ENTREPOSAGE DES GRAINES DE FEUILLUS

par

F.T. Bonner ¹

¹ Physiologiste des plantes et Directeur de projet, Forest Tree Seed Laboratory, Starkville, Mississippi, financé par le Southern Forest Experiment Station, Forest Service - USDA, en collaboration avec l'Université de l'Etat du Mississippi.

La mise en oeuvre de programmes d'amélioration des arbres et la régénération artificielle qui les accompagne exigent de bonnes semences. Ces dernières doivent être recueillies et conservées de façon appropriée afin de prévenir une perte de qualité. L'entreposage des graines en vue de préserver à court terme le patrimoine héréditaire fait partie intégrante de la plupart des programmes d'amélioration des arbres. Cet article formule des recommandations sur les soins à donner aux graines de feuillus et sur leur emmagasinage. Pour plus de détails sur l'emmagasinage des graines, le lecteur pourra se référer à Barton (1961) et Roberts (1972). Holmes et Buszewics (1958), Schönborn (1964), Stein et al. (1974) et Wang (1974) constituent d'excellentes sources d'informations pour ce qui concerne l'emmagasinage des graines d'arbres.

SOINS A DONNER AVANT L'ENTREPOSAGE

Une mauvaise manutention des graines entre le moment de la collecte et l'emmagasinage peut avoir des effets négatifs sur la qualité de la graine. Les dommages qui peuvent ainsi être occasionnés à la graine concernent la teneur en eau des fruits et des graines. A cet égard, on peut ranger la plupart des espèces dans l'une des trois classes suivantes: 1) les graines qui doivent être desséchées avant l'extraction et l'emmagasinage; 2) les graines qui doivent être maintenues humides pour l'emmagasinage et 3) celles que l'on doit maintenir humides pour l'extraction, puis desséchées pour l'entreposage. Le tableau 1 donne la liste d'un grand nombre de feuillus importants groupés en fonction du traitement que demandent leurs graines avant l'entreposage.

Les graines qui demandent à être séchées avant l'extraction et l'entreposage sont généralement les plus faciles à manipuler. En ce qui concerne les fruits composés, comme ceux de Casuarina, Eucalyptus, Liquidambar ou Platanus, on peut les faire sécher au soleil ou dans des fours à la chaleur artificielle, puis les agiter ou les faire macérer pour en extraire les graines. Une fois sèches, les gousses des légumineuses de ce groupe, comme Acacia, Gleditsia ou Robinia, peuvent être battues au fléau ou soumises à macération pour en extraire les graines. Lorsque leur teneur en eau atteint de 6 à 10 pour cent ², ces graines sont prêtes à être emmagasinées.

La seconde catégorie comprend les graines qui sont difficiles à entreposer, comme Aesculus, Quercus et Dispterocarpus. Les graines d'Aesculus et de Quercus doivent être nettoyées par flottage dans l'eau puis maintenues constamment humides. Chez certaines espèces (par exemple Q. nigra), elles perdent leur viabilité si la teneur en eau descend au-dessous de 25 pour cent. Les graines de Hopea et autres genres diptérocarpes perdent rapidement leur viabilité si la teneur en eau est inférieure à des valeurs comprises entre 19 et 33 pour cent (Tang et Tamari 1973). Même si le semis doit intervenir quelques jours après la collecte, ces graines doivent être conservées au frais et maintenues humides.

Tableau 1. Genre de feuillus importants classés en fonction des conditions auxquelles leurs graines doivent être soumises avant l'entreposage.

La troisième catégorie est composée surtout de graines de drupes et d'autres fruits charnus. Il est souhaitable ordinairement d'extraire les graines de leur tissu charnu avant l'entreposage. L'extraction se fait beaucoup plus facilement dans des macérateurs si ce tissu n'a pu sécher. Une fois nettoyées, les graines doivent être déshydratées (teneur en eau inférieure à 10 pour cent) pour le stockage. Les conditions d'entreposage sont les mêmes que pour la première catégorie de graines. On trouvera dans Stein et al. (1974) des informations sur le dépulpage des fruits charnus.

² Dans cet article, la teneur des graines en eau est toujours exprimée en pourcentage de poids humide, comme indiqué dans les règlements d'essais internationaux (Association internationale d'essais de semences, 1976).

