le plus important dans la théorie et la pratique du développement au cours des vingt dernières années a été le passage progressif d’une vision tournée vers la production à une approche centrée sur la population. Comme l’explique une personne interrogée:

Il y a vingt ans, la population locale suivait le chemin du développement agricole. Maintenant la FAO est devenue meilleure pour introduire une dimension humaine dans les projets.

(i) Dans les années 70

Le changement s’est produit à partir des années 1970 avec la prise de conscience que l’objectif à long terme du développement rural était la sécurité alimentaire et non plus l’amélioration de la production agricole. Le développement rural s’est progressivement éloigné de la vision duale du progrès qui prévalait dans les années 50 et 60, qui opposait l’industrialisation à un secteur agricole «arriéré» et proposait une vision négative des «paysans». A partir des années 70, on a pris conscience que le problème principal était un problème d’accès aux ressources et l’attention se fixa progressivement sur les raisons pour lesquelles les gens ont ou n’ont pas accès aux ressources. Le rôle du secteur rural et de l’agriculture s’accrut et des thèmes tels que la vulgarisation et les transferts de technologie sont apparus durablement. Les besoins essentiels des personnes sont devenus un élément reconnu du développement, parce que les petits agriculteurs ont joué un rôle plus important; tout comme le besoin d’adopter des approches intégrées qui traitent des problèmes intersectoriels (Développement Rural Intégré).

Une autre inquiétude importante concernait la quantité de temps passé à produire de l’information et des études; et une solution à ce propos était d’impliquer davantage les clients. En identifiant les bénéficiaires comme clients et en les impliquant, le besoin de collecter l’information devrait diminuer puisque les informations viendront des clients. Le changement était d’aller vers une approche plus ciblée, plus pragmatique, moins scientifique, plus pragmatique et globalisante, où la valeur se trouve dans l’action. Il y a eu une prise de conscience croissante que les expériences artificielles ne fonctionnaient pas et qu’il était nécessaire de mettre en relation les expériences avec les leçons tirées du terrain et de combler le fossé entre la recherche et la vulgarisation.

Les deux approches dominantes dans les années 70 étaient le Développement Rural Intégré (DRI) et les Systèmes d’exploitation agricole (SEA). Les deux ont été mises en œuvre dans différents contextes régionaux et culturels même si le principal moteur derrière l’une et l’autre à cette époque était l’USAID. En Amérique Latine, on se concentrait sur l’agriculteur et le système économique et social. L’influence du DRI était particulièrement forte dans cette zone. On s’est rendu compte qu’il était nécessaire de considérer tout le système de l’économie domestique et que, par ailleurs, on ne pouvait pas se permettre de donner des recommandations pour chaque agriculteur. Les recommandations devaient être formulées par groupes pour des domaines qui concernaient des groupes d’agriculteurs du même type. Le critère logique pour distinguer ces domaines était les zones agricoles et écologiques et les typologies de système agricoles.

Au risque de généraliser, on peut considérer qu’il y eut quelques différences régionales dans les priorités. En Afrique, le développement s’est axé sur la technologie et sur l’amélioration des systèmes agricoles existants, étant donné que les perspectives de changement aux niveaux institutionnel et politique étaient perçues comme très faibles. Les efforts se sont concentrés sur l’amélioration d’anciennes stratégies relatives aux moyens d’existence avec une technologie adaptée. En Asie, on s’est rendu compte que les politiques et les institutions avaient changé et que les anciennes stratégies de vie n’étaient plus appropriées dans le nouvel environnement. De nouvelles stratégies ont dû être élaborées, et ce fut fait avec plus de succès en Asie de l’Est, tandis qu’en Asie du Sud il y eut de nombreux échecs des programmes de réformes agraires.

(ii) Dans les années 80

Dans les années 80, plusieurs changements se sont produits. Le DRI était en perte de vitesse car considéré comme une approche trop centralisée. Les approches intégrées multi-sectorielles sont, certes, devenues majoritaires, mais le DRI était jugé peu efficace parce qu’il n’implique pas de manière convenable les parties prenantes dans l’évaluation des besoins et dans le processus de décision. Durant ces mêmes années, les systèmes d’exploitation agricole ont progressé. L’objet des politiques était de s’ouvrir à des secteurs différents comme l’élevage, et ce type d’approche devint donc plus sensible aux activités et non agricoles. L’approche fut jugée trop anglophone et américaine et des efforts furent faits pour créer un «électorat» européen, latino-américain et asiatique plus large. On a consacré quelques efforts à comparer les expériences de différentes régions. Une des principales différences est que les programmes de SEA francophones étaient mis en oeuvre principalement en dehors des mandats institutionnels conventionnels et étaient centrés sur la dynamique de système et sur une analyse très détaillée. De son côté, l’approche anglophone était soutenue par les organisations de développement et proposait des programmes plus pratiques et opérationnels. Le SEA devint effectivement une institution dans les systèmes nationaux de plusieurs pays. Il incluait les principes de participation et de «l’agriculteur comme client». En fait, il devint très courant et disparut comme approche séparée, partout sauf à la FAO où il existe un programme (en cours), fondé sur les systèmes agricoles de nouvelle génération.

