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5. Constatations préliminaires sur les principales contraintes dans la mise en œuvre des approches centrées sur les gens


Ce chapitre présente les conclusions principales de l’étude; avec une attention spéciale portée à la mise en oeuvre des approches centrées sur les genset à l’analyse et à la comparaison des principales contraintes liées à leur application.

La section 5.1 examine la confusion entre les principes et les objectifs dans la structure de nombreux projets au niveau de la FAO. Vient ensuite une brève discussion de quelques principes de l’approche "sans nom"

La section 5.2 est centrée sur la nécessité de bien sélectionner les cibles au moment de mettre en oeuvre les projets de développement, que ce soit à travers des principes opérationnels "soft" ou «hard».

Le cycle du développement est le principal sujet de la section 5.3. Dans cette section, les thèmes suivants sont discutés à la lumière de l’expérience des membres de la FAO: diagnostic et conception des projets, fossé évident entre la théorie et la pratique de la mise en oeuvre des projets, rôle joué par le contrôle et l’évaluation dans les cycles du projet.

La section 5.4 présente quelques problèmes intersectoriels susceptibles, selon les fonctionnaires de la FAO consultés, de limiter l’efficacité des interventions de développement, parmi lesquels nous trouvons la scène politique, le niveau d’implication des différentes parties et l’attitude face au risque des bénéficiaires.

Enfin, la section 5.5 décrit quelques questions qui influencent le choix de mettre en place ou non des approches centrées sur les gens/moyens d’existence.

Dans ce chapitre, nous tentons d’analyser et de comparer les principales contraintes que les fonctionnaires au siège de la FAO ont rencontrées lors de la mise en œuvre des approches centrées sur les gens. D’après les nombreuses informations obtenues grâce aux fonctionnaires consultés, il semble que les dernières années ont été caractérisées le même temps par une certaine continuité et par un important changement dans les méthodes adoptées. Il est alors important d’identifier lesquels de ces changements sont tout simplement le résultat d’une nouvelle formulation et lesquels ont apporté effectivement plus de valeur aux projets et aux programmes. Un tel examen nous permettra d’avoir une idée plus claire des domaines dans lesquels les secteurs techniques, les groupes culturels sont moins éloignés entre eux que prévu (permettant ainsi une collaboration plus efficace). Nous pourrions également mieux comprendre où sont les différences, et si ces différences peuvent permettre de tirer des leçons nouvelles. C’est pour cela que nous voudrions commencer par nous pencher sur l’inquiétude souvent manifestée qu’ «il n’y a rien de nouveau». Nous devons tenir compte du fait que la majeure partie des personnes interrogées a principalement une expérience de «l’approche sans nom», fondée sur les leçons générales et des principes de développement largement acceptés. La comparaison ci-dessous nous montre clairement que plusieurs de ces principes appartiennent désormais au courant majoritaire dans le domaine du développement, même s’il existe encore des différences entre les principes et la pratique, comme le suggèrent les entretiens avec les fonctionnaires de la FAO.

Cette section s’appuie à la fois sur la littérature, les entretiens individuels et les séminaires.

Un bref panorama de la théorie du développement

Une approche du développement peut se définir comme une théorie liée aux objectifs du développement (ex: croissance durable, distribution plus équitable des actifs, entre autres) et aux moyens les plus efficaces pour les atteindre (méthodes). Les approches sont donc avant tout des grandes constructions culturelles inspirées par une grande théorie du changement socio-économique et socioculturel, associées à des valeurs humanitaires et fondées (à des niveaux variables) sur des constatations empiriques.

Du point de vue technique, toute approche de développement possède ses qualités et ses défauts et, dans certaines conditions précises, certaines peuvent marcher mieux que d’autres. En effet, il existe encore beaucoup de chose à faire pour créer, améliorer et perfectionner des approches de développement plus efficaces. Au cours des deux ou trois dernières décennies, la compréhension des processus de développement s’est graduellement améliorée; ce qui a permis des interventions plus efficaces. L’introduction de concepts comme le développement durable, la décentralisation, la participation ou l’égalité entre les sexes a été un des principaux résultats des approches de développement. Pourtant, aucun de ces concepts ne peut prétendre être un critère neutre isolé dans une tour d’ivoire. Au contraire, il faut reconnaître que toute approche de développement est ancrée dans l’économie du développement et reflète les programmes politiques des donateurs et des organisations internationales qui les adoptent.

Les approches de développement sont en principe élaborées par des institutions académiques ou semi-académiques (universités, centres d’études de développement, etc.) et, après quelques tentatives pilotes à petite échelle, elles sont diffusées dans des publications sur le développement et des présentations dans des conférences internationales. Si elle est convaincante, une telle publicité peut conduire les gouvernements des pays en développement, les donateurs et les agences d’aide internationale au développement à adopter la nouvelle approche (et ainsi à verser des fonds pour la perfectionner ou réaliser d’autres essais).

Les possibilités de "commercialiser" une approche de développement dépendent dans une large mesure de sa capacité à modeler le discours en matière de développement de telle manière que le gouvernement, le donateur ou l’organisation internationale soit prêt à l’accepter au moment voulu. En conséquence, pour avoir du succès, les approches de développement doivent être en conformité avec les valeurs, les croyances et les modèles de comportement dominants dans la culture institutionnelle de ce gouvernement, donateur ou de cette organisation.

En vertu de ce principe, les approches conçues par les centres de recherche nationale ont plus de probabilité d’être "acquises" avant par les agences nationales de développement et les agences d’aide bilatérale pour le développement. Les approches nationales possèdent certains avantages comparatifs par rapport aux approches étrangères en raison d’une plus grande cohérence avec la vision politique et les objectifs fondamentaux des gouvernements, permettent une plus grande visibilité à l’échelle nationale et une meilleure interaction entre les fonctionnaires de l’organisme qui "acquiert" et les chercheurs qui «vendent» (car ils ont en commun la même langue, le même mode de communication et des modèles de comportement similaires). Plus généralement, les approches nationales de développement sont le reflet des traditions intellectuelles ou scientifiques du pays et, dans certains cas, des valeurs fondamentales de la culture nationale.

Une fois qu’une agence nationale ou un donateur bilatéral adopte une approche, il peut essayer de la diffuser à des organisations internationales (comme la FAO par exemple). Cette attitude est généralement motivée par la volonté d’améliorer la performance de l’organisation en question dans le domaine des principes et méthodes que le gouvernement ou le donateur considère comme plus appropriés et plus efficaces. Néanmoins, pour atteindre ce "noble" objectif, il est nécessaire d’utiliser les "armes" de la politique propre aux différentes cultures. Celles-ci comprennent les présentations, publications, traductions du matériel fondamental, le soutien au recrutement d’experts qui mettront en œuvre cette approche, le financement de programmes ad hoc et le lobbying au niveau technique et politique. Dans cette perspective, la promotion et la diffusion des nouvelles approches de développement peuvent devenir un élément de publicité nationale dans le domaine du développement et, dans certains cas, un élément de lutte pour l’hégémonie culturelle sur les organisations internationales où les pays membres (et parfois les zones régionales transnationales) sont impliqués.