MESURE DE LA TENEUR EN EAU DES GRAINES

Il faut contrôler la teneur en eau des graines à la fois au cours du traitement afin de savoir lorsqu'elle est suffisamment basse pour permettre le stockage, et au cours du stockage pour s'assurer que les conditions nécessaires sont maintenues. On peut utiliser les méthodes officielles de mesure préconisées par l'Association internationale d'essais de semences (ISTA). Pour beaucoup d'essences de feuillus, on recommande la dessiccation en étuve à 103°C pendant 17 heures, mais pour Fagus il faut utiliser la méthode de la distillation au toluène (ISTA 1976). Pour les graines à forte teneur en huile, on doit employer la méthode au toluène car la dessiccation en étuve peut entraîner une perte importante des lipides de la graine par volatilisation. La plupart des feuillus figurant au tableau 1 ne sont pas inclus dans les règlements de l'ISTA car il n'y a pas eu une demande suffisante de certificats officiels d'essai.

Etant donné que les méthodes de l'ISTA servent principalement aux laboratoires d'essais, et que l'on a souvent besoin d'obtenir des résultats rapides en cours de traitement, on a souvent recours aux hygromètres électriques qui donnent des mesures immédiates sans endommager les graines. Bien qu'ils ne soient probablement pas aussi précis que les méthodes officielles de l'ISTA, ils donnent habituellement des résultats suffisamment exacts pour permettre de prendre des décisions concernant le stockage. Au début, ces hygromètres électriques doivent être étalonnés par rapport à d'autres mesures hygrométriques et il existe à l'heure actuelle quelques tables d'étalonnage pour les graines de feuillus. Le tableau 2 donne des exemples pour quatre feuillus d'Amérique du Nord. Il est facile de préparer d'autres tables d'étalonnage pour d'autres espèces.

Il existe environ une douzaine d'hygromètres dans le commerce, tous destinés aux petites graines. On ne peut les utiliser pour Juglans, Quercus, ou d'autres graines de plus grande dimension. Il est également difficile de mesurer les graines ailées comme Acer et Fraxinus. Leurs ailes en empêchant l'afflux régulier dans le compartiment de mesure, ce qui crée des poches d'air irrégulières et donc fausse les mesures.

CONDITIONS OPTIMALES D'EMMAGASINAGE

L'entreposage des semences a deux objectifs: d'une part, celui de conserver des stocks de semences de façon aussi peu coûteuse que possible jusqu'à leur utilisation, qu'il s'agisse de plusieurs mois ou de dix ans, et d'autre part de préserver autant que possible leur qualité. Après plusieurs années, les graines auront perdu un peu de leur qualité, mais on peut minimiser ces pertes si l'on adopte des mesures appropriées. Le préposé aux graines doit prendre plusieurs éléments en considération: durée requise de stockage, limites acceptables pour la perte de qualité, installations disponibles, et autres facteurs économiques qui entrent en jeu. Il n'est peut-être pas nécessaire de disposer des entrepôts les plus chers.

Les graines d'arbres peuvent être divisées en deux groupes selon les procédures d'entreposage: 1) celles que l'on peut maintenir à un faible niveau d'humidité et 2) celles qui, au contraire, doivent conserver une forte teneur en eau. Les graines du premier groupe sont faciles à emmagasiner pendant de longues périodes si la teneur en eau est maintenue entre 5 et 10 pour cent. A des températures situées entre 0 et 5°C, elles peuvent se conserver en bon état pendant au moins cinq ans. Si l'emmagasinage doit dépasser cinq ans, il peut être recommandé de les maintenir à une température inférieure à zéro. En revanche, si l'entreposage ne doit pas dépasser un hiver on peut tolérer des températures supérieures à 5°C. Les graines dures de la famille des légumineuses et de quelques autres espèces sont beaucoup plus tolérantes aux températures élevées et n'ont pas nécessairement besoin d'un entrepôt réfrigéré.

Les espècesque l'on peut conserver à une faible teneur en eau (Groupe I) appartiennent en général aux genres dont les graines doivent être déshydratées pour le stockage (classes 1 et 3 du tableau 1). Font partie de ce groupe: Acer saccharum (Yawney et Carl 1974); Betula alleghaniensis (Clausen 1975); Carya ovata (Bonner 1976); Eucalyptus spp. (Krugman 1974); Fagus sylvatica (Machanicek et Vrabec 1973); Fraxinus excelsior (Barton 1945); Nyssa aquatica (Bonner et Kennedy 1973); Populus tremula (Schreiner 1974); Prunus serotina (Grisez 1976); Tectona grandis (Kimariyo 1973); et Ulmus pumila (Heit 1967).