(iii) Depuis le milieu des années 80

Depuis le milieu des années 80, le monde anglophone promeut de plus en plus ouvertement la participation comme cadre principal du développement. A l’origine élaboré par des universitaires, des professionnels et des ONG, le concept de participation s’est imposé dans tous les domaines du développement. Une nouvelle philosophie est apparue, selon laquelle le développement doit être guidé par la demande et est permis grâce à un processus de négociation entre les différentes parties prenantes à différents niveaux. Les individus, leur famille et les communautés locales sont devenus les points d’entrée prioritaires de toute action de développement. De nouvelles méthodes et techniques pour les impliquer dans le processus de décision ont été élaborées et perfectionnées avec le temps. La participation a été mise en place avec succès dans des projets à petite échelle menés par des ONG, qui avaient la détermination et la flexibilité nécessaire pour confier une grande part des responsabilités et du pouvoir de décision aux communautés locales. Pour des organisations plus grandes et plus institutionnalisées, la participation a pris en fin de compte deux aspects différents: premièrement, les techniques de participation ont été plus fréquemment utilisées pour collecter des informations en vue de concevoir un projet. Le pouvoir de décision restait à l’organisation, mais des consultations plus nombreuses et plus approfondies ont été réalisées avec les parties prenantes aux niveaux local et national. Deuxièmement, du matériel de formation et des manuels de bonne qualité ont été produits, qui traitaient des liens entre la philosophie et les techniques de participation et des secteurs techniques spécifiques, aussi bien dans le secteur agricole que dans celui de la sécurité alimentaire.

L’extension des activités de développement aux acteurs locaux et le fait de les associer davantage dans les circuits d’information et dans le processus de décision ont eu un fort impact sur le développement rural. Tout d’abord, l’agriculture n’est plus considérée l’activité principale et presque monolithique située au centre du développement rural. Il y a eu une prise de conscience progressive que les activités non agricoles sont cruciales pour les couches sociales les plus pauvres des zones rurales, au même titre que tous les acteurs qui, même s’ils n’appartiennent pas au monde agricole, sont des acteurs importants du milieu rural. Les recherches et l’attention se sont portées progressivement sur la complexité des moyens de gagner sa vie en milieu rural et sur la relation étroite qui existe entre l’agriculture et les autres activités. Finalement, la participation s’est étendue au-delà du niveau communautaire local ou du village jusqu’à faire partie des aspects normatifs, politiques et institutionnels du développement. La défi reste alors de savoir comment combiner un développement par le bas et fondé sur la demande avec les cadres nationaux et internationaux de gouvernance en vigueur qui, sur plusieurs aspects, sont en crise et ne peuvent pas fournir ni les solutions, ni les orientations ni le soutien qui conviennent.

Eu égard à ce défi, une importante expérience des projets du type «gestion de terroirs» s’est accumulée dans les régions francophones. L’efficacité de cette approche a été remise en question, en raison de l’impossibilité d’avoir dans le même temps une perspective horizontale et verticale des dimensions spatiales et institutionnelles. Avec le temps, les spécialistes se sont rendus compte que le "terroirs" comme point d’entrée n’était pas suffisant. Les "terroirs" doivent s’inscrire dans un contexte plus global de réseaux institutionnels et informels de relations politiques et sociales. La question de la légitimité et de l’efficacité des réseaux et institutions locales est devenue centrale. Au sein de la FAO, cela s’est traduit par de nombreux travaux sur la décentralisation qui, bien que s’élargissant actuellement à d’autres régions, était initialement orientée vers les régions francophones de l’Afrique du nord et de l’ouest.

En ce qui concerne l’Amérique Latine et les Caraïbes, le tableau 2 résume les différentes stratégies agricoles mises en oeuvre dans la région pour promouvoir le développement rural et tente dans le même temps d’identifier les approches centrées sur les gens (PCA) mises en pratiques durant ces périodes.