5.1 Les principes directeurs - Confusion entre Principes et Objectifs

«Le développement aura toujours besoin d’une importante force motrice»

Un des sujets principaux mentionnés dans les entretiens portait sur les principes directeurs communément admis dans les activités de développement. La discussion tournait autour du fait qu’il existe souvent une certaine confusion ou superposition entre les principes et les objectifs. Cette confusion est présente à différents niveaux de l’Organisation. Au niveau officiel, les objectifs de développement formulés dans des documents tels que le «Cadre Stratégique» ou le «Sommet Mondial de l’Alimentation: cinq ans après» (SMA: caa) sont à la fois des objectifs et des principes. La lutte contre la pauvreté est un objectif de développement pour l’organisation mais aussi un principe au sens où tout projet doit partir du principe qu’il doit permettre de lutter contre la pauvreté. La pauvreté peut en outre être un point d’entrée spécifique. Par exemple en utilisant des méthodes telles que les profils de vulnérabilité pour définir les buts et l’objet d’interventions précises.

À un niveau plus informel, les principes directeurs dominants de l’approche "sans nom" sont les principes sous-jacents aux objectifs de la FAO au-delà des objectifs fondamentaux d’éradication de la pauvreté, d’accès et à l’eau et à l’alimentation dans des délais établis. De tels principes sont ensuite articulés et intégrés dans les champs d’intervention prioritaires et détaillés dans certains documents importants de la FAO comme le «Cadre Stratégique» ou le «Sommet Mondial de l’Alimentation: cinq ans après». Les principes figurant dans ces documents se retrouvent dans les objectifs spécifiques des programmes et des projets et s’ajustent à ceux-ci au cas où il y aurait une modification dans l’ordre des priorités de l’organisation ou que de nouvelles valeurs sont adoptées ou précisées.

Il existe une double circulation entre les objectifs officiels de l’organisation et leur adoption dans des programmes et projets. Les idées, approches et principes nouveaux sont introduits dans l’organisation par l’intermédiaire de projets de pointe, qui les intègrent, soit par l’interaction avec les principes d’autres organisations (académiques, ONG, autres agences), soit en s’attaquant à des problèmes spécifiques sur le terrain. Si le nouveau principe est efficace, il sera fréquemment attaché à d’autres projets et programmes et fera désormais partie de la culture informelle de l’organisation. Par la suite, il obtient une reconnaissance et un soutien officiels des membres dirigeants et se retrouve dans les documents officiels. Arrivé à ce point, il devient nécessaire de renforcer ces principes grâce à leur mise en oeuvre dans différents programmes et projets. De cette façon, les principes s’établissent selon un flux circulaire: les convictions informelles des équipes influencent la position officielle de l’organisation et deviennent ainsi les principes directeurs admis des projets et programmes. Les exemples les plus marquants de cycle de légitimation d’idées ou de principes nouveaux sont la participation et l’égalité entre les sexes.

Encadré 2: Egalité entre les sexes...

Les questions de genre fournissent une intéressante opportunité de réflexion. La nécessité croissante d’adopter une telle perspective dans toutes les théories et activités liées au développement provient de la nécessité de se pencher davantage sur le cas des femmes, qui constituent un groupe particulièrement vulnérable et ignoré. Cette période est connue comme celle de l’approche FED (femmes en développement), qui devint vite «genre et développement» (GED). Cette approche cessa de se concentrer uniquement sur la femme pour s’intéresser au système complexe des relations et des équilibres de pouvoir entre les sexes. Ce principe, très puissant, fut adopté au niveau officiel de l’Organisation au point qu’une des personnes interrogées a indiqué que la FAO est «touchée par la crise des sexes». Les membres les plus réticents de l’organisation furent sensibilisés grâce à des ateliers et exercices. Certains membres estiment que l’adoption officielle de ce principe a été forcée et par conséquent artificielle. D’un autre côté, d’autres fonctionnaires estiment qu’il n’existe pas assez de mécanismes permettant d’assurer une incorporation réelle et efficace des principes basiques liés au problème d’égalité entre les sexes.

Les principaux principes de l’approche "sans nom"mentionnés par les personnes interrogées sont:

La participation
La consultation
L’action à des niveaux multiples
La responsabilisation
Le renforcement des capacités
Le développement durable.

Les deux principes suivants peuvent être ajoutés:

Orientation vers la lutte contre la pauvreté
Sensibilité aux questions d’égalité entre les sexes

Une autre catégorie de principes se compose de principes qui sont souhaitables en théorie mais problématiques en pratique. Le principal est «l’holisme». Un second, mentionné par une minorité des personnes interrogées, est le principe des interventions à niveaux multiples, c'est-à-dire la capacité à passer d’une échelle à une autre (passage à une échelle plus grande ou plus petite)

Ces principes proviennent directement des objectifs des projets et sont implicites dans la mesure où ils ont été acceptés au cours de la dernière décennie et font partie de la pratique quotidienne de toutes les personnes que nous avons interrogées.

Généralement, un ensemble de principes est formulé de manière explicite dans la description d’un projet et figure en outre parmi les justifications pour les projets et interventions futurs. Tous les services incorporent les principes d’une manière ou d’une autre dans la formulation des missions officielles ainsi que dans les documents stratégiques globaux de la FAO. Ils ne présentent pas de grande différence avec ceux des autres organisations ou avec les principes énoncés dans les objectifs de développement international. Ces principes sont plus importants pour certains services que pour d’autres. Grosso modo, les principes mentionnés ci-dessus paraissent être plus ancrés dans les divisions dont le travail porte particulièrement sur les aspects humains, sociaux, économiques et politiques du développement rural. Les divisions plus techniques et/ou plus scientifiques sont en général moins disposées à adopter une série de principes qui déplacent l’objet d’attention des aspects techniques ou liés à la production vers les gens, leur vulnérabilité et leur rôle dans le processus de décision.

Au cours des entretiens, il devint clair que la principale pierre d’achoppement concernant les principes tournés vers les populations est, d’une part la difficulté de mettre en œuvre ces principes dans un cadre opérationnel; et, d’autre part l’existence d’obstacles structurels. La mise en œuvre de ces principes fut un des thèmes le plus abordés et tous les participants ont remarqué qu’ils n’arrivaient pas à mettre suffisamment en pratique ces principes.