Certaines de ces essences doivent être manipulées avec soin. Fagus, par exemple, doit être déshydraté lentement en deux étapes (Rudolf et Leak 1974), et la graine de Populus doit l'être immédiatement après la collecte (Schreiner 1974).

On peut probablement entreposer les graines d'autres espèces de l'un ou de l'autre groupe avec la méthode basse température-faible humidité, mais on manque de données précises. On sait que les graines des feuillus tropicaux de ces groupes, comme Triplochiton scleroxylon et Gmelina arborea, ont une vie courte. L'entreposage à une température entre 0° et 5°C et une teneur en eau allant de 5 à 10 pour cent n'assure pas forcément la viabilité de ces graines pendant 5 ans ou plus mais on doit pouvoir les conserver pendant 2 ou 3 ans. Il faudrait effectuer des recherches plus approfondies sur cette question.

Tableau 2. Table d'étalonnage permettant de mesurer la teneur en eau des graines de quatre essences de feuillus d'Amérique du Nord avec un hygromètre électrique Burrows (connu également sous le nom de Dole ou de Radson). ¹

Il est très difficile d'entreposer les graines dont la teneur en eau doit être élevée (Groupe II) sans encourir de fortes pertes de viabilité. On a obtenu un succès relatif avec les graines de Quercus en les maintenant à 35–45 pour cent d'humidité et à des températures situées entre -1°C et +3°C (Bonner 1973; Suszka 1976). Lorsque le pourcentage d'humidité doit être maintenu dans cette fourchette, la température doit être soigneusement contrôlée. Des températures inférieures à - 1°C tuent habituellement les graines, mais au-dessus de 2 ou 3°C entraînent une germination excessive des glands emmagasinés. En outre, on ne peut pas utiliser de conteneurs hermétiques car il doit y avoir un échange de gaz entre les glands et l'atmosphère. A des taux élevés d'humidité, la respiration se fait à un rythme rapide et bloquer complètement l'échange de gaz revient à tuer les glands. Les sacs en polyéthylène dont les parois ont une épaisseur d'environ 4 millipouces ³ permettent un échange de gaz suffisant sans laisser échapper la vapeur d'eau. Si le polyéthylène est plus fin, il laisse échapper une trop grande quantité de vapeur d'eau, ce qui dessèche les glands; s'il est plus épais, il empêche l'échange de gaz.

Les conditions d'entreposage des graines d'autres genres du Groupe II n'ont pas été étudiées aussi en détail que pour les espèces de Quercus. On sait toutefois que des méthodes analogues à celles utilisées pour Quercus seraient efficaces pour d'autres espèces de ce groupe qui poussent dans des zones tempérées comme Aesculus, Acer (maturation au printemps), Castanea et Corylus. Les noix de Juglans peuvent apparemment être entreposées au frais et en condition humide pour une période allant jusqu'à 4 ans (Brinkman 1974). Les graines des feuillus tropicaux, grosses et humides, sont très difficiles à entreposer et là aussi on applique les mêmes méthodes. Des recherches s'imposent sur l'entreposage des graines de feuillus tropicaux.

¹ La marque commerciale n'est mentionnée ici que pour information et n'implique aucun engagement de la part du U.S. Forest Service.

² Données extraites de Bonner (sous presse).

³ 1 mil = 1/1 000 pouce = 0,025 mm.

CONTROLE DE LA TENEUR EN EAU

En matière d'entreposage des graines, des deux facteurs importants - teneur en eau et température - le premier est le plus décisif. Même à de basses températures, les graines du Groupe I peuvent être endommagées à différents degrés d'humidité (Harrington 1973).

Une fois que la graine a atteint la teneur en eau idéale pour l'entreposage, il faut la maintenir. On peut construire des installations de réfrigération à humidité contrôlée mais elles sont très coûteuses. Aux températures de stockage habituelles de 3 à 5°C, l'humidité relative se situera dans les 90 à l'intérieur de la chambre froide, et les graines déshydratées absorberont l'humidité de l'atmosphère, à moins qu'elles n'en soient protégées. La technique la plus courante pour entreposer les graines du Groupe I est d'abaisser leur teneur en eau au niveau désiré et de réfrigérer ensuite les graines déshydratées dans des conteneurs hermétiques - barils de fibre ou de métal tapissés de polyéthylène ou de métal. Si l'on peut contrôler l'humidité de la chambre froide tout entière, les graines du Groupe I peuvent alors être conservées dans des conteneurs non hermétiques (sacs de coton ou de toile). Dans ce cas, les graines à forte teneur en eau du Groupe II devront être placées dans des conteneurs hermétiques, puisque les graines conservées dans des conteneurs non hermétiques absorberont ou perdront un certain pourcentage d'humidité, dans leur effort pour s'adapter à l'humidité ambiante.