Le tableau 3 tente de synthétiser et de présenter les principales approches, les régions cibles, les protagonistes et donateurs les plus importants dans chacun des principaux groupes linguistiques. Le groupe anglophone est divisé en un groupe anglais et un américain, où le groupe anglais est celui de la langue internationale du développement (et non pas le Royaume Uni).

Table 2: Stratégies agricoles et approches centrées sur les gens appliquées en Amérique latine et aux Caraïbes (1950-2000)

Période

Stratégie

Instruments

Effets

Mise en oeuvre

Soutien institutionnel

PCA

Des années 1950 aux années 1970:

· Industrialisation par substitution aux importations (ISI) - (de l’agriculture à l’industrie).

· les années 70: Révolution verte

· Réformes agraires.
· Licences d'importation, tarifs douaniers.
· Investissement public direct dans industries clefs
· Taux d’intérêt bas et accès facile au crédit sous des régimes monétaires peu stricts.
· Croissance de la production grâce à des nouvelles cultures, irrigation, engrais, pesticides et mécanisation

L’ISI a de nombreuses faiblesses:
· Préférence pour les zones urbaines au détriment du secteur rural.
· Mauvaise allocation des ressources.
· Les exemptions de taxes et les subventions ont creusé les déficits budgétaires.
· Surévaluation des taux de change.
· L’inadaptation de ce modèle est devenue encore plus évidente lors de la crise de la dette au début des années 80.

La plupart des pays

CEPAL
BM
BID
IICA

· Développement communautaire, développement de l’irrigation communautaire, soins primaires - santé et nutrition-, coopératives et sylviculture sociale.
· Communication pour le développement (à partir des années 70)
· Concernant les approches de soutien des femmes en milieu rural: (i) 1950-70, les femmes sont des bénéficiaires passives du développement, soutien à leur rôles reproductif, (ii) 1975-85 (Décennie des Femmes) l’approche Femmes dans le Développement (WID) a été promue.

Des années 1980 au début des années 1990:

· Mesures de stabilisation et d’ajustement structurel

· Le CEPAL promeut une transformation productive équitable (ajustement par la croissance). Le but est de résoudre la crise de la dette extérieure

· Libéralisation des prix sur le marché des biens.
· Libéralisation du commerce
· Réduction du rôle du secteur public dans l’économie
· Réduction du rôle de l’Etat dans les services de soutien (par exemple, provision des crédits, système éducatif, vulgarisation et recherche).
* Catastrophes naturelles (El Niño, ouragan Mitch, glissements de terrain et tremblements de terre)

· "La décennie perdue": taux moyen de croissance annuelle du PIB: -1%
· Plusieurs crises économiques internationales ont empêché la croissance économique, ont entravé les perspectives de développement économique à court et moyen terme de la région et ont fortement accru la pauvreté rurale
· De nombreux foyers ruraux sont devenus dépendants des revenus des activités non agricoles.

Tous les pays

ECLAC
BM
BID
IICA
FAO
FIDA
* Fondation
FORD

· DRI
· Approches participatives
· Systèmes d’exploitation agricole
· Gestion communautaire des ressources
· Recherche-action participative
· Communication pour le développement
· WID (Femmes dans le Développement), davantage axée sur les besoins stratégiques des femmes.
· GAD (Genre et Développement). Promouvoir l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes

A partir des années 1990

· Réformes économiques

Elimination des subventions, crédits et services d’aide technologique

· retour à la croissance limité
· Le retrait du secteur public a provoqué un vide institutionnel
· Mondialisation - plus grandes opportunités mais plus de vulnérabilité
· Peu de progrès dans la réduction de la pauvreté.

Tous les pays

ECLAC
WB
IDB
IICA
FAO
IFAD Coopération internationale

· Approches axées sur les moyens d’existence durable
· DRI. Interventions basées sur le territoire
· Méthodologies participatives basées sur la demande (FIDA)
· Recherche et action participative
· Communication pour le développement
· Gestion des Ressources Naturelles (basée sur la communauté). i.e. sylviculture, gestion des bassins versants

Table 3: Résumé des principales approches, régions-cibles et des principaux acteurs/donateurs associés à chacun des principaux groupes linguistiques


Anglaise

Américaine

Française

Espagnole

Axe Régional

Généralement international, avec un effort particulier en direction de l’Afrique sub-Saharienne et le sous-continent

Effort particulier en Amérique latine ainsi qu’en Europe de l’Est et dans l’ex-Union Soviétique, bien que l’action demeure internationale.