Une question importante était de comprendre en quoi certains principes conduisent à un effacement des frontières entre objectifs et principes. Par exemple, presque toutes les personnes interrogées étaient d’accord sur le fait que le lien entre le niveau local et national est crucial (en termes de moyens d’existence, de liens entre niveau micro et macroéconomique). Souvent, l’établissement de tels liens devient un objectif institutionnel dans les activités de développement. Cet effacement de la distinction entre principes et objectifs n’est pas nécessairement négatif. Selon certains, il constitue un indice de la vitalité et de la pertinence de l’objectif poursuivi: lorsque l’objectif se confond avec le principe supposé l’animer, c’est généralement le signe que l’objectif est pertinent et qu’il est «vivant». Le processus de développement devient prioritaire par rapport aux objectifs et cela donne souvent des résultats meilleurs, même s’ils sont inattendus. Néanmoins, il reste important de séparer de temps en temps, au moins conceptuellement, les principes et les objectifs afin d’éviter que les principes absorbent tout le reste. Le processus est essentiel, mais au moins conceptuellement, il doit être dirigé par une finalité. Cela est particulièrement vrai dans le contexte de la FAO, où les résultats doivent être apparaître aussi bien sur le papier que dans la pratique. La confusion entre objectifs et principes peut apparaître également comme une confusion entre principes et secteurs.

5.2 Trouver l’approche adaptée pour la mise en œuvre des projets de développement

Il existe différentes cultures de travail au sein des services qui déterminent la manière dont les principes sont mis en oeuvre. Cela dépend beaucoup de leur niveau de technicité - dans le domaine des forêts par exemple, cela varie selon que ce soit un projet de développement communautaire ou un projet technique quantitatif. En général, certaines divisions techniques utilisent exclusivement des principes techniques très «rigides» alors que d’autres divisions utilisent de plus en plus des principes «flexibles»[18], sous l’influence des approches participatives «de bas en haut» apparues ces derniers temps.

Une conclusion timide est que généralement les projets tendent à essayer de reproduire les principes et finissent donc par s’orienter vers la participation et la communauté locale, mais souvent au détriment de la clarté du cahier des charges techniques, ou, au contraire, se concentrent sur des aspects particulièrement techniques comme le recensement des arbres ou des poissons, avec une implication faible ou nulle de la communauté locale.

De même, presque tout le monde est disposé à adopter une approche globalisante dans les projets, mais on considère l’approche holistique comme une approche de facto, non pratique. L’holisme est un principe très séduisant mais très difficile à mettre en oeuvre dans le cadre institutionnel de la FAO, même dans le cadre de projets dont le point de départ est une approche non technique, centrée sur la population. Comme l’explique un participant dans un entretien:

Quand nous parlons de développement, nous devons penser à un espace à géométrie variable dans lequel le niveau d’action et de couverture peut évoluer. Il s’agit d’un changement de vision. Mais la réalité est bien plus complexe que ce que l’on souhaite. Donc plutôt que d’essayer d’avoir une approche intégrée, nous devrions essayer de «faire éclater» le développement, de façon à ce que chacune des parties puisse choisir le meilleur chemin.

C’est pourquoi, selon la majorité des personnes interrogées, une approche sélective centrée sur un secteur ou un aspect technique donné est en réalité plus facile à mettre en place. Il existe néanmoins des partisans des approches holistiques qui prétendent qu’il est possible de conjuguer la gestion holistique (particulièrement des ressources naturelles) si l’on part d’un point de départ bien choisi et si on limite l’approche holistique à la phase de diagnostic. La principale contrainte est liée à ses aspects pratiques (spécialement en termes de temps et de ressources) dans la mise en oeuvre des projets.

Les principes sont bien représentés dans les objectifs des projets et parfois même dans la phase de conception. Mais ils ne sont pas aussi présents dans le processus de planification, qui tend à être consultatif plus que réellement participatif.

Un autre facteur de confusion réside dans la superposition des principes et des champs d’intervention, au moins dans la perception qu’en ont les gens. Il s’agit de quelque chose de similaire à la confusion entre objectifs et principes (voir section 5.1). Revenons une fois encore à l’exemple de l’égalité entre les sexes: il existe une confusion entre l’égalité entre les sexes comme principe fondamental et commun à tout type de projet et comme objectif d’interventions spécifiques comme celles concernant les femmes. Un autre exemple significatif de cette tendance à estomper les frontières entre principes et contenu concerne le rôle des politiques (particulièrement au regard de la tendance récente des politiques participatives). La politique participative est-elle un moyen d’agir plus efficacement ou, au contraire, est-elle un but en soi? La politique participative doit-elle être l’objet central d’un projet ou un principe directeur qui permette d’atteindre d’autres objectifs dans le champ d’intervention choisi? De même, la décentralisation, qui est généralement considérée comme un des enjeux cruciaux du développement, devient à la fois l’objet d’intervention ciblé et un principe directeur. Pour certains, les barrières sont claires mais, pour beaucoup d’autres, il existe souvent une confusion entre les principes, les objectifs et les domaines d’intervention. Comme cela a déjà été mentionné, cela ne veut pas dire que la confusion est négative. Nous intervenons, à travers nos projets, dans une réalité très complexe. Cela se traduit par le fait que le processus, le contenu et les objectifs fusionnent souvent ensemble. Finalement, les principes directeurs sont validés par leur mise en oeuvre. C’est à cette étape que l’énergie et les idéaux sont mis en avant, mais aussi là que les frustrations liées à l’action pour le développement naissent. Selon les personnes interrogées, la mise en pratique des principes, dans la conception puis dans la mise en œuvre des projets, est l’étape clef, le vrai test. Ceci sera discuté ultérieurement.

5.3 Le cycle de développement

5.3.1. Diagnostic et conception

«Un nouveau paradigme et les méthodologies participatives ont changé la donne, mais plus au regard des choses à faire qu’à la façon de les faire»

Le diagnostic s’effectue en fonction des objectifs, les moyens étant eux définis au cours de la mission, selon la méthode la plus efficace possible. La dimension officielle "sur le papier" d’un projet est, à bien des égards, l’élément le plus important. Cela rend mal à l’aise de nombreux professionnels au sens où cela génère un certain cynisme et un certain détachement lié au fait qu’il soit possible d’élaborer un projet parfait sur le papier, qui satisfasse toutes les exigences de l’organisation, mais qui ne reflète pas nécessairement la réalité des faits. Au cours des entretiens, il est apparu qu’une des principales préoccupations dans le cycle d’un projet ou programme est de trouver le juste équilibre entre ce qui est réaliste, en termes de conception et d’application, et les exigences de l’organisation, motivées par le manque de temps et de ressources.