En matière de teneur en eau, le point d'équilibre diffère selon les espèces, et les variations des caractéristiques des lots de graines peuvent entraîner des différences allant jusqu'à 2 pour cent dans une même espèce (Harrington 1973). Chez les feuillus, des espèces du Groupe I ont des valeurs d'équilibre similaires mais les glands plus gros du Quercus du Groupe II varient énormément (tableau 3).

Les valeurs pour les glands de Quercus ne pouvant être déterminées avec précision, celles qui sont indiquées au tableau 3 ne sont qu'approximatives. En cours de stockage, le poids des glands diminue constamment en raison de la respiration qui entraîne également une lente augmentation du pourcentage d'humidité. En cas de stockage à long terme, le pourcentage final d'humidité est presque toujours supérieur au pourcentage initial.

Les valeurs d'équilibre, pour les espèces mentionnées au tableau 3, à la même humidité relative mais à une température plus élevée, seraient légèrement supérieures. L'amidon absorbant plus d'humidité que les lipides (Harrington 1973), les graines amylacées, comme celles de Aesculus et de Quercus, ont habituellement une valeur d'équilibre supérieure à celle des graines contenant plus de lipides.

CONTROLE DE LA TEMPERATURE

Pour l'entreposage à court terme de graines déshydratées (à 5 ou 10 pour cent d'humidité), la température peut être variable. On peut utiliser la vieille méthode agricole empirique: si la somme de la température en ^oF et de l'humidité relative en pourcentage est inférieure à 100, les conditions de stockage sont satisfaisantes de l'extraction et du nettoyage jusqu'au semis (de 4 à 5 mois). Si le stockage à long terme est nécessaire pour parer à de mauvaises récoltes de graines alors il faudra disposer de bonnes installations de réfrigération. Si l'on veut conserver des graines à faible teneur en eau pour une durée indéterminée, il est essentiel de disposer d'installations de réfrigération qui maintiendront les températures à quelques degrés au-dessus de 0. Les graines dont la teneur en eau est située entre 5 et 10 pour cent peuvent être conservées beaucoup plus de cinq ans si l'on maintient la température à environ -18°C (Stein et al. 1974). Toutefois, comme il est plus coûteux de maintenir des températures au-dessous de 0 qu'au-dessus, il faut s'assurer qu'il est bien nécessaire de conserver des stocks de graines plus de cinq ans.

Tableau 3: Humidité d'équilibre de graines de feuillus à 40 pour cent et 95 pour cent d'humidité relative (déterminée sur solution saline saturée, à 4° – 5°C).

¹ Données d'après Bonner (1972)

² Après deux semaines d'équilibration

Les espèces du Groupe II qui sont extrêmement difficiles à entreposer, comme le sousgenre Leucobalanus de Quercus (chêne blanc) et les diptérocarpes tropicaux, ne peuvent à l'heure actuelle être conservées que quelques mois. Les graines doivent être maintenues humides, à des températures légèrement supérieures à 0°C. On retardera ainsi la germination sans toutefois l'éviter complètement et on diminuera les risques de fermentation.

CONCLUSIONS

Les techniques actuelles permettent d'entreposer de façon satisfaisante la plupart des graines à faible teneur en eau (Groupe I) pour 5 ans ou plus, mais en ce qui concerne les graines à forte teneur en eau (Groupe II) on peut rarement les conserver plus de deux ou trois ans. Certaines d'entre elles ne résistent même que quelques mois. A l'intérieur de chaque groupe, la sensibilité aux conditions d'entreposage varie énormément et demande parfois une manipulation spéciale mais la technique du contrôle de la température et de l'humidité s'applique toujours. Des essais de stockage effectués avec des graines de nombreux feuillus, notamment des essences tropicales, ont montré qu'elles ne retenaient pas longtemps leur viabilité; il faut donc approfondir les recherches dans ce domaine, et étudier notamment la teneur en eau des graines et les méthodes permettant de la maintenir au niveau souhaité.

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