Surtout l’Afrique de l’Ouest francophone et le Moyen Orient

Amérique Latine et Caraïbes.

Cadre organisationnel

Forte institutionnalisation du développement international dans le cadre du gouvernement britannique -DfID, ODI.

Principales organisations du gouvernement américain: USAID, Peace Corps, USDA; avec un rôle bien plus grand donné aux ONG privées. Le secteur des d’affaires et la démocratisation sont en outre des axes privilégiés.

Importance du rôle des ONG locales et des organisations dans les pays en développement. Ce sont surtout des organisations françaises:

Organisations Internationales (CEPAL, BID, IICA, FIDA, FAO) et Coopération Internationale

Rôle de l’Etat-Nation

Tenter de donner plus de responsabilités à la nation elle-même, et aider le gouvernement central lui-même pour le développement et la réduction de la pauvreté

Tendance à ne pas impliquer le gouvernement central, et même les communautés locales - approche «du haut vers le bas» du développement, avec des compagnies américaines traitant principalement avec des ONG privées américaines. Il y a une volonté importante de renforcer le rôle de telles ONG.

Années 1960 et 1970: Rôle central de l’Etat-Nation dans le développement. Même si le gouvernement local suscite également de l’intérêt. Les années 80 ont vu une méfiance croissante à l’égard de l’état comme agent de développement. Années 90: le but était de donner à la société civile pleine liberté pour participer et prendre à son compte le développement futur.

· Renforcement des capacités
· Collaboration avec le secteur public et les organisations de la société civile

Relations entre le monde développé et le monde en développement

Passage d’une aide conditionnelle, liée au commerce avec des secteurs déterminés de l’économie britannique, à une aide bien plus inconditionnelle, fondée sur davantage de confiance et d’esprit de coopération dans les relations entre pays en développement et pays développés.

L’aide des Etats-Unis tend à être conditionnelle; elle est liée en particulier au renforcement de la société civile et à la démocratisation. L’aide au développement américaine est en étroite relation avec la politique extérieure.

L’aide au développement a souvent pris la forme d’un allègement de la dette, particulièrement pour l’Afrique de l’Ouest francophone. Tendance à établir des relations étroites entre les agences françaises leurs homologues dans le monde en développement.

Certaines agences internationales financent des interventions (approche participative) fondées sur leurs propres critères, sans que les gouvernements ne disposent de recommandations stratégiques claires.

Approches/Principales

A présent, les MED, même si le DRI et les SEA prévalaient par le passé.

Aucune de précise, bien que l’on parle de SEA et de PI.

L’animation rurale est une approche importante ainsi que les SEA. La gestion de terroir est une approche francophone, bien qu’elle semble s’être développée à partir de la région du Sahel et non à partir des politiques de développement françaises. Groupe de Recherche et d’appui à l’Autopromotion Paysanne (GRAAP)

· DRI
· Interventions territoriales
· Gestion participative des ressources naturelles.
· Action-recherche participative
· Approches fondées sur les MED
· Approches relatives au sexe.

4.3 "L’approche "sans nom": La culture informelle de l’organisation dans le domaine du développement rural et ses applications. Premiers constats issus des entretiens individuels

4.3.1 La culture institutionnelle de la FAO et l’apparition de l’approche «Sans Nom»

En examinant les effets des diverses approches appartenant à la culture institutionnelle de la FAO, nous pouvons observer deux tendances principales:

Tout d’abord, le pluralisme: il fait référence à la coexistence de différentes approches dans la culture de la FAO, qui dépendent des mandats spécifiques et de la spécialisation technique des différentes divisions et services, ainsi que des diverses situations régionales et des intérêts et préférences individuelles des fonctionnaires de la FAO.

La deuxième tendance correspond à ce que les anthropologues appellent syncrétisme, qui se réfère à la création interne et "évolutive" d’une approche mixte, qui associe divers éléments de plusieurs approches et les combine de manière pragmatique en fonction des circonstances. C’est, en gros, ce que nous avons appelé dans cette étude l’approche "sans nom", qui est discutée plus loin.

