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Concurrence dans l'utilisation de la faune sauvage

Un spécialiste camerounais nous dit comment les politiques d'aménagement sont mises en pratique

V.S. Balinga

V.S. BALINGA est employé à la Direction des eaux et forêts et chasses de la République du Cameroun à Yaoundé.

La faune sauvage, en particulier dans les pays en développement, doit parfois répondre à divers besoins dont certains peuvent se concurrencer. Le présent article montre comment le gouvernement camerounais s'attaque à ces problèmes.

Le Cameroun s'efforce de fonder ses politiques et ses méthodes d'aménagement de la faune sauvage sur trois réalités, à savoir:

- Le gibier est une source importante de protéines et un aliment traditionnel d'élection pour lequel il existe une forte demande.

- La faune sauvage est synonyme de tourisme et de chasse sportive (safaris), surtout de décembre à avril. Elle représente donc une source non négligeable de devises.

- La faune sauvage fait partie du patrimoine national et doit à ce titre être préservée. Le gouvernement camerounais a fixé le tracé de cinq parcs nationaux dans le nord du pays qui couvrent une superficie totale de 580 000 hectares.

L'éducation dans le domaine de la conservation a désormais sa place au Cameroun, mais elle n'en est encore qu'à ses débuts. Dans ce qui était naguère le Cameroun oriental, le gouvernement a commencé vers 1950 à créer des réserves de chasse: Waza, Kalamaloue, Benue, Faro, Dja, Douala-Edea, Campo, Pangar Djerem (zone fermée), etc., qui occupent au total environ deux millions d'hectares. Dans l'ancien Cameroun occidental, la première réserve - celle du Kimbi - a été établie en 1963 et a été suivie de celle du Mbi, ces deux réserves représentant quelque 5 000 hectares.

Certains se demandent pourquoi ces zones sont protégées. De toute évidence, la population est encore insuffisamment éclairée pour apprécier l'importance de ces zones de conservation.

Aujourd'hui plus que jamais, le passage de la chasse purement traditionnelle de subsistance à la chasse sportive et commerciale organisée avec fusils et moyens de transport perfectionnés appelle de toute urgence des programmes qui permettent de faire comprendre aux populations la nécessité d'aménager et de préserver les richesses de notre faune sauvage. C'est là souci qu'ont constamment à l'esprit les responsables des politiques, et le gouvernement envisage un certain nombre de programmes d'action en matière d'information et d'éducation.

M. Andrew Allo Allo, directeur de l'école de la faune sauvage de Garoua, a, par exemple, créé dans le nord du pays des clubs de faune sauvage qui se composent essentiellement d'écoliers et comptent maintenant un total de quatre cents adhérents à Maroua, Mokolo et Garoua. Des membres du personnel enseignant de l'école rendent de temps à autre visite à ces clubs pour y faire des causeries et projeter des diapositives et des films. Des excursions sont également organisées pour observer les animaux dans leur milieu naturel et mieux comprendre comment les divers éléments d'un écosystème sont tributaires les uns des autres. On espère que ces activités gagneront toujours plus la faveur du public et qu'elles s'intensifieront, en particulier dans le sud du pays où l'environnement de la faune sauvage demande à être bien aménagé.

Le service de l'information du ministère de l'agriculture a organisé des causeries à la radio sur la conservation de la faune sauvage et il envisage de créer des unités mobiles qui se rendront dans des villages éloignés pour y pro jeter photos et films. Sous les auspices de l'African Wildlife Leadership Foundation, il est prévu d'aider le gouvernement à entreprendre un programme d'éducation analogue à celui qu'exécute actuellement le Botswana. On envisage aussi de fournir des avis, du personnel et de l'équipement techniques à l'école de Garoua qui sert de centre de formation à toute l'Afrique occidentale dans le domaine de la faune sauvage.

Les Camerounais, comme la plupart des populations d'Afrique occidentale et centrale, voient depuis toujours dans la faune sauvage une manne constante et divine de protéines. Ils estiment que la chasse doit être libre et ne peuvent comprendre pourquoi il faut la limiter. La chasse n'est-elle pas une activité à laquelle ils se sont toujours adonnés depuis les temps lointains de leurs ancêtres? Rien de surprenant donc à ce que, malgré l'action du législateur, le braconnage soit depuis des années pratique courante et qu'il fasse en quelque sorte partie des coutumes de notre population.