Encadré 3: Participation et Evaluation Participative Rurale (EPR)

Alors que le principe de participation est commun a toutes les approches de développement considérées (à l’exception du DRI), il manque en général de temps et d’experts pour le travail participatif. La participation, même si elle est clairement énoncée comme principe ou objectif, est souvent difficile à mettre en pratique de façon adéquate. Dans la plupart des cas, la participation est employée au sens de consultation. Les parties prenantes locales sont consultées en vue d’obtenir des idées et des informations utiles pour nourrir l’analyse qui sert de fondement au projet; ou bien pour avoir une idée de leurs préférences et de leur engagement dans un programme, un projet ou une gamme activités.

Dans les cas où la participation fait partie du processus de diagnostic, elle représente en même temps une fin en soi. Les méthodes de participation sont appliquées principalement par des sociologues ou des consultants, dont la tâche est de formuler un diagnostic socioéconomique qui servira de toile de fond pour un projet ou programme. Elles sont utilisées comme outils ou méthodes pour obtenir des informations des communautés locales à travers le processus d’Evaluation Participative Rurale (EPR). Souvent, les endroits où est mise en oeuvre l’EPR ne sont pas dans la zone-cible du programme, ce qui rend encore plus difficile l’adhésion indispensable des communautés locales et des institutions aux projets lors de la phase de conception. Quelques participants ont exprimé des doutes sur l’efficacité réelle de l’EPR, utilisée comme remplacement d’autres méthodes d’analyse qualitatives et/ou quantitatives sur lesquelles construire un projet. Si les méthodes de l’EPR permettent d’avoir une compréhension plus articulée et plus complète des réseaux de relations et des problèmes quotidiens des intéressés, ses résultats sont propres à une zone précise, sans être nécessairement représentatifs d’une réalité régionale ou nationale plus large.

Selon les personnes interrogées, le manque de temps est le principal obstacle à l’emploi efficace de la participation comme instrument de diagnostic et de conception, vu qu’elle exige un engagement à long terme des fonctionnaires de la FAO et des équipes d’autres agences de développement. En pratique, cela se traduit par des coûts de préparation plus élevés, avec pour conséquence que les possibilités de mise en oeuvre d’approches véritablement participatives diminuent de beaucoup. Cela est à l’origine de beaucoup de frustration parmi les équipes, qui défendent les méthodes participatives et sont convaincus qu’elles constituent un instrument de développement efficace. Cet engagement et cette foi dans l’efficacité de la participation se retrouvent dans le matériel, les outils et les manuels de formation et de conseil. De nombreuses divisions et services ont mis au point des manuels de formation en différentes langues qui portent sur l’usage d’approches participatives dans différents domaines. Une des personnes interrogées souligne: «L’EPR en tant que telle n’est pas aussi efficace qu’une EPR thématique adaptée à des secteurs et points d’entrée particuliers». En conséquence, il existe de nombreux manuels utilisés par les employés de la FAO; ceux-ci s’avèrent très utiles dans des domaines comme la sécurité alimentaire et l’alimentation, la gestion participative des ressources naturelles, les projets orientés sur l’égalité entre les sexes, la gestion des conflits et beaucoup d’autres domaines techniques. Ces approches seront décrites plus en détail dans la section sur les approches internes de la FAO.

Le soutien à la participation dans un domaine précis et la formation est généralement considéré comme un point fort de la FAO. Cependant, certaines personnes interrogées soulignent le risque de s’impliquer trop dans la formation, au détriment du caractère opérationnel des projets. Selon les personnes interrogées, cela diminue l’efficacité des méthodes et donne une formation dans le vide à des groupes et communautés qui n’ont pas l’opportunité de mettre en relation leur formation avec des objectifs de développement précis. C’est la raison pour laquelle il est important de maintenir des liens étroits entre la capacité de soutien de la FAO et les activités directement liées à la préparation et la mise en oeuvre des projets.

Les personnes interrogées ont souligné le fait que la culture de travail et les politiques des institutions publiques peuvent constituer un obstacle à la mise en oeuvre efficace d’un projet, en particulier le processus d’analyse et de préparation des interventions. La préparation des projets est le domaine principal de négociations entre les gouvernements nationaux et les organisations internationales. La FAO s’est engagée dans ce processus (à travers les Programmes de Coopération technique) directement et pour le compte d’autres agences, qu’elle aide à préparer et concevoir les projets. Ainsi, la teneur d’un projet relève autant de la négociation avec les parties les plus puissantes que de l’objectif de toucher effectivement les bénéficiaires. Dans la plupart des cas, le schéma général et l’objet d’un projet sont définis bien avant que ne soit conduits un diagnostic et une analyse de la situation. Généralement, un projet est formé dans ce cadre préétabli, en dépit d’une pression croissante visant à permettre aux projets d’évoluer en fonction de la demande des parties prenantes locales.

Dans ce contexte, il existe un fossé de plus en grand entre les professionnels qui favorisent l’analyse quantitative pour justifier le diagnostic ayant déterminé le projet et ceux qui préfèrent un processus plus qualitatif et consultatif. Les préférences du pays, ainsi que les profils individuels et collectifs des équipes et de leur directeur peuvent avoir un impact sur le choix de la méthode. Les opportunités de combiner une analyse et un diagnostic qualitatifs et quantitatifs et la façon dont chaque méthodologie peut influencer la conception du projet dépendent en grande partie du schéma de direction et d’autorité. Il apparaît que le facteur générationnel joue un rôle important dans la sélection de l’approche par un groupe de spécialistes en développement. Le contexte professionnel tend à déterminer le processus du diagnostic et les méthodes tendent à être profondément ancrées même quand elles n’apparaissent pas de manière explicite. En généralisant grossièrement, on peut dire qu’il y a plus d’experts techniciens parmi les plus anciens. Les plus jeunes, même ceux qui disposent d’une forte compétence technique, sont souvent plus familiers et plus en favorables aux approches participatives et centrées sur les populations. Il existe naturellement de nombreuses exceptions à la règle parmi les anciens, même si beaucoup d’entre eux sont perçus par leurs pairs comme des «experts» ou «pionniers» et si leur statut les situe légèrement à part dans la culture informelle de l’institution. Ceci accentue en outre le «fossé entre les générations». Ces aspects clés ont un impact positif sur les projets en créant un cycle vertueux. L’utilisation de cadres d’analyse novateurs, fondés sur la demande donne souvent des bons résultats. Ces méthodes sont alors retenues comme «bonnes pratiques» et sont alors appliquées à d’autres projets.

Les plus jeunes, même s’ils possèdent des compétences techniques, sont plus enclins à expérimenter des approches novatrices qui donnent un rôle prééminent aux communautés locales, notamment grâce à la participation au processus de décision. Ils ont aussi tendance à rechercher des projets plus flexibles et holistiques, encouragent l’extension des projets à d’autres secteurs et domaines, et ce même si, souvent, leur pouvoir de décision est réduit; ce qui limite leur capacité à influencer la conception des projets. Leur rôle est probablement plus de contribuer au diagnostic à travers l’analyse des moyens d’existence, les exercices d’EPR et autres formes de consultation sur le terrain.