Ces deux tendances peuvent être considérées comme une réponse aux approches de développement "importées", et par conséquent, sont le reflet de certaines caractéristiques fondamentales de la culture institutionnelle de la FAO, notamment:

Sa capacité à contenir les projets hégémoniques des donateurs les plus puissants afin de maintenir l’identité fondamentale d’une organisation des Nations Unies dans laquelle tous les pays et les cultures nationales doivent avoir une voix;

Les multiples objectifs de la mission institutionnelle, chacun exigeant potentiellement un cadre d’analyse et une méthodologie différents;

La couverture mondiale de l’Organisation, qui exige une adaptation continue des théories et des pratiques au niveau régional, national et local;

Le caractère multiculturel et multilinguistique de la FAO permet une cohabitation (relativement) aisée et parfois fertile d’approches qui s’enracinent dans différents contextes culturels et géopolitiques;

L’attitude sceptique de plusieurs professionnels au siège de la FAO vis-à-vis des approches de développement les plus "récentes", qui consistent souvent uniquement en une "reformulation sexy" de concepts et méthodes bien connus et pratiqués depuis longtemps.

Ceci a permis de tirer quelques conclusions préliminaires et hypothèses de travail sur les liens réciproques entre la situation culturelle et le choix d’une approche de développement à la FAO:

Tout d’abord, la notion qu’il n’existe pas à la FAO d’approche "anglophone", "francophone" ou "hispanophone" mais, pour être plus précis, des approches élaborées dans le cadre de courants d’études régionaux sur le développement, que les pays concernés cherchent à légitimer dans la culture et la politique institutionnelle de la FAO. Bien que certains concepts employés soient propres à une langue (par exemple "livelihoods", "terroirs") et donc difficiles à traduire, la langue est plus importante comme instrument de stratégie que comme déterminant de structures ou éléments cognitifs particuliers. En fait, aucune approche ne peut être majoritaire au plan international si il elle n’est pas présentée en anglais (la lingua franca de la FAO et celle des relations internationales en général).

Deuxièmement, être capable de diffuser une approche dépend très probablement plus de la capacité financière et humaine du pays membre (ou groupes d’états membres) promoteur que de n’importe quelle vertu technique ou adaptabilité culturelle présumée de l’approche en soi. Cela peut donner un avantage comparatif aux approches soutenues par les donateurs les plus importants ou aux approches qui peuvent rassembler un consensus d’un plus grand nombre de pays donateurs ou bénéficiaires.

Troisièmement, en raison de son pluralisme intrinsèque, la culture institutionnelle de la FAO tend à s’opposer à l’arrivée sur le marché de nouvelles approches par une attitude pragmatique. Cela permet aux fonctionnaires de la FAO de retenir les éléments d’une approche qu’ils jugent décisifs pour résoudre les problèmes conceptuels et opérationnels de leur quotidien et écarter ceux qu’ils considèrent comme inutiles ou sources de complication.

Enfin, la fonction de médiation de la culture institutionnelle de la FAO est probablement plus efficace au siège qu’au niveau local, où le poids relatif de la politique des donateurs et des bénéficiaires est plus grand et où la capacité de l’organisation à fonctionner en cohérence est moindre. Par conséquent, nous pouvons nous attendre à ce que les approches recevant un fort soutien des donateurs ayant des intérêts politiques particuliers dans une région ou les approches «autochtones» soutenues par les gouvernements de divers Etats membres aient plus de poids aux niveaux régional et local..

4.3.2 L’Approche "Sans Nom"

La principale approche que nous utilisons, vous pourriez l’appeler l’approche sans nom: elle n’est pas systématique mais elle fait appel à l’expérience, aux principes participatifs généraux et aux méthodes spécifiques à chaque secteur. Les missions sont trop courtes pour que d’autres méthodes fonctionnent.

L’apparition de que ce, faute de mieux, nous appelons ici «approche sans nom» du développement rural, provient de plusieurs entretiens et discussions informelles tenues à la FAO. Le but de ces entretiens était de définir et comparer le cadre officiel et «institutionnel» des activités et des valeurs dans le domaine du développement avec la pratique et la théorie informelles. Dans cette optique, les entretiens ont été divisés en deux groupes principaux:

Dans le premier sont présentés les mandats et activités officielles des personnes interrogées, ainsi que leur division ou groupe.

Dans le second groupe sont présentés les différences entre la dimension officielle et la réalité des pratiques et des résultats des interventions. Une attention spéciale est donnée aux opinions personnelles et aux critiques des répondants.