La législation passée et présente sur la faune sauvage reconnaît que la chasse est profondément enracinée dans notre culture. Ainsi en va-t-il pour tout le sud du pays et pour une partie du nord. C'est pourquoi la loi admet la chasse traditionnelle sans permis. Elle autorise la chasse et le piégeage au moyen d'armes et de dispositifs confectionnés à partir de matériaux traditionnels et l'usage de lances, d'arcs et de flèches ainsi que de chiens. La chasse au fusil requiert toutefois un permis.

Si, dans le nord du pays, le bétail constitue la principale source de protéines, dans la région boisée du sud, en particulier chez les Bakweris de Fako et les Bakossis de Meme, on n'élève que la vache naine, les protéines étant alors surtout tirées de la faune sauvage locale et du bétail importé du nord.

Il existe aussi au Cameroun des régions pauvres comme celles d'Akwaya de Ndian, de Nkam et de Mouloundou, où la chasse constitue pratiquement le seul moyen d'existence. On n'y trouve que rarement, voire même jamais, de bétail importé du nord; on n'y rencontre aucune ferme, et la population y chasse pour se nourrir, pour vendre ou troquer de la viande de gibier contre d'autres produits de première nécessité. Dans l'est, de vastes étendues, notamment entre Lomie et Mouloundou, sont habitées par des pygmées dont la chasse est le seul mode de vie. A aucun moment le gouvernement ne songe à exiger d'eux des permis de chasse et il les laisse libres de chasser en toutes saisons.

Mais la loi prévoit aussi une chasse strictement réglementée pour laquelle le chasseur doit posséder un permis qui coûte de 10 000 à 20 000 francs camerounais pour les résidents et de 20 000 à 40 000 francs pour les non-résidents. Le taux de change étant de 278 francs camerounais pour un dollar U.S., le permis revient donc à 36-72 dollars pour les résidents et à 72-143 dollars pour les non-résidents.

Les règlements antérieurs interdisaient au chasseur sportif de vendre la viande du gibier qu'il avait tué. Généralement il en faisait don à la population locale qui en consommait ce qu'elle pouvait et vendait le reste. La législation récente autorise désormais le chasseur à vendre le produit de sa chasse. Il est arrivé en effet dans le passé, lorsque la loi obligeait le chasseur à faire don à la population locale de la viande du gibier qu'il avait tué, que cette population n'en consomme qu'une partie et laisse pourrir le reste. On espère que la nouvelle législation découragera cette pratique.

FORESTIERS ET VILLAGEOIS AVEC LA CARCASSE D'UN ÉLÉPHANT QUI ÉTAIT UNE MENACE POUR LE VILLAGE et qui est devenu une source providentielle de protéines

Aux termes d'autres règlements, le département des forêts est habilité à contrôler le gibier et à dépêcher des gardes-chasses tuer des animaux en maraude. Il faut toutefois qu'il ait été bien établi auparavant que le gibier a effectivement causé des dommages aux cultures et aux biens.

L'ancienne législation forestière du Cameroun occidental prévoyait la vente à bas prix à la population locale de la viande tirée de ces missions de contrôle, et la tradition veut maintenant que la moitié environ de la viande d'animaux en maraude soit remise gratuitement à ceux qui ont subi des dommages, l'autre moitié étant vendue sur place par le gouvernement. Ces activités peuvent constituer une source appréciable de protéines pour les populations rurales.

Il y a eu évidemment des cas où la population, dans son désir de se procurer de la viande de gibier, se plaignait de prétendus ravages dans ses cultures pour amener les gardes-chasses à abattre des animaux. Que l'on condamne ou non cette pratique, elle montre quelle part importante tient la viande de gibier dans le régime alimentaire de notre population.

Dans l'ancien Cameroun oriental, toute la viande des animaux tués par les gardes-chasses était remise gratuitement à ceux qui avaient subi des dommages. En l'absence de gardes-chasses de l'Etat, on demandait généralement à des chasseurs munis d'un permis d'abattre les animaux, moyennant quoi ils pouvaient garder la viande ou le trophée, ou recevoir, comme c'était le cas dans l'ancien Cameroun occidental, une prime qui pouvait atteindre 7 000 francs (25 dollars) en espèces,

A côté de la chasse légale, le braconnage est de nos jours une activité très répandue. Les braconniers utilisent de surcroît des méthodes et des dispositifs interdits par la loi, depuis les armes à feu prohibées jusqu'aux pièges qui peuvent être dangereux pour l'homme. Le braconnage se pratique sur une grande échelle en raison du faible nombre des contrôleurs et du peu de moyens mis à leur disposition. Le gouvernement est conscient des difficultés auxquelles se heurtent ceux qui sont chargés de lutter contre le braconnage et fait de son mieux pour les aider.