A la FAO, l’approche «sans nom» représente le noyau de presque tous les projets d’investissements et d’assistance technique. Elle est mise en oeuvre pendant la phase d’identification et de préparation, à un moment où les équipes doivent préparer les projets sans avoir d’orientation précise sur l’approche à adopter ou sur les aspects sociaux du projet. L’angle d’attaque du projet est souvent lié à un secteur technique précis (production agricole, élevage, pêche, etc.) tandis que le savoir-faire provient d’une compétence précise (ingénierie, agronomie, vétérinaire etc.). Même si les éléments d’évaluation institutionnelle et sociale prennent de l’importance, ils sont généralement considérés comme des éléments «additifs» du projet et non comme en faisant partie intégrante. L’approche «sans nom» constitue une tentative de les combiner dans une approche globale socio-économique et institutionnelle, qui réponde aux objectifs de participation, de responsabilisation et de lutte contre la pauvreté.

Les objectifs des projets incluent de plus en plus le renforcement de communautés locales, avec pour but d’émanciper la population et lui permettre de prendre part au processus de développement, dans le cadre plus global de la décentralisation. Les projets sont orientés de manière à rendre plus présentes les dimensions sociales du développement - mettant l’accent sur les aspects sociaux et humains. Un objectif politique typique est le renforcement des capacités des gouvernements et des institutions à incorporer de façons diverses ces objectifs à ses activités de développement. On parle ici d’objectifs «soft» par opposition aux objectifs techniques «hard».

Les objectifs «soft» ne sont souvent pas bien définis et, contrairement aux objectifs techniques, n’ont pas de définition, de buts ou de critères toujours clairs. L’exigence est de mettre en relief les aspects humains et les caractéristiques des moyens d’existence des bénéficiaires du projet. Ils doivent aussi comprendre différents niveaux, inclure les aspects sociaux et institutionnels et traiter des liens entre eux, sans oublier les questions relatives à l'environnement et à l’égalité entre les sexes. Néanmoins, la pauvreté est devenu l’objectif explicite, même des projets techniques. Certaines sections de la FAO reçoivent des directives précises concernant l’élaboration des documents relatifs aux projets; d’où une certaine prédominance des objectifs et buts «sur le papier» sur ceux de la vie «réelle». Les activités poursuivies lors de l’identification et la préparation d’un projet doivent être conformes aux exigences de la présentation écrite. La définition officielle et institutionnelle de «comment un projet doit être» détermine le processus. Lorsqu’un projet a été identifié ou préparé, cela signifie qu’un certain financement lui a déjà été consacré et que, par conséquent, les objectifs et le profil général ont déjà été spécifiés. L’identification et la préparation ne sont que le peaufinage d’un format existant.

L’adoption d’objectifs «soft» varie considérablement selon les régions. Certaines régions ont une tradition plus forte et plus ancrée. Cela dépend généralement de la présence d’une communauté locale forte dans le domaine du développement, composée d’agents de développement divers, allant des organisations internationales aux organisations de la société civile en passant par les institutions académiques nationales etc. Les pays d’Amérique latine, quelques pays d’Afrique et d’autres tels que l’Inde ont une communauté nationale forte impliquée dans le développement capable d’exercer une certaine influence sur les cadres opérationnels des projets. Cette influence est indirecte, elle passe par la création d’un environnement propice aux approches «soft». Cela finit par déteindre même sur les projets les plus techniques. D’autre part, certains pays comme ceux de l’Europe de l’Est, l’ex Union Soviétique et la Chine, sont beaucoup moins enclins à privilégier des approches «soft». Dans ce contexte, les projets techniques tendent à être dominants.

Qu’il s’agisse de méthodes «soft» ou «hard», la plupart des participants remarquent que la phase de diagnostic et de conception des projets n’est en aucun cas la plus problématique. Aussi bien pour l’approche «sans nom» que pour une approche plus formelle, cela fait partie de leurs compétences. Au contraire, la majorité des personnes interrogées indique que c’est la mise en oeuvre des projets dans les circonstances réelles qui demeure souvent insatisfaisante.

5.3.2. Mise en oeuvre du développement rural: l’écart entre la théorie et la pratique

«Il y a une crise de l’exécution des projets; nous nous sommes engagés à investir dans des projets de développement mais nous nous rendons compte que rien ne se passe».

Il existe parmi les professionnels une frustration croissante due au fait que les projets de développement n’ont pas l’impact attendu. L’impression écrasante est que l’échec de la plupart des organisations et institutions de développement n’est pas dû un problème de compréhension, d’instruments ou de méthodes mais plutôt à des contraintes structurelles internes à ces organisations. Les instruments, méthodes et approches dont dispose la communauté des spécialistes en développement sont tout à fait aptes à permettre potentiellement des interventions réussies et durables. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le possible impact négatif des problèmes structurels sur la pauvreté et les revenus. Des facteurs exogènes tels que les catastrophes naturelles, les épidémies jouent clairement un rôle important. Néanmoins, on a de plus en plus le sentiment que les blocages sont ailleurs et proviennent de facteurs liés à la «façon dont les choses sont faites», qui, en fin de compte, constituent un obstacle à l’efficacité et au succès des interventions. Nous avons passé beaucoup de temps à examiner les causes et les complexités de cette situation avec les personnes interrogées. Chacun a une interprétation ou un point de vue différent à ce sujet. Un nombre important de personnes a connu au moins une fois le succès. Dans la plupart des cas, cela a renforcé la frustration provoquée par les échecs d’autres projets.

5.3.3. Le rôle du suivi et de l’évaluation

Les critiques informelles mais importantes formulées à l’encontre des méthodes de développement et de la façon de les mettre en pratique sont liées symbiotiquement aux projets et pratiques qui ont rencontré le succès; en d’autres termes, avec «ce qui marche». Les interventions qui ont eu un impact positif sont très variées: certaines sont reconnues officiellement comme telles et sont reformulées dans des «histoire à succès», «études de cas» ou exemples de «pratique optimale». Elles sont codifiées à travers le processus de suivi et d’évaluation et deviennent parfois partie intégrante de l’apprentissage institutionnel d’une organisation. Les autres impacts positifs se retrouvent dans la mémoire «orale» de l’institution, dans le corpus informel des connaissances et pratiques de ses équipes. Toutes les personnes interrogées ont cité des exemples précis de projets de développement qui «avaient réussi» et de projets qui «n’avaient pas marché».

Encadré 4: Le programme de développement durable sur la pêche insiste sur la participation de la communauté au contrôle et à l’évaluation des activités...

Ce programme est axé sur la planification de projets et d’activités pour lesquels la notion de contrôle et d’évaluation par la communauté est intégrée. Cela permet de s’assurer que besoins et objectifs de la communauté sont structurés et articulés dans un document, qui constitue alors une base pour le contrôle de ces activités.

5.4 Questions transversales

Mais quelles sont, selon les fonctionnaires de la FAO, les principales raisons de l’inefficacité de certaines interventions? Nous les avons classées comme suit:

5.4.1. Les raisons politiques

Les aspects politiques jouent un rôle fondamental, à plus d’un niveau, dans la mise en oeuvre des projets de développement. Les pays membres - pays développés et pays en développement - ont des intérêts politiques propres qui déterminent leur position dans l’organisation. Les pays riches peuvent mettre en avant leurs priorités en rendant conditionnel leur financement; de même, les pays en développement disposent d’un fort contrôle sur les types de projets et programmes autorisés sur leur territoire. Tous ces facteurs déterminent l’ordre du jour en matière de développement et les zones d’intervention prioritaires. Outre les intérêts de chaque pays, la FAO a aussi sa propre culture politique. Les divisions et les programmes sont en concurrence entre eux pour le peu de ressources disponibles (ceci ne veut pas dire néanmoins qu’il n’y a pas de collaboration à d’autres niveaux). Quelques programmes deviennent «les produits phare» de l’organisation et sont donc prioritaires pour l’attribution de ressources. La scène politique internationale a également une influence importante sur les zones d’interventions prioritaires de la FAO. Les événements récents, comme la guerre en Afghanistan et en Irak, ont entraîné la réaffectation de nombreuses ressources à ces pays. Le cadre stratégique et les décisions politiques des institutions de Bretton Woods pèsent aussi sur la typologie des projets dans un pays déterminé. Le principal problème lié à l’influence de ces politiques sur le développement est qu’elle est rarement reconnue formellement. Tous les professionnels ressentent cette influence et les limitations qu’elle impose. Il est pourtant impossible, néanmoins, de les reconnaître officiellement comme des facteurs déterminants dans la conception et la mise en oeuvre des projets.

Encadré 5: Le Projet WIN et la Paix et Réconciliation au Népal

Le Népal a récemment connu une importante instabilité. La déclaration de «guerre du peuple» en février de 1996 par le Parti Communiste du Népal (les Maoïstes) a conduit à de fortes tensions dans le pays, qui ont atteint leur sommet en novembre 2001 quand le gouvernement a déclaré l’état d’urgence et a envoyé l’armée. Les violations des droits de l’homme - arrestations arbitraires, enlèvements, exécutions sommaires, tortures, viols, disparition volontaire et forcée des jeunes - devinrent de plus en plus nombreuses avec l’action de l’armée. Cela entraîna à son tour une dégradation du tissu social, marquée par des migrations nombreuses, l’engagement de nombreux hommes dans chaque camps, l’engagement de nombreuses jeunes femmes aux côtés des Maoïstes. Un tel comportement s’explique par la pauvreté, le chômage, la discrimination et les très nombreuses inégalités sociales ainsi que par l’absence presque absolue de services publics. Comme conséquence du conflit, l’agriculture devint de plus en plus féminisée, les femmes âgées et enfants réalisant le travail agricole, ce qui accabla ces ménages. La productivité agricole diminua faute de main-d'œuvre et en raison du manque de mobilité et d’un accès réduit aux services. D’où un accroissement de la malnutrition parmi les enfants, les personnes âgées et les femmes.

Le projet WIN met l’accent sur l’émancipation des femmes dans la gestion de l’irrigation et des ressources en eau au bénéfice de la sécurité alimentaire, de la nutrition et de la santé dans les ménages. Le projet WIN et les interventions centrées sur les populations peuvent généralement contribuer à la paix et à la réconciliation. Le projet WIN vise - avec succès - les groupes marginalisés, à travers la promotion d’une attitude favorable à l’intégration sociale. Les analyses relatives aux problèmes liés au sexe réalisées dans le cadre du projet ont permis de s’assurer que les cibles ont été bien choisies et de donner aux femmes l’opportunité d’exprimer leur opinion sur les interventions qui les affectent les plus. La participation a conduit les bénéficiaires à une réflexion qui leur a permis d’identifier eux-mêmes les problèmes et les solutions possibles. L’insistance sur la communication, le dialogue et l’échange à tous les niveaux, valeurs qui vont dans le sens de la paix et de la réconciliation, a été une leçon importante pour le gouvernement népalais. La formation et le renforcement des capacités sont des éléments fondamentaux de cette approche puisqu’elles permettent d’assurer que la connaissance et les compétences sont transférées, donnant ainsi confiance aux populations rurales. La collaboration entre les ONG locales et les services publics est un élément important du projet WIN, et peut permettre d’améliorer et de rendre plus cohérents les services agricoles. De cette manière, il est possible de s’attaquer à plusieurs des causes d’instabilité au Népal et de garantir ainsi la paix et la réconciliation au niveau national.

Adapté de "The Relevance of WIN for Peace et Reconciliation"par Kanchan Lama

5.4.2. La hiérarchie

La FAO est considérée comme une organisation très hiérarchique. La direction prend les décisions, souvent sans consulter les échelons inférieurs, plus opérationnels. Ainsi, les professionnels les plus impliqués dans la mise en oeuvre des projets et dans le «travail du terrain» ont peu de poids dans le processus de décision qui détermine le cadre et les priorités d’une intervention. Les divisions sectorielles dans l’organisation renforcent cette structure pyramidale, où la plupart des unités de la base ont des difficultés à établir des rapports entre elles. Un autre aspect important est celui des «ressources humaines»: le nombre des fonctionnaires permanents a fortement diminué ces dernières années. Les personnes interrogées notent cependant que leur charge de travail a augmenté avec la réduction des effectifs. La conséquence est qu’une bonne partie de la charge de travail est exécutée par des consultants juniors, qui ont peu d’expérience directe des projets de développement. Cela ne poserait pas de problème si on leur donnait une formation ou si les confrontait à l’expérience du terrain au cours de leur travail, mais c’est malheureusement rarement le cas.

5.4.3. Le temps

Le temps est considéré une contrainte importante dans le processus de mise en oeuvre d’un projet. Le temps alloué aux missions sur le terrain est généralement insuffisant pour faire des évaluations satisfaisantes ou pour établir des relations de longue durée avec les partenaires locaux. En raison de ces restrictions, les partenaires officiels des institutions finissent par être le seul contact. Les relations avec les communautés locales, les organisations de la société civile et les partenaires du secteur privé sont souvent sporadiques et indirects. Le manque de temps exerce un effet inverse sur l’application de quelques grands principes, comme la participation ou les approches flexibles à plusieurs niveaux. Il devient difficile pour les fonctionnaires de la FAO d’adopter les approches courantes (Moyens d’existence durable, Gestion de terroirs ou Systèmes d’exploitation agricole), celles-ci requérant plus de temps que le temps disponible. Au moment de la phase de mise en oeuvre, l’approche «sans nom» devient la meilleure solution de repli; car elle permet aux équipes individuellement de choisir les aménagements et adaptations optimaux. L’autre stratégie de long terme adoptée par la FAO est une participation moindre dans la mise en oeuvre directe des projets, compensée par un soutien accru aux activités de ses partenaires. Comme évoqué plus haut, plusieurs services se sont complètement retirés des projets et produisent uniquement des manuels.

Un autre obstacle est la quantité de temps consacrée aux formalités et aux procédures au sein de la FAO.

Le pas de temps de l’organisation ne coïncide pas avec le temps des activités de développement. Il est difficile d’expliquer aux partenaires et bénéficiaires d’un pays pourquoi les activités et les projets prendront du temps à se concrétiser.

5.4.4. L’engagement

Il existe un lien direct entre ce manque de temps et la difficulté à maintenir un engagement à un haut niveau sur les projets de développement centrés sur la population. Selon les personnes interrogées, l’engagement auprès des partenaires et des bénéficiaires est un facteur crucial dans le travail de développement, au niveau de l’organisation et au niveau individuel. L’une d’entre elles a remarqué qu’il s’agit d’une question morale qui est devenue encore plus forte depuis que la population est située au centre du processus de développement. Auparavant, lorsque le travail de la FAO était centré sur l’amélioration des systèmes de production agricole, des accords officiels étaient passés entre l’organisation et le gouvernement du pays bénéficiaire. Maintenant que l’approche consiste à trouver des solutions pour résoudre les problèmes et la pauvreté en association avec les personnes et les communautés, il est important qu’existe, aussi bien au niveau officiel qu’au niveau non gouvernemental, un sens des responsabilités et de l’engagement. La FAO doit s’assurer que ses règles de procédure ne gênent pas cet engagement.

5.4.5. La communication

Le problème de l’amélioration des flux de communication et la possibilité pour les populations locales d’exprimer leur opinion ont été des points très discutés au cours des entretiens individuels. Comme le note un participant, il s’agit pas de donner ou non la parole aux populations locales mais d’entendre et d’écouter ce qu’ils ont déjà à dire. Si leur opinion ne coïncide pas à notre «langage de développement», c’est à nous d’adapter notre façon d’écouter et non pas à eux de changer d’opinion. Les personnes interrogées ont évoqué les efforts pour s’assurer que l’opinion des partenaires et des bénéficiaires tient une place importante dans l’institution. Beaucoup de projets à la FAO ont pour but d’améliorer les mécanismes d’intermédiation entre les priorités locales et les intérêts nationaux et internationaux. Il est nécessaire de faire remonter les opinions formulées jusqu’au niveau macroéconomique. Il faut également encourager davantage les populations de différentes régions, avec leurs caractéristiques culturelles et locales, à donner leur opinion. Il est nécessaire de s’assurer qu’il existe sur le terrain des mécanismes de représentation locale qui soient légitimés. Le fait que les populations locales puissent donner leur avis est primordial: c’est une indication que les objectifs ne sont pas simplement imposés par l’agence de développement mais partagés par toutes les intéressés. La FAO peut travailler avec les organisations de la société civile et du secteur privé - pourvu que les gouvernements l’acceptent - s’assurant ainsi que l’avis de tels partenaires est bien pris en considération tout au long du cycle du projet, mais cela nécessite une attention permanente.

5.4.6. La prise de risques

Le problème de la prise de risque est très lié aux idées concernant la hiérarchie. On considère souvent que l’Organisation est réticente à prendre des risques en termes de promotion de programmes et projets innovateurs. La raison principale identifiée est que la hiérarchie en place est réticente à perdre le contrôle des mécanismes de développement. Il est difficile pour les partenaires locaux d’obtenir un contrôle significatif sur la gestion des projets. Ils ont beau être chargés de la mise en oeuvre et de l’administration au quotidien, les décisions finales et le contrôle financier relèvent de l’Organisation. Déléguer ou céder ce pouvoir de contrôle est considéré comme trop risqué. L’argument invoqué est que la FAO est en fin de compte responsable des résultats et doit en rendre compte aux donateurs et aux états membres. Un autre avantage lié à la minimisation des risques est que la FAO a réussi à conserver son rôle d’«intermédiaire honnête» (honest broker) entre les gouvernements et les institutions financières internationales. Pourtant, de nombreux professionnels estiment que cette aversion au risque limite sérieusement l’efficacité des projets. «C’est comme si on disait à nos partenaires: nous vous demandons d’être responsable de ce projet et que vous le considériez comme vôtre, mais seulement jusqu’à un certain point à partir duquel nous avons plus confiance en vous. Ceci ne veut pas dire que nous devrions nous retirer complètement; nous devons continuer notre collaboration; souvent nous sommes mieux placés pour vous donner le soutien nécessaire, mais nous avons peu de liberté d’action pour vous donner plus de confiance et de responsabilités». Cette attitude réduit les possibilités de mettre en oeuvre des idées nouvelles. Le risque est jugé trop grand et il existe en général une préférence pour reproduire ce qui a déjà été tenté.

5.4.7. Ambiguïtés entre les principes d’organisation et la réalité pratique - éléments dynamiques

Cette section ne prétend pas examiner de façon systématique et exhaustive les priorités et les forces motrices, mais elle vise plutôt à fournir des indications sur des aspects des approches de développement qui présentent un intérêt particulier. Nous présenterons quelques ambiguïtés entre principes et pratique relevées par les personnes interrogées.

La première ambiguïté concerne la question relative aux droits de l'homme de première et de deuxième génération. En ce qui concerne les droits de l'homme de première génération, il existe un fossé entre les principes reconnus et les objectifs généraux d’émancipation d’une part et la réalité d’autre part. Dans la pratique, les projets sont souvent mis en œuvre dans des zones où les droits de l’homme sont violés, sans pour autant que l’on s’attaque explicitement à ce problème. Comme si le développement rural, en raison des ses objectifs spécifiques, pouvait s’abstraire des droits de l'homme. La stratégie consiste à intégrer les droits de l'homme de façon globale dans les objectifs du programme ou du projet et de travailler autour de ces objectifs sur le terrain. Comme la FAO ne peut pas émettre de jugement sur la position des pays en matière de droits de l'homme, les professionnels sur le terrain se retrouvent sans ligne directrice claire sur ce sujet et sans autre choix que d’essayer d’éviter de s’engager sur ce terrain.

Les droits de l'homme de deuxième génération, notamment ceux relatifs à l’accès aux ressources naturelles, occupent une place plus importante dans le domaine du développement rural. L’eau est une préoccupation majeure et il existe un débat pour savoir si l’eau est un droit ou un besoin de l’homme. Cette question est cruciale puisqu’elle déterminera si l’eau peut se être soumise à des tarifs et à des mesures commerciales. Tandis que d’autres organisations, comme la Banque Mondiale, mènent des politiques globales qui un fort impact politique sur ces sujets, la FAO tend à suivre le mouvement sans aborder directement ces problèmes ni donner de directives à ce sujet.

Le concept de développement durable a été aussi largement débattu. En général, il est considéré comme un principe directeur fondamental, mais il est difficile d’en déduire avec précision les possibilités d’application. Le seul domaine dans lequel le concept de développement durable trouve une application pratique est celui de l’environnement, pour lequel il existe déjà des critères et des mesures. Même dans ce cas, il est extrêmement difficile de mettre en pratique ces principes puisqu’il s’agit d’un concept assez abstrait pour les communautés locales. Dans d’autres secteurs du développement rural, il est plus difficile de définir clairement les critères du développement durable. Certains aspects sont en relation avec la discussion sur les droits de l'homme, comme lorsque la Banque Mondiale introduit des taxes sur l’eau dans le monde entier, en utilisant l’argument du développement durable. Si les agriculteurs doivent payer l’eau, le secteur de l’eau deviendra durable. Est-ce correct? Et la FAO ne devrait-elle pas s’engager plus dans les discussions sur les implications et les manières de mettre en «pratique» les principes de développement durable, même si ce débat a lieu seulement au niveau interne?

5.5 Eviter les écueils

Les éléments identifiés comme déterminants pour le succès ou l’échec des approches centrées sur les gens peuvent être classés en grandes catégories:

Les principes directeurs qui limitent le cadre des interventions et en donnent la direction générale

Le modus operandi appliqué, qui est une combinaison entre la culture institutionnelle de l’organisation et les pratiques usuelles en matière de développement dans les zones où le projet est mis en oeuvre

Le contexte culturel, linguistique et régional de la zone d’intervention ainsi que le partenaire sur place

Les ressources humaines: autorité et compétences

Les problèmes structurels ou exogènes qui peuvent peser lourdement sur le résultat d’une intervention

Ces catégories constituent une tentative préliminaire de distinguer, par niveau ou par nature, les différents facteurs qui gênent ou favorisent les activités de développement. Les entretiens réalisés avec les fonctionnaires de la FAO, des consultants et des spécialistes en développement nous ont conduit à définir ainsi ces catégories. Le fil conducteur de toutes ces entretiens individuels a été d’essayer de comprendre comment travailler mieux dans le domaine du développement et comment établir un «sens commun» sur ce qui est faisable et réaliste de faire dans certains cadres institutionnels et culturels. Les thématiques évoquées et les récits avaient tous en commun de refléter des attitudes et des pratiques de base, ce qui nous a conduit à définir l’approche «sans nom», dont la plupart des équipes de la FAO partage les principes fondamentaux. L’approche «sans nom» est un panaché des meilleurs principes et pratiques et constitue un moyen de trouver un équilibre entre les exigences officielles et «la façon informelle dont les choses se font» au sein de l’institution. Dans l’ensemble, elle est plus complète et flexible que les approches formelles analysées dans ce document. Elle est issue de l’expérience et reflète par conséquent plus la façon dont les professionnels «font» le développement que la façon qu’ils le pensent.

Encadré 4: Développement des activités d’élevage à petite échelle au Sikkim, Inde*: Un exemple du potentiel des approches centrés sur la population.

En 1994, un projet modeste dans le cadre du PCT commença au Sikkim, qui eut des implications importantes pour l’introduction de méthodes et approches centrées sur les gens dans les états du nord-est de l’Inde. Le projet était originellement conçu par le Département de services vétérinaires et de l’élevage (AHVS) du gouvernement de Sikkim (GoS) pour améliorer la production caprine. Les bénéficiaires étaient par conséquent les hommes des communautés ciblées. Pourtant, une forte approche participative avec une attention spéciale sur les problèmes de sexe apparut pendant la phase de planification du projet. Les Evaluations Rurales Participatives (ERP) conduites dans les différents villages ont permis de se rendre compte qu’il était généralement de la responsabilité des femmes de s’occuper des chèvres et des poulets. Il devint donc clair qu’augmenter la taille des troupeaux, ou des activités similaires, accroîtrait une charge de travail déjà lourde pour les femmes. Les ERP ont confirmé l’importance de la question du sexe, ainsi que celle des contraintes liées aux ressources naturelles dans le succès ou l’échec final du projet. L’analyse participative dans les phases initiales du projet a considérablement enrichi la base d’informations sur les pratiques agricoles, la division du travail entre hommes et femmes, le régime foncier, les conditions d’usage des ressources naturelles, sur les cycles saisonniers de l’insécurité alimentaire, les risques et l’endettement dans la région.

En général, les politiques du gouvernement de Sikkim ont eu tendance à négliger le partage des rôles et des responsabilités entre hommes et femmes au sein des communautés agricoles rurales. Avant les ERP, il n’existait pas d’études sur ce sujet. Les services de vulgarisation agricole étaient peu importants au Sikkim, et le peu qu’il y avait était orienté exclusivement vers les hommes adultes. Le projet encouragea aussi les fonctionnaires des différents départements du gouvernement à travailler en étroite collaboration dans une approche d’équipe interdisciplinaire; il était clair en effet que les problèmes dans cette zone ne pourraient être résolus par un seul département.

Le contrôle participatif décentralisé a été un élément-clé pour donner des indications sur l’impact positif ou négatif et adapter en conséquence la mise en oeuvre du projet. Grâce à cela est apparue l’importance de l’élevage de volailles pour les femmes; ce qui a conduit à porter une attention majeure aux volailles dans ce projet. Les revenus des femmes augmentèrent, d’où une plus grande sécurité alimentaire. Enfin, les participants prirent confiance dans leurs compétences. Les participants ont aussi commencé à mettre en oeuvre leurs initiatives personnelles et ont partagé leur connaissances et leur savoir-faire avec les autres, ce qui a étendu sensiblement l’impact du projet au delà de ses objectifs d’origine.

Ce projet modeste de PCT a fourni un modèle alternatif d’intervention aux employés du Gouvernement de l’Inde et du Sikkim, qui auparavant se concentraient principalement sur des programmes centralisés (de haut en bas), qui permettaient de fournir des apports gratuits aux agriculteurs. Les alternatives fondées sur la décentralisation et la sensibilisation ont désormais été présentées aux dirigeants politiques du Sikkim. Même si, dans un premier temps, ils se sont montrés réticents, cette approche fut bientôt jugée efficace et pertinente pour les besoins du développement rural.



[18] Les termes utilisés sont la traduction des termes «hard» et «soft» tirés de certains entretiens

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