Au cours des entretiens, la plupart des personnes interrogées nous ont appris que, lors de la conception et la mise en œuvre de projets, ils panachaient les principes, méthodes et éléments directeurs qui avaient donné les meilleurs résultats dans leur expérience passée. Nous nous sommes alors rendus compte que les personnes à la FAO avaient des repères, des références et des outils de travail qui peuvent être considérés comme la pratique dominante de la culture informelle de l’organisation. Le qualificatif de «sans nom» pour cette approche définie à grands traits provient d’un des entretiens individuels. Le tableau 4 présente un résumé des principaux aspects de l’approche «sans nom». Il n’est en aucun cas exhaustif. La caractéristique intéressante de cette discussion sur l’approche sans nom est qu’elle a permis de mettre en évidence certains problèmes qui, selon les personnes interrogées, constituaient les principaux obstacles à leur travail, et, dans certains cas, au développement en général. L’analyse de ces problèmes est l’objet principal de la section 5.

Tableau 4: Caractéristiques et contraintes principales de «l’approche sans nom».


Approche adoptée

Principales contraintes et problèmes

Objectifs

Lutte contre la pauvreté, accès égal aux ressources naturelles, sécurité alimentaire, décentralisation.

Secteurs prioritaires: Nutrition et sécurité alimentaire, SIDA, situations d’urgence et politique.

Quelques objectifs sont formulés, mais ne sont pas suivis d’effet. (Par exemple: quelle est la position de la FAO sur l’accès à l’eau ou à la terre? Ce sont des problèmes politiques importants, de droits de l'homme, mais la FAO évite d’adopter une position claire à ce sujet parce qu’il est trop politique)

Principes

Les projets devraient être mis en oeuvre selon un processus participatif, consultatif, à tous les niveaux, global, flexible, responsabilisant, durable et sensible à la question de l’égalité des sexes.

Les principes sont utiles mais presque impossibles à appliquer en raison des problèmes structurels et des rigidités internes de la FAO.

Diagnostic

Fondé sur une combinaison entre les études techniques et la participation. On cherche à obtenir le maximum d’information avec peu de ressources.

Le temps consacré à cette phase décisive est insuffisant.

Conception

Trouver un équilibre entre les exigences de la FAO et les intérêts et priorités locales, spécialement ceux du gouvernement. L’effort consiste à donner plus d’espace et de pouvoir aux communautés locales.

Le processus tend à être déterminé par les règles formelles établies «sur papier», plus que par les conclusions du diagnostic et la réalité des faits.

Mise en oeuvre

L’avantage comparatif de la FAO est de pouvoir soutenir d’autres projets. La mise en oeuvre directe se limite aux projets à petite échelle comme ceux prévus par le Programme de Coopération technique (PCT) et le Programme Spécial de Sécurité alimentaire (PSSA). Le succès de la mise en oeuvre dépend des aptitudes à diriger et organiser un projet des responsables du projet et de leurs homologues. L’efficacité des personnes est le facteur fondamental pour la réussite de la mise en œuvre d’un projet.

Difficultés pour maintenir l’engagement et la continuité. La FAO change souvent de priorités et de direction. Il est difficile construire des partenariats solides au-delà les institutions gouvernementales.

Évaluation

L’évaluation comme instrument pour garder trace des exemples de réussite et des meilleures pratiques.

Les évaluations sont souvent trop liées aux enjeux politiques internes. On tente de cacher ce qui n’a pas marché dans un projet. La perception d’un projet est plus importante que ce qui s’est vraiment passé. Cela rend difficile de tirer des leçons pour les projets futurs.


[11] Ellis, F. et Biggs, (2001) "Evolving Themes in Rural Development", Development Policy Review, Vol 19 (4) pp. 437 - 448
[12] 12 Ellis, F. et Biggs, (2001) ibid.
[13] Dans ce document gouvernance se réfère aux structures et processus qui déterminent la manière dont les politiques sont formulées et mises en œuvre et les relations de pouvoir entre les personnes impliquées dans ces processus et structures.
[14] Pouvoir inclut ici pouvoir pour:

créer et changer les règles et les règlements - formels et informels;
prendre des décisions, usage quotidien et gestion des ressources naturelles et du sol;
contrôler l’utilisation et la gestion de ces ressources;
être juge dans le domaine de ces ressources (recours, etc.)

[15] Ashley, C. et Maxwell, S. (2002) ODI Briefing Paper on Rethinking Rural Development (ODI)
[16] Le sous-programme de développement centré sur les gens dans différents contextes culturels est l’un des sous-programmes du Programme d’appui aux moyens d’existence (LSP).
[17] Les données de cette section proviennent surtout des entretiens qui ont été réalisés grâce à la participation du personnel de la FAO.


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