Si certains se livrent au braconnage uniquement pour se procurer de la viande, il s'agit pour d'autres d'une activité véritablement commerciale. C'est ainsi qu'ils vendent non seulement des quartiers de viande, mais aussi des trophées tels que peaux et défenses.

Animaux sauvages couramment consommes

SAVANE
Guépard (Acinonyx jubatus)
Rhinocéros (Diceros bicornis)
Girafe (Giraffa camelopardalis)
Phacochère (Phacochoerus aethiopicus)
Elan géant (Taurotragus derbianus)
Antilope rouane (Hipptragus equinus)
Cob (Kobus kob)
Bubale (Alcelaphus buselaphus)
Damalisque (Damiliscus lunatus)
Gazelle (Gazella sp.)
Singe patus (Erythrocebus patas)
SAVANE ET FORÊTS
Babouin (Papio sp.)
Lion (Panthera leo)
Léopard (Panthera pardus)
Hippopotame (Hippopotamus amphibus)
Tragelaphe (Tragelaphus spekei)
Céphalophe (Tragelaphus scriptus)
Buffle (Syncerus caffer)
Eléphant (Loxodonta africana)
Hyène (Corcuta corcuta)
Serval (Felix serval)
Civette (Civettictis civetta)
Antilope des marais (Redunca redunca)
Duiker (Cephalophus sp. et Sylvicapra)
Ardvark (Orycteropus afer)
Cob d'eau (Kobus ellipsiprymnus et K defassa)
Antilope pygmée (Ourebia ourebi)
Singe tantale (Cercopithecus aethiops)
Crocodile (Crocodylus sp.)
FORÊTS
Chimpanzé (Pan troglodytes)
Singe mangabey (Cercocebus sp.)
Gorille (Gorilla gorilla)
Singe colobin (Colobus sp.)
Singe drill (Mandrillus leucophaeus)
Mandrill (Mandrillus mormon)
Potamochère (Potamochoerus porcus)
Bongo (Boocercus eurycerus)
Porc-épic (Hystrix sp.)

Quel que soit le but poursuivi par le braconnier, la quasi-totalité de la viande provenant du braconnage est consommée sur place. Les éventaires des marchés regorgent de viande de gibier que les marchands dissimulent parfois sous d'autres produits de vente très courante comme le poisson. Souvent, le braconnier opère de nuit pour échapper plus sûrement à la police. Les restaurants spécialisés dans la venaison sont très fréquentés et la viande y est très chère. Au bord des grands axes routiers, certains font des affaires florissantes.

La plupart des braconniers n'opèrent pas uniquement pour leur propre compte. Certaines personnes peu habiles au tir ou n'ayant pas elles-mêmes le temps de chasser achètent des armes et des munitions et les remettent à des tireurs adroits qui braconnent pour leur compte. Il en résulte une menace particulièrement grave pour les éléphants qui sont chassés de façon illicite pour leurs défenses. Les Pygmées, en raison des privilèges que leur accorde la loi, sont parfois recrutés comme braconniers et reçoivent pour tout salaire un peu de tabac ou d'autres articles de pacotille.

Certains parcs nationaux tels que celui de Kalamaloue sont traversés par de grands axes routiers, et les conducteurs de camions qui font la route entre le Nigéria et le Tchad organisent leurs voyages de manière à arriver le soir dans cette zone de conservation, passent un certain temps à braconner et, avant le lever du jour, repartent avec leurs véhicules chargés de viande.

L'octroi de permis d'exploitation forestière est également une occasion de braconner dans des réserves de gibier comme celle de Campo. Les ouvriers forestiers qui travaillent dans ces régions isolées et qui manquent de viande de bœuf trouvent tout naturel de tuer des animaux sauvages pour améliorer leur ordinaire. Une telle pratique peut causer la perte d'un grand nombre d'animaux.

Les frontières du pays sont aussi fréquemment franchies par les braconniers professionnels. A plusieurs reprises, des groupes originaires de pays voisins se sont introduits dans les parcs nationaux pour y chasser et des fusillades ont éclaté au cours desquelles des braconniers ont été gravement blessés ou tués.

Les détenteurs de permis de chasse reçoivent des autorités administratives une quantité donnée de munitions, mais celle-ci est généralement insuffisante étant donné la forte demande de viande de gibier dans certaines régions. Des ruraux ont essayé de tromper les autorités en leur demandant des munitions pour des cérémonies traditionnelles alors qu'ils voulaient s'en servir pour la chasse. Même quand de telles demandes étaient faites en toute bonne foi, les munitions qui restaient après les cérémonies étaient finalement utilisées pour la chasse.

Des expéditions sont également organisées chaque année dans des zones expressément mises en réserves sur les terrains de chasse du village ou de son chef. Les habitants s'approvisionnent alors abondamment en viande de gibier.

Le contrôle de la chasse et la lutte contre le braconnage au Cameroun ne sont pas aussi systématiques que dans beaucoup de pays développés. Les pouvoirs publics s'attachent surtout à décourager le braconnage mais ne s'occupent pas de rassembler des statistiques sur la situation de la faune sauvage. Aussi est-il impossible d'évaluer la quantité de viande de gibier consommée dans le pays, ce qui ne serait d'ailleurs pas une tâche facile: les tentatives faites pour distribuer des questionnaires sur les pêches, par exemple, ont été fort mal accueillies par la population. D'après les données du service vétérinaire sur la consommation de viande de bétail dans tout le Cameroun septentrional, cette consommation serait d'environ 9 640 tonnes par an. La seule étude existante sur la viande de gibier a été faite par le Dr J. Esser, de l'école de Garoua. Selon cette étude, qui porte principalement sur les animaux tirés par les touristes, le poids total de viande de gibier de toutes espèces consommée dans le Cameroun septentrional en 1973-74 a été de 514 tonnes. A noter qu'il s'agit là d'une zone où le braconnage est modéré et où l'élevage est la principale source de viande pour la population locale.

Etant donné que, dans de nombreuses régions du sud, la population est entièrement tributaire du gibier pour son approvisionnement en viande, on peut estimer à 2 000 tonnes au moins la quantité de viande de gibier consommée chaque année dans le pays. A en juger par des observations fortuites à bord des trains venant du Lom et du Djerem et de la Haute Sanaga, dans des gares de chemin de fer, à bord de véhicules entre Yoko et Yaoundé, sur les marchés des villes du sud, ainsi que par les quantités de viande de gibier régulièrement livrées à la clientèle privée et aux restaurants et enfin par l'étude de M. Esser, ii semble qu'on puisse dire que la viande consommée dans le nord provient à 90 pour cent de l'élevage et à 10 pour cent du gibier, et à 70 pour cent et 30 pour cent respectivement dans l'ensemble du pays.

Comme nous l'avons dit, la plupart des Camerounais sont amateurs de viande de gibier qu'ils préfèrent à la viande des animaux domestiques. Mais d'autres raisons les poussent aussi à chasser la faune sauvage, dont en particulier le désir de se procurer certaines parties ou certains organes de telle ou telle espèce à des fins médicinales ou rituelles. C'est dans ce but, par exemple, qu'ils prélèvent les os de certains primates et la graisse des pythons. En outre, au cours de certaines cérémonies ou jours fériés, il se peut que la viande de gibier soit un mets indispensable pour entourer la fête du respect traditionnel qu'elle mérite. En cela, la culture camerounaise ne diffère pas des autres cultures où certaines fête, ne méritent pas leur nom si elles ne s'accompagnent pas du plat traditionnel.

Tout ce qui précède n'a d'autre but que de montrer que la demande de gibier dans cette partie de l'Afrique est très forte et que, comme nous le disions au début de cet article, les réalités auxquelles les autorités ont à faire face en ce qui concerne l'aménagement de la faune sauvage sont de par leur nature plus ou moins en conflit les unes avec les autres. Une chose en tout cas pour nous ne fait pas de doute: nous devons utiliser notre faune sauvage pour le bien de notre peuple, mais veiller en même temps à conserver cette richesse essentielle de notre culture. Notre but et notre optique tiennent en trois mots: aménagement, utilisation et conservation